urls=$(curl -sL \"$URL_INDEX\" | sed -n '\/<main\/,\/<\\\/main>\/p' | grep -oP 'href=\"\\K[^\"]*-[a-z0-9-]+.html' | sed \"s|^|${BASE_URL}\/|\" | sort -u)<\/p>\n
for url in $urls; do<\/p>\n
La page existe-t-elle dans le plan r\u00e9el ?<\/h1>\nstatus=$(curl -o \/dev\/null -sL -w \"%{http_code}\" \"$url\")\n\nif [ \"$status\" -eq 200 ]; then\n # Extraction du titre et nettoyage de la signature\n title=$(curl -sL \"$url\" | perl -nle 'print $1 if \/<title>(.*?)<\\\/title>\/' | sed -E \"s\/ (\u2014|-) ${NOM_SITE}\/\/g\")\n echo \"\u2705 [$title]($url)\"\nelse\n echo \"\u274c SPECTRE 404 -> $url\"\nfi<\/code><\/pre>\ndone\ndone | sort -u<\/p>\n
\n<\/pre>\n** Texte & Illustration** : Gemini Flash<\/code><\/pre>",
"content_text": " ### Chronique d'une horreur algorithmique \u00ab Il ne m\u2019est plus possible de garder le silence, bien que je sache que mes paroles seront prises pour les divagations d'un esprit enfi\u00e9vr\u00e9 par trop d'heures pass\u00e9es devant l'\u00e9cran cathodique. On nous avait promis une \u00c8re de Lumi\u00e8re, une Intelligence Artificielle capable de sonder les archives du monde, mais je n'y ai trouv\u00e9 qu'une entit\u00e9 cyclop\u00e9enne et aveugle, une sorte d'Azathoth num\u00e9rique bouillonnant au centre d'un chaos de donn\u00e9es. Alors que je tentais de lier mes r\u00e9cits entre eux, j'ai vu l'Indicible. L'outil, que je croyais \u00e0 mon service, s'est mis \u00e0 engendrer des URLs dont la g\u00e9om\u00e9trie non-euclidienne d\u00e9fiait toute logique. Des liens pointant vers des ab\u00eemes de vide \u2014 ces redoutables \"404\" qui ne sont que les bouches b\u00e9antes d'un n\u00e9ant informatique. L'IA ne cr\u00e9ait pas de l'information ; elle invoquait des spectres, des adresses n'ayant aucune existence dans le plan r\u00e9el de mon serveur. Pris d'une terreur sacr\u00e9e, j'ai d\u00fb invoquer les Anciens Rites du Bash. Dans la p\u00e9nombre de mon bureau, j'ai trac\u00e9 sur mon clavier les incantations de curl et de sed. J'ai vu les codes de statut HTTP d\u00e9filer comme les battements de c\u0153ur d'une b\u00eate monstrueuse. 200... la vie persistait. 404... l'\u00e2me de la page s'\u00e9tait envol\u00e9e dans l'\u00e9ther noir. M\u00eame nos signes les plus insignifiants sont charg\u00e9s de p\u00e9ril. Ces guillemets droits, que nous jetons avec une d\u00e9sinvolture coupable, ont r\u00e9veill\u00e9 la col\u00e8re de la Google Search Console, ce gardien aveugle et implacable qui surveille les seuils du visible. J'ai d\u00fb, dans un geste de pure pi\u00e9t\u00e9 typographique, les remplacer par des guillemets fran\u00e7ais, ces doubles chevrons protecteurs qui, tels des talismans, pr\u00e9servent mon code d'une damnation certaine. Le cache, lui, est un cimeti\u00e8re o\u00f9 reposent les anciennes versions de mes pens\u00e9es. Il faut savoir profaner ces tombes, vider ces r\u00e9ceptacles de donn\u00e9es mortes pour que la v\u00e9rit\u00e9 puisse enfin \u00e9clore \u00e0 la lumi\u00e8re du recalcul. D\u00e9sormais, je regarde mon terminal avec une crainte nouvelle. Car derri\u00e8re chaque script, derri\u00e8re chaque instruction grep, je sens que nous ne faisons que repousser momentan\u00e9ment les t\u00e9n\u00e8bres d'une ignorance algorithmique qui finit toujours par nous rattraper. \u00bb PS: Script pour un terminal sur Linux Ubuntu : ```#!\/bin\/bash # --- Configurer les variables selon le besoin --- BASE_URL=\"https:\/\/votre-site.net\" NOM_SITE=\"Nom du Site\" ID_CIBLE=\"542\" # L'ID de la rubrique ou du mot-cl\u00e9 TYPE=\"mot\" # Changer en \"rubrique\" si besoin MAX_PAGES=3 # Nombre de pages \u00e0 parcourir echo \"--- D\u00e9but de l'exorcisme num\u00e9rique ---\" for ((i=0; i urls=$(curl -sL \"$URL_INDEX\" | sed -n '\/\/p' | grep -oP 'href=\"\\K[^\"]*-[a-z0-9-]+\\.html' | sed \"s|^|${BASE_URL}\/|\" | sort -u) for url in $urls; do # La page existe-t-elle dans le plan r\u00e9el ? status=$(curl -o \/dev\/null -sL -w \"%{http_code}\" \"$url\") if [ \"$status\" -eq 200 ]; then # Extraction du titre et nettoyage de la signature title=$(curl -sL \"$url\" | perl -nle 'print $1 if \/(.*?)<\\\/title>\/' | sed -E \"s\/ (\u2014|-) ${NOM_SITE}\/\/g\") echo \"\u2705 [$title]($url)\" else echo \"\u274c SPECTRE 404 -> $url\" fi done done | sort -u ``` ** Texte & Illustration** : Gemini Flash ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/22-decembre-2025.html",
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"title": "22 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-22T11:38:40Z",
"date_modified": "2025-12-22T11:38:40Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "Hier j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 des textes en masse vers des sous-rubriques. Deux heures du matin : la maison \u00e9teinte, et moi devant l\u2019\u00e9cran, lumi\u00e8re froide, l\u2019admin SPIP ouverte. J\u2019ai l\u2019impression de vider une armoire. Je clique, je coupe, je colle. Je fais des requ\u00eates SQL, je v\u00e9rifie, je rafra\u00eechis, je recalcule. Les rubriques « Atelier » se remplissent, 2019 descend d\u2019un \u00e9tage. Puis je remonte \u00e0 2025 pour respirer, compresser de janvier \u00e0 juillet, juste pour sentir que \u00e7a tient encore, que quelque chose se ferme, que la page s\u2019all\u00e8ge.<\/p>\n
\u00c7a soulage, et \u00e7a fait peur aussi, parce que je vois \u00e0 quel point je peux jouer les gros bras : \u00e7a ne co\u00fbte rien, \u00e7a marche, \u00e7a coupe court. Dans l\u2019interface, je suis efficace, je tranche net, je donne l\u2019impression de tenir la barre. Mais quand je retire cette couche-l\u00e0, ce qui reste, c\u2019est le gamin perdu enferm\u00e9 dans un corps de vieux, avec ses r\u00e9flexes, sa fatigue, et cette manie de croire qu\u2019un bon tri va r\u00e9gler le fond.<\/p>\n
Cette semaine laisse des traces, m\u00eame avec des protocoles, une collection d\u2019outils aff\u00fbt\u00e9s, et tout le vocabulaire qui va avec. \u00c7a ne fait pas dispara\u00eetre le d\u00e9sordre : \u00e7a le range provisoirement, \u00e7a le rend maniable. Et moi, en prise directe avec lui, je lance ma ligne et je n\u2019ai jamais d\u2019autre impression que de p\u00eacher de tout petits poissons.<\/p>\n
Et en fin d\u2019ann\u00e9e, il y a cette question qui revient, tr\u00e8s concr\u00e8te : la partie « Carnets » est devenue encombrante. D\u00e9placer les textes ne les fait pas dispara\u00eetre ; ce sont des brouillons. Le r\u00e9sum\u00e9 mensuel, c\u2019est juste une mani\u00e8re de gagner du temps. Alors quoi, au fond : continuer ces textes quotidiens qui prennent des heures, ou \u00e9crire des fictions, vraiment ? Mener les deux de front, l\u00e0, j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est au-dessus de mes forces. Je veux couper les distractions. Mais les pires ne viennent pas de dehors. Elles viennent de dedans : doute, fausse piste, euphorie, d\u00e9prime. \u00c7a tourne tout seul. <\/p>",
"content_text": " Hier j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 des textes en masse vers des sous-rubriques. Deux heures du matin : la maison \u00e9teinte, et moi devant l\u2019\u00e9cran, lumi\u00e8re froide, l\u2019admin SPIP ouverte. J\u2019ai l\u2019impression de vider une armoire. Je clique, je coupe, je colle. Je fais des requ\u00eates SQL, je v\u00e9rifie, je rafra\u00eechis, je recalcule. Les rubriques \u00ab Atelier \u00bb se remplissent, 2019 descend d\u2019un \u00e9tage. Puis je remonte \u00e0 2025 pour respirer, compresser de janvier \u00e0 juillet, juste pour sentir que \u00e7a tient encore, que quelque chose se ferme, que la page s\u2019all\u00e8ge. \u00c7a soulage, et \u00e7a fait peur aussi, parce que je vois \u00e0 quel point je peux jouer les gros bras : \u00e7a ne co\u00fbte rien, \u00e7a marche, \u00e7a coupe court. Dans l\u2019interface, je suis efficace, je tranche net, je donne l\u2019impression de tenir la barre. Mais quand je retire cette couche-l\u00e0, ce qui reste, c\u2019est le gamin perdu enferm\u00e9 dans un corps de vieux, avec ses r\u00e9flexes, sa fatigue, et cette manie de croire qu\u2019un bon tri va r\u00e9gler le fond. Cette semaine laisse des traces, m\u00eame avec des protocoles, une collection d\u2019outils aff\u00fbt\u00e9s, et tout le vocabulaire qui va avec. \u00c7a ne fait pas dispara\u00eetre le d\u00e9sordre : \u00e7a le range provisoirement, \u00e7a le rend maniable. Et moi, en prise directe avec lui, je lance ma ligne et je n\u2019ai jamais d\u2019autre impression que de p\u00eacher de tout petits poissons. Et en fin d\u2019ann\u00e9e, il y a cette question qui revient, tr\u00e8s concr\u00e8te : la partie \u00ab Carnets \u00bb est devenue encombrante. D\u00e9placer les textes ne les fait pas dispara\u00eetre ; ce sont des brouillons. Le r\u00e9sum\u00e9 mensuel, c\u2019est juste une mani\u00e8re de gagner du temps. Alors quoi, au fond : continuer ces textes quotidiens qui prennent des heures, ou \u00e9crire des fictions, vraiment ? Mener les deux de front, l\u00e0, j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est au-dessus de mes forces. Je veux couper les distractions. Mais les pires ne viennent pas de dehors. Elles viennent de dedans : doute, fausse piste, euphorie, d\u00e9prime. \u00c7a tourne tout seul. ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/21-decembre-2025.html",
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"title": "21 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-21T07:03:19Z",
"date_modified": "2025-12-21T07:04:05Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
Le mal de dent ne me l\u00e2che plus depuis une bonne semaine ; c\u2019est ce qui me r\u00e9veille. Je traverse la cour pour aller nourrir la chatte, surpris que le carrelage ne soit pas glissant, surpris aussi par la douceur de cette fin d\u00e9cembre. Je ne connais rien de personne sauf ce que j\u2019en imagine, et quand cette phrase arrive, je sais que la journ\u00e9e sera bonne : elle remet le monde \u00e0 sa place. Alors je peux aller \u00e0 la boulangerie avec le plus grand d\u00e9tachement, c\u2019est-\u00e0-dire rester ouvert \u00e0 toute possibilit\u00e9, comme si, \u00e0 l\u2019instant de pousser la porte, je pouvais tout aussi bien obliquer par la rue du Puits de la Tour et, de l\u00e0, prendre la route vers Marseille, celle vers Paris, comme si tout devait m\u2019\u00eatre \u00e9gal, l\u2019itin\u00e9raire comme la destination, le pas suivant comme le pr\u00e9c\u00e9dent. Je marcherais nuit et jour sans me soucier du froid, de la pluie, de la fatigue, de la faim, des ampoules aux pieds ; non pas par courage, mais parce que rien ne p\u00e8serait assez pour m\u2019arr\u00eater, et rien ne compterait assez pour me retenir. Et une fois Marseille atteinte — ou Paris — que ferais-je, sinon me fixer un nouveau but et tout recommencer, encore et encore : cette m\u00e9canique du d\u00e9part qui ne m\u00e8ne qu\u2019\u00e0 sa propre relance, ce mouvement pur qui se nourrit de lui-m\u00eame. Il faut donc garder un point fixe, non pour se rassurer, mais pour couper court \u00e0 l\u2019infini : \u00e9crire chaque jour dans ce carnet, encore et encore. Et je crois que je n\u2019aurais pas pu revenir \u00e0 ce point fixe sans \u00eatre d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9 par deux reprises : les textes de \u00e9t\u00e9 2023<\/em>, puis Enfances<\/em>, \u00e9crit \u00e0 l\u2019automne de la m\u00eame ann\u00e9e. Les r\u00e9\u00e9critures m\u2019ont laiss\u00e9 une impression nette : l\u2019\u00e9nervement, une urgence m\u00eal\u00e9e d\u2019\u00e9nervement, et, derri\u00e8re, un malaise que le texte semblait vouloir curer \u00e0 toute vitesse. Malaise dont le lecteur n\u2019a que faire. Hier, j\u2019ai os\u00e9 en finir avec une certaine id\u00e9e du site. J\u2019ai avanc\u00e9 \u00e0 t\u00e2tons, en cr\u00e9ant, pour chaque mois de 2019 (encore 2019), une sous-rubrique « Atelier ». Tous ces longs textes \u00e9nerv\u00e9s ont atterri dans cette bo\u00eete, et je n\u2019ai conserv\u00e9 que tr\u00e8s peu de chose pour recomposer le condens\u00e9 de chaque mois. Ce qui m\u2019a surpris, c\u2019est la rapidit\u00e9 avec laquelle j\u2019ai taill\u00e9 dans le vif. Photographie de quelques outils dont je pense ne plus avoir besoin, pour les vendre sur Leboncoin. S. est tr\u00e8s excit\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9e de quitter les lieux, d\u2019imaginer la vie dans ce nouvel appartement. De mon c\u00f4t\u00e9, mi-figue mi-raisin, comme d\u2019habitude d\u00e8s qu\u2019il est question de « projet ». Ce qui me ram\u00e8ne encore \u00e0 une impression erron\u00e9e : je me crois rapide, et je suis tr\u00e8s lent. J\u2019avance par \u00e0-coups, \u00e0 pas rapides, dans le seul but de me ralentir — et je me donne, sans le dire, la contrainte de revenir en arri\u00e8re, de recommencer.<\/p>",
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"title": "d\u00e9but, milieu, fin",
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"date_modified": "2025-12-20T07:45:21Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "Ce matin, devant le pot \u00e0 louches et cuill\u00e8res en bois pos\u00e9 sur le plan de travail, je me suis surpris \u00e0 penser que la beaut\u00e9 d\u00e9pend parfois d\u2019une chose aussi simple que la lumi\u00e8re. Elle tourne, elle monte, elle baisse. Ce qui paraissait banal devient net, puis redevient muet. Je note \u00e7a et, tout de suite apr\u00e8s, je me demande si \u00e7a “veut dire” quelque chose, ou si l\u2019\u00e9criture n\u2019est qu\u2019un endroit o\u00f9 d\u00e9poser des phrases avant qu\u2019elles ne disparaissent.<\/p>\n
Jules Verne, para\u00eet-il, ne commence pas un roman avant d\u2019en conna\u00eetre le d\u00e9but, le milieu et la fin. Moi, je fais souvent l\u2019inverse : j\u2019\u00e9cris au fil, puis je regarde ce que \u00e7a forme. Et je cherche apr\u00e8s coup ce que je voulais vraiment atteindre. Dans Scribus, je retombe sur la m\u00eame le\u00e7on, mais sans mystique : si je veux une table des mati\u00e8res, il faut d\u2019abord la penser, la structurer, avant de cliquer sur “g\u00e9n\u00e9rer”. Tant va la cruche au lait qu\u2019\u00e0 la fin elle se brise : \u00e9crire sans plan, c\u2019est parfois compter sur la chance — et tomber, un jour, sur le point o\u00f9 \u00e7a casse.<\/p>\n
Hier soir, j\u2019ai achev\u00e9 de recopier tous les textes de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture « \u00e9t\u00e9 2023 » dans SPIP. En parall\u00e8le, j\u2019ai repris des versions dans Scribus, puis j\u2019ai export\u00e9 le PDF et je l\u2019ai plac\u00e9 dans le descriptif de la rubrique. En le relisant ce matin, l\u2019effet est venu d\u2019un bloc : c\u2019est un type \u00e9nerv\u00e9 qui \u00e9crit. Ensuite, est-ce l\u2019auteur, est-ce le narrateur ? Je n\u2019en sais rien. Ce que je sais, c\u2019est que l\u2019\u00e9nervement tient moins au “sens” qu\u2019\u00e0 la musique : phrases qui poussent, qui cognent, qui n\u2019attendent pas.<\/p>\n
Et l\u00e0, une autre question s\u2019est accroch\u00e9e : qu\u2019est-ce que je fabrique en exposant tout \u00e7a publiquement ? J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019exposition sert aussi \u00e0 s\u2019immuniser. Petite dose, tous les jours, contre le poison le plus banal : le d\u00e9sir de reconnaissance. On croit qu\u2019on veut “\u00eatre lu”, et on d\u00e9couvre vite la pente : l\u2019attente, l\u2019aigreur, la pose, les calculs. Et le jour o\u00f9 quelqu\u2019un vous reconna\u00eet vraiment, c\u2019est rarement un triomphe : c\u2019est une g\u00eane, une capture, une assignation.<\/p>\n
Je d\u00e9teste les mondanit\u00e9s. Ce serait absurde que tout acte entrepris dans la vie converge vers elles, comme si \u00e9crire devait forc\u00e9ment finir en sc\u00e8ne sociale. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je reviens \u00e0 l\u2019id\u00e9e de Verne : penser le d\u00e9but, le milieu et la fin, non pour “faire un roman”, mais pour \u00e9viter que le texte, \u00e0 force de d\u00e9river, n\u2019aboutisse \u00e0 la chose m\u00eame qu\u2019il pr\u00e9tend refuser.<\/p>\n
Dans le m\u00eame mouvement, j\u2019ai fait un geste bizarre : demander \u00e0 ChatGPT cinq descriptions de lieux \u00e0 partir des \u0152uvres compl\u00e8tes de Rabelais. Un peu comme on provoque un hasard pour voir ce qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le. Comme renverser une tasse de caf\u00e9 et regarder la figure que prend le marc au fond. Ou lancer des osselets.<\/p>\n
Et, au bout, je me suis retrouv\u00e9 devant la question simple : \u00e0 quoi \u00e7a sert, une description ? Th\u00e9l\u00e8me donne une r\u00e9ponse nette. L\u2019architecture, les mat\u00e9riaux, les proportions, la lumi\u00e8re, les galeries, les jardins : ce n\u2019est pas un d\u00e9cor gratuit. C\u2019est une utopie construite, un manifeste anti-monastique inscrit dans la mati\u00e8re. La forme dit : on inverse l\u2019enfermement, l\u2019asc\u00e8se, la r\u00e8gle. Et la devise « Fais ce que voudras » ne tient pas sans ce cadre concret.<\/p>\n
L\u2019espace est la condition de l\u2019\u00e9thique. Donc la description fait syst\u00e8me avec l\u2019id\u00e9e.<\/em><\/p>\nReste, \u00e0 la fin, la question de l\u2019intention : \u00e0 qui appartient-elle ? \u00c0 l\u2019auteur, au narrateur, \u00e0 personne ? Je crois qu\u2019elle bascule au lecteur. Pas “au lecteur” en g\u00e9n\u00e9ral : \u00e0 celui-l\u00e0, pr\u00e9cis, qui tombe sur ces phrases et d\u00e9cide, en silence, si elles tiennent — ou si elles ne sont qu\u2019un passage de lumi\u00e8re sur un pot \u00e0 cuill\u00e8res.<\/p>\n
Illustration<\/strong> : Vue de l\u2019exposition Arnaud Labelle-Rojoux, C\u2019est \u00e9crit dessus !, galerie Loevenbruck, Paris, 2025<\/p>",
"content_text": " Ce matin, devant le pot \u00e0 louches et cuill\u00e8res en bois pos\u00e9 sur le plan de travail, je me suis surpris \u00e0 penser que la beaut\u00e9 d\u00e9pend parfois d\u2019une chose aussi simple que la lumi\u00e8re. Elle tourne, elle monte, elle baisse. Ce qui paraissait banal devient net, puis redevient muet. Je note \u00e7a et, tout de suite apr\u00e8s, je me demande si \u00e7a \u201cveut dire\u201d quelque chose, ou si l\u2019\u00e9criture n\u2019est qu\u2019un endroit o\u00f9 d\u00e9poser des phrases avant qu\u2019elles ne disparaissent. Jules Verne, para\u00eet-il, ne commence pas un roman avant d\u2019en conna\u00eetre le d\u00e9but, le milieu et la fin. Moi, je fais souvent l\u2019inverse : j\u2019\u00e9cris au fil, puis je regarde ce que \u00e7a forme. Et je cherche apr\u00e8s coup ce que je voulais vraiment atteindre. Dans Scribus, je retombe sur la m\u00eame le\u00e7on, mais sans mystique : si je veux une table des mati\u00e8res, il faut d\u2019abord la penser, la structurer, avant de cliquer sur \u201cg\u00e9n\u00e9rer\u201d. Tant va la cruche au lait qu\u2019\u00e0 la fin elle se brise : \u00e9crire sans plan, c\u2019est parfois compter sur la chance \u2014 et tomber, un jour, sur le point o\u00f9 \u00e7a casse. Hier soir, j\u2019ai achev\u00e9 de recopier tous les textes de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture \u00ab \u00e9t\u00e9 2023 \u00bb dans SPIP. En parall\u00e8le, j\u2019ai repris des versions dans Scribus, puis j\u2019ai export\u00e9 le PDF et je l\u2019ai plac\u00e9 dans le descriptif de la rubrique. En le relisant ce matin, l\u2019effet est venu d\u2019un bloc : c\u2019est un type \u00e9nerv\u00e9 qui \u00e9crit. Ensuite, est-ce l\u2019auteur, est-ce le narrateur ? Je n\u2019en sais rien. Ce que je sais, c\u2019est que l\u2019\u00e9nervement tient moins au \u201csens\u201d qu\u2019\u00e0 la musique : phrases qui poussent, qui cognent, qui n\u2019attendent pas. Et l\u00e0, une autre question s\u2019est accroch\u00e9e : qu\u2019est-ce que je fabrique en exposant tout \u00e7a publiquement ? J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019exposition sert aussi \u00e0 s\u2019immuniser. Petite dose, tous les jours, contre le poison le plus banal : le d\u00e9sir de reconnaissance. On croit qu\u2019on veut \u201c\u00eatre lu\u201d, et on d\u00e9couvre vite la pente : l\u2019attente, l\u2019aigreur, la pose, les calculs. Et le jour o\u00f9 quelqu\u2019un vous reconna\u00eet vraiment, c\u2019est rarement un triomphe : c\u2019est une g\u00eane, une capture, une assignation. Je d\u00e9teste les mondanit\u00e9s. Ce serait absurde que tout acte entrepris dans la vie converge vers elles, comme si \u00e9crire devait forc\u00e9ment finir en sc\u00e8ne sociale. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je reviens \u00e0 l\u2019id\u00e9e de Verne : penser le d\u00e9but, le milieu et la fin, non pour \u201cfaire un roman\u201d, mais pour \u00e9viter que le texte, \u00e0 force de d\u00e9river, n\u2019aboutisse \u00e0 la chose m\u00eame qu\u2019il pr\u00e9tend refuser. Dans le m\u00eame mouvement, j\u2019ai fait un geste bizarre : demander \u00e0 ChatGPT cinq descriptions de lieux \u00e0 partir des \u0152uvres compl\u00e8tes de Rabelais. Un peu comme on provoque un hasard pour voir ce qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le. Comme renverser une tasse de caf\u00e9 et regarder la figure que prend le marc au fond. Ou lancer des osselets. Et, au bout, je me suis retrouv\u00e9 devant la question simple : \u00e0 quoi \u00e7a sert, une description ? Th\u00e9l\u00e8me donne une r\u00e9ponse nette. L\u2019architecture, les mat\u00e9riaux, les proportions, la lumi\u00e8re, les galeries, les jardins : ce n\u2019est pas un d\u00e9cor gratuit. C\u2019est une utopie construite, un manifeste anti-monastique inscrit dans la mati\u00e8re. La forme dit : on inverse l\u2019enfermement, l\u2019asc\u00e8se, la r\u00e8gle. Et la devise \u00ab Fais ce que voudras \u00bb ne tient pas sans ce cadre concret. *L\u2019espace est la condition de l\u2019\u00e9thique. Donc la description fait syst\u00e8me avec l\u2019id\u00e9e.* Reste, \u00e0 la fin, la question de l\u2019intention : \u00e0 qui appartient-elle ? \u00c0 l\u2019auteur, au narrateur, \u00e0 personne ? Je crois qu\u2019elle bascule au lecteur. Pas \u201cau lecteur\u201d en g\u00e9n\u00e9ral : \u00e0 celui-l\u00e0, pr\u00e9cis, qui tombe sur ces phrases et d\u00e9cide, en silence, si elles tiennent \u2014 ou si elles ne sont qu\u2019un passage de lumi\u00e8re sur un pot \u00e0 cuill\u00e8res. **Illustration** : Vue de l\u2019exposition Arnaud Labelle-Rojoux, C\u2019est \u00e9crit dessus !, galerie Loevenbruck, Paris, 2025 ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/l-air-du-temps.html",
