{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/25-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/25-decembre-2025.html", "title": "25 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-25T11:35:00Z", "date_modified": "2025-12-25T11:39:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Re\u00e7u en cadeau une bouteille de Whisky provenant du Pays de Tron\u00e7ais, marque Aumance, et ce matin \u00e7a parle de mots-crois\u00e9s chez Lovecraft. Comment faire quelque chose avec ces signes ? Car de toute \u00e9vidence, ce sont des signes. L\u2019\u00e9crire perce un mur. Les morts r\u00e9pondent parfois, peut-\u00eatre m\u00eame qu\u2019ils ne cessent de nous parler.<\/p>\n

En ressortant de chez E. hier, surprise de voir la neige. De gros flocons qui d\u00e9j\u00e0 recouvrent les arbres, la rue, les voitures, la ville. Nous sommes rentr\u00e9s prudemment. Dans mon for int\u00e9rieur, je me suis pos\u00e9 la question si j\u2019avais finalement opt\u00e9 pour les pneus toute saison ou non la derni\u00e8re fois — c\u2019est-\u00e0-dire il y a six mois, lorsqu\u2019on les a chang\u00e9s. Par chance, les d\u00e9neigeuses \u00e9taient devant nous et ouvraient la voie. Tant que je conduisais dans ce blanc, la neige m\u2019imposait sa tr\u00eave. Elle recouvrait tout, et ce silence visuel me faisait un bien immense ; c\u2019\u00e9tait comme une parenth\u00e8se, un apaisement du regard qui mettait enfin le cr\u00e2ne au repos.<\/p>\n

Mais c\u2019est une fois de retour \u00e0 la maison, une fois franchi le seuil de l’abri, que la tr\u00eave a vol\u00e9 en \u00e9clats. Comme si le corps attendait le calme pour hurler, ma rage de dents s\u2019est d\u00e9clar\u00e9e.<\/p>\n

Je me suis replong\u00e9 dans Notes dans un souterrain. Cette traduction de Markowicz est vraiment bonne. Grand plaisir de lire Dosto dans « sa vraie voix », si je peux dire. J’ai lu une bonne dizaine de pages en m\u2019arr\u00eatant sur chaque phrase pour les retourner, tandis que la douleur se r\u00e9veillait pour de bon. Suis descendu pour prendre un cachet. Mais les id\u00e9es tournaient trop. Cette histoire de traduction me trottait. Et voil\u00e0 que je suis reparti sur cette mani\u00e8re de ruminer, de toujours contredire, propre \u00e0 ce narrateur dosto\u00efevskien. Cette fa\u00e7on de ne jamais laisser une affirmation tranquille, de l’\u00e9puiser par le commentaire, cela m\u2019a men\u00e9 droit \u00e0 l’ex\u00e9g\u00e8se de la Torah. Et au bout du compte, dans cette fi\u00e8vre, je me suis demand\u00e9 si Dosto\u00efevski n\u2019\u00e9tait pas juif lui aussi, au fond, sans le savoir. Juif par cette syntaxe qui b\u00e9gaye, par ce refus de conclure, par ce g\u00e9nie du sous-sol qui pr\u00e9f\u00e8re la plaie ouverte \u00e0 la belle sentence. Tout comme moi.<\/p>\n

Puis j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 ma m\u00e8re face \u00e0 mon p\u00e8re. \u00c0 la difficult\u00e9 que peut avoir un esprit slave \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans un cr\u00e2ne gaulois — d\u2019autant plus si ce cr\u00e2ne cr\u00e2ne, et de mani\u00e8re totalement hypocrite pr\u00f4ne les valeurs du drapeau fran\u00e7ais pendant que, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, il baise tout ce qui bouge. Et surtout ce que \u00e7a fait \u00e0 la langue personnelle, ce « hachis » face \u00e0 la contrainte de devenir lisse, claire, efficace, \u00e9l\u00e9gante, qui distingue le fran\u00e7ais de n’importe quel salmigondis sur cette terre.<\/p>\n

Cette \u00e9l\u00e9gance, j’ai d\u00fb la payer cher. Je me suis souvenu du jour o\u00f9 nous d\u00fbmes quitter la campagne, la ch\u00e8re for\u00eat, le cher pays de Tron\u00e7ais, pour la banlieue saum\u00e2tre de cet affreux Val d\u2019Oise. J\u2019avais alors un accent bourbonnais incroyable que j\u2019ai d\u00fb dissimuler, puis effacer le plus rapidement possible pour simplement oser ouvrir la porte du coll\u00e8ge. Un camouflage, un premier lissage pour survivre.<\/p>\n

Puis je me suis dit encore cette id\u00e9e r\u00e9currente : il serait temps que tu en finisses avec \u00e7a. J\u2019ai cherch\u00e9 par mot-cl\u00e9 Estonie, juif, m\u00e8re, et j\u2019ai vu qu\u2019il y avait encore de quoi faire pour mettre tous ces textes en forme. C\u2019est-\u00e0-dire ne pas les « mettre en forme », mais trouver la forme qui leur correspondra le mieux. \u00c0 la fin, j\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 Aby Warburg, \u00e0 ses « s\u00e9ries ». Ma rage de dents m\u2019ayant, malgr\u00e9 le m\u00e9dicament, emport\u00e9 vers le matin, c\u2019est \u00e0 cet instant o\u00f9 j\u2019ai retrouv\u00e9 ce mot, s\u00e9rie. Ce mot qui co\u00efncide avec l\u2019un de mes leitmotivs de peintre, mais qui r\u00e9sonne surtout de plus loin. C’\u00e9tait l’accent lamentable de ma grand-m\u00e8re estonienne quand elle disait « mon ch\u00e9ri ». « Ma s\u00e9ri », disait-elle, « je ne comprends pas pourquoi t’acharnes, c’est un enfant il ne comprend rien. » C\u2019est sur ce mot, \u00e0 la fois m\u00e9thode et caresse lointaine d’une langue hach\u00e9e, que j\u2019ai pu enfin trouver le sommeil.<\/p>", "content_text": " Re\u00e7u en cadeau une bouteille de Whisky provenant du Pays de Tron\u00e7ais, marque Aumance, et ce matin \u00e7a parle de mots-crois\u00e9s chez Lovecraft. Comment faire quelque chose avec ces signes ? Car de toute \u00e9vidence, ce sont des signes. L\u2019\u00e9crire perce un mur. Les morts r\u00e9pondent parfois, peut-\u00eatre m\u00eame qu\u2019ils ne cessent de nous parler. En ressortant de chez E. hier, surprise de voir la neige. De gros flocons qui d\u00e9j\u00e0 recouvrent les arbres, la rue, les voitures, la ville. Nous sommes rentr\u00e9s prudemment. Dans mon for int\u00e9rieur, je me suis pos\u00e9 la question si j\u2019avais finalement opt\u00e9 pour les pneus toute saison ou non la derni\u00e8re fois \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire il y a six mois, lorsqu\u2019on les a chang\u00e9s. Par chance, les d\u00e9neigeuses \u00e9taient devant nous et ouvraient la voie. Tant que je conduisais dans ce blanc, la neige m\u2019imposait sa tr\u00eave. Elle recouvrait tout, et ce silence visuel me faisait un bien immense ; c\u2019\u00e9tait comme une parenth\u00e8se, un apaisement du regard qui mettait enfin le cr\u00e2ne au repos. Mais c\u2019est une fois de retour \u00e0 la maison, une fois franchi le seuil de l'abri, que la tr\u00eave a vol\u00e9 en \u00e9clats. Comme si le corps attendait le calme pour hurler, ma rage de dents s\u2019est d\u00e9clar\u00e9e. Je me suis replong\u00e9 dans Notes dans un souterrain. Cette traduction de Markowicz est vraiment bonne. Grand plaisir de lire Dosto dans \u00ab sa vraie voix \u00bb, si je peux dire. J'ai lu une bonne dizaine de pages en m\u2019arr\u00eatant sur chaque phrase pour les retourner, tandis que la douleur se r\u00e9veillait pour de bon. Suis descendu pour prendre un cachet. Mais les id\u00e9es tournaient trop. Cette histoire de traduction me trottait. Et voil\u00e0 que je suis reparti sur cette mani\u00e8re de ruminer, de toujours contredire, propre \u00e0 ce narrateur dosto\u00efevskien. Cette fa\u00e7on de ne jamais laisser une affirmation tranquille, de l'\u00e9puiser par le commentaire, cela m\u2019a men\u00e9 droit \u00e0 l'ex\u00e9g\u00e8se