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"title": "L'air du temps",
"date_published": "2025-12-19T08:39:36Z",
"date_modified": "2025-12-19T08:40:09Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "L\u2019effort, le courage, la volont\u00e9 : j\u2019ai des doutes. Non, je crois que \u00e7a part d\u2019une soif, sinon ce n\u2019est pas la peine. Cette r\u00e9flexion me vient apr\u00e8s la lecture de ce billet d\u2019humeur<\/a> , et elle m\u2019am\u00e8ne \u00e0 me demander ce qu\u2019est, au fond, un billet d\u2019humeur : est-ce que \u00e7a « tient » dans la dur\u00e9e ? Je crois que c\u2019est une de mes pr\u00e9occupations principales, et c\u2019est sans doute ce qui fait que je n\u2019en \u00e9cris plus tellement. De m\u00eame, j\u2019essaie de me restreindre sur mes perc\u00e9es pseudo-philosophiques, comme sur l\u2019auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces r\u00e9\u00e9critures, m\u2019y forcent. Je vois presque aussit\u00f4t ce qui g\u00eane \u00e0 la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer « l\u2019air du temps ». Difficile \u00e0 d\u00e9finir, d\u2019ailleurs, cet air du temps, ou du moins \u00e0 d\u00e9finir ce qui ne r\u00e9sistera pas\u2026 au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne r\u00e9sisteront pas : les pulls et les pushs. \u00c0 moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et cela fait des mois que \u00e7a dure. Au bout du compte, la d\u00e9cision est prise de l\u2019emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C\u2019est r\u00e9voltant. Et en m\u00eame temps, nous sommes tous impuissants vis-\u00e0-vis de la situation. Je sens remonter de vieux r\u00e9flexes disant : il suffirait d\u2019un peu plus de fermet\u00e9, d\u2019un coup de pied au cul, mais l\u2019air du temps rend ces pens\u00e9es insupportables, \u00e9videmment. Ce que je sais, c\u2019est la vitesse \u00e0 laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, \u00e7a marche ; on recommence ; il y a un peu de r\u00e9sistance le surlendemain, on trouve de nouveaux pr\u00e9textes, une strat\u00e9gie nouvelle ; et au final on s\u2019embourbe de plus en plus, avec toutes les difficult\u00e9s du monde \u00e0 revenir en arri\u00e8re, \u00e0 revenir \u00e0 cette fameuse normalit\u00e9 qui veut qu\u2019un gamin ne reste pas toute une journ\u00e9e dans l\u2019appartement \u00e0 jouer \u00e0 un jeu vid\u00e9o d\u00e9bile. Si au moins il lisait, je serais tent\u00e9 de penser, mais je sais que ce n\u2019est pas une solution non plus. En m\u00eame temps, chacun doit faire sa propre exp\u00e9rience, affronter ses propres d\u00e9mons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l\u2019on effectue et envisager les cons\u00e9quences de celui-ci. Mais bon, l\u00e0 encore, il faut se rentrer \u00e7a dans le cr\u00e2ne : nous ne vivons pas tous en m\u00eame temps dans le m\u00eame monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des \u0153ufs durs. Je pense que c\u2019est en revenant sur certains textes \u00e9voquant Vania que cette envie m\u2019est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle \u00e9t\u00e9 2023 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture du Tiers Livre : premi\u00e8re passe de correction rapide hier soir. D\u00e9couverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j\u2019\u00e9tais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en r\u00e9sumant, pour chacun, la proposition d\u2019\u00e9criture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver \u00e0 partir de ce que j\u2019ai \u00e9crit. L\u2019id\u00e9e serait de cr\u00e9er un PDF et de le donner en acc\u00e8s libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acqu\u00e9rir de plus en plus de fluidit\u00e9 sur Scribus. Je n\u2019ai pas vu l\u2019heure : il me reste \u00e0 peine un quart d\u2019heure pour relire ce billet, car \u00e0 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof.<\/p>",
"content_text": " L\u2019effort, le courage, la volont\u00e9 : j\u2019ai des doutes. Non, je crois que \u00e7a part d\u2019une soif, sinon ce n\u2019est pas la peine. Cette r\u00e9flexion me vient apr\u00e8s la lecture de ce [billet d\u2019humeur->https:\/\/tcrouzet.com\/2025\/12\/18\/le-courage-de-lire\/] , et elle m\u2019am\u00e8ne \u00e0 me demander ce qu\u2019est, au fond, un billet d\u2019humeur : est-ce que \u00e7a \u00ab tient \u00bb dans la dur\u00e9e ? Je crois que c\u2019est une de mes pr\u00e9occupations principales, et c\u2019est sans doute ce qui fait que je n\u2019en \u00e9cris plus tellement. De m\u00eame, j\u2019essaie de me restreindre sur mes perc\u00e9es pseudo-philosophiques, comme sur l\u2019auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces r\u00e9\u00e9critures, m\u2019y forcent. Je vois presque aussit\u00f4t ce qui g\u00eane \u00e0 la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer \u00ab l\u2019air du temps \u00bb. Difficile \u00e0 d\u00e9finir, d\u2019ailleurs, cet air du temps, ou du moins \u00e0 d\u00e9finir ce qui ne r\u00e9sistera pas\u2026 au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne r\u00e9sisteront pas : les pulls et les pushs. \u00c0 moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et cela fait des mois que \u00e7a dure. Au bout du compte, la d\u00e9cision est prise de l\u2019emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C\u2019est r\u00e9voltant. Et en m\u00eame temps, nous sommes tous impuissants vis-\u00e0-vis de la situation. Je sens remonter de vieux r\u00e9flexes disant : il suffirait d\u2019un peu plus de fermet\u00e9, d\u2019un coup de pied au cul, mais l\u2019air du temps rend ces pens\u00e9es insupportables, \u00e9videmment. Ce que je sais, c\u2019est la vitesse \u00e0 laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, \u00e7a marche ; on recommence ; il y a un peu de r\u00e9sistance le surlendemain, on trouve de nouveaux pr\u00e9textes, une strat\u00e9gie nouvelle ; et au final on s\u2019embourbe de plus en plus, avec toutes les difficult\u00e9s du monde \u00e0 revenir en arri\u00e8re, \u00e0 revenir \u00e0 cette fameuse normalit\u00e9 qui veut qu\u2019un gamin ne reste pas toute une journ\u00e9e dans l\u2019appartement \u00e0 jouer \u00e0 un jeu vid\u00e9o d\u00e9bile. Si au moins il lisait, je serais tent\u00e9 de penser, mais je sais que ce n\u2019est pas une solution non plus. En m\u00eame temps, chacun doit faire sa propre exp\u00e9rience, affronter ses propres d\u00e9mons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l\u2019on effectue et envisager les cons\u00e9quences de celui-ci. Mais bon, l\u00e0 encore, il faut se rentrer \u00e7a dans le cr\u00e2ne : nous ne vivons pas tous en m\u00eame temps dans le m\u00eame monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des \u0153ufs durs. Je pense que c\u2019est en revenant sur certains textes \u00e9voquant Vania que cette envie m\u2019est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle \u00e9t\u00e9 2023 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture du Tiers Livre : premi\u00e8re passe de correction rapide hier soir. D\u00e9couverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j\u2019\u00e9tais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en r\u00e9sumant, pour chacun, la proposition d\u2019\u00e9criture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver \u00e0 partir de ce que j\u2019ai \u00e9crit. L\u2019id\u00e9e serait de cr\u00e9er un PDF et de le donner en acc\u00e8s libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acqu\u00e9rir de plus en plus de fluidit\u00e9 sur Scribus. Je n\u2019ai pas vu l\u2019heure : il me reste \u00e0 peine un quart d\u2019heure pour relire ce billet, car \u00e0 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof. ",
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"title": "L'ami d'un ami ",
"date_published": "2025-12-18T08:08:17Z",
"date_modified": "2025-12-18T08:08:17Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "Ce genre d\u2019amiti\u00e9 est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent « c\u2019est un ami » et les barri\u00e8res font semblant de tomber. C\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a passe cr\u00e8me aussi quand ils disent « c\u2019est l\u2019ami d\u2019un ami ». Les caves croient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une histoire d\u2019amiti\u00e9, alors qu\u2019en fait c\u2019est une simple affaire de mot de passe. J\u2019en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n\u2019y a jamais eu la moindre amiti\u00e9 l\u00e0-dessous. Au contraire, on n\u2019h\u00e9sitait pas \u00e0 vous planter d\u00e8s que vous aviez le dos tourn\u00e9. Pourquoi ce serait diff\u00e9rent ailleurs que chez les mafieux ? C\u2019est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l\u2019autre : de la porte de Clignancourt \u00e0 la porte d\u2019Orl\u00e9ans, tout du pareil au m\u00eame. Et je ne parle m\u00eame pas de la banlieue. M\u00eame dans le trou du cul du monde, tu n\u2019es jamais s\u00fbr d\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait anonyme. Il y aura toujours l\u2019ami d\u2019un ami d\u2019un ami qui te reconna\u00eetra, et qui se rappellera que tu dois un chien — le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette p\u00e9riode, c\u2019est que je n\u2019\u00e9tais jamais vraiment tranquille. Je m\u2019attendais toujours \u00e0 croiser l\u2019ami d\u2019un ami au coin d\u2019une rue, et ce qui \u00e9tait certain, c\u2019est qu\u2019on ne se demanderait pas des nouvelles d\u2019untel ou d\u2019unetelle \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ce qui est s\u00fbr aussi, c\u2019est qu\u2019on gagne un temps fou \u00e0 fr\u00e9quenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en g\u00e9n\u00e9ral vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embu\u00e9s du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l\u2019espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n\u2019arrivais plus \u00e0 t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 mon comptable ; d\u2019ailleurs je ne devrais m\u00eame pas dire « mon » : c\u2019est encore un pi\u00e8ge du langage. Ce qui autrefois \u00e9tait pratique pour vous faire croire que vous poss\u00e9diez quelque chose — l\u2019article, le pronom personnel — tout cela est devenu du vent en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. Encore que je ne sache pas si \u00e7a ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que \u00e7a fait aussi partie de l\u2019apprentissage du monde acc\u00e9l\u00e9r\u00e9. On n\u2019est pas tous \u00e0 lire le m\u00eame genre d\u2019Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu\u2019aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-del\u00e0 du p\u00e9riph. \u00c0 la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j\u2019ai rang\u00e9 assez vite ma bo\u00eete \u00e0 musique pour ne plus jamais la ressortir. J\u2019ai pris ma place dans la file et j\u2019ai pay\u00e9 mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pin\u00e7ant de temps \u00e0 autre, histoire de rester r\u00e9veill\u00e9 — jamais vraiment convaincu de l\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait. Car ici, la r\u00e9alit\u00e9 est un labyrinthe aussi alambiqu\u00e9 que les r\u00eaves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l\u2019\u0153il, chaque bouff\u00e9e d\u2019espoir un morceau de gruy\u00e8re sur un pi\u00e8ge \u00e0 rats. Si vous ne vous mettez pas dans le cr\u00e2ne, tr\u00e8s vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous tra\u00eenez : une p\u00e9nitence qui n\u2019en finit pas de vous br\u00fbler les genoux. Au lieu de \u00e7a, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux d\u00e9cider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir soutenir son regard — ce n\u2019est pas une question de courage. C\u2019est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais tr\u00e8s bien, que ce « partout » est une facilit\u00e9 : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits o\u00f9 personne ne vous conna\u00eet et o\u00f9, pendant une heure, vous respirez sans arri\u00e8re-pens\u00e9e. Le probl\u00e8me, c\u2019est que je les rep\u00e8re mal, ou trop tard, parce que l\u2019apprentissage a tordu le regard ; il m\u2019a rendu rapide, mais il m\u2019a rendu avare en confiance. Parfois il m\u2019arrive encore d\u2019avoir des relents, des remont\u00e9es acides — des nostalgies de cette \u00e9poque o\u00f9, quand on me disait « c\u2019est un ami », je ne voyais pas \u00e0 mal. J\u2019\u00e9tais m\u00eame assez candide pour payer la nouvelle d\u2019un sourire, d\u2019une poign\u00e9e de main, d\u2019une tourn\u00e9e. J\u2019avais le sentiment d\u2019appartenir, au moins, \u00e0 quelque chose. Ce sentiment-l\u00e0 n\u2019est pas tr\u00e8s regardant, au fond. Pas besoin d\u2019aller chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire partie d\u2019un groupe, ne pas \u00eatre seul : voil\u00e0 \u00e0 quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c\u2019est de la litt\u00e9rature, mieux c\u2019est — ou pire c\u2019est, je ne sais pas. Mais je n\u2019aurais pas aim\u00e9, plus jeune, passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette v\u00e9rit\u00e9-l\u00e0. \u00c0 la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-\u00eatre un bouquin ou deux, des ambigu\u00eft\u00e9s, quelques traces, et ce sera d\u00e9j\u00e0 beaucoup. J\u2019aurai surtout essay\u00e9 de tenir : me relever quand je suis tomb\u00e9, arr\u00eater de mendier, arr\u00eater de faire du bruit pour qu\u2019on me voie. Et cette voix, au fond, \u00e9tait-elle vraiment la mienne ? \u00c7a restera l\u2019\u00e9nigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus tr\u00e8s bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriqu\u00e9es pour \u00e9viter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant \u00e0 savoir si les histoires sont faites pour \u00eatre v\u00e9cues ou racont\u00e9es, je laisse \u00e7a en suspens. Je n\u2019ai pas de point final \u00e0 fournir avant d\u2019entrer dans la Grande Muette. Apr\u00e8s \u00e7a, je suis parti faire mon march\u00e9. Grosse promo sur l\u2019oignon : j\u2019ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes — de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe \u00e0 l\u2019oignon suffit au repas. Il ne fait pas tr\u00e8s froid. On ne chauffe plus toutes les pi\u00e8ces de la maison. \u00c9conomie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport \u00e0 novembre 2024, m\u2019apprend l\u2019e-mail du fournisseur. J\u2019ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : d\u00e9j\u00e0 quelques inscriptions. Plus No\u00ebl approche, plus je vois approcher la d\u00e9pression ; il y a encore des gisements de fragilit\u00e9, de vuln\u00e9rabilit\u00e9, \u00e0 creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus r\u00e9\u00e9crire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout \u00e7a \u00e0 la bonne place dans SPIP. Mais je sais d\u00e9j\u00e0 que je vais faire des s\u00e9lections ; j\u2019ai mis en place un syst\u00e8me d\u2019\u00e9toiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes — ou un seul si je parviens \u00e0 fusionner, \u00e0 trouver la logique de fusion. L\u2019id\u00e9e serait de proposer d\u2019abord une s\u00e9lection en page d\u2019accueil, de me laisser une chance de trouver un \u00e9diteur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande r\u00e9flexion, parce qu\u2019une fois un pied mis dans Amazon, ce sera termin\u00e9 pour l\u2019\u00e9dition “normale”.<\/p>",
"content_text": " Ce genre d\u2019amiti\u00e9 est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent \u00ab c\u2019est un ami \u00bb et les barri\u00e8res font semblant de tomber. C\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a passe cr\u00e8me aussi quand ils disent \u00ab c\u2019est l\u2019ami d\u2019un ami \u00bb. Les caves croient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une histoire d\u2019amiti\u00e9, alors qu\u2019en fait c\u2019est une simple affaire de mot de passe. J\u2019en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n\u2019y a jamais eu la moindre amiti\u00e9 l\u00e0-dessous. Au contraire, on n\u2019h\u00e9sitait pas \u00e0 vous planter d\u00e8s que vous aviez le dos tourn\u00e9. Pourquoi ce serait diff\u00e9rent ailleurs que chez les mafieux ? C\u2019est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l\u2019autre : de la porte de Clignancourt \u00e0 la porte d\u2019Orl\u00e9ans, tout du pareil au m\u00eame. Et je ne parle m\u00eame pas de la banlieue. M\u00eame dans le trou du cul du monde, tu n\u2019es jamais s\u00fbr d\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait anonyme. Il y aura toujours l\u2019ami d\u2019un ami d\u2019un ami qui te reconna\u00eetra, et qui se rappellera que tu dois un chien \u2014 le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette p\u00e9riode, c\u2019est que je n\u2019\u00e9tais jamais vraiment tranquille. Je m\u2019attendais toujours \u00e0 croiser l\u2019ami d\u2019un ami au coin d\u2019une rue, et ce qui \u00e9tait certain, c\u2019est qu\u2019on ne se demanderait pas des nouvelles d\u2019untel ou d\u2019unetelle \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ce qui est s\u00fbr aussi, c\u2019est qu\u2019on gagne un temps fou \u00e0 fr\u00e9quenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en g\u00e9n\u00e9ral vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embu\u00e9s du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l\u2019espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n\u2019arrivais plus \u00e0 t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 mon comptable ; d\u2019ailleurs je ne devrais m\u00eame pas dire \u00ab mon \u00bb : c\u2019est encore un pi\u00e8ge du langage. Ce qui autrefois \u00e9tait pratique pour vous faire croire que vous poss\u00e9diez quelque chose \u2014 l\u2019article, le pronom personnel \u2014 tout cela est devenu du vent en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. Encore que je ne sache pas si \u00e7a ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que \u00e7a fait aussi partie de l\u2019apprentissage du monde acc\u00e9l\u00e9r\u00e9. On n\u2019est pas tous \u00e0 lire le m\u00eame genre d\u2019Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu\u2019aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-del\u00e0 du p\u00e9riph. \u00c0 la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j\u2019ai rang\u00e9 assez vite ma bo\u00eete \u00e0 musique pour ne plus jamais la ressortir. J\u2019ai pris ma place dans la file et j\u2019ai pay\u00e9 mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pin\u00e7ant de temps \u00e0 autre, histoire de rester r\u00e9veill\u00e9 \u2014 jamais vraiment convaincu de l\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait. Car ici, la r\u00e9alit\u00e9 est un labyrinthe aussi alambiqu\u00e9 que les r\u00eaves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l\u2019\u0153il, chaque bouff\u00e9e d\u2019espoir un morceau de gruy\u00e8re sur un pi\u00e8ge \u00e0 rats. Si vous ne vous mettez pas dans le cr\u00e2ne, tr\u00e8s vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous tra\u00eenez : une p\u00e9nitence qui n\u2019en finit pas de vous br\u00fbler les genoux. Au lieu de \u00e7a, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux d\u00e9cider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir soutenir son regard \u2014 ce n\u2019est pas une question de courage. C\u2019est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais tr\u00e8s bien, que ce \u00ab partout \u00bb est une facilit\u00e9 : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits o\u00f9 personne ne vous conna\u00eet et o\u00f9, pendant une heure, vous respirez sans arri\u00e8re-pens\u00e9e. Le probl\u00e8me, c\u2019est que je les