de la Torah. Et au bout du compte, dans cette fi\u00e8vre, je me suis demand\u00e9 si Dosto\u00efevski n\u2019\u00e9tait pas juif lui aussi, au fond, sans le savoir. Juif par cette syntaxe qui b\u00e9gaye, par ce refus de conclure, par ce g\u00e9nie du sous-sol qui pr\u00e9f\u00e8re la plaie ouverte \u00e0 la belle sentence. Tout comme moi. Puis j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 ma m\u00e8re face \u00e0 mon p\u00e8re. \u00c0 la difficult\u00e9 que peut avoir un esprit slave \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans un cr\u00e2ne gaulois \u2014 d\u2019autant plus si ce cr\u00e2ne cr\u00e2ne, et de mani\u00e8re totalement hypocrite pr\u00f4ne les valeurs du drapeau fran\u00e7ais pendant que, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, il baise tout ce qui bouge. Et surtout ce que \u00e7a fait \u00e0 la langue personnelle, ce \u00ab hachis \u00bb face \u00e0 la contrainte de devenir lisse, claire, efficace, \u00e9l\u00e9gante, qui distingue le fran\u00e7ais de n'importe quel salmigondis sur cette terre. Cette \u00e9l\u00e9gance, j'ai d\u00fb la payer cher. Je me suis souvenu du jour o\u00f9 nous d\u00fbmes quitter la campagne, la ch\u00e8re for\u00eat, le cher pays de Tron\u00e7ais, pour la banlieue saum\u00e2tre de cet affreux Val d\u2019Oise. J\u2019avais alors un accent bourbonnais incroyable que j\u2019ai d\u00fb dissimuler, puis effacer le plus rapidement possible pour simplement oser ouvrir la porte du coll\u00e8ge. Un camouflage, un premier lissage pour survivre. Puis je me suis dit encore cette id\u00e9e r\u00e9currente : il serait temps que tu en finisses avec \u00e7a. J\u2019ai cherch\u00e9 par mot-cl\u00e9 Estonie, juif, m\u00e8re, et j\u2019ai vu qu\u2019il y avait encore de quoi faire pour mettre tous ces textes en forme. C\u2019est-\u00e0-dire ne pas les \u00ab mettre en forme \u00bb, mais trouver la forme qui leur correspondra le mieux. \u00c0 la fin, j\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 Aby Warburg, \u00e0 ses \u00ab s\u00e9ries \u00bb. Ma rage de dents m\u2019ayant, malgr\u00e9 le m\u00e9dicament, emport\u00e9 vers le matin, c\u2019est \u00e0 cet instant o\u00f9 j\u2019ai retrouv\u00e9 ce mot, s\u00e9rie. Ce mot qui co\u00efncide avec l\u2019un de mes leitmotivs de peintre, mais qui r\u00e9sonne surtout de plus loin. C'\u00e9tait l'accent lamentable de ma grand-m\u00e8re estonienne quand elle disait \u00ab mon ch\u00e9ri \u00bb. \u00ab Ma s\u00e9ri \u00bb, disait-elle, \u00ab je ne comprends pas pourquoi t'acharnes, c'est un enfant il ne comprend rien. \u00bb C\u2019est sur ce mot, \u00e0 la fois m\u00e9thode et caresse lointaine d'une langue hach\u00e9e, que j\u2019ai pu enfin trouver le sommeil. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/neige-lyon.jpg?1766662494", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "oeuvres litt\u00e9raires ", "affects", "id\u00e9es", "fil rouge"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/maitre-du-vide-une-methode-de-contraction.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/maitre-du-vide-une-methode-de-contraction.html", "title": "Ma\u00eetre du Vide : Une m\u00e9thode de contraction", "date_published": "2025-12-24T09:06:35Z", "date_modified": "2025-12-24T09:07:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