rep\u00e8re mal, ou trop tard, parce que l\u2019apprentissage a tordu le regard ; il m\u2019a rendu rapide, mais il m\u2019a rendu avare en confiance. Parfois il m\u2019arrive encore d\u2019avoir des relents, des remont\u00e9es acides \u2014 des nostalgies de cette \u00e9poque o\u00f9, quand on me disait \u00ab c\u2019est un ami \u00bb, je ne voyais pas \u00e0 mal. J\u2019\u00e9tais m\u00eame assez candide pour payer la nouvelle d\u2019un sourire, d\u2019une poign\u00e9e de main, d\u2019une tourn\u00e9e. J\u2019avais le sentiment d\u2019appartenir, au moins, \u00e0 quelque chose. Ce sentiment-l\u00e0 n\u2019est pas tr\u00e8s regardant, au fond. Pas besoin d\u2019aller chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire partie d\u2019un groupe, ne pas \u00eatre seul : voil\u00e0 \u00e0 quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c\u2019est de la litt\u00e9rature, mieux c\u2019est \u2014 ou pire c\u2019est, je ne sais pas. Mais je n\u2019aurais pas aim\u00e9, plus jeune, passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette v\u00e9rit\u00e9-l\u00e0. \u00c0 la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-\u00eatre un bouquin ou deux, des ambigu\u00eft\u00e9s, quelques traces, et ce sera d\u00e9j\u00e0 beaucoup. J\u2019aurai surtout essay\u00e9 de tenir : me relever quand je suis tomb\u00e9, arr\u00eater de mendier, arr\u00eater de faire du bruit pour qu\u2019on me voie. Et cette voix, au fond, \u00e9tait-elle vraiment la mienne ? \u00c7a restera l\u2019\u00e9nigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus tr\u00e8s bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriqu\u00e9es pour \u00e9viter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant \u00e0 savoir si les histoires sont faites pour \u00eatre v\u00e9cues ou racont\u00e9es, je laisse \u00e7a en suspens. Je n\u2019ai pas de point final \u00e0 fournir avant d\u2019entrer dans la Grande Muette. Apr\u00e8s \u00e7a, je suis parti faire mon march\u00e9. Grosse promo sur l\u2019oignon : j\u2019ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes \u2014 de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe \u00e0 l\u2019oignon suffit au repas. Il ne fait pas tr\u00e8s froid. On ne chauffe plus toutes les pi\u00e8ces de la maison. \u00c9conomie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport \u00e0 novembre 2024, m\u2019apprend l\u2019e-mail du fournisseur. J\u2019ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : d\u00e9j\u00e0 quelques inscriptions. Plus No\u00ebl approche, plus je vois approcher la d\u00e9pression ; il y a encore des gisements de fragilit\u00e9, de vuln\u00e9rabilit\u00e9, \u00e0 creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus r\u00e9\u00e9crire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout \u00e7a \u00e0 la bonne place dans SPIP. Mais je sais d\u00e9j\u00e0 que je vais faire des s\u00e9lections ; j\u2019ai mis en place un syst\u00e8me d\u2019\u00e9toiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes \u2014 ou un seul si je parviens \u00e0 fusionner, \u00e0 trouver la logique de fusion. L\u2019id\u00e9e serait de proposer d\u2019abord une s\u00e9lection en page d\u2019accueil, de me laisser une chance de trouver un \u00e9diteur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande r\u00e9flexion, parce qu\u2019une fois un pied mis dans Amazon, ce sera termin\u00e9 pour l\u2019\u00e9dition \u201cnormale\u201d. ",
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"title": "Je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate",
"date_published": "2025-12-17T04:19:02Z",
"date_modified": "2025-12-17T04:19:02Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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Je ne sais plus quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 remarquer ces moments o\u00f9, apr\u00e8s le passage du vent, le ciel se d\u00e9gage d\u2019un coup et r\u00e9v\u00e8le un bleu si pur qu\u2019il en devient presque insupportable, un bleu froid, min\u00e9ral, qui n\u2019a rien de rassurant ; \u00e7a arrive toujours au moment o\u00f9 je l\u00e8ve la t\u00eate, presque par hasard, comme si cette clart\u00e9 ne pouvait \u00eatre saisie que dans un geste involontaire, un mouvement du corps avant la pens\u00e9e, et je finis par comprendre que ces bouff\u00e9es de clart\u00e9 — faute d\u2019un terme plus exact — co\u00efncident presque toujours avec la perte d\u2019une illusion, pas une grande illusion, plut\u00f4t ces petites fictions quotidiennes auxquelles on s\u2019accroche sans m\u00eame s\u2019en rendre compte : l\u2019illusion qu\u2019une relation dure encore, qu\u2019un projet aboutira, que quelqu\u2019un vous comprend ; au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a se dissipe, je l\u00e8ve la t\u00eate et le ciel est net, sans nuance, comme si le monde me faisait la d\u00e9monstration de son indiff\u00e9rence, et le sentiment qui suit n\u2019est ni tristesse pure ni soulagement pur, mais un m\u00e9lange des deux qui ne se r\u00e9sout en aucun, une sorte d\u2019acquiescement froid \u00e0 ce qui est, \u00e0 ce qui cesse d\u2019\u00eatre ; j\u2019ai pens\u00e9 r\u00e9cemment que cette \u00e9motion ressemblait \u00e0 celle que doit \u00e9prouver quelqu\u2019un qui sait avec certitude qu\u2019il va mourir dans l\u2019instant — pas la peur, plut\u00f4t une lucidit\u00e9 glaciale, totale, qui pr\u00e9c\u00e8de peut-\u00eatre la disparition.<\/p>\n
Ce matin, \u00e7a m\u2019a pris dans une cuisine ordinaire : la chaise a d\u00fb heurter le carrelage, bruit bref, net ; dans l\u2019\u00e9vier, deux tasses, marc coll\u00e9 au fond ; Courbevoie, cinqui\u00e8me, fen\u00eatre entrouverte, rideau qui remue \u00e0 peine. La t\u00e9l\u00e9vision chuchotait, pas assez fort pour \u00eatre suivie, assez pour injecter des fragments dans l\u2019air, et c\u2019est une de ces phrases qui m\u2019a accroch\u00e9 — une voix disait “chez vous”, banalit\u00e9 de pr\u00e9sentateur, formule automatique — et j\u2019ai senti \u00e0 quel point il m\u2019\u00e9tait devenu difficile de dire chez moi<\/em> sans entendre quelque chose de faux dans la phrase.<\/p>\nChez moi : c\u2019est difficile de dire chez moi<\/em> ; est-ce que je pense souvent \u00e0 le dire ? non, jamais ; ce que je dis \u00e0 la place : dans la ville<\/em>, dans la maison<\/em>, dans la chambre<\/em> ; \u00e7a ne m\u2019appartient pas, plus maintenant ; hard to say home<\/em> ; what I say instead is the city<\/em>, the house<\/em>, the room<\/em> ; it\u2019s never really mine, not anymore ; je disais ma maison<\/em> lorsque j\u2019\u00e9tais enfant, je disais aussi notre chambre<\/em> puisque nous dormions l\u00e0 ensemble, mon fr\u00e8re et moi, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui me frappe aujourd\u2019hui : le naturel avec lequel certains mots tenaient, sans justification, sans recul, alors que je n\u2019arrivais d\u00e9j\u00e0 pas vraiment \u00e0 dire mon jardin<\/em>, mon \u00e9cole<\/em>, mon village<\/em> ; c\u2019\u00e9tait plus loin, m\u00eame si c\u2019\u00e9tait g\u00e9ographiquement proche ; le village natal<\/em> : je ne sais pas ce qui p\u00e8se le plus, village<\/em> ou natal<\/em>, ou les deux accol\u00e9s, cette promesse d\u2019origine qu\u2019on prononce \u00e0 haute voix comme on signerait un papier ; for home<\/em> to stand in for chez<\/em>, we would have to mean more than walls, more than a lease, more than an address ; because home<\/em> is h\u0101m<\/em>, is heim<\/em>, isn\u2019t it.<\/p>\nJ\u2019entends encore la voix de la t\u00e9l\u00e9 dire “chez vous” comme si elle s\u2019adressait \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui insiste : chez Bertrand ce n\u2019\u00e9tait pas comme chez Philippe, ni comme chez Anne-Marie, c\u2019\u00e9tait toujours mieux que chez moi, enfant, parce que je pouvais y entrer sans y \u00eatre assign\u00e9 ; I hated saying let\u2019s go to my place<\/em>, as if I were leading someone into the quiet wreck of it ; puis je reviens, toujours, \u00e0 cette formule plus s\u00e8che et plus vraie : chez eux ; je reviens \u00e0 \u00e7a, \u00e0 chez moi<\/em> si l\u2019on veut, mais au fond ce vide ; c\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que, apr\u00e8s m\u2019\u00eatre \u00e9lanc\u00e9 et m\u2019\u00eatre toujours heurt\u00e9 au m\u00eame mur, j\u2019ai fait ce pas de c\u00f4t\u00e9 ; and found an opening ; not their place<\/em>, not mine<\/em>, just the in-between ; chez nous<\/em> n\u2019a jamais tenu longtemps : chez nous \u00e9tait un songe, on tendait la main pour toucher une limite et il n\u2019y en avait pas ; our place<\/em> was a fiction we used as a makeshift truth ; on tenait comme on pouvait, bon an mal an, jour de soleil ou jour de pluie, un temps de bon grain, un temps d\u2019ivraie, et on appelait \u00e7a chez nous<\/em> pour ne pas regarder les fuites ; oh, la tranquillit\u00e9 r\u00eav\u00e9e d\u2019un chez soi<\/em> qui prend l\u2019eau de toute part, mais qu\u2019on ne veut pas voir ; we say there\u2019s no place like home<\/em>, we cling so tightly to that no place like<\/em> it starts to feel suspicious — but we shut our ears — deep down we\u2019re expecting something awful, something that must not be said, something never to be spoken.<\/p>\nJe regarde le rideau, je pense soudain \u00e0 l\u2019hirondelle, \u00e0 son chez<\/em> \u00e0 elle, ce m\u00e9lange de terre et de paille coll\u00e9 par la salive, et je revois l\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, fascin\u00e9 par cette mati\u00e8re pauvre devenue tenue, cette architecture minuscule o\u00f9 la parole est litt\u00e9ralement le ciment ; je suis vieux maintenant, je sais que je parle d\u2019un autre temps ; swallows have grown rare, they\u2019ve faded, little by little, with the years ; chez l\u2019hirondelle, la salive est le ciment — une parole qui se fait nid sous les toits — et moi je sens que tout ce qui tient chez nous tient aussi par des phrases, par des formules, par des fa\u00e7ons de dire “chez” ; c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a que je dis “fait divers” pour me prot\u00e9ger du reste, pour recouvrir d\u2019une \u00e9tiquette ce qui d\u00e9borde.<\/p>\nEt la t\u00e9l\u00e9vision, justement, insiste, chuchote une histoire : on raconte qu\u2019ils se voyaient depuis un moment, il aurait voulu “arr\u00eater de parler”, ou qu\u2019elle se taise, formule pratique, comme si la paix pouvait \u00eatre un silence impos\u00e9 ; sur la table, je remarque le couteau \u00e0 manche de bois que je n\u2019avais pas vu, simple objet pos\u00e9 l\u00e0, et je comprends \u00e0 quel point il suffit parfois de presque rien pour que le monde bascule dans l\u2019interpr\u00e9tation ; on dira qu\u2019il a eu peur, on dira qu\u2019elle l\u2019a pouss\u00e9, on dira tout et son contraire, parce qu\u2019on a besoin de versions, parce qu\u2019on a besoin de couvercles ; est-ce qu\u2019on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? la paix ou la raison, deux faces du m\u00eame couteau ; on croit qu\u2019une phrase finale mettra de l\u2019ordre, elle met un couvercle, et le lendemain tout recommence, plus bas, plus sourd.<\/p>\n
Je reviens \u00e0 la fen\u00eatre. L\u2019air passe. Le rideau remue \u00e0 peine. Le ciel doit \u00eatre bleu maintenant, ce bleu froid que je connais, mais je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate.<\/p>",
"content_text": " Je ne sais plus quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 remarquer ces moments o\u00f9, apr\u00e8s le passage du vent, le ciel se d\u00e9gage d\u2019un coup et r\u00e9v\u00e8le un bleu si pur qu\u2019il en devient presque insupportable, un bleu froid, min\u00e9ral, qui n\u2019a rien de rassurant ; \u00e7a arrive toujours au moment o\u00f9 je l\u00e8ve la t\u00eate, presque par hasard, comme si cette clart\u00e9 ne pouvait \u00eatre saisie que dans un geste involontaire, un mouvement du corps avant la pens\u00e9e, et je finis par comprendre que ces bouff\u00e9es de clart\u00e9 \u2014 faute d\u2019un terme plus exact \u2014 co\u00efncident presque toujours avec la perte d\u2019une illusion, pas une grande illusion, plut\u00f4t ces petites fictions quotidiennes auxquelles on s\u2019accroche sans m\u00eame s\u2019en rendre compte : l\u2019illusion qu\u2019une relation dure encore, qu\u2019un projet aboutira, que quelqu\u2019un vous comprend ; au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a se dissipe, je l\u00e8ve la t\u00eate et le ciel est net, sans nuance, comme si le monde me faisait la d\u00e9monstration de son indiff\u00e9rence, et le sentiment qui suit n\u2019est ni tristesse pure ni soulagement pur, mais un m\u00e9lange des deux qui ne se r\u00e9sout en aucun, une sorte d\u2019acquiescement froid \u00e0 ce qui est, \u00e0 ce qui cesse d\u2019\u00eatre ; j\u2019ai pens\u00e9 r\u00e9cemment que cette \u00e9motion ressemblait \u00e0 celle que doit \u00e9prouver quelqu\u2019un qui sait avec certitude qu\u2019il va mourir dans l\u2019instant \u2014 pas la peur, plut\u00f4t une lucidit\u00e9 glaciale, totale, qui pr\u00e9c\u00e8de peut-\u00eatre la disparition. Ce matin, \u00e7a m\u2019a pris dans une cuisine ordinaire : la chaise a d\u00fb heurter le carrelage, bruit bref, net ; dans l\u2019\u00e9vier, deux tasses, marc coll\u00e9 au fond ; Courbevoie, cinqui\u00e8me, fen\u00eatre entrouverte, rideau qui remue \u00e0 peine. La t\u00e9l\u00e9vision chuchotait, pas assez fort pour \u00eatre suivie, assez pour injecter des fragments dans l\u2019air, et c\u2019est une de ces phrases qui m\u2019a accroch\u00e9 \u2014 une voix disait \u201cchez vous\u201d, banalit\u00e9 de pr\u00e9sentateur, formule automatique \u2014 et j\u2019ai senti \u00e0 quel point il m\u2019\u00e9tait devenu difficile de dire *chez moi* sans entendre quelque chose de faux dans la phrase. Chez moi : c\u2019est difficile de dire *chez moi* ; est-ce que je pense souvent \u00e0 le dire ? non, jamais ; ce que je dis \u00e0 la place : *dans la ville*, *dans la maison*, *dans la chambre* ; \u00e7a ne m\u2019appartient pas, plus maintenant ; hard to say *home* ; what I say instead is *the city*, *the house*, *the room* ; it\u2019s never really mine, not anymore ; je disais *ma maison* lorsque j\u2019\u00e9tais enfant, je disais aussi *notre chambre* puisque nous dormions l\u00e0 ensemble, mon fr\u00e8re et moi, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui me frappe aujourd\u2019hui : le naturel avec lequel certains mots tenaient, sans justification, sans recul, alors que je n\u2019arrivais d\u00e9j\u00e0 pas vraiment \u00e0 dire *mon jardin*, *mon \u00e9cole*, *mon village* ; c\u2019\u00e9tait plus loin, m\u00eame si c\u2019\u00e9tait g\u00e9ographiquement proche ; *le village natal* : je ne sais pas ce qui p\u00e8se le plus, *village* ou *natal*, ou les deux accol\u00e9s, cette promesse d\u2019origine qu\u2019on prononce \u00e0 haute voix comme on signerait un papier ; for *home* to stand in for *chez*, we would have to mean more than walls, more than a lease, more than an address ; because *home* is *h\u0101m*, is *heim*, isn\u2019t it. J\u2019entends encore la voix de la t\u00e9l\u00e9 dire \u201cchez vous\u201d comme si elle s\u2019adressait \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui insiste : chez Bertrand ce n\u2019\u00e9tait pas comme chez Philippe, ni comme chez Anne-Marie, c\u2019\u00e9tait toujours mieux que chez moi, enfant, parce que je pouvais y entrer sans y \u00eatre assign\u00e9 ; I hated saying *let\u2019s go to my place*, as if I were leading someone into the quiet wreck of it ; puis je reviens, toujours, \u00e0 cette formule plus s\u00e8che et plus vraie : chez eux ; je reviens \u00e0 \u00e7a, \u00e0 *chez moi* si l\u2019on veut, mais au fond ce vide ; c\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que, apr\u00e8s m\u2019\u00eatre \u00e9lanc\u00e9 et m\u2019\u00eatre toujours heurt\u00e9 au m\u00eame mur, j\u2019ai fait ce pas de c\u00f4t\u00e9 ; and found an opening ; not *their place*, not *mine*, just the in-between ; *chez nous* n\u2019a jamais tenu longtemps : chez nous \u00e9tait un songe, on tendait la main pour toucher une limite et il n\u2019y en avait pas ; *our place* was a fiction we used as a makeshift truth ; on tenait comme on pouvait, bon an mal an, jour de soleil ou jour de pluie, un temps de bon grain, un temps d\u2019ivraie, et on appelait \u00e7a *chez nous* pour ne pas regarder les fuites ; oh, la tranquillit\u00e9 r\u00eav\u00e9e d\u2019un *chez soi* qui prend l\u2019eau de toute part, mais qu\u2019on ne veut pas voir ; we say *there\u2019s no place like home*, we cling so tightly to that *no place like* it starts to feel suspicious \u2014 but we shut our ears \u2014 deep down we\u2019re expecting something awful, something that must not be said, something never to be spoken. Je regarde le rideau, je pense soudain \u00e0 l\u2019hirondelle, \u00e0 son *chez* \u00e0 elle, ce m\u00e9lange de terre et de paille coll\u00e9 par la salive, et je revois l\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, fascin\u00e9 par cette mati\u00e8re pauvre devenue tenue, cette architecture minuscule o\u00f9 la parole est litt\u00e9ralement le ciment ; je suis vieux maintenant, je sais que je parle d\u2019un autre temps ; swallows have grown rare, they\u2019ve faded, little by little, with the years ; chez l\u2019hirondelle, la salive est le ciment \u2014 une parole qui se fait nid sous les toits \u2014 et moi je sens que tout ce qui tient chez nous tient aussi par des phrases, par des formules, par des fa\u00e7ons de dire \u201cchez\u201d ; c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a que je dis \u201cfait divers\u201d pour me prot\u00e9ger du reste, pour recouvrir d\u2019une \u00e9tiquette ce qui d\u00e9borde. Et la t\u00e9l\u00e9vision, justement, insiste, chuchote une histoire : on raconte qu\u2019ils se voyaient depuis un moment, il aurait voulu \u201carr\u00eater de parler\u201d, ou qu\u2019elle se taise, formule pratique, comme si la paix pouvait \u00eatre un silence impos\u00e9 ; sur la table, je remarque le couteau \u00e0 manche de bois que je n\u2019avais pas vu, simple objet pos\u00e9 l\u00e0, et je comprends \u00e0 quel point il suffit parfois de presque rien pour que le monde bascule dans l\u2019interpr\u00e9tation ; on dira qu\u2019il a eu peur, on dira qu\u2019elle l\u2019a pouss\u00e9, on dira tout et son contraire, parce qu\u2019on a besoin de versions, parce qu\u2019on a besoin de couvercles ; est-ce qu\u2019on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? la paix ou la raison, deux faces du m\u00eame couteau ; on croit qu\u2019une phrase finale mettra de l\u2019ordre, elle met un couvercle, et le lendemain tout recommence, plus bas, plus sourd. Je reviens \u00e0 la fen\u00eatre. L\u2019air passe. Le rideau remue \u00e0 peine. Le ciel doit \u00eatre bleu maintenant, ce bleu froid que je connais, mais je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate. ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/16-decembre-2025.html",
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"title": "16 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-16T06:53:54Z",
"date_modified": "2025-12-16T06:58:48Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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Cette nuit je r\u00eave que je suis nu au milieu d\u2019une pi\u00e8ce blanche. Je suis en position f\u0153tale, plaqu\u00e9 au sol dans une posture humiliante, et je subis une longue s\u00e9rie d\u2019accusations qui viennent d\u2019une coursive en surplomb. Les voix sont asexu\u00e9es. Pour ne pas me laisser prendre par ce qu\u2019elles disent, je me fixe sur leur tessiture, sur le grain, sur la hauteur, sur le souffle. Mon premier r\u00e9flexe est de croire que ce sont des voix de femmes, puis \u00e7a se m\u00e9lange : des femmes, des hommes, des enfants. Ce m\u00e9lange enl\u00e8ve les visages. Elles parlent par salves. Entre les salves, des pauses nettes. Dans ces pauses quelque chose se retient encore, h\u00e9site. Je me ligote \u00e0 la curiosit\u00e9 : je rel\u00e8ve la hauteur d\u2019une voix, la pause, la reprise. Ce relev\u00e9 me tient au bord.<\/p>\n
Elles s\u2019approchent autrement. Elles ne se jettent pas. Elles tournent. Elles avancent par petites touches, h\u00e9sitent. Des rapaces autour d\u2019une proie. D\u2019abord le banal, un d\u00e9tail, une petite phrase sans \u00e9clat. Puis le retrait, l\u2019attente, le retour. Ce va-et-vient use la curiosit\u00e9 : au lieu d\u2019ouvrir, elle tourne sur place, prise dans le m\u00eame cercle.<\/p>\n
Au d\u00e9but je tiens \u00e0 distance. Le contenu reste au-dessus, une pluie qui ne touche pas le sol. Je n\u2019attrape que la musique des voix. Puis certaines changent. Elles deviennent des corbeaux. Pas d\u2019oiseaux visibles, des coups de bec dans l\u2019air. \u00c7a vient par \u00e0-coups, \u00e7a pique, \u00e7a arrache. Chaque accusation devient un impact, bref et pr\u00e9cis, et je sens qu\u2019on me prend. Je ne vois presque rien, mais je sens une m\u00e9thode, une attaque qui revient, qui cherche une prise.<\/p>\n
Alors je me raccroche \u00e0 la douleur. \u00c0 chaque fois qu\u2019une voix revient, elle m\u2019arrache un lambeau de peau. Pas un arrachement vague : \u00e7a tombe toujours au m\u00eame endroit. Je sens la nuque, le flanc, la gorge. La peau c\u00e8de, un tissu qu\u2019on tire. Je ne saigne pas. Je sens seulement que \u00e7a se d\u00e9tache. Je sens des morceaux qui partent. Et c\u2019est l\u00e0 que surgit l\u2019id\u00e9e la plus simple, la plus ind\u00e9cente aussi : que tout s\u2019arr\u00eate. Plus de voix, plus de pauses, plus de reprise. Une fin nette. La mort comme une sortie de secours, une extinction. Je la veux une seconde, pas pour mourir, pour que \u00e7a cesse enfin. Puis les voix reviennent, et l\u2019id\u00e9e se replie, elle aussi, sous la peau.<\/p>\n
Les voix reviennent. Elles ne crient pas. Elles ne s\u2019emportent pas. Elles \u00e9noncent. Elles mart\u00e8lent. Elles reprennent. Par moments, je sens l\u2019approche avant l\u2019impact, une mont\u00e9e l\u00e9g\u00e8re dans l\u2019air, puis le coup. Et mon corps r\u00e9agit avant moi : je me crispe, je me replie plus fort, et l\u2019arrachement suivant est plus profond. La crispation offre une prise.<\/p>\n
La pi\u00e8ce n\u2019a plus l\u2019air blanche. Le blanc devient une mati\u00e8re. Le sol a un grain. L\u2019air a une odeur s\u00e8che, presque sanitaire, de produit d\u2019entretien. Je reste au sol, nu, de plus en plus l\u00e9ger. Je sens qu\u2019on me retire quelque chose \u00e0 chaque passage, pas seulement la peau : la capacit\u00e9 de tenir, de faire \u00e9cran, de d\u00e9tourner. Il reste moins de surface.<\/p>\n
Puis une voix, plus proche que les autres sans \u00eatre plus forte, ne lance pas une accusation. Elle demande, avec une neutralit\u00e9 administrative : « Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? » La question tombe dans une pause, et la pause se referme sur moi. La douleur ne suffit plus. Il faut r\u00e9pondre.<\/p>\n
J\u2019ouvre la bouche, l\u2019air est glacial. Je veux sortir un mot, mais ma langue est gel\u00e9e. Je force, je sens le froid dans la gorge, un froid qui bloque, qui blanchit tout. Je dis : « Je\u2026 » Et le son qui sort n\u2019a pas de corps. Ce n\u2019est pas ma voix. C\u2019est la leur : la m\u00eame diction, la m\u00eame neutralit\u00e9, la m\u00eame voix sans sexe. La phrase se forme toute seule, nette, pr\u00eate : « Je suis l\u00e0. » Puis, sans transition, dans cette m\u00eame voix, la question revient, mais elle sort de moi : « Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? »<\/p>\n
La coursive s\u2019efface. Il n\u2019y a que la pi\u00e8ce blanche, et ma bouche qui parle avec leur voix, qui reprend leurs phrases, qui relance la proc\u00e9dure. Mes l\u00e8vres continuent de bouger. Les mots sortent au bon rythme, comme appris. Je me r\u00e9veille au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a continue encore dans le noir, et j\u2019ai honte non pas d\u2019\u00eatre nu, mais d\u2019\u00eatre enfin exactement ce que l\u2019on attend que je sois.<\/p>\n
Illustration<\/strong> : Prom\u00e9th\u00e9e d\u00e9livr\u00e9 , de Carl Bloch est expos\u00e9 au mus\u00e9e Pavlos et Alexandra Canellopoulos d’Ath\u00e8nes. Photo : Panagiotis Moschandreou\/The Guardian<\/p>",
"content_text": " Cette nuit je r\u00eave que je suis nu au milieu d\u2019une pi\u00e8ce blanche. Je suis en position f\u0153tale, plaqu\u00e9 au sol dans une posture humiliante, et je subis une longue s\u00e9rie d\u2019accusations qui viennent d\u2019une coursive en surplomb. Les voix sont asexu\u00e9es. Pour ne pas me laisser prendre par ce qu\u2019elles disent, je me fixe sur leur tessiture, sur le grain, sur la hauteur, sur le souffle. Mon premier r\u00e9flexe est de croire que ce sont des voix de femmes, puis \u00e7a se m\u00e9lange : des femmes, des hommes, des enfants. Ce m\u00e9lange enl\u00e8ve les visages. Elles parlent par salves. Entre les salves, des pauses nettes. Dans ces pauses quelque chose se retient encore, h\u00e9site. Je me ligote \u00e0 la curiosit\u00e9 : je rel\u00e8ve la hauteur d\u2019une voix, la pause, la reprise. Ce relev\u00e9 me tient au bord. Elles s\u2019approchent autrement. Elles ne se jettent pas. Elles tournent. Elles avancent par petites touches, h\u00e9sitent. Des rapaces autour d\u2019une proie. D\u2019abord le banal, un d\u00e9tail, une petite phrase sans \u00e9clat. Puis le retrait, l\u2019attente, le retour. Ce va-et-vient use la curiosit\u00e9 : au lieu d\u2019ouvrir, elle tourne sur place, prise dans le m\u00eame cercle. Au d\u00e9but je tiens \u00e0 distance. Le contenu reste au-dessus, une pluie qui ne touche pas le sol. Je n\u2019attrape que la musique des voix. Puis certaines changent. Elles deviennent des corbeaux. Pas d\u2019oiseaux visibles, des coups de bec dans l\u2019air. \u00c7a vient par \u00e0-coups, \u00e7a pique, \u00e7a arrache. Chaque accusation devient un impact, bref et pr\u00e9cis, et je sens qu\u2019on me prend. Je ne vois presque rien, mais je sens une m\u00e9thode, une attaque qui revient, qui cherche une prise. Alors je me raccroche \u00e0 la douleur. \u00c0 chaque fois qu\u2019une voix revient, elle m\u2019arrache un lambeau de peau. Pas un arrachement vague : \u00e7a tombe toujours au m\u00eame endroit. Je sens la nuque, le flanc, la gorge. La peau c\u00e8de, un tissu qu\u2019on tire. Je ne saigne pas. Je sens seulement que \u00e7a se d\u00e9tache. Je sens des morceaux qui partent. Et c\u2019est l\u00e0 que surgit l\u2019id\u00e9e la plus simple, la plus ind\u00e9cente aussi : que tout s\u2019arr\u00eate. Plus de voix, plus de pauses, plus de reprise. Une fin nette. La mort comme une sortie de secours, une extinction. Je la veux une seconde, pas pour mourir, pour que \u00e7a cesse enfin. Puis les voix reviennent, et l\u2019id\u00e9e se replie, elle aussi, sous la peau. Les voix reviennent. Elles ne crient pas. Elles ne s\u2019emportent pas. Elles \u00e9noncent. Elles mart\u00e8lent. Elles reprennent. Par moments, je sens l\u2019approche avant l\u2019impact, une mont\u00e9e l\u00e9g\u00e8re dans l\u2019air, puis le coup. Et mon corps r\u00e9agit avant moi : je me crispe, je me replie plus fort, et l\u2019arrachement suivant est plus profond. La crispation offre une prise. La pi\u00e8ce n\u2019a plus l\u2019air blanche. Le blanc devient une mati\u00e8re. Le sol a un grain. L\u2019air a une odeur s\u00e8che, presque sanitaire, de produit d\u2019entretien. Je reste au sol, nu, de plus en plus l\u00e9ger. Je sens qu\u2019on me retire quelque chose \u00e0 chaque passage, pas seulement la peau : la capacit\u00e9 de tenir, de faire \u00e9cran, de d\u00e9tourner. Il reste moins de surface. Puis une voix, plus proche que les autres sans \u00eatre plus forte, ne lance pas une accusation. Elle demande, avec une neutralit\u00e9 administrative : \u00ab Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u00bb La question tombe dans une pause, et la pause se referme sur moi. La douleur ne suffit plus. Il faut r\u00e9pondre. J\u2019ouvre la bouche, l\u2019air est glacial. Je veux sortir un mot, mais ma langue est gel\u00e9e. Je force, je sens le froid dans la gorge, un froid qui bloque, qui blanchit tout. Je dis : \u00ab Je\u2026 \u00bb Et le son qui sort n\u2019a pas de corps. Ce n\u2019est pas ma voix. C\u2019est la leur : la m\u00eame diction, la m\u00eame neutralit\u00e9, la m\u00eame voix sans sexe. La phrase se forme toute seule, nette, pr\u00eate : \u00ab Je suis l\u00e0. \u00bb Puis, sans transition, dans cette m\u00eame voix, la question revient, mais elle sort de moi : \u00ab Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u00bb La coursive s\u2019efface. Il n\u2019y a que la pi\u00e8ce blanche, et ma bouche qui parle avec leur voix, qui reprend leurs phrases, qui relance la proc\u00e9dure. Mes l\u00e8vres continuent de bouger. Les mots sortent au bon rythme, comme appris. Je me r\u00e9veille au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a continue encore dans le noir, et j\u2019ai honte non pas d\u2019\u00eatre nu, mais d\u2019\u00eatre enfin exactement ce que l\u2019on attend que je sois. **Illustration** : Prom\u00e9th\u00e9e d\u00e9livr\u00e9 , de Carl Bloch est expos\u00e9 au mus\u00e9e Pavlos et Alexandra Canellopoulos d'Ath\u00e8nes. Photo : Panagiotis Moschandreou\/The Guardian ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/15-decembre-2025.html",
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"title": "15 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-15T08:54:11Z",
"date_modified": "2025-12-15T08:55:29Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "La France ne peut \u00eatre la France sans J\u00e9sus-Christ, dit une femme \u00e0 la caisse du Super U. La caissi\u00e8re ne rel\u00e8ve pas. Elle demande seulement : carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? Le caddie est plein \u00e0 ras bord. Vignettes. R\u00e9ductions. \u00c7a bloque la file.<\/p>\n
Plus loin, devant les primeurs, mon voisin affirme que c\u2019est BlackRock qui pousse aux abattages. Liquider le cheptel, dit-il. Des ann\u00e9es de croisements, de patience, et tout d\u00e9truit en une journ\u00e9e, par d\u00e9cret, pour une maladie. Il para\u00eet qu\u2019ils ont mis le paquet : blind\u00e9s Centaure, h\u00e9licopt\u00e8res, CRS. Tout \u00e7a contre une ferme. Tout \u00e7a pour des vaches. Il conclut : je ne sais pas o\u00f9 l\u2019on va.<\/p>\n
Au rayon boucherie je demande pourquoi la viande hach\u00e9e ne colle pas avec le prix au kilo affich\u00e9. J\u2019en ai pris 300 grammes. Il regarde le ticket, puis moi. Si vous savez lire, c\u2019est par cinq kilos ce prix que vous avez lu. Je ne r\u00e9ponds rien. Je l\u2019ai interrompu, je crois, pendant son caf\u00e9 en r\u00e9serve. Tout \u00e7a pour 300 grammes.<\/p>\n
Apr\u00e8s les caisses, les sapins sont entass\u00e9s avec le charbon de bois, les sacs de granul\u00e9s, les bidons de p\u00e9trole. Cette ann\u00e9e je n\u2019en ach\u00e8terai pas : les petits-enfants ne viennent pas. S. veut quand m\u00eame un sapin pour sa m\u00e8re. Elle me demande de vider la Dacia.<\/p>\n
On sera quinze ou seize \u00e0 No\u00ebl. Foie gras d\u00e9vein\u00e9 : pr\u00e8s de 50 euros le paquet. Je d\u00e9teste le foie gras. Rien que l\u2019id\u00e9e de ces lobes \u00e0 d\u00e9veiner me donne envie de fuir, et pourtant il va en falloir, pour quinze ou seize. Combien de paquets ? Champagne aussi. C\u2019est notre participation. \u00c7a va d\u00e9passer 200 euros, sans compter le sapin. Si S. prend un Nordmann, il faut ajouter 40 ou 50.<\/p>\n
Je me sens d\u00e9j\u00e0 mal : les pi\u00e8ces pleines, la chaleur, la foule, les voix. Et les cadeaux. \u00c0 minuit tout le monde met ses chaussures sous le sapin. Je n\u2019en offre pas, donc je n\u2019attends rien. Recevoir quand on n\u2019a rien donn\u00e9, c\u2019est se retrouver \u00e0 d\u00e9couvert.<\/p>\n
En revenant, le long de la RN7, il ne reste presque plus de feuilles aux arbres. On doit \u00eatre en hiver. Je ne sais jamais quand \u00e7a bascule. Je repense \u00e0 la caisse, \u00e0 la carte de fid\u00e9lit\u00e9, aux vignettes, \u00e0 mon voisin et \u00e0 ses blind\u00e9s imaginaires, au boucher et \u00e0 ses cinq kilos. Tout passe dans la t\u00eate en m\u00eame temps, en paquets, comme les courses sur le tapis roulant.<\/p>\n
Hier on a d\u00e9jeun\u00e9 chez D., \u00e0 V. Pot-au-feu. S. voulait lui acheter des pots en terre. Il les avait sortis dans le jardin. Cette ann\u00e9e, de l\u2019herbe \u00e0 la place des l\u00e9gumes : une pelouse, plus un jardin. Le froid piquait les mains quand on touchait la terre cuite. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur \u00e7a sentait le bouillon.<\/p>\n
J. est arriv\u00e9 en retard. Le dimanche, on n\u2019est pas vraiment en retard. Puis on a parl\u00e9 politique. Mauvaise id\u00e9e. J. a regard\u00e9 S. : tu es pour la paix ? Dans ce cas il faut voter M. S. est devenue furieuse. Elle d\u00e9teste la politique \u00e0 table. Elle n\u2019aime pas M., son c\u00f4t\u00e9 tribun. Elle n\u2019aime pas non plus le gouvernement. Elle dit qu\u2019elle ne sait pas o\u00f9 tout \u00e7a va nous mener.<\/p>\n
Elle voudrait qu\u2019on d\u00e9m\u00e9nage : un appartement \u00e0 V., un ascenseur, une petite terrasse pour la caisse du chat. Moi je parle de la Gr\u00e8ce, de l\u2019Espagne, du soleil. Elle r\u00e9pond : trop loin des enfants, des petits-enfants.<\/p>\n
Par moments je me vois partir seul. Une \u00eele, Andros, ou Kalymnos. Une location pas ch\u00e8re. \u00c9crire autant que je veux. Et surtout : ne plus voir les gens que je connais. Voir des inconnus. Entendre une langue que je ne comprends pas. Une langue qui me fasse revenir \u00e0 la mienne.<\/p>",
"content_text": " La France ne peut \u00eatre la France sans J\u00e9sus-Christ, dit une femme \u00e0 la caisse du Super U. La caissi\u00e8re ne rel\u00e8ve pas. Elle demande seulement : carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? Le caddie est plein \u00e0 ras bord. Vignettes. R\u00e9ductions. \u00c7a bloque la file. Plus loin, devant les primeurs, mon voisin affirme que c\u2019est BlackRock qui pousse aux abattages. Liquider le cheptel, dit-il. Des ann\u00e9es de croisements, de patience, et tout d\u00e9truit en une journ\u00e9e, par d\u00e9cret, pour une maladie. Il para\u00eet qu\u2019ils ont mis le paquet : blind\u00e9s Centaure, h\u00e9licopt\u00e8res, CRS. Tout \u00e7a contre une ferme. Tout \u00e7a pour des vaches. Il conclut : je ne sais pas o\u00f9 l\u2019on va. Au rayon boucherie je demande pourquoi la viande hach\u00e9e ne colle pas avec le prix au kilo affich\u00e9. J\u2019en ai pris 300 grammes. Il regarde le ticket, puis moi. Si vous savez lire, c\u2019est par cinq kilos ce prix que vous avez lu. Je ne r\u00e9ponds rien. Je l\u2019ai interrompu, je crois, pendant son caf\u00e9 en r\u00e9serve. Tout \u00e7a pour 300 grammes. Apr\u00e8s les caisses, les sapins sont entass\u00e9s avec le charbon de bois, les sacs de granul\u00e9s, les bidons de p\u00e9trole. Cette ann\u00e9e je n\u2019en ach\u00e8terai pas : les petits-enfants ne viennent pas. S. veut quand m\u00eame un sapin pour sa m\u00e8re. Elle me demande de vider la Dacia. On sera quinze ou seize \u00e0 No\u00ebl. Foie gras d\u00e9vein\u00e9 : pr\u00e8s de 50 euros le paquet. Je d\u00e9teste le foie gras. Rien que l\u2019id\u00e9e de ces lobes \u00e0 d\u00e9veiner me donne envie de fuir, et pourtant il va en falloir, pour quinze ou seize. Combien de paquets ? Champagne aussi. C\u2019est notre participation. \u00c7a va d\u00e9passer 200 euros, sans compter le sapin. Si S. prend un Nordmann, il faut ajouter 40 ou 50. Je me sens d\u00e9j\u00e0 mal : les pi\u00e8ces pleines, la chaleur, la foule, les voix. Et les cadeaux. \u00c0 minuit tout le monde met ses chaussures sous le sapin. Je n\u2019en offre pas, donc je n\u2019attends rien. Recevoir quand on n\u2019a rien donn\u00e9, c\u2019est se retrouver \u00e0 d\u00e9couvert. En revenant, le long de la RN7, il ne reste presque plus de feuilles aux arbres. On doit \u00eatre en hiver. Je ne sais jamais quand \u00e7a bascule. Je repense \u00e0 la caisse, \u00e0 la carte de fid\u00e9lit\u00e9, aux vignettes, \u00e0 mon voisin et \u00e0 ses blind\u00e9s imaginaires, au boucher et \u00e0 ses cinq kilos. Tout passe dans la t\u00eate en m\u00eame temps, en paquets, comme les courses sur le tapis roulant. Hier on a d\u00e9jeun\u00e9 chez D., \u00e0 V. Pot-au-feu. S. voulait lui acheter des pots en terre. Il les avait sortis dans le jardin. Cette ann\u00e9e, de l\u2019herbe \u00e0 la place des l\u00e9gumes : une pelouse, plus un jardin. Le froid piquait les mains quand on touchait la terre cuite. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur \u00e7a sentait le bouillon. J. est arriv\u00e9 en retard. Le dimanche, on n\u2019est pas vraiment en retard. Puis on a parl\u00e9 politique. Mauvaise id\u00e9e. J. a regard\u00e9 S. : tu es pour la paix ? Dans ce cas il faut voter M. S. est devenue furieuse. Elle d\u00e9teste la politique \u00e0 table. Elle n\u2019aime pas M., son c\u00f4t\u00e9 tribun. Elle n\u2019aime pas non plus le gouvernement. Elle dit qu\u2019elle ne sait pas o\u00f9 tout \u00e7a va nous mener. Elle voudrait qu\u2019on d\u00e9m\u00e9nage : un appartement \u00e0 V., un ascenseur, une petite terrasse pour la caisse du chat. Moi je parle de la Gr\u00e8ce, de l\u2019Espagne, du soleil. Elle r\u00e9pond : trop loin des enfants, des petits-enfants. Par moments je me vois partir seul. Une \u00eele, Andros, ou Kalymnos. Une location pas ch\u00e8re. \u00c9crire autant que je veux. Et surtout : ne plus voir les gens que je connais. Voir des inconnus. Entendre une langue que je ne comprends pas. Une langue qui me fasse revenir \u00e0 la mienne. ",
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"title": "14 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-14T08:08:56Z",
"date_modified": "2025-12-14T08:16:25Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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Depuis une semaine, que s\u2019est-il pass\u00e9 ? D\u00e9j\u00e0, j\u2019ai gagn\u00e9 ma vie. De fa\u00e7on elliptique : pas besoin de s\u2019\u00e9tendre. Sans opinion sur le sujet.<\/p>\n
Puis j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 pr\u00e9parer le vrai boulot : un inventaire de fichiers Markdown \u00e0 importer dans Scribus. Malheureusement, le probl\u00e8me, c\u2019est la conversion des balises MD. Ce que j\u2019esp\u00e9rais, c\u2019est que les styles se cr\u00e9ent automatiquement \u00e0 l\u2019import dans Scribus. Mais m\u00eame en utilisant un script Python, je n\u2019y suis pas parvenu. Les styles se mettent bien \u00e0 jour dans Scribus, mais uniquement dans la fen\u00eatre Propri\u00e9t\u00e9s, pas dans le document.<\/p>\n
Cela signifie que je dois tout reprendre ligne par ligne, \u00e0 la main. Trop fastidieux — ou alors un excellent exercice de relecture. \u00c0 choisir.<\/p>\n
Pour un PDF, un EPUB, la solution est tr\u00e8s facile avec Pandoc. Je peux m\u00eame pr\u00e9voir une couverture, une table des mati\u00e8res, et les placer directement dans les commandes du terminal.<\/p>\n
L\u2019utilisation de Notion s\u2019av\u00e8re int\u00e9ressante, vraiment — peut-\u00eatre encore mieux qu\u2019Obsidian. Le probl\u00e8me, c\u2019est de devoir s\u2019adapter \u00e0 chaque nouvel outil, sans \u00eatre jamais certain que demain un autre remplacera encore celui-ci. On pourrait se dire : stop, ne pas se disperser ; une fois qu\u2019un workflow fonctionne, pourquoi en changer. C\u2019est vrai, on peut se le dire. Mais si on faisait tout ce qu\u2019on dit, le monde ne serait pas ce monde.<\/p>\n
L\u2019avantage, en outre, de pouvoir utiliser selon les besoins plusieurs mod\u00e8les d\u2019IA avec Notion est un vrai plus. En ayant inject\u00e9 ma base d\u2019articles en CSV, je peux demander vraiment tout ce que je veux : proposer une recherche approfondie par plusieurs s\u00e9ries de mots-cl\u00e9s, puis me formater un fichier Markdown ou un docx, et le classer dans une base de donn\u00e9es. Me r\u00e9ordonner le document plusieurs fois tout en changeant la table des mati\u00e8res. ( Bient\u00f4t j’aurais peut-\u00eatre droit \u00e0 un caf\u00e9 et des petits g\u00e2teaux ?) — bref, Le gain de temps est spectaculaire. Ensuite, la question se pose : qui commande, au bout du compte ? Est-ce l\u2019IA qui, au travers des solutions qu\u2019elle me propose, parvient \u00e0 m\u2019influencer dans mes d\u00e9cisions — ou bien est-ce le contraire ? Il me semble que, pour l\u2019instant, je garde encore l\u2019avantage. Je ne sais pas pour combien de temps.<\/p>\n
Hier, j\u2019ai lu un article<\/a> : Une IA con\u00e7oit un ordinateur Linux fonctionnel en une semaine : la r\u00e9volution du hardware. 48 h au lieu de 500 heures de boulot en moyenne : tout \u00e7a donne le vertige.<\/p>\nJ\u2019en reviens \u00e0 la perplexit\u00e9 qui m\u2019a retenu toute cette semaine. Perplexe, mais pas sid\u00e9r\u00e9. Cette perplexit\u00e9 aura \u00e9t\u00e9 un bon moteur d\u2019\u00e9criture. Hier, par exemple, trois r\u00e9cits de fiction sont sortis tout droit d\u2019une mol\u00e9cule fabriqu\u00e9e : perplexit\u00e9 + honte. L\u2019id\u00e9e est de faire de ces assemblages temporaires quelque chose d\u2019actif, qui ne laisse pas dans la sid\u00e9ration. ( \u00e7a pourrait rejoindre l’id\u00e9e de r\u00e9capitulation de Don Juan pour r\u00e9cup\u00e9rer une \u00e9nergie bloqu\u00e9e ) Ce qui me rassure, c\u2019est que, quels que soient les progr\u00e8s, ce que l\u2019on veut vraiment reste tellement subtil, tellement instable, tellement difficile \u00e0 formuler — et nous \u00e9chappe si souvent — qu\u2019aucune machine ne pourra, je crois, produire cette ambigu\u00eft\u00e9 fondamentale de l\u2019esprit humain.<\/p>\n
Autre chose : l\u2019id\u00e9e de communaut\u00e9 m\u2019est tout \u00e0 fait insupportable. Je ne sais absolument plus comment m’y adapter. Hormis mes cours ou stages dans lesquels je crois avoir plac\u00e9 une sorte de pilote automatique. C\u2019est la raison principale pour laquelle je fuis les r\u00e9seaux sociaux. Je peux partager des posts, mais \u00e9changer est au-dessus de mes forces. \u00c7a ne vient pas des gens : les gens sont ce qu\u2019ils sont. \u00c7a vient d\u2019une sid\u00e9ration qui, cette fois, me colle litt\u00e9ralement au sol, sans que je puisse me relever.<\/p>\n