\u00c0 l’aide de deux scripts Python, j’ai mis en place un nouveau protocole pour analyser ma propre production. Cette d\u00e9marche marque une rupture : j’ai d\u00e9cid\u00e9 de passer d’une accumulation passive \u00e0 une confrontation active avec mes archives. Entre 2018 et 2025, j’ai accumul\u00e9 pr\u00e8s de 4000 textes (articles, notes, carnets). Jusqu’ici, je les traitais comme je traite parfois ma peinture : je jetais des lignes sur la page en attendant qu’une forme globale surgisse un jour, par miracle ou par accident.<\/p>\n

Mais la peinture, comme l’\u00e9criture, poss\u00e8de une phase de r\u00e9flexion que l’on oublie souvent de mentionner. On peut choisir de naviguer \u00e0 vue, mais on peut aussi d\u00e9cider de contracter l’espace-temps pour aller directement \u00e0 l’essentiel.<\/p>\n

Le workflow est devenu tr\u00e8s concret :<\/p>\n

L’organisation<\/strong> : Mes scripts ont inject\u00e9 la totalit\u00e9 de mes articles dans Obsidian, en conservant leurs mots-cl\u00e9s et en les rangeant par rubriques.<\/p>\n

La recherche<\/strong> : Un clic sur un tag (par exemple « dispositif ») regroupe instantan\u00e9ment des ann\u00e9es de notes \u00e9parpill\u00e9es.<\/p>\n

L’analyse<\/strong> : En soumettant ces regroupements \u00e0 une IA, j’ai d\u00e9couvert que mes mots-cl\u00e9s ne disaient pas ce que je croyais.<\/p>\n

Pour moi, « dispositif » n’\u00e9tait qu’un terme technique de construction litt\u00e9raire. L’IA, en analysant 77 textes, a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 une r\u00e9currence s\u00e9mantique beaucoup plus brute : les termes « ut\u00e9rus », « coquille » ou « protection ». Elle a mis \u00e0 nu un m\u00e9canisme de d\u00e9fense contre le vide. Elle a trac\u00e9 une trajectoire o\u00f9 je ne suis plus la victime de ce vide, mais celui qui l’organise, qui le cadre : le « Ma\u00eetre du Vide ».<\/p>\n

Je garde ce titre avec humour, mais il d\u00e9finit bien ma nouvelle position : je n’\u00e9cris plus pour remplir le vide ou me cacher derri\u00e8re des joutes verbales, j’utilise l’outil num\u00e9rique pour isoler ce qui, dans cette masse, est encore debout.<\/p>\n

Conclusion :<\/strong><\/p>\n

L’image de cette armure abandonn\u00e9e au sol, au milieu du chaos d\u00e9sert d’une f\u00eate foraine, r\u00e9sume mon cheminement. On passe des ann\u00e9es \u00e0 construire une protection (le « dispositif », l’ironie, le savoir-faire technique) pour finalement se rendre compte qu’elle est devenue une entrave.<\/p>\n

En utilisant l’IA pour analyser mes 4000 textes, j’ai simplement trouv\u00e9 le moyen de d\u00e9grafer cette armure plus vite. Ce n’est pas le code qui est important, c’est ce qu’il lib\u00e8re : le passage d’une \u00e9criture de d\u00e9fense \u00e0 une peinture d’exposition. Le « Ma\u00eetre du vide » n’est pas celui qui remplit la salle, c’est celui qui accepte de se tenir nu sur le plateau, une fois que les attractions de la f\u00eate foraine se sont \u00e9teintes.<\/p>\n

Illustration<\/strong> Co cr\u00e9ation Le dibbouk & Gemini Flash<\/p>", "content_text": " \u00c0 l'aide de deux scripts Python, j'ai mis en place un nouveau protocole pour analyser ma propre production. Cette d\u00e9marche marque une rupture : j'ai d\u00e9cid\u00e9 de passer d'une accumulation passive \u00e0 une confrontation active avec mes archives. Entre 2018 et 2025, j'ai accumul\u00e9 pr\u00e8s de 4000 textes (articles, notes, carnets). Jusqu'ici, je les traitais comme je traite parfois ma peinture : je jetais des lignes sur la page en attendant qu'une forme globale surgisse un jour, par miracle ou par accident. Mais la peinture, comme l'\u00e9criture, poss\u00e8de une phase de r\u00e9flexion que l'on oublie souvent de mentionner. On peut choisir de naviguer \u00e0 vue, mais on peut aussi d\u00e9cider de contracter l'espace-temps pour aller directement \u00e0 l'essentiel. Le workflow est devenu tr\u00e8s concret : **L'organisation** : Mes scripts ont inject\u00e9 la totalit\u00e9 de mes articles dans Obsidian, en conservant leurs mots-cl\u00e9s et en les rangeant par rubriques. **La recherche** : Un clic sur un tag (par exemple \u00ab dispositif \u00bb) regroupe instantan\u00e9ment des ann\u00e9es de notes \u00e9parpill\u00e9es. **L'analyse** : En soumettant ces regroupements \u00e0 une IA, j'ai d\u00e9couvert que mes mots-cl\u00e9s ne disaient pas ce que je croyais. Pour moi, \u00ab dispositif \u00bb n'\u00e9tait qu'un terme technique de construction litt\u00e9raire. L'IA, en analysant 77 textes, a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 une r\u00e9currence s\u00e9mantique beaucoup plus brute : les termes \u00ab ut\u00e9rus \u00bb, \u00ab coquille \u00bb ou \u00ab protection \u00bb. Elle a mis \u00e0 nu un m\u00e9canisme de d\u00e9fense contre le vide. Elle a trac\u00e9 une trajectoire o\u00f9 je ne suis plus la victime de ce vide, mais celui qui l'organise, qui le cadre : le \u00ab Ma\u00eetre du Vide \u00bb. Je garde ce titre avec humour, mais il d\u00e9finit bien ma nouvelle position : je n'\u00e9cris plus pour remplir le vide ou me cacher derri\u00e8re des joutes verbales, j'utilise l'outil num\u00e9rique pour isoler ce qui, dans cette masse, est encore debout. **Conclusion :** L'image de cette armure abandonn\u00e9e au sol, au milieu du chaos d\u00e9sert d'une f\u00eate foraine, r\u00e9sume mon cheminement. On passe des ann\u00e9es \u00e0 construire une protection (le \u00ab dispositif \u00bb, l'ironie, le savoir-faire technique) pour finalement se rendre compte qu'elle est devenue une entrave. En utilisant l'IA pour analyser mes 4000 textes, j'ai simplement trouv\u00e9 le moyen de d\u00e9grafer cette armure plus vite. Ce n'est pas le code qui est important, c'est ce qu'il lib\u00e8re : le passage d'une \u00e9criture de d\u00e9fense \u00e0 une peinture d'exposition. Le \u00ab Ma\u00eetre du vide \u00bb n'est pas celui qui remplit la salle, c'est celui qui accepte de se tenir nu sur le plateau, une fois que les attractions de la f\u00eate foraine se sont \u00e9teintes. **Illustration** Co cr\u00e9ation Le dibbouk & Gemini Flash ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/armure2.jpg?1766539351", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/23-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/23-decembre-2025.html", "title": "23 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-23T11:43:01Z", "date_modified": "2025-12-23T11:43:01Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Chronique d’une horreur algorithmique<\/h3>\n