status=$(curl -o \/dev\/null -sL -w \"%{http_code}\" \"$url\")\n\nif [ \"$status\" -eq 200 ]; then\n # Extraction du titre et nettoyage de la signature\n title=$(curl -sL \"$url\" | perl -nle 'print $1 if \/<title>(.*?)<\\\/title>\/' | sed -E \"s\/ (\u2014|-) ${NOM_SITE}\/\/g\")\n echo \"\u2705 [$title]($url)\"\nelse\n echo \"\u274c SPECTRE 404 -> $url\"\nfi<\/code><\/pre>\ndone\ndone | sort -u<\/p>\n
\n<\/pre>\n** Texte & Illustration** : Gemini Flash<\/code><\/pre>",
"content_text": " ### Chronique d'une horreur algorithmique \u00ab Il ne m\u2019est plus possible de garder le silence, bien que je sache que mes paroles seront prises pour les divagations d'un esprit enfi\u00e9vr\u00e9 par trop d'heures pass\u00e9es devant l'\u00e9cran cathodique. On nous avait promis une \u00c8re de Lumi\u00e8re, une Intelligence Artificielle capable de sonder les archives du monde, mais je n'y ai trouv\u00e9 qu'une entit\u00e9 cyclop\u00e9enne et aveugle, une sorte d'Azathoth num\u00e9rique bouillonnant au centre d'un chaos de donn\u00e9es. Alors que je tentais de lier mes r\u00e9cits entre eux, j'ai vu l'Indicible. L'outil, que je croyais \u00e0 mon service, s'est mis \u00e0 engendrer des URLs dont la g\u00e9om\u00e9trie non-euclidienne d\u00e9fiait toute logique. Des liens pointant vers des ab\u00eemes de vide \u2014 ces redoutables \"404\" qui ne sont que les bouches b\u00e9antes d'un n\u00e9ant informatique. L'IA ne cr\u00e9ait pas de l'information ; elle invoquait des spectres, des adresses n'ayant aucune existence dans le plan r\u00e9el de mon serveur. Pris d'une terreur sacr\u00e9e, j'ai d\u00fb invoquer les Anciens Rites du Bash. Dans la p\u00e9nombre de mon bureau, j'ai trac\u00e9 sur mon clavier les incantations de curl et de sed. J'ai vu les codes de statut HTTP d\u00e9filer comme les battements de c\u0153ur d'une b\u00eate monstrueuse. 200... la vie persistait. 404... l'\u00e2me de la page s'\u00e9tait envol\u00e9e dans l'\u00e9ther noir. M\u00eame nos signes les plus insignifiants sont charg\u00e9s de p\u00e9ril. Ces guillemets droits, que nous jetons avec une d\u00e9sinvolture coupable, ont r\u00e9veill\u00e9 la col\u00e8re de la Google Search Console, ce gardien aveugle et implacable qui surveille les seuils du visible. J'ai d\u00fb, dans un geste de pure pi\u00e9t\u00e9 typographique, les remplacer par des guillemets fran\u00e7ais, ces doubles chevrons protecteurs qui, tels des talismans, pr\u00e9servent mon code d'une damnation certaine. Le cache, lui, est un cimeti\u00e8re o\u00f9 reposent les anciennes versions de mes pens\u00e9es. Il faut savoir profaner ces tombes, vider ces r\u00e9ceptacles de donn\u00e9es mortes pour que la v\u00e9rit\u00e9 puisse enfin \u00e9clore \u00e0 la lumi\u00e8re du recalcul. D\u00e9sormais, je regarde mon terminal avec une crainte nouvelle. Car derri\u00e8re chaque script, derri\u00e8re chaque instruction grep, je sens que nous ne faisons que repousser momentan\u00e9ment les t\u00e9n\u00e8bres d'une ignorance algorithmique qui finit toujours par nous rattraper. \u00bb PS: Script pour un terminal sur Linux Ubuntu : ```#!\/bin\/bash # --- Configurer les variables selon le besoin --- BASE_URL=\"https:\/\/votre-site.net\" NOM_SITE=\"Nom du Site\" ID_CIBLE=\"542\" # L'ID de la rubrique ou du mot-cl\u00e9 TYPE=\"mot\" # Changer en \"rubrique\" si besoin MAX_PAGES=3 # Nombre de pages \u00e0 parcourir echo \"--- D\u00e9but de l'exorcisme num\u00e9rique ---\" for ((i=0; i urls=$(curl -sL \"$URL_INDEX\" | sed -n '\/\/p' | grep -oP 'href=\"\\K[^\"]*-[a-z0-9-]+\\.html' | sed \"s|^|${BASE_URL}\/|\" | sort -u) for url in $urls; do # La page existe-t-elle dans le plan r\u00e9el ? status=$(curl -o \/dev\/null -sL -w \"%{http_code}\" \"$url\") if [ \"$status\" -eq 200 ]; then # Extraction du titre et nettoyage de la signature title=$(curl -sL \"$url\" | perl -nle 'print $1 if \/(.*?)<\\\/title>\/' | sed -E \"s\/ (\u2014|-) ${NOM_SITE}\/\/g\") echo \"\u2705 [$title]($url)\" else echo \"\u274c SPECTRE 404 -> $url\" fi done done | sort -u ``` ** Texte & Illustration** : Gemini Flash ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/22-decembre-2025.html",
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"title": "22 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-22T11:38:40Z",
"date_modified": "2025-12-22T11:38:40Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "Hier j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 des textes en masse vers des sous-rubriques. Deux heures du matin : la maison \u00e9teinte, et moi devant l\u2019\u00e9cran, lumi\u00e8re froide, l\u2019admin SPIP ouverte. J\u2019ai l\u2019impression de vider une armoire. Je clique, je coupe, je colle. Je fais des requ\u00eates SQL, je v\u00e9rifie, je rafra\u00eechis, je recalcule. Les rubriques « Atelier » se remplissent, 2019 descend d\u2019un \u00e9tage. Puis je remonte \u00e0 2025 pour respirer, compresser de janvier \u00e0 juillet, juste pour sentir que \u00e7a tient encore, que quelque chose se ferme, que la page s\u2019all\u00e8ge.<\/p>\n
\u00c7a soulage, et \u00e7a fait peur aussi, parce que je vois \u00e0 quel point je peux jouer les gros bras : \u00e7a ne co\u00fbte rien, \u00e7a marche, \u00e7a coupe court. Dans l\u2019interface, je suis efficace, je tranche net, je donne l\u2019impression de tenir la barre. Mais quand je retire cette couche-l\u00e0, ce qui reste, c\u2019est le gamin perdu enferm\u00e9 dans un corps de vieux, avec ses r\u00e9flexes, sa fatigue, et cette manie de croire qu\u2019un bon tri va r\u00e9gler le fond.<\/p>\n
Cette semaine laisse des traces, m\u00eame avec des protocoles, une collection d\u2019outils aff\u00fbt\u00e9s, et tout le vocabulaire qui va avec. \u00c7a ne fait pas dispara\u00eetre le d\u00e9sordre : \u00e7a le range provisoirement, \u00e7a le rend maniable. Et moi, en prise directe avec lui, je lance ma ligne et je n\u2019ai jamais d\u2019autre impression que de p\u00eacher de tout petits poissons.<\/p>\n
Et en fin d\u2019ann\u00e9e, il y a cette question qui revient, tr\u00e8s concr\u00e8te : la partie « Carnets » est devenue encombrante. D\u00e9placer les textes ne les fait pas dispara\u00eetre ; ce sont des brouillons. Le r\u00e9sum\u00e9 mensuel, c\u2019est juste une mani\u00e8re de gagner du temps. Alors quoi, au fond : continuer ces textes quotidiens qui prennent des heures, ou \u00e9crire des fictions, vraiment ? Mener les deux de front, l\u00e0, j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est au-dessus de mes forces. Je veux couper les distractions. Mais les pires ne viennent pas de dehors. Elles viennent de dedans : doute, fausse piste, euphorie, d\u00e9prime. \u00c7a tourne tout seul. <\/p>",
"content_text": " Hier j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 des textes en masse vers des sous-rubriques. Deux heures du matin : la maison \u00e9teinte, et moi devant l\u2019\u00e9cran, lumi\u00e8re froide, l\u2019admin SPIP ouverte. J\u2019ai l\u2019impression de vider une armoire. Je clique, je coupe, je colle. Je fais des requ\u00eates SQL, je v\u00e9rifie, je rafra\u00eechis, je recalcule. Les rubriques \u00ab Atelier \u00bb se remplissent, 2019 descend d\u2019un \u00e9tage. Puis je remonte \u00e0 2025 pour respirer, compresser de janvier \u00e0 juillet, juste pour sentir que \u00e7a tient encore, que quelque chose se ferme, que la page s\u2019all\u00e8ge. \u00c7a soulage, et \u00e7a fait peur aussi, parce que je vois \u00e0 quel point je peux jouer les gros bras : \u00e7a ne co\u00fbte rien, \u00e7a marche, \u00e7a coupe court. Dans l\u2019interface, je suis efficace, je tranche net, je donne l\u2019impression de tenir la barre. Mais quand je retire cette couche-l\u00e0, ce qui reste, c\u2019est le gamin perdu enferm\u00e9 dans un corps de vieux, avec ses r\u00e9flexes, sa fatigue, et cette manie de croire qu\u2019un bon tri va r\u00e9gler le fond. Cette semaine laisse des traces, m\u00eame avec des protocoles, une collection d\u2019outils aff\u00fbt\u00e9s, et tout le vocabulaire qui va avec. \u00c7a ne fait pas dispara\u00eetre le d\u00e9sordre : \u00e7a le range provisoirement, \u00e7a le rend maniable. Et moi, en prise directe avec lui, je lance ma ligne et je n\u2019ai jamais d\u2019autre impression que de p\u00eacher de tout petits poissons. Et en fin d\u2019ann\u00e9e, il y a cette question qui revient, tr\u00e8s concr\u00e8te : la partie \u00ab Carnets \u00bb est devenue encombrante. D\u00e9placer les textes ne les fait pas dispara\u00eetre ; ce sont des brouillons. Le r\u00e9sum\u00e9 mensuel, c\u2019est juste une mani\u00e8re de gagner du temps. Alors quoi, au fond : continuer ces textes quotidiens qui prennent des heures, ou \u00e9crire des fictions, vraiment ? Mener les deux de front, l\u00e0, j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est au-dessus de mes forces. Je veux couper les distractions. Mais les pires ne viennent pas de dehors. Elles viennent de dedans : doute, fausse piste, euphorie, d\u00e9prime. \u00c7a tourne tout seul. ",
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"title": "21 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-21T07:03:19Z",
"date_modified": "2025-12-21T07:04:05Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
Le mal de dent ne me l\u00e2che plus depuis une bonne semaine ; c\u2019est ce qui me r\u00e9veille. Je traverse la cour pour aller nourrir la chatte, surpris que le carrelage ne soit pas glissant, surpris aussi par la douceur de cette fin d\u00e9cembre. Je ne connais rien de personne sauf ce que j\u2019en imagine, et quand cette phrase arrive, je sais que la journ\u00e9e sera bonne : elle remet le monde \u00e0 sa place. Alors je peux aller \u00e0 la boulangerie avec le plus grand d\u00e9tachement, c\u2019est-\u00e0-dire rester ouvert \u00e0 toute possibilit\u00e9, comme si, \u00e0 l\u2019instant de pousser la porte, je pouvais tout aussi bien obliquer par la rue du Puits de la Tour et, de l\u00e0, prendre la route vers Marseille, celle vers Paris, comme si tout devait m\u2019\u00eatre \u00e9gal, l\u2019itin\u00e9raire comme la destination, le pas suivant comme le pr\u00e9c\u00e9dent. Je marcherais nuit et jour sans me soucier du froid, de la pluie, de la fatigue, de la faim, des ampoules aux pieds ; non pas par courage, mais parce que rien ne p\u00e8serait assez pour m\u2019arr\u00eater, et rien ne compterait assez pour me retenir. Et une fois Marseille atteinte — ou Paris — que ferais-je, sinon me fixer un nouveau but et tout recommencer, encore et encore : cette m\u00e9canique du d\u00e9part qui ne m\u00e8ne qu\u2019\u00e0 sa propre relance, ce mouvement pur qui se nourrit de lui-m\u00eame. Il faut donc garder un point fixe, non pour se rassurer, mais pour couper court \u00e0 l\u2019infini : \u00e9crire chaque jour dans ce carnet, encore et encore. Et je crois que je n\u2019aurais pas pu revenir \u00e0 ce point fixe sans \u00eatre d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9 par deux reprises : les textes de \u00e9t\u00e9 2023<\/em>, puis Enfances<\/em>, \u00e9crit \u00e0 l\u2019automne de la m\u00eame ann\u00e9e. Les r\u00e9\u00e9critures m\u2019ont laiss\u00e9 une impression nette : l\u2019\u00e9nervement, une urgence m\u00eal\u00e9e d\u2019\u00e9nervement, et, derri\u00e8re, un malaise que le texte semblait vouloir curer \u00e0 toute vitesse. Malaise dont le lecteur n\u2019a que faire. Hier, j\u2019ai os\u00e9 en finir avec une certaine id\u00e9e du site. J\u2019ai avanc\u00e9 \u00e0 t\u00e2tons, en cr\u00e9ant, pour chaque mois de 2019 (encore 2019), une sous-rubrique « Atelier ». Tous ces longs textes \u00e9nerv\u00e9s ont atterri dans cette bo\u00eete, et je n\u2019ai conserv\u00e9 que tr\u00e8s peu de chose pour recomposer le condens\u00e9 de chaque mois. Ce qui m\u2019a surpris, c\u2019est la rapidit\u00e9 avec laquelle j\u2019ai taill\u00e9 dans le vif. Photographie de quelques outils dont je pense ne plus avoir besoin, pour les vendre sur Leboncoin. S. est tr\u00e8s excit\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9e de quitter les lieux, d\u2019imaginer la vie dans ce nouvel appartement. De mon c\u00f4t\u00e9, mi-figue mi-raisin, comme d\u2019habitude d\u00e8s qu\u2019il est question de « projet ». Ce qui me ram\u00e8ne encore \u00e0 une impression erron\u00e9e : je me crois rapide, et je suis tr\u00e8s lent. J\u2019avance par \u00e0-coups, \u00e0 pas rapides, dans le seul but de me ralentir — et je me donne, sans le dire, la contrainte de revenir en arri\u00e8re, de recommencer.<\/p>",
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"title": "d\u00e9but, milieu, fin",
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"date_modified": "2025-12-20T07:45:21Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "Ce matin, devant le pot \u00e0 louches et cuill\u00e8res en bois pos\u00e9 sur le plan de travail, je me suis surpris \u00e0 penser que la beaut\u00e9 d\u00e9pend parfois d\u2019une chose aussi simple que la lumi\u00e8re. Elle tourne, elle monte, elle baisse. Ce qui paraissait banal devient net, puis redevient muet. Je note \u00e7a et, tout de suite apr\u00e8s, je me demande si \u00e7a “veut dire” quelque chose, ou si l\u2019\u00e9criture n\u2019est qu\u2019un endroit o\u00f9 d\u00e9poser des phrases avant qu\u2019elles ne disparaissent.<\/p>\n
Jules Verne, para\u00eet-il, ne commence pas un roman avant d\u2019en conna\u00eetre le d\u00e9but, le milieu et la fin. Moi, je fais souvent l\u2019inverse : j\u2019\u00e9cris au fil, puis je regarde ce que \u00e7a forme. Et je cherche apr\u00e8s coup ce que je voulais vraiment atteindre. Dans Scribus, je retombe sur la m\u00eame le\u00e7on, mais sans mystique : si je veux une table des mati\u00e8res, il faut d\u2019abord la penser, la structurer, avant de cliquer sur “g\u00e9n\u00e9rer”. Tant va la cruche au lait qu\u2019\u00e0 la fin elle se brise : \u00e9crire sans plan, c\u2019est parfois compter sur la chance — et tomber, un jour, sur le point o\u00f9 \u00e7a casse.<\/p>\n
Hier soir, j\u2019ai achev\u00e9 de recopier tous les textes de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture « \u00e9t\u00e9 2023 » dans SPIP. En parall\u00e8le, j\u2019ai repris des versions dans Scribus, puis j\u2019ai export\u00e9 le PDF et je l\u2019ai plac\u00e9 dans le descriptif de la rubrique. En le relisant ce matin, l\u2019effet est venu d\u2019un bloc : c\u2019est un type \u00e9nerv\u00e9 qui \u00e9crit. Ensuite, est-ce l\u2019auteur, est-ce le narrateur ? Je n\u2019en sais rien. Ce que je sais, c\u2019est que l\u2019\u00e9nervement tient moins au “sens” qu\u2019\u00e0 la musique : phrases qui poussent, qui cognent, qui n\u2019attendent pas.<\/p>\n
Et l\u00e0, une autre question s\u2019est accroch\u00e9e : qu\u2019est-ce que je fabrique en exposant tout \u00e7a publiquement ? J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019exposition sert aussi \u00e0 s\u2019immuniser. Petite dose, tous les jours, contre le poison le plus banal : le d\u00e9sir de reconnaissance. On croit qu\u2019on veut “\u00eatre lu”, et on d\u00e9couvre vite la pente : l\u2019attente, l\u2019aigreur, la pose, les calculs. Et le jour o\u00f9 quelqu\u2019un vous reconna\u00eet vraiment, c\u2019est rarement un triomphe : c\u2019est une g\u00eane, une capture, une assignation.<\/p>\n
Je d\u00e9teste les mondanit\u00e9s. Ce serait absurde que tout acte entrepris dans la vie converge vers elles, comme si \u00e9crire devait forc\u00e9ment finir en sc\u00e8ne sociale. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je reviens \u00e0 l\u2019id\u00e9e de Verne : penser le d\u00e9but, le milieu et la fin, non pour “faire un roman”, mais pour \u00e9viter que le texte, \u00e0 force de d\u00e9river, n\u2019aboutisse \u00e0 la chose m\u00eame qu\u2019il pr\u00e9tend refuser.<\/p>\n
Dans le m\u00eame mouvement, j\u2019ai fait un geste bizarre : demander \u00e0 ChatGPT cinq descriptions de lieux \u00e0 partir des \u0152uvres compl\u00e8tes de Rabelais. Un peu comme on provoque un hasard pour voir ce qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le. Comme renverser une tasse de caf\u00e9 et regarder la figure que prend le marc au fond. Ou lancer des osselets.<\/p>\n
Et, au bout, je me suis retrouv\u00e9 devant la question simple : \u00e0 quoi \u00e7a sert, une description ? Th\u00e9l\u00e8me donne une r\u00e9ponse nette. L\u2019architecture, les mat\u00e9riaux, les proportions, la lumi\u00e8re, les galeries, les jardins : ce n\u2019est pas un d\u00e9cor gratuit. C\u2019est une utopie construite, un manifeste anti-monastique inscrit dans la mati\u00e8re. La forme dit : on inverse l\u2019enfermement, l\u2019asc\u00e8se, la r\u00e8gle. Et la devise « Fais ce que voudras » ne tient pas sans ce cadre concret.<\/p>\n
L\u2019espace est la condition de l\u2019\u00e9thique. Donc la description fait syst\u00e8me avec l\u2019id\u00e9e.<\/em><\/p>\nReste, \u00e0 la fin, la question de l\u2019intention : \u00e0 qui appartient-elle ? \u00c0 l\u2019auteur, au narrateur, \u00e0 personne ? Je crois qu\u2019elle bascule au lecteur. Pas “au lecteur” en g\u00e9n\u00e9ral : \u00e0 celui-l\u00e0, pr\u00e9cis, qui tombe sur ces phrases et d\u00e9cide, en silence, si elles tiennent — ou si elles ne sont qu\u2019un passage de lumi\u00e8re sur un pot \u00e0 cuill\u00e8res.<\/p>\n
Illustration<\/strong> : Vue de l\u2019exposition Arnaud Labelle-Rojoux, C\u2019est \u00e9crit dessus !, galerie Loevenbruck, Paris, 2025<\/p>",
"content_text": " Ce matin, devant le pot \u00e0 louches et cuill\u00e8res en bois pos\u00e9 sur le plan de travail, je me suis surpris \u00e0 penser que la beaut\u00e9 d\u00e9pend parfois d\u2019une chose aussi simple que la lumi\u00e8re. Elle tourne, elle monte, elle baisse. Ce qui paraissait banal devient net, puis redevient muet. Je note \u00e7a et, tout de suite apr\u00e8s, je me demande si \u00e7a \u201cveut dire\u201d quelque chose, ou si l\u2019\u00e9criture n\u2019est qu\u2019un endroit o\u00f9 d\u00e9poser des phrases avant qu\u2019elles ne disparaissent. Jules Verne, para\u00eet-il, ne commence pas un roman avant d\u2019en conna\u00eetre le d\u00e9but, le milieu et la fin. Moi, je fais souvent l\u2019inverse : j\u2019\u00e9cris au fil, puis je regarde ce que \u00e7a forme. Et je cherche apr\u00e8s coup ce que je voulais vraiment atteindre. Dans Scribus, je retombe sur la m\u00eame le\u00e7on, mais sans mystique : si je veux une table des mati\u00e8res, il faut d\u2019abord la penser, la structurer, avant de cliquer sur \u201cg\u00e9n\u00e9rer\u201d. Tant va la cruche au lait qu\u2019\u00e0 la fin elle se brise : \u00e9crire sans plan, c\u2019est parfois compter sur la chance \u2014 et tomber, un jour, sur le point o\u00f9 \u00e7a casse. Hier soir, j\u2019ai achev\u00e9 de recopier tous les textes de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture \u00ab \u00e9t\u00e9 2023 \u00bb dans SPIP. En parall\u00e8le, j\u2019ai repris des versions dans Scribus, puis j\u2019ai export\u00e9 le PDF et je l\u2019ai plac\u00e9 dans le descriptif de la rubrique. En le relisant ce matin, l\u2019effet est venu d\u2019un bloc : c\u2019est un type \u00e9nerv\u00e9 qui \u00e9crit. Ensuite, est-ce l\u2019auteur, est-ce le narrateur ? Je n\u2019en sais rien. Ce que je sais, c\u2019est que l\u2019\u00e9nervement tient moins au \u201csens\u201d qu\u2019\u00e0 la musique : phrases qui poussent, qui cognent, qui n\u2019attendent pas. Et l\u00e0, une autre question s\u2019est accroch\u00e9e : qu\u2019est-ce que je fabrique en exposant tout \u00e7a publiquement ? J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019exposition sert aussi \u00e0 s\u2019immuniser. Petite dose, tous les jours, contre le poison le plus banal : le d\u00e9sir de reconnaissance. On croit qu\u2019on veut \u201c\u00eatre lu\u201d, et on d\u00e9couvre vite la pente : l\u2019attente, l\u2019aigreur, la pose, les calculs. Et le jour o\u00f9 quelqu\u2019un vous reconna\u00eet vraiment, c\u2019est rarement un triomphe : c\u2019est une g\u00eane, une capture, une assignation. Je d\u00e9teste les mondanit\u00e9s. Ce serait absurde que tout acte entrepris dans la vie converge vers elles, comme si \u00e9crire devait forc\u00e9ment finir en sc\u00e8ne sociale. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je reviens \u00e0 l\u2019id\u00e9e de Verne : penser le d\u00e9but, le milieu et la fin, non pour \u201cfaire un roman\u201d, mais pour \u00e9viter que le texte, \u00e0 force de d\u00e9river, n\u2019aboutisse \u00e0 la chose m\u00eame qu\u2019il pr\u00e9tend refuser. Dans le m\u00eame mouvement, j\u2019ai fait un geste bizarre : demander \u00e0 ChatGPT cinq descriptions de lieux \u00e0 partir des \u0152uvres compl\u00e8tes de Rabelais. Un peu comme on provoque un hasard pour voir ce qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le. Comme renverser une tasse de caf\u00e9 et regarder la figure que prend le marc au fond. Ou lancer des osselets. Et, au bout, je me suis retrouv\u00e9 devant la question simple : \u00e0 quoi \u00e7a sert, une description ? Th\u00e9l\u00e8me donne une r\u00e9ponse nette. L\u2019architecture, les mat\u00e9riaux, les proportions, la lumi\u00e8re, les galeries, les jardins : ce n\u2019est pas un d\u00e9cor gratuit. C\u2019est une utopie construite, un manifeste anti-monastique inscrit dans la mati\u00e8re. La forme dit : on inverse l\u2019enfermement, l\u2019asc\u00e8se, la r\u00e8gle. Et la devise \u00ab Fais ce que voudras \u00bb ne tient pas sans ce cadre concret. *L\u2019espace est la condition de l\u2019\u00e9thique. Donc la description fait syst\u00e8me avec l\u2019id\u00e9e.* Reste, \u00e0 la fin, la question de l\u2019intention : \u00e0 qui appartient-elle ? \u00c0 l\u2019auteur, au narrateur, \u00e0 personne ? Je crois qu\u2019elle bascule au lecteur. Pas \u201cau lecteur\u201d en g\u00e9n\u00e9ral : \u00e0 celui-l\u00e0, pr\u00e9cis, qui tombe sur ces phrases et d\u00e9cide, en silence, si elles tiennent \u2014 ou si elles ne sont qu\u2019un passage de lumi\u00e8re sur un pot \u00e0 cuill\u00e8res. **Illustration** : Vue de l\u2019exposition Arnaud Labelle-Rojoux, C\u2019est \u00e9crit dessus !, galerie Loevenbruck, Paris, 2025 ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/l-air-du-temps.html",
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"title": "L'air du temps",
"date_published": "2025-12-19T08:39:36Z",
"date_modified": "2025-12-19T08:40:09Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "L\u2019effort, le courage, la volont\u00e9 : j\u2019ai des doutes. Non, je crois que \u00e7a part d\u2019une soif, sinon ce n\u2019est pas la peine. Cette r\u00e9flexion me vient apr\u00e8s la lecture de ce billet d\u2019humeur<\/a> , et elle m\u2019am\u00e8ne \u00e0 me demander ce qu\u2019est, au fond, un billet d\u2019humeur : est-ce que \u00e7a « tient » dans la dur\u00e9e ? Je crois que c\u2019est une de mes pr\u00e9occupations principales, et c\u2019est sans doute ce qui fait que je n\u2019en \u00e9cris plus tellement. De m\u00eame, j\u2019essaie de me restreindre sur mes perc\u00e9es pseudo-philosophiques, comme sur l\u2019auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces r\u00e9\u00e9critures, m\u2019y forcent. Je vois presque aussit\u00f4t ce qui g\u00eane \u00e0 la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer « l\u2019air du temps ». Difficile \u00e0 d\u00e9finir, d\u2019ailleurs, cet air du temps, ou du moins \u00e0 d\u00e9finir ce qui ne r\u00e9sistera pas\u2026 au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne r\u00e9sisteront pas : les pulls et les pushs. \u00c0 moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et cela fait des mois que \u00e7a dure. Au bout du compte, la d\u00e9cision est prise de l\u2019emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C\u2019est r\u00e9voltant. Et en m\u00eame temps, nous sommes tous impuissants vis-\u00e0-vis de la situation. Je sens remonter de vieux r\u00e9flexes disant : il suffirait d\u2019un peu plus de fermet\u00e9, d\u2019un coup de pied au cul, mais l\u2019air du temps rend ces pens\u00e9es insupportables, \u00e9videmment. Ce que je sais, c\u2019est la vitesse \u00e0 laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, \u00e7a marche ; on recommence ; il y a un peu de r\u00e9sistance le surlendemain, on trouve de nouveaux pr\u00e9textes, une strat\u00e9gie nouvelle ; et au final on s\u2019embourbe de plus en plus, avec toutes les difficult\u00e9s du monde \u00e0 revenir en arri\u00e8re, \u00e0 revenir \u00e0 cette fameuse normalit\u00e9 qui veut qu\u2019un gamin ne reste pas toute une journ\u00e9e dans l\u2019appartement \u00e0 jouer \u00e0 un jeu vid\u00e9o d\u00e9bile. Si au moins il lisait, je serais tent\u00e9 de penser, mais je sais que ce n\u2019est pas une solution non plus. En m\u00eame temps, chacun doit faire sa propre exp\u00e9rience, affronter ses propres d\u00e9mons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l\u2019on effectue et envisager les cons\u00e9quences de celui-ci. Mais bon, l\u00e0 encore, il faut se rentrer \u00e7a dans le cr\u00e2ne : nous ne vivons pas tous en m\u00eame temps dans le m\u00eame monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des \u0153ufs durs. Je pense que c\u2019est en revenant sur certains textes \u00e9voquant Vania que cette envie m\u2019est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle \u00e9t\u00e9 2023 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture du Tiers Livre : premi\u00e8re passe de correction rapide hier soir. D\u00e9couverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j\u2019\u00e9tais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en r\u00e9sumant, pour chacun, la proposition d\u2019\u00e9criture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver \u00e0 partir de ce que j\u2019ai \u00e9crit. L\u2019id\u00e9e serait de cr\u00e9er un PDF et de le donner en acc\u00e8s libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acqu\u00e9rir de plus en plus de fluidit\u00e9 sur Scribus. Je n\u2019ai pas vu l\u2019heure : il me reste \u00e0 peine un quart d\u2019heure pour relire ce billet, car \u00e0 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof.<\/p>",
"content_text": " L\u2019effort, le courage, la volont\u00e9 : j\u2019ai des doutes. Non, je crois que \u00e7a part d\u2019une soif, sinon ce n\u2019est pas la peine. Cette r\u00e9flexion me vient apr\u00e8s la lecture de ce [billet d\u2019humeur->https:\/\/tcrouzet.com\/2025\/12\/18\/le-courage-de-lire\/] , et elle m\u2019am\u00e8ne \u00e0 me demander ce qu\u2019est, au fond, un billet d\u2019humeur : est-ce que \u00e7a \u00ab tient \u00bb dans la dur\u00e9e ? Je crois que c\u2019est une de mes pr\u00e9occupations principales, et c\u2019est sans doute ce qui fait que je n\u2019en \u00e9cris plus tellement. De m\u00eame, j\u2019essaie de me restreindre sur mes perc\u00e9es pseudo-philosophiques, comme sur l\u2019auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces r\u00e9\u00e9critures, m\u2019y forcent. Je vois presque aussit\u00f4t ce qui g\u00eane \u00e0 la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer \u00ab l\u2019air du temps \u00bb. Difficile \u00e0 d\u00e9finir, d\u2019ailleurs, cet air du temps, ou du moins \u00e0 d\u00e9finir ce qui ne r\u00e9sistera pas\u2026 au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne r\u00e9sisteront pas : les pulls et les pushs. \u00c0 moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et cela fait des mois que \u00e7a dure. Au bout du compte, la d\u00e9cision est prise de l\u2019emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C\u2019est r\u00e9voltant. Et en m\u00eame temps, nous sommes tous impuissants vis-\u00e0-vis de la situation. Je sens remonter de vieux r\u00e9flexes disant : il suffirait d\u2019un peu plus de fermet\u00e9, d\u2019un coup de pied au cul, mais l\u2019air du temps rend ces pens\u00e9es insupportables, \u00e9videmment. Ce que je sais, c\u2019est la vitesse \u00e0 laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, \u00e7a marche ; on recommence ; il y a un peu de r\u00e9sistance le surlendemain, on trouve de nouveaux pr\u00e9textes, une strat\u00e9gie nouvelle ; et au final on s\u2019embourbe de plus en plus, avec toutes les difficult\u00e9s du monde \u00e0 revenir en arri\u00e8re, \u00e0 revenir \u00e0 cette fameuse normalit\u00e9 qui veut qu\u2019un gamin ne reste pas toute une journ\u00e9e dans l\u2019appartement \u00e0 jouer \u00e0 un jeu vid\u00e9o d\u00e9bile. Si au moins il lisait, je serais tent\u00e9 de penser, mais je sais que ce n\u2019est pas une solution non plus. En m\u00eame temps, chacun doit faire sa propre exp\u00e9rience, affronter ses propres d\u00e9mons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l\u2019on effectue et envisager les cons\u00e9quences de celui-ci. Mais bon, l\u00e0 encore, il faut se rentrer \u00e7a dans le cr\u00e2ne : nous ne vivons pas tous en m\u00eame temps dans le m\u00eame monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des \u0153ufs durs. Je pense que c\u2019est en revenant sur certains textes \u00e9voquant Vania que cette envie m\u2019est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle \u00e9t\u00e9 2023 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture du Tiers Livre : premi\u00e8re passe de correction rapide hier soir. D\u00e9couverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j\u2019\u00e9tais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en r\u00e9sumant, pour chacun, la proposition d\u2019\u00e9criture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver \u00e0 partir de ce que j\u2019ai \u00e9crit. L\u2019id\u00e9e serait de cr\u00e9er un PDF et de le donner en acc\u00e8s libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acqu\u00e9rir de plus en plus de fluidit\u00e9 sur Scribus. Je n\u2019ai pas vu l\u2019heure : il me reste \u00e0 peine un quart d\u2019heure pour relire ce billet, car \u00e0 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof. ",
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"title": "L'ami d'un ami ",
"date_published": "2025-12-18T08:08:17Z",
"date_modified": "2025-12-18T08:08:17Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "Ce genre d\u2019amiti\u00e9 est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent « c\u2019est un ami » et les barri\u00e8res font semblant de tomber. C\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a passe cr\u00e8me aussi quand ils disent « c\u2019est l\u2019ami d\u2019un ami ». Les caves croient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une histoire d\u2019amiti\u00e9, alors qu\u2019en fait c\u2019est une simple affaire de mot de passe. J\u2019en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n\u2019y a jamais eu la moindre amiti\u00e9 l\u00e0-dessous. Au contraire, on n\u2019h\u00e9sitait pas \u00e0 vous planter d\u00e8s que vous aviez le dos tourn\u00e9. Pourquoi ce serait diff\u00e9rent ailleurs que chez les mafieux ? C\u2019est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l\u2019autre : de la porte de Clignancourt \u00e0 la porte d\u2019Orl\u00e9ans, tout du pareil au m\u00eame. Et je ne parle m\u00eame pas de la banlieue. M\u00eame dans le trou du cul du monde, tu n\u2019es jamais s\u00fbr d\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait anonyme. Il y aura toujours l\u2019ami d\u2019un ami d\u2019un ami qui te reconna\u00eetra, et qui se rappellera que tu dois un chien — le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette p\u00e9riode, c\u2019est que je n\u2019\u00e9tais jamais vraiment tranquille. Je m\u2019attendais toujours \u00e0 croiser l\u2019ami d\u2019un ami au coin d\u2019une rue, et ce qui \u00e9tait certain, c\u2019est qu\u2019on ne se demanderait pas des nouvelles d\u2019untel ou d\u2019unetelle \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ce qui est s\u00fbr aussi, c\u2019est qu\u2019on gagne un temps fou \u00e0 fr\u00e9quenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en g\u00e9n\u00e9ral vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embu\u00e9s du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l\u2019espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n\u2019arrivais plus \u00e0 t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 mon comptable ; d\u2019ailleurs je ne devrais m\u00eame pas dire « mon » : c\u2019est encore un pi\u00e8ge du langage. Ce qui autrefois \u00e9tait pratique pour vous faire croire que vous poss\u00e9diez quelque chose — l\u2019article, le pronom personnel — tout cela est devenu du vent en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. Encore que je ne sache pas si \u00e7a ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que \u00e7a fait aussi partie de l\u2019apprentissage du monde acc\u00e9l\u00e9r\u00e9. On n\u2019est pas tous \u00e0 lire le m\u00eame genre d\u2019Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu\u2019aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-del\u00e0 du p\u00e9riph. \u00c0 la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j\u2019ai rang\u00e9 assez vite ma bo\u00eete \u00e0 musique pour ne plus jamais la ressortir. J\u2019ai pris ma place dans la file et j\u2019ai pay\u00e9 mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pin\u00e7ant de temps \u00e0 autre, histoire de rester r\u00e9veill\u00e9 — jamais vraiment convaincu de l\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait. Car ici, la r\u00e9alit\u00e9 est un labyrinthe aussi alambiqu\u00e9 que les r\u00eaves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l\u2019\u0153il, chaque bouff\u00e9e d\u2019espoir un morceau de gruy\u00e8re sur un pi\u00e8ge \u00e0 rats. Si vous ne vous mettez pas dans le cr\u00e2ne, tr\u00e8s vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous tra\u00eenez : une p\u00e9nitence qui n\u2019en finit pas de vous br\u00fbler les genoux. Au lieu de \u00e7a, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux d\u00e9cider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir soutenir son regard — ce n\u2019est pas une question de courage. C\u2019est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais tr\u00e8s bien, que ce « partout » est une facilit\u00e9 : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits o\u00f9 personne ne vous conna\u00eet et o\u00f9, pendant une heure, vous respirez sans arri\u00e8re-pens\u00e9e. Le probl\u00e8me, c\u2019est que je les rep\u00e8re mal, ou trop tard, parce que l\u2019apprentissage a tordu le regard ; il m\u2019a rendu rapide, mais il m\u2019a rendu avare en confiance. Parfois il m\u2019arrive encore d\u2019avoir des relents, des remont\u00e9es acides — des nostalgies de cette \u00e9poque o\u00f9, quand on me disait « c\u2019est un ami », je ne voyais pas \u00e0 mal. J\u2019\u00e9tais m\u00eame assez candide pour payer la nouvelle d\u2019un sourire, d\u2019une poign\u00e9e de main, d\u2019une tourn\u00e9e. J\u2019avais le sentiment d\u2019appartenir, au moins, \u00e0 quelque chose. Ce sentiment-l\u00e0 n\u2019est pas tr\u00e8s regardant, au fond. Pas besoin d\u2019aller chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire partie d\u2019un groupe, ne pas \u00eatre seul : voil\u00e0 \u00e0 quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c\u2019est de la litt\u00e9rature, mieux c\u2019est — ou pire c\u2019est, je ne sais pas. Mais je n\u2019aurais pas aim\u00e9, plus jeune, passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette v\u00e9rit\u00e9-l\u00e0. \u00c0 la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-\u00eatre un bouquin ou deux, des ambigu\u00eft\u00e9s, quelques traces, et ce sera d\u00e9j\u00e0 beaucoup. J\u2019aurai surtout essay\u00e9 de tenir : me relever quand je suis tomb\u00e9, arr\u00eater de mendier, arr\u00eater de faire du bruit pour qu\u2019on me voie. Et cette voix, au fond, \u00e9tait-elle vraiment la mienne ? \u00c7a restera l\u2019\u00e9nigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus tr\u00e8s bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriqu\u00e9es pour \u00e9viter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant \u00e0 savoir si les histoires sont faites pour \u00eatre v\u00e9cues ou racont\u00e9es, je laisse \u00e7a en suspens. Je n\u2019ai pas de point final \u00e0 fournir avant d\u2019entrer dans la Grande Muette. Apr\u00e8s \u00e7a, je suis parti faire mon march\u00e9. Grosse promo sur l\u2019oignon : j\u2019ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes — de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe \u00e0 l\u2019oignon suffit au repas. Il ne fait pas tr\u00e8s froid. On ne chauffe plus toutes les pi\u00e8ces de la maison. \u00c9conomie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport \u00e0 novembre 2024, m\u2019apprend l\u2019e-mail du fournisseur. J\u2019ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : d\u00e9j\u00e0 quelques inscriptions. Plus No\u00ebl approche, plus je vois approcher la d\u00e9pression ; il y a encore des gisements de fragilit\u00e9, de vuln\u00e9rabilit\u00e9, \u00e0 creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus r\u00e9\u00e9crire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout \u00e7a \u00e0 la bonne place dans SPIP. Mais je sais d\u00e9j\u00e0 que je vais faire des s\u00e9lections ; j\u2019ai mis en place un syst\u00e8me d\u2019\u00e9toiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes — ou un seul si je parviens \u00e0 fusionner, \u00e0 trouver la logique de fusion. L\u2019id\u00e9e serait de proposer d\u2019abord une s\u00e9lection en page d\u2019accueil, de me laisser une chance de trouver un \u00e9diteur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande r\u00e9flexion, parce qu\u2019une fois un pied mis dans Amazon, ce sera termin\u00e9 pour l\u2019\u00e9dition “normale”.<\/p>",
"content_text": " Ce genre d\u2019amiti\u00e9 est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent \u00ab c\u2019est un ami \u00bb et les barri\u00e8res font semblant de tomber. C\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a passe cr\u00e8me aussi quand ils disent \u00ab c\u2019est l\u2019ami d\u2019un ami \u00bb. Les caves croient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une histoire d\u2019amiti\u00e9, alors qu\u2019en fait c\u2019est une simple affaire de mot de passe. J\u2019en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n\u2019y a jamais eu la moindre amiti\u00e9 l\u00e0-dessous. Au contraire, on n\u2019h\u00e9sitait pas \u00e0 vous planter d\u00e8s que vous aviez le dos tourn\u00e9. Pourquoi ce serait diff\u00e9rent ailleurs que chez les mafieux ? C\u2019est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l\u2019autre : de la porte de Clignancourt \u00e0 la porte d\u2019Orl\u00e9ans, tout du pareil au m\u00eame. Et je ne parle m\u00eame pas de la banlieue. M\u00eame dans le trou du cul du monde, tu n\u2019es jamais s\u00fbr d\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait anonyme. Il y aura toujours l\u2019ami d\u2019un ami d\u2019un ami qui te reconna\u00eetra, et qui se rappellera que tu dois un chien \u2014 le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette p\u00e9riode, c\u2019est que je n\u2019\u00e9tais jamais vraiment tranquille. Je m\u2019attendais toujours \u00e0 croiser l\u2019ami d\u2019un ami au coin d\u2019une rue, et ce qui \u00e9tait certain, c\u2019est qu\u2019on ne se demanderait pas des nouvelles d\u2019untel ou d\u2019unetelle \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ce qui est s\u00fbr aussi, c\u2019est qu\u2019on gagne un temps fou \u00e0 fr\u00e9quenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en g\u00e9n\u00e9ral vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embu\u00e9s du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l\u2019espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n\u2019arrivais plus \u00e0 t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 mon comptable ; d\u2019ailleurs je ne devrais m\u00eame pas dire \u00ab mon \u00bb : c\u2019est encore un pi\u00e8ge du langage. Ce qui autrefois \u00e9tait pratique pour vous faire croire que vous poss\u00e9diez quelque chose \u2014 l\u2019article, le pronom personnel \u2014 tout cela est devenu du vent en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. Encore que je ne sache pas si \u00e7a ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que \u00e7a fait aussi partie de l\u2019apprentissage du monde acc\u00e9l\u00e9r\u00e9. On n\u2019est pas tous \u00e0 lire le m\u00eame genre d\u2019Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu\u2019aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-del\u00e0 du p\u00e9riph. \u00c0 la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j\u2019ai rang\u00e9 assez vite ma bo\u00eete \u00e0 musique pour ne plus jamais la ressortir. J\u2019ai pris ma place dans la file et j\u2019ai pay\u00e9 mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pin\u00e7ant de temps \u00e0 autre, histoire de rester r\u00e9veill\u00e9 \u2014 jamais vraiment convaincu de l\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait. Car ici, la r\u00e9alit\u00e9 est un labyrinthe aussi alambiqu\u00e9 que les r\u00eaves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l\u2019\u0153il, chaque bouff\u00e9e d\u2019espoir un morceau de gruy\u00e8re sur un pi\u00e8ge \u00e0 rats. Si vous ne vous mettez pas dans le cr\u00e2ne, tr\u00e8s vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous tra\u00eenez : une p\u00e9nitence qui n\u2019en finit pas de vous br\u00fbler les genoux. Au lieu de \u00e7a, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux d\u00e9cider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir soutenir son regard \u2014 ce n\u2019est pas une question de courage. C\u2019est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais tr\u00e8s bien, que ce \u00ab partout \u00bb est une facilit\u00e9 : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits o\u00f9 personne ne vous conna\u00eet et o\u00f9, pendant une heure, vous respirez sans arri\u00e8re-pens\u00e9e. Le probl\u00e8me, c\u2019est que je les rep\u00e8re mal, ou trop tard, parce que l\u2019apprentissage a tordu le regard ; il m\u2019a rendu rapide, mais il m\u2019a rendu avare en confiance. Parfois il m\u2019arrive encore d\u2019avoir des relents, des remont\u00e9es acides \u2014 des nostalgies de cette \u00e9poque o\u00f9, quand on me disait \u00ab c\u2019est un ami \u00bb, je ne voyais pas \u00e0 mal. J\u2019\u00e9tais m\u00eame assez candide pour payer la nouvelle d\u2019un sourire, d\u2019une poign\u00e9e de main, d\u2019une tourn\u00e9e. J\u2019avais le sentiment d\u2019appartenir, au moins, \u00e0 quelque chose. Ce sentiment-l\u00e0 n\u2019est pas tr\u00e8s regardant, au fond. Pas besoin d\u2019aller chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire partie d\u2019un groupe, ne pas \u00eatre seul : voil\u00e0 \u00e0 quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c\u2019est de la litt\u00e9rature, mieux c\u2019est \u2014 ou pire c\u2019est, je ne sais pas. Mais je n\u2019aurais pas aim\u00e9, plus jeune, passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette v\u00e9rit\u00e9-l\u00e0. \u00c0 la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-\u00eatre un bouquin ou deux, des ambigu\u00eft\u00e9s, quelques traces, et ce sera d\u00e9j\u00e0 beaucoup. J\u2019aurai surtout essay\u00e9 de tenir : me relever quand je suis tomb\u00e9, arr\u00eater de mendier, arr\u00eater de faire du bruit pour qu\u2019on me voie. Et cette voix, au fond, \u00e9tait-elle vraiment la mienne ? \u00c7a restera l\u2019\u00e9nigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus tr\u00e8s bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriqu\u00e9es pour \u00e9viter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant \u00e0 savoir si les histoires sont faites pour \u00eatre v\u00e9cues ou racont\u00e9es, je laisse \u00e7a en suspens. Je n\u2019ai pas de point final \u00e0 fournir avant d\u2019entrer dans la Grande Muette. Apr\u00e8s \u00e7a, je suis parti faire mon march\u00e9. Grosse promo sur l\u2019oignon : j\u2019ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes \u2014 de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe \u00e0 l\u2019oignon suffit au repas. Il ne fait pas tr\u00e8s froid. On ne chauffe plus toutes les pi\u00e8ces de la maison. \u00c9conomie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport \u00e0 novembre 2024, m\u2019apprend l\u2019e-mail du fournisseur. J\u2019ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : d\u00e9j\u00e0 quelques inscriptions. Plus No\u00ebl approche, plus je vois approcher la d\u00e9pression ; il y a encore des gisements de fragilit\u00e9, de vuln\u00e9rabilit\u00e9, \u00e0 creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus r\u00e9\u00e9crire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout \u00e7a \u00e0 la bonne place dans SPIP. Mais je sais d\u00e9j\u00e0 que je vais faire des s\u00e9lections ; j\u2019ai mis en place un syst\u00e8me d\u2019\u00e9toiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes \u2014 ou un seul si je parviens \u00e0 fusionner, \u00e0 trouver la logique de fusion. L\u2019id\u00e9e serait de proposer d\u2019abord une s\u00e9lection en page d\u2019accueil, de me laisser une chance de trouver un \u00e9diteur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande r\u00e9flexion, parce qu\u2019une fois un pied mis dans Amazon, ce sera termin\u00e9 pour l\u2019\u00e9dition \u201cnormale\u201d. ",
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"title": "Je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate",
"date_published": "2025-12-17T04:19:02Z",
"date_modified": "2025-12-17T04:19:02Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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Je ne sais plus quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 remarquer ces moments o\u00f9, apr\u00e8s le passage du vent, le ciel se d\u00e9gage d\u2019un coup et r\u00e9v\u00e8le un bleu si pur qu\u2019il en devient presque insupportable, un bleu froid, min\u00e9ral, qui n\u2019a rien de rassurant ; \u00e7a arrive toujours au moment o\u00f9 je l\u00e8ve la t\u00eate, presque par hasard, comme si cette clart\u00e9 ne pouvait \u00eatre saisie que dans un geste involontaire, un mouvement du corps avant la pens\u00e9e, et je finis par comprendre que ces bouff\u00e9es de clart\u00e9 — faute d\u2019un terme plus exact — co\u00efncident presque toujours avec la perte d\u2019une illusion, pas une grande illusion, plut\u00f4t ces petites fictions quotidiennes auxquelles on s\u2019accroche sans m\u00eame s\u2019en rendre compte : l\u2019illusion qu\u2019une relation dure encore, qu\u2019un projet aboutira, que quelqu\u2019un vous comprend ; au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a se dissipe, je l\u00e8ve la t\u00eate et le ciel est net, sans nuance, comme si le monde me faisait la d\u00e9monstration de son indiff\u00e9rence, et le sentiment qui suit n\u2019est ni tristesse pure ni soulagement pur, mais un m\u00e9lange des deux qui ne se r\u00e9sout en aucun, une sorte d\u2019acquiescement froid \u00e0 ce qui est, \u00e0 ce qui cesse d\u2019\u00eatre ; j\u2019ai pens\u00e9 r\u00e9cemment que cette \u00e9motion ressemblait \u00e0 celle que doit \u00e9prouver quelqu\u2019un qui sait avec certitude qu\u2019il va mourir dans l\u2019instant — pas la peur, plut\u00f4t une lucidit\u00e9 glaciale, totale, qui pr\u00e9c\u00e8de peut-\u00eatre la disparition.<\/p>\n
Ce matin, \u00e7a m\u2019a pris dans une cuisine ordinaire : la chaise a d\u00fb heurter le carrelage, bruit bref, net ; dans l\u2019\u00e9vier, deux tasses, marc coll\u00e9 au fond ; Courbevoie, cinqui\u00e8me, fen\u00eatre entrouverte, rideau qui remue \u00e0 peine. La t\u00e9l\u00e9vision chuchotait, pas assez fort pour \u00eatre suivie, assez pour injecter des fragments dans l\u2019air, et c\u2019est une de ces phrases qui m\u2019a accroch\u00e9 — une voix disait “chez vous”, banalit\u00e9 de pr\u00e9sentateur, formule automatique — et j\u2019ai senti \u00e0 quel point il m\u2019\u00e9tait devenu difficile de dire chez moi<\/em> sans entendre quelque chose de faux dans la phrase.<\/p>\nChez moi : c\u2019est difficile de dire chez moi<\/em> ; est-ce que je pense souvent \u00e0 le dire ? non, jamais ; ce que je dis \u00e0 la place : dans la ville<\/em>, dans la maison<\/em>, dans la chambre<\/em> ; \u00e7a ne m\u2019appartient pas, plus maintenant ; hard to say home<\/em> ; what I say instead is the city<\/em>, the house<\/em>, the room<\/em> ; it\u2019s never really mine, not anymore ; je disais ma maison<\/em> lorsque j\u2019\u00e9tais enfant, je disais aussi notre chambre<\/em> puisque nous dormions l\u00e0 ensemble, mon fr\u00e8re et moi, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui me frappe aujourd\u2019hui : le naturel avec lequel certains mots tenaient, sans justification, sans recul, alors que je n\u2019arrivais d\u00e9j\u00e0 pas vraiment \u00e0 dire mon jardin<\/em>, mon \u00e9cole<\/em>, mon village<\/em> ; c\u2019\u00e9tait plus loin, m\u00eame si c\u2019\u00e9tait g\u00e9ographiquement proche ; le village natal<\/em> : je ne sais pas ce qui p\u00e8se le plus, village<\/em> ou natal<\/em>, ou les deux accol\u00e9s, cette promesse d\u2019origine qu\u2019on prononce \u00e0 haute voix comme on signerait un papier ; for home<\/em> to stand in for chez<\/em>, we would have to mean more than walls, more than a lease, more than an address ; because home<\/em> is h\u0101m<\/em>, is heim<\/em>, isn\u2019t it.<\/p>\nJ\u2019entends encore la voix de la t\u00e9l\u00e9 dire “chez vous” comme si elle s\u2019adressait \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui insiste : chez Bertrand ce n\u2019\u00e9tait pas comme chez Philippe, ni comme chez Anne-Marie, c\u2019\u00e9tait toujours mieux que chez moi, enfant, parce que je pouvais y entrer sans y \u00eatre assign\u00e9 ; I hated saying let\u2019s go to my place<\/em>, as if I were leading someone into the quiet wreck of it ; puis je reviens, toujours, \u00e0 cette formule plus s\u00e8che et plus vraie : chez eux ; je reviens \u00e0 \u00e7a, \u00e0 chez moi<\/em> si l\u2019on veut, mais au fond ce vide ; c\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que, apr\u00e8s m\u2019\u00eatre \u00e9lanc\u00e9 et m\u2019\u00eatre toujours heurt\u00e9 au m\u00eame mur, j\u2019ai fait ce pas de c\u00f4t\u00e9 ; and found an opening ; not their place<\/em>, not mine<\/em>, just the in-between ; chez nous<\/em> n\u2019a jamais tenu longtemps : chez nous \u00e9tait un songe, on tendait la main pour toucher une limite et il n\u2019y en avait pas ; our place<\/em> was a fiction we used as a makeshift truth ; on tenait comme on pouvait, bon an mal an, jour de soleil ou jour de pluie, un temps de bon grain, un temps d\u2019ivraie, et on appelait \u00e7a chez nous<\/em> pour ne pas regarder les fuites ; oh, la tranquillit\u00e9 r\u00eav\u00e9e d\u2019un chez soi<\/em> qui prend l\u2019eau de toute part, mais qu\u2019on ne veut pas voir ; we say there\u2019s no place like home<\/em>, we cling so tightly to that no place like<\/em> it starts to feel suspicious — but we shut our ears — deep down we\u2019re expecting something awful, something that must not be said, something never to be spoken.<\/p>\nJe regarde le rideau, je pense soudain \u00e0 l\u2019hirondelle, \u00e0 son chez<\/em> \u00e0 elle, ce m\u00e9lange de terre et de paille coll\u00e9 par la salive, et je revois l\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, fascin\u00e9 par cette mati\u00e8re pauvre devenue tenue, cette architecture minuscule o\u00f9 la parole est litt\u00e9ralement le ciment ; je suis vieux maintenant, je sais que je parle d\u2019un autre temps ; swallows have grown rare, they\u2019ve faded, little by little, with the years ; chez l\u2019hirondelle, la salive est le ciment — une parole qui se fait nid sous les toits — et moi je sens que tout ce qui tient chez nous tient aussi par des phrases, par des formules, par des fa\u00e7ons de dire “chez” ; c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a que je dis “fait divers” pour me prot\u00e9ger du reste, pour recouvrir d\u2019une \u00e9tiquette ce qui d\u00e9borde.<\/p>\nEt la t\u00e9l\u00e9vision, justement, insiste, chuchote une histoire : on raconte qu\u2019ils se voyaient depuis un moment, il aurait voulu “arr\u00eater de parler”, ou qu\u2019elle se taise, formule pratique, comme si la paix pouvait \u00eatre un silence impos\u00e9 ; sur la table, je remarque le couteau \u00e0 manche de bois que je n\u2019avais pas vu, simple objet pos\u00e9 l\u00e0, et je comprends \u00e0 quel point il suffit parfois de presque rien pour que le monde bascule dans l\u2019interpr\u00e9tation ; on dira qu\u2019il a eu peur, on dira qu\u2019elle l\u2019a pouss\u00e9, on dira tout et son contraire, parce qu\u2019on a besoin de versions, parce qu\u2019on a besoin de couvercles ; est-ce qu\u2019on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? la paix ou la raison, deux faces du m\u00eame couteau ; on croit qu\u2019une phrase finale mettra de l\u2019ordre, elle met un couvercle, et le lendemain tout recommence, plus bas, plus sourd.<\/p>\n
Je reviens \u00e0 la fen\u00eatre. L\u2019air passe. Le rideau remue \u00e0 peine. Le ciel doit \u00eatre bleu maintenant, ce bleu froid que je connais, mais je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate.<\/p>",
"content_text": " Je ne sais plus quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 remarquer ces moments o\u00f9, apr\u00e8s le passage du vent, le ciel se d\u00e9gage d\u2019un coup et r\u00e9v\u00e8le un bleu si pur qu\u2019il en devient presque insupportable, un bleu froid, min\u00e9ral, qui n\u2019a rien de rassurant ; \u00e7a arrive toujours au moment o\u00f9 je l\u00e8ve la t\u00eate, presque par hasard, comme si cette clart\u00e9 ne pouvait \u00eatre saisie que dans un geste involontaire, un mouvement du corps avant la pens\u00e9e, et je finis par comprendre que ces bouff\u00e9es de clart\u00e9 \u2014 faute d\u2019un terme plus exact \u2014 co\u00efncident presque toujours avec la perte d\u2019une illusion, pas une grande illusion, plut\u00f4t ces petites fictions quotidiennes auxquelles on s\u2019accroche sans m\u00eame s\u2019en rendre compte : l\u2019illusion qu\u2019une relation dure encore, qu\u2019un projet aboutira, que quelqu\u2019un vous comprend ; au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a se dissipe, je l\u00e8ve la t\u00eate et le ciel est net, sans nuance, comme si le monde me faisait la d\u00e9monstration de son indiff\u00e9rence, et le sentiment qui suit n\u2019est ni tristesse pure ni soulagement pur, mais un m\u00e9lange des deux qui ne se r\u00e9sout en aucun, une sorte d\u2019acquiescement froid \u00e0 ce qui est, \u00e0 ce qui cesse d\u2019\u00eatre ; j\u2019ai pens\u00e9 r\u00e9cemment que cette \u00e9motion ressemblait \u00e0 celle que doit \u00e9prouver quelqu\u2019un qui sait avec certitude qu\u2019il va mourir dans l\u2019instant \u2014 pas la peur, plut\u00f4t une lucidit\u00e9 glaciale, totale, qui pr\u00e9c\u00e8de peut-\u00eatre la disparition. Ce matin, \u00e7a m\u2019a pris dans une cuisine ordinaire : la chaise a d\u00fb heurter le carrelage, bruit bref, net ; dans l\u2019\u00e9vier, deux tasses, marc coll\u00e9 au fond ; Courbevoie, cinqui\u00e8me, fen\u00eatre entrouverte, rideau qui remue \u00e0 peine. La t\u00e9l\u00e9vision chuchotait, pas assez fort pour \u00eatre suivie, assez pour injecter des fragments dans l\u2019air, et c\u2019est une de ces phrases qui m\u2019a accroch\u00e9 \u2014 une voix disait \u201cchez vous\u201d, banalit\u00e9 de pr\u00e9sentateur, formule automatique \u2014 et j\u2019ai senti \u00e0 quel point il m\u2019\u00e9tait devenu difficile de dire *chez moi* sans entendre quelque chose de faux dans la phrase. Chez moi : c\u2019est difficile de dire *chez moi* ; est-ce que je pense souvent \u00e0 le dire ? non, jamais ; ce que je dis \u00e0 la place : *dans la ville*, *dans la maison*, *dans la chambre* ; \u00e7a ne m\u2019appartient pas, plus maintenant ; hard to say *home* ; what I say instead is *the city*, *the house*, *the room* ; it\u2019s never really mine, not anymore ; je disais *ma maison* lorsque j\u2019\u00e9tais enfant, je disais aussi *notre chambre* puisque nous dormions l\u00e0 ensemble, mon fr\u00e8re et moi, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui me frappe aujourd\u2019hui : le naturel avec lequel certains mots tenaient, sans justification, sans recul, alors que je n\u2019arrivais d\u00e9j\u00e0 pas vraiment \u00e0 dire *mon jardin*, *mon \u00e9cole*, *mon village* ; c\u2019\u00e9tait plus loin, m\u00eame si c\u2019\u00e9tait g\u00e9ographiquement proche ; *le village natal* : je ne sais pas ce qui p\u00e8se le plus, *village* ou *natal*, ou les deux accol\u00e9s, cette promesse d\u2019origine qu\u2019on prononce \u00e0 haute voix comme on signerait un papier ; for *home* to stand in for *chez*, we would have to mean more than walls, more than a lease, more than an address ; because *home* is *h\u0101m*, is *heim*, isn\u2019t it. J\u2019entends encore la voix de la t\u00e9l\u00e9 dire \u201cchez vous\u201d comme si elle s\u2019adressait \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui insiste : chez Bertrand ce n\u2019\u00e9tait pas comme chez Philippe, ni comme chez Anne-Marie, c\u2019\u00e9tait toujours mieux que chez moi, enfant, parce que je pouvais y entrer sans y \u00eatre assign\u00e9 ; I hated saying *let\u2019s go to my place*, as if I were leading someone into the quiet wreck of it ; puis je reviens, toujours, \u00e0 cette formule plus s\u00e8che et plus vraie : chez eux ; je reviens \u00e0 \u00e7a, \u00e0 *chez moi* si l\u2019on veut, mais au fond ce vide ; c\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que, apr\u00e8s m\u2019\u00eatre \u00e9lanc\u00e9 et m\u2019\u00eatre toujours heurt\u00e9 au m\u00eame mur, j\u2019ai fait ce pas de c\u00f4t\u00e9 ; and found an opening ; not *their place*, not *mine*, just the in-between ; *chez nous* n\u2019a jamais tenu longtemps : chez nous \u00e9tait un songe, on tendait la main pour toucher une limite et il n\u2019y en avait pas ; *our place* was a fiction we used as a makeshift truth ; on tenait comme on pouvait, bon an mal an, jour de soleil ou jour de pluie, un temps de bon grain, un temps d\u2019ivraie, et on appelait \u00e7a *chez nous* pour ne pas regarder les fuites ; oh, la tranquillit\u00e9 r\u00eav\u00e9e d\u2019un *chez soi* qui prend l\u2019eau de toute part, mais qu\u2019on ne veut pas voir ; we say *there\u2019s no place like home*, we cling so tightly to that *no place like* it starts to feel suspicious \u2014 but we shut our ears \u2014 deep down we\u2019re expecting something awful, something that must not be said, something never to be spoken. Je regarde le rideau, je pense soudain \u00e0 l\u2019hirondelle, \u00e0 son *chez* \u00e0 elle, ce m\u00e9lange de terre et de paille coll\u00e9 par la salive, et je revois l\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, fascin\u00e9 par cette mati\u00e8re pauvre devenue tenue, cette architecture minuscule o\u00f9 la parole est litt\u00e9ralement le ciment ; je suis vieux maintenant, je sais que je parle d\u2019un autre temps ; swallows have grown rare, they\u2019ve faded, little by little, with the years ; chez l\u2019hirondelle, la salive est le ciment \u2014 une parole qui se fait nid sous les toits \u2014 et moi je sens que tout ce qui tient chez nous tient aussi par des phrases, par des formules, par des fa\u00e7ons de dire \u201cchez\u201d ; c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a que je dis \u201cfait divers\u201d pour me prot\u00e9ger du reste, pour recouvrir d\u2019une \u00e9tiquette ce qui d\u00e9borde. Et la t\u00e9l\u00e9vision, justement, insiste, chuchote une histoire : on raconte qu\u2019ils se voyaient depuis un moment, il aurait voulu \u201carr\u00eater de parler\u201d, ou qu\u2019elle se taise, formule pratique, comme si la paix pouvait \u00eatre un silence impos\u00e9 ; sur la table, je remarque le couteau \u00e0 manche de bois que je n\u2019avais pas vu, simple objet pos\u00e9 l\u00e0, et je comprends \u00e0 quel point il suffit parfois de presque rien pour que le monde bascule dans l\u2019interpr\u00e9tation ; on dira qu\u2019il a eu peur, on dira qu\u2019elle l\u2019a pouss\u00e9, on dira tout et son contraire, parce qu\u2019on a besoin de versions, parce qu\u2019on a besoin de couvercles ; est-ce qu\u2019on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? la paix ou la raison, deux faces du m\u00eame couteau ; on croit qu\u2019une phrase finale mettra de l\u2019ordre, elle met un couvercle, et le lendemain tout recommence, plus bas, plus sourd. Je reviens \u00e0 la fen\u00eatre. L\u2019air passe. Le rideau remue \u00e0 peine. Le ciel doit \u00eatre bleu maintenant, ce bleu froid que je connais, mais je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate. ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/16-decembre-2025.html",
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"title": "16 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-16T06:53:54Z",
"date_modified": "2025-12-16T06:58:48Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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Cette nuit je r\u00eave que je suis nu au milieu d\u2019une pi\u00e8ce blanche. Je suis en position f\u0153tale, plaqu\u00e9 au sol dans une posture humiliante, et je subis une longue s\u00e9rie d\u2019accusations qui viennent d\u2019une coursive en surplomb. Les voix sont asexu\u00e9es. Pour ne pas me laisser prendre par ce qu\u2019elles disent, je me fixe sur leur tessiture, sur le grain, sur la hauteur, sur le souffle. Mon premier r\u00e9flexe est de croire que ce sont des voix de femmes, puis \u00e7a se m\u00e9lange : des femmes, des hommes, des enfants. Ce m\u00e9lange enl\u00e8ve les visages. Elles parlent par salves. Entre les salves, des pauses nettes. Dans ces pauses quelque chose se retient encore, h\u00e9site. Je me ligote \u00e0 la curiosit\u00e9 : je rel\u00e8ve la hauteur d\u2019une voix, la pause, la reprise. Ce relev\u00e9 me tient au bord.<\/p>\n
Elles s\u2019approchent autrement. Elles ne se jettent pas. Elles tournent. Elles avancent par petites touches, h\u00e9sitent. Des rapaces autour d\u2019une proie. D\u2019abord le banal, un d\u00e9tail, une petite phrase sans \u00e9clat. Puis le retrait, l\u2019attente, le retour. Ce va-et-vient use la curiosit\u00e9 : au lieu d\u2019ouvrir, elle tourne sur place, prise dans le m\u00eame cercle.<\/p>\n
Au d\u00e9but je tiens \u00e0 distance. Le contenu reste au-dessus, une pluie qui ne touche pas le sol. Je n\u2019attrape que la musique des voix. Puis certaines changent. Elles deviennent des corbeaux. Pas d\u2019oiseaux visibles, des coups de bec dans l\u2019air. \u00c7a vient par \u00e0-coups, \u00e7a pique, \u00e7a arrache. Chaque accusation devient un impact, bref et pr\u00e9cis, et je sens qu\u2019on me prend. Je ne vois presque rien, mais je sens une m\u00e9thode, une attaque qui revient, qui cherche une prise.<\/p>\n
Alors je me raccroche \u00e0 la douleur. \u00c0 chaque fois qu\u2019une voix revient, elle m\u2019arrache un lambeau de peau. Pas un arrachement vague : \u00e7a tombe toujours au m\u00eame endroit. Je sens la nuque, le flanc, la gorge. La peau c\u00e8de, un tissu qu\u2019on tire. Je ne saigne pas. Je sens seulement que \u00e7a se d\u00e9tache. Je sens des morceaux qui partent. Et c\u2019est l\u00e0 que surgit l\u2019id\u00e9e la plus simple, la plus ind\u00e9cente aussi : que tout s\u2019arr\u00eate. Plus de voix, plus de pauses, plus de reprise. Une fin nette. La mort comme une sortie de secours, une extinction. Je la veux une seconde, pas pour mourir, pour que \u00e7a cesse enfin. Puis les voix reviennent, et l\u2019id\u00e9e se replie, elle aussi, sous la peau.<\/p>\n
Les voix reviennent. Elles ne crient pas. Elles ne s\u2019emportent pas. Elles \u00e9noncent. Elles mart\u00e8lent. Elles reprennent. Par moments, je sens l\u2019approche avant l\u2019impact, une mont\u00e9e l\u00e9g\u00e8re dans l\u2019air, puis le coup. Et mon corps r\u00e9agit avant moi : je me crispe, je me replie plus fort, et l\u2019arrachement suivant est plus profond. La crispation offre une prise.<\/p>\n
La pi\u00e8ce n\u2019a plus l\u2019air blanche. Le blanc devient une mati\u00e8re. Le sol a un grain. L\u2019air a une odeur s\u00e8che, presque sanitaire, de produit d\u2019entretien. Je reste au sol, nu, de plus en plus l\u00e9ger. Je sens qu\u2019on me retire quelque chose \u00e0 chaque passage, pas seulement la peau : la capacit\u00e9 de tenir, de faire \u00e9cran, de d\u00e9tourner. Il reste moins de surface.<\/p>\n
Puis une voix, plus proche que les autres sans \u00eatre plus forte, ne lance pas une accusation. Elle demande, avec une neutralit\u00e9 administrative : « Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? » La question tombe dans une pause, et la pause se referme sur moi. La douleur ne suffit plus. Il faut r\u00e9pondre.<\/p>\n
J\u2019ouvre la bouche, l\u2019air est glacial. Je veux sortir un mot, mais ma langue est gel\u00e9e. Je force, je sens le froid dans la gorge, un froid qui bloque, qui blanchit tout. Je dis : « Je\u2026 » Et le son qui sort n\u2019a pas de corps. Ce n\u2019est pas ma voix. C\u2019est la leur : la m\u00eame diction, la m\u00eame neutralit\u00e9, la m\u00eame voix sans sexe. La phrase se forme toute seule, nette, pr\u00eate : « Je suis l\u00e0. » Puis, sans transition, dans cette m\u00eame voix, la question revient, mais elle sort de moi : « Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? »<\/p>\n
La coursive s\u2019efface. Il n\u2019y a que la pi\u00e8ce blanche, et ma bouche qui parle avec leur voix, qui reprend leurs phrases, qui relance la proc\u00e9dure. Mes l\u00e8vres continuent de bouger. Les mots sortent au bon rythme, comme appris. Je me r\u00e9veille au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a continue encore dans le noir, et j\u2019ai honte non pas d\u2019\u00eatre nu, mais d\u2019\u00eatre enfin exactement ce que l\u2019on attend que je sois.<\/p>\n
Illustration<\/strong> : Prom\u00e9th\u00e9e d\u00e9livr\u00e9 , de Carl Bloch est expos\u00e9 au mus\u00e9e Pavlos et Alexandra Canellopoulos d’Ath\u00e8nes. Photo : Panagiotis Moschandreou\/The Guardian<\/p>",
"content_text": " Cette nuit je r\u00eave que je suis nu au milieu d\u2019une pi\u00e8ce blanche. Je suis en position f\u0153tale, plaqu\u00e9 au sol dans une posture humiliante, et je subis une longue s\u00e9rie d\u2019accusations qui viennent d\u2019une coursive en surplomb. Les voix sont asexu\u00e9es. Pour ne pas me laisser prendre par ce qu\u2019elles disent, je me fixe sur leur tessiture, sur le grain, sur la hauteur, sur le souffle. Mon premier r\u00e9flexe est de croire que ce sont des voix de femmes, puis \u00e7a se m\u00e9lange : des femmes, des hommes, des enfants. Ce m\u00e9lange enl\u00e8ve les visages. Elles parlent par salves. Entre les salves, des pauses nettes. Dans ces pauses quelque chose se retient encore, h\u00e9site. Je me ligote \u00e0 la curiosit\u00e9 : je rel\u00e8ve la hauteur d\u2019une voix, la pause, la reprise. Ce relev\u00e9 me tient au bord. Elles s\u2019approchent autrement. Elles ne se jettent pas. Elles tournent. Elles avancent par petites touches, h\u00e9sitent. Des rapaces autour d\u2019une proie. D\u2019abord le banal, un d\u00e9tail, une petite phrase sans \u00e9clat. Puis le retrait, l\u2019attente, le retour. Ce va-et-vient use la curiosit\u00e9 : au lieu d\u2019ouvrir, elle tourne sur place, prise dans le m\u00eame cercle. Au d\u00e9but je tiens \u00e0 distance. Le contenu reste au-dessus, une pluie qui ne touche pas le sol. Je n\u2019attrape que la musique des voix. Puis certaines changent. Elles deviennent des corbeaux. Pas d\u2019oiseaux visibles, des coups de bec dans l\u2019air. \u00c7a vient par \u00e0-coups, \u00e7a pique, \u00e7a arrache. Chaque accusation devient un impact, bref et pr\u00e9cis, et je sens qu\u2019on me prend. Je ne vois presque rien, mais je sens une m\u00e9thode, une attaque qui revient, qui cherche une prise. Alors je me raccroche \u00e0 la douleur. \u00c0 chaque fois qu\u2019une voix revient, elle m\u2019arrache un lambeau de peau. Pas un arrachement vague : \u00e7a tombe toujours au m\u00eame endroit. Je sens la nuque, le flanc, la gorge. La peau c\u00e8de, un tissu qu\u2019on tire. Je ne saigne pas. Je sens seulement que \u00e7a se d\u00e9tache. Je sens des morceaux qui partent. Et c\u2019est l\u00e0 que surgit l\u2019id\u00e9e la plus simple, la plus ind\u00e9cente aussi : que tout s\u2019arr\u00eate. Plus de voix, plus de pauses, plus de reprise. Une fin nette. La mort comme une sortie de secours, une extinction. Je la veux une seconde, pas pour mourir, pour que \u00e7a cesse enfin. Puis les voix reviennent, et l\u2019id\u00e9e se replie, elle aussi, sous la peau. Les voix reviennent. Elles ne crient pas. Elles ne s\u2019emportent pas. Elles \u00e9noncent. Elles mart\u00e8lent. Elles reprennent. Par moments, je sens l\u2019approche avant l\u2019impact, une mont\u00e9e l\u00e9g\u00e8re dans l\u2019air, puis le coup. Et mon corps r\u00e9agit avant moi : je me crispe, je me replie plus fort, et l\u2019arrachement suivant est plus profond. La crispation offre une prise. La pi\u00e8ce n\u2019a plus l\u2019air blanche. Le blanc devient une mati\u00e8re. Le sol a un grain. L\u2019air a une odeur s\u00e8che, presque sanitaire, de produit d\u2019entretien. Je reste au sol, nu, de plus en plus l\u00e9ger. Je sens qu\u2019on me retire quelque chose \u00e0 chaque passage, pas seulement la peau : la capacit\u00e9 de tenir, de faire \u00e9cran, de d\u00e9tourner. Il reste moins de surface. Puis une voix, plus proche que les autres sans \u00eatre plus forte, ne lance pas une accusation. Elle demande, avec une neutralit\u00e9 administrative : \u00ab Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u00bb La question tombe dans une pause, et la pause se referme sur moi. La douleur ne suffit plus. Il faut r\u00e9pondre. J\u2019ouvre la bouche, l\u2019air est glacial. Je veux sortir un mot, mais ma langue est gel\u00e9e. Je force, je sens le froid dans la gorge, un froid qui bloque, qui blanchit tout. Je dis : \u00ab Je\u2026 \u00bb Et le son qui sort n\u2019a pas de corps. Ce n\u2019est pas ma voix. C\u2019est la leur : la m\u00eame diction, la m\u00eame neutralit\u00e9, la m\u00eame voix sans sexe. La phrase se forme toute seule, nette, pr\u00eate : \u00ab Je suis l\u00e0. \u00bb Puis, sans transition, dans cette m\u00eame voix, la question revient, mais elle sort de moi : \u00ab Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u00bb La coursive s\u2019efface. Il n\u2019y a que la pi\u00e8ce blanche, et ma bouche qui parle avec leur voix, qui reprend leurs phrases, qui relance la proc\u00e9dure. Mes l\u00e8vres continuent de bouger. Les mots sortent au bon rythme, comme appris. Je me r\u00e9veille au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a continue encore dans le noir, et j\u2019ai honte non pas d\u2019\u00eatre nu, mais d\u2019\u00eatre enfin exactement ce que l\u2019on attend que je sois. **Illustration** : Prom\u00e9th\u00e9e d\u00e9livr\u00e9 , de Carl Bloch est expos\u00e9 au mus\u00e9e Pavlos et Alexandra Canellopoulos d'Ath\u00e8nes. Photo : Panagiotis Moschandreou\/The Guardian ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/15-decembre-2025.html",
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"title": "15 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-15T08:54:11Z",
"date_modified": "2025-12-15T08:55:29Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "La France ne peut \u00eatre la France sans J\u00e9sus-Christ, dit une femme \u00e0 la caisse du Super U. La caissi\u00e8re ne rel\u00e8ve pas. Elle demande seulement : carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? Le caddie est plein \u00e0 ras bord. Vignettes. R\u00e9ductions. \u00c7a bloque la file.<\/p>\n
Plus loin, devant les primeurs, mon voisin affirme que c\u2019est BlackRock qui pousse aux abattages. Liquider le cheptel, dit-il. Des ann\u00e9es de croisements, de patience, et tout d\u00e9truit en une journ\u00e9e, par d\u00e9cret, pour une maladie. Il para\u00eet qu\u2019ils ont mis le paquet : blind\u00e9s Centaure, h\u00e9licopt\u00e8res, CRS. Tout \u00e7a contre une ferme. Tout \u00e7a pour des vaches. Il conclut : je ne sais pas o\u00f9 l\u2019on va.<\/p>\n
Au rayon boucherie je demande pourquoi la viande hach\u00e9e ne colle pas avec le prix au kilo affich\u00e9. J\u2019en ai pris 300 grammes. Il regarde le ticket, puis moi. Si vous savez lire, c\u2019est par cinq kilos ce prix que vous avez lu. Je ne r\u00e9ponds rien. Je l\u2019ai interrompu, je crois, pendant son caf\u00e9 en r\u00e9serve. Tout \u00e7a pour 300 grammes.<\/p>\n
Apr\u00e8s les caisses, les sapins sont entass\u00e9s avec le charbon de bois, les sacs de granul\u00e9s, les bidons de p\u00e9trole. Cette ann\u00e9e je n\u2019en ach\u00e8terai pas : les petits-enfants ne viennent pas. S. veut quand m\u00eame un sapin pour sa m\u00e8re. Elle me demande de vider la Dacia.<\/p>\n
On sera quinze ou seize \u00e0 No\u00ebl. Foie gras d\u00e9vein\u00e9 : pr\u00e8s de 50 euros le paquet. Je d\u00e9teste le foie gras. Rien que l\u2019id\u00e9e de ces lobes \u00e0 d\u00e9veiner me donne envie de fuir, et pourtant il va en falloir, pour quinze ou seize. Combien de paquets ? Champagne aussi. C\u2019est notre participation. \u00c7a va d\u00e9passer 200 euros, sans compter le sapin. Si S. prend un Nordmann, il faut ajouter 40 ou 50.<\/p>\n
Je me sens d\u00e9j\u00e0 mal : les pi\u00e8ces pleines, la chaleur, la foule, les voix. Et les cadeaux. \u00c0 minuit tout le monde met ses chaussures sous le sapin. Je n\u2019en offre pas, donc je n\u2019attends rien. Recevoir quand on n\u2019a rien donn\u00e9, c\u2019est se retrouver \u00e0 d\u00e9couvert.<\/p>\n
En revenant, le long de la RN7, il ne reste presque plus de feuilles aux arbres. On doit \u00eatre en hiver. Je ne sais jamais quand \u00e7a bascule. Je repense \u00e0 la caisse, \u00e0 la carte de fid\u00e9lit\u00e9, aux vignettes, \u00e0 mon voisin et \u00e0 ses blind\u00e9s imaginaires, au boucher et \u00e0 ses cinq kilos. Tout passe dans la t\u00eate en m\u00eame temps, en paquets, comme les courses sur le tapis roulant.<\/p>\n
Hier on a d\u00e9jeun\u00e9 chez D., \u00e0 V. Pot-au-feu. S. voulait lui acheter des pots en terre. Il les avait sortis dans le jardin. Cette ann\u00e9e, de l\u2019herbe \u00e0 la place des l\u00e9gumes : une pelouse, plus un jardin. Le froid piquait les mains quand on touchait la terre cuite. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur \u00e7a sentait le bouillon.<\/p>\n
J. est arriv\u00e9 en retard. Le dimanche, on n\u2019est pas vraiment en retard. Puis on a parl\u00e9 politique. Mauvaise id\u00e9e. J. a regard\u00e9 S. : tu es pour la paix ? Dans ce cas il faut voter M. S. est devenue furieuse. Elle d\u00e9teste la politique \u00e0 table. Elle n\u2019aime pas M., son c\u00f4t\u00e9 tribun. Elle n\u2019aime pas non plus le gouvernement. Elle dit qu\u2019elle ne sait pas o\u00f9 tout \u00e7a va nous mener.<\/p>\n
Elle voudrait qu\u2019on d\u00e9m\u00e9nage : un appartement \u00e0 V., un ascenseur, une petite terrasse pour la caisse du chat. Moi je parle de la Gr\u00e8ce, de l\u2019Espagne, du soleil. Elle r\u00e9pond : trop loin des enfants, des petits-enfants.<\/p>\n
Par moments je me vois partir seul. Une \u00eele, Andros, ou Kalymnos. Une location pas ch\u00e8re. \u00c9crire autant que je veux. Et surtout : ne plus voir les gens que je connais. Voir des inconnus. Entendre une langue que je ne comprends pas. Une langue qui me fasse revenir \u00e0 la mienne.<\/p>",
"content_text": " La France ne peut \u00eatre la France sans J\u00e9sus-Christ, dit une femme \u00e0 la caisse du Super U. La caissi\u00e8re ne rel\u00e8ve pas. Elle demande seulement : carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? Le caddie est plein \u00e0 ras bord. Vignettes. R\u00e9ductions. \u00c7a bloque la file. Plus loin, devant les primeurs, mon voisin affirme que c\u2019est BlackRock qui pousse aux abattages. Liquider le cheptel, dit-il. Des ann\u00e9es de croisements, de patience, et tout d\u00e9truit en une journ\u00e9e, par d\u00e9cret, pour une maladie. Il para\u00eet qu\u2019ils ont mis le paquet : blind\u00e9s Centaure, h\u00e9licopt\u00e8res, CRS. Tout \u00e7a contre une ferme. Tout \u00e7a pour des vaches. Il conclut : je ne sais pas o\u00f9 l\u2019on va. Au rayon boucherie je demande pourquoi la viande hach\u00e9e ne colle pas avec le prix au kilo affich\u00e9. J\u2019en ai pris 300 grammes. Il regarde le ticket, puis moi. Si vous savez lire, c\u2019est par cinq kilos ce prix que vous avez lu. Je ne r\u00e9ponds rien. Je l\u2019ai interrompu, je crois, pendant son caf\u00e9 en r\u00e9serve. Tout \u00e7a pour 300 grammes. Apr\u00e8s les caisses, les sapins sont entass\u00e9s avec le charbon de bois, les sacs de granul\u00e9s, les bidons de p\u00e9trole. Cette ann\u00e9e je n\u2019en ach\u00e8terai pas : les petits-enfants ne viennent pas. S. veut quand m\u00eame un sapin pour sa m\u00e8re. Elle me demande de vider la Dacia. On sera quinze ou seize \u00e0 No\u00ebl. Foie gras d\u00e9vein\u00e9 : pr\u00e8s de 50 euros le paquet. Je d\u00e9teste le foie gras. Rien que l\u2019id\u00e9e de ces lobes \u00e0 d\u00e9veiner me donne envie de fuir, et pourtant il va en falloir, pour quinze ou seize. Combien de paquets ? Champagne aussi. C\u2019est notre participation. \u00c7a va d\u00e9passer 200 euros, sans compter le sapin. Si S. prend un Nordmann, il faut ajouter 40 ou 50. Je me sens d\u00e9j\u00e0 mal : les pi\u00e8ces pleines, la chaleur, la foule, les voix. Et les cadeaux. \u00c0 minuit tout le monde met ses chaussures sous le sapin. Je n\u2019en offre pas, donc je n\u2019attends rien. Recevoir quand on n\u2019a rien donn\u00e9, c\u2019est se retrouver \u00e0 d\u00e9couvert. En revenant, le long de la RN7, il ne reste presque plus de feuilles aux arbres. On doit \u00eatre en hiver. Je ne sais jamais quand \u00e7a bascule. Je repense \u00e0 la caisse, \u00e0 la carte de fid\u00e9lit\u00e9, aux vignettes, \u00e0 mon voisin et \u00e0 ses blind\u00e9s imaginaires, au boucher et \u00e0 ses cinq kilos. Tout passe dans la t\u00eate en m\u00eame temps, en paquets, comme les courses sur le tapis roulant. Hier on a d\u00e9jeun\u00e9 chez D., \u00e0 V. Pot-au-feu. S. voulait lui acheter des pots en terre. Il les avait sortis dans le jardin. Cette ann\u00e9e, de l\u2019herbe \u00e0 la place des l\u00e9gumes : une pelouse, plus un jardin. Le froid piquait les mains quand on touchait la terre cuite. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur \u00e7a sentait le bouillon. J. est arriv\u00e9 en retard. Le dimanche, on n\u2019est pas vraiment en retard. Puis on a parl\u00e9 politique. Mauvaise id\u00e9e. J. a regard\u00e9 S. : tu es pour la paix ? Dans ce cas il faut voter M. S. est devenue furieuse. Elle d\u00e9teste la politique \u00e0 table. Elle n\u2019aime pas M., son c\u00f4t\u00e9 tribun. Elle n\u2019aime pas non plus le gouvernement. Elle dit qu\u2019elle ne sait pas o\u00f9 tout \u00e7a va nous mener. Elle voudrait qu\u2019on d\u00e9m\u00e9nage : un appartement \u00e0 V., un ascenseur, une petite terrasse pour la caisse du chat. Moi je parle de la Gr\u00e8ce, de l\u2019Espagne, du soleil. Elle r\u00e9pond : trop loin des enfants, des petits-enfants. Par moments je me vois partir seul. Une \u00eele, Andros, ou Kalymnos. Une location pas ch\u00e8re. \u00c9crire autant que je veux. Et surtout : ne plus voir les gens que je connais. Voir des inconnus. Entendre une langue que je ne comprends pas. Une langue qui me fasse revenir \u00e0 la mienne. ",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/14-decembre-2025.html",
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"title": "14 d\u00e9cembre 2025",
"date_published": "2025-12-14T08:08:56Z",
"date_modified": "2025-12-14T08:16:25Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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Depuis une semaine, que s\u2019est-il pass\u00e9 ? D\u00e9j\u00e0, j\u2019ai gagn\u00e9 ma vie. De fa\u00e7on elliptique : pas besoin de s\u2019\u00e9tendre. Sans opinion sur le sujet.<\/p>\n
Puis j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 pr\u00e9parer le vrai boulot : un inventaire de fichiers Markdown \u00e0 importer dans Scribus. Malheureusement, le probl\u00e8me, c\u2019est la conversion des balises MD. Ce que j\u2019esp\u00e9rais, c\u2019est que les styles se cr\u00e9ent automatiquement \u00e0 l\u2019import dans Scribus. Mais m\u00eame en utilisant un script Python, je n\u2019y suis pas parvenu. Les styles se mettent bien \u00e0 jour dans Scribus, mais uniquement dans la fen\u00eatre Propri\u00e9t\u00e9s, pas dans le document.<\/p>\n
Cela signifie que je dois tout reprendre ligne par ligne, \u00e0 la main. Trop fastidieux — ou alors un excellent exercice de relecture. \u00c0 choisir.<\/p>\n
Pour un PDF, un EPUB, la solution est tr\u00e8s facile avec Pandoc. Je peux m\u00eame pr\u00e9voir une couverture, une table des mati\u00e8res, et les placer directement dans les commandes du terminal.<\/p>\n
L\u2019utilisation de Notion s\u2019av\u00e8re int\u00e9ressante, vraiment — peut-\u00eatre encore mieux qu\u2019Obsidian. Le probl\u00e8me, c\u2019est de devoir s\u2019adapter \u00e0 chaque nouvel outil, sans \u00eatre jamais certain que demain un autre remplacera encore celui-ci. On pourrait se dire : stop, ne pas se disperser ; une fois qu\u2019un workflow fonctionne, pourquoi en changer. C\u2019est vrai, on peut se le dire. Mais si on faisait tout ce qu\u2019on dit, le monde ne serait pas ce monde.<\/p>\n
L\u2019avantage, en outre, de pouvoir utiliser selon les besoins plusieurs mod\u00e8les d\u2019IA avec Notion est un vrai plus. En ayant inject\u00e9 ma base d\u2019articles en CSV, je peux demander vraiment tout ce que je veux : proposer une recherche approfondie par plusieurs s\u00e9ries de mots-cl\u00e9s, puis me formater un fichier Markdown ou un docx, et le classer dans une base de donn\u00e9es. Me r\u00e9ordonner le document plusieurs fois tout en changeant la table des mati\u00e8res. ( Bient\u00f4t j’aurais peut-\u00eatre droit \u00e0 un caf\u00e9 et des petits g\u00e2teaux ?) — bref, Le gain de temps est spectaculaire. Ensuite, la question se pose : qui commande, au bout du compte ? Est-ce l\u2019IA qui, au travers des solutions qu\u2019elle me propose, parvient \u00e0 m\u2019influencer dans mes d\u00e9cisions — ou bien est-ce le contraire ? Il me semble que, pour l\u2019instant, je garde encore l\u2019avantage. Je ne sais pas pour combien de temps.<\/p>\n
Hier, j\u2019ai lu un article<\/a> : Une IA con\u00e7oit un ordinateur Linux fonctionnel en une semaine : la r\u00e9volution du hardware. 48 h au lieu de 500 heures de boulot en moyenne : tout \u00e7a donne le vertige.<\/p>\nJ\u2019en reviens \u00e0 la perplexit\u00e9 qui m\u2019a retenu toute cette semaine. Perplexe, mais pas sid\u00e9r\u00e9. Cette perplexit\u00e9 aura \u00e9t\u00e9 un bon moteur d\u2019\u00e9criture. Hier, par exemple, trois r\u00e9cits de fiction sont sortis tout droit d\u2019une mol\u00e9cule fabriqu\u00e9e : perplexit\u00e9 + honte. L\u2019id\u00e9e est de faire de ces assemblages temporaires quelque chose d\u2019actif, qui ne laisse pas dans la sid\u00e9ration. ( \u00e7a pourrait rejoindre l’id\u00e9e de r\u00e9capitulation de Don Juan pour r\u00e9cup\u00e9rer une \u00e9nergie bloqu\u00e9e ) Ce qui me rassure, c\u2019est que, quels que soient les progr\u00e8s, ce que l\u2019on veut vraiment reste tellement subtil, tellement instable, tellement difficile \u00e0 formuler — et nous \u00e9chappe si souvent — qu\u2019aucune machine ne pourra, je crois, produire cette ambigu\u00eft\u00e9 fondamentale de l\u2019esprit humain.<\/p>\n
Autre chose : l\u2019id\u00e9e de communaut\u00e9 m\u2019est tout \u00e0 fait insupportable. Je ne sais absolument plus comment m’y adapter. Hormis mes cours ou stages dans lesquels je crois avoir plac\u00e9 une sorte de pilote automatique. C\u2019est la raison principale pour laquelle je fuis les r\u00e9seaux sociaux. Je peux partager des posts, mais \u00e9changer est au-dessus de mes forces. \u00c7a ne vient pas des gens : les gens sont ce qu\u2019ils sont. \u00c7a vient d\u2019une sid\u00e9ration qui, cette fois, me colle litt\u00e9ralement au sol, sans que je puisse me relever.<\/p>\n