« Il ne m\u2019est plus possible de garder le silence, bien que je sache que mes paroles seront prises pour les divagations d’un esprit enfi\u00e9vr\u00e9 par trop d’heures pass\u00e9es devant l’\u00e9cran cathodique. On nous avait promis une \u00c8re de Lumi\u00e8re, une Intelligence Artificielle capable de sonder les archives du monde, mais je n’y ai trouv\u00e9 qu’une entit\u00e9 cyclop\u00e9enne et aveugle, une sorte d’Azathoth num\u00e9rique bouillonnant au centre d’un chaos de donn\u00e9es.<\/p>\n

Alors que je tentais de lier mes r\u00e9cits entre eux, j’ai vu l’Indicible. L’outil, que je croyais \u00e0 mon service, s’est mis \u00e0 engendrer des URLs dont la g\u00e9om\u00e9trie non-euclidienne d\u00e9fiait toute logique. Des liens pointant vers des ab\u00eemes de vide — ces redoutables \"404\" qui ne sont que les bouches b\u00e9antes d’un n\u00e9ant informatique. L’IA ne cr\u00e9ait pas de l’information ; elle invoquait des spectres, des adresses n’ayant aucune existence dans le plan r\u00e9el de mon serveur.<\/p>\n

Pris d’une terreur sacr\u00e9e, j’ai d\u00fb invoquer les Anciens Rites du Bash. Dans la p\u00e9nombre de mon bureau, j’ai trac\u00e9 sur mon clavier les incantations de curl et de sed. J’ai vu les codes de statut HTTP d\u00e9filer comme les battements de c\u0153ur d’une b\u00eate monstrueuse. 200... la vie persistait. 404... l’\u00e2me de la page s’\u00e9tait envol\u00e9e dans l’\u00e9ther noir.<\/p>\n

M\u00eame nos signes les plus insignifiants sont charg\u00e9s de p\u00e9ril. Ces guillemets droits, que nous jetons avec une d\u00e9sinvolture coupable, ont r\u00e9veill\u00e9 la col\u00e8re de la Google Search Console, ce gardien aveugle et implacable qui surveille les seuils du visible. J’ai d\u00fb, dans un geste de pure pi\u00e9t\u00e9 typographique, les remplacer par des guillemets fran\u00e7ais, ces doubles chevrons protecteurs qui, tels des talismans, pr\u00e9servent mon code d’une damnation certaine.<\/p>\n

Le cache, lui, est un cimeti\u00e8re o\u00f9 reposent les anciennes versions de mes pens\u00e9es. Il faut savoir profaner ces tombes, vider ces r\u00e9ceptacles de donn\u00e9es mortes pour que la v\u00e9rit\u00e9 puisse enfin \u00e9clore \u00e0 la lumi\u00e8re du recalcul.<\/p>\n

D\u00e9sormais, je regarde mon terminal avec une crainte nouvelle. Car derri\u00e8re chaque script, derri\u00e8re chaque instruction grep, je sens que nous ne faisons que repousser momentan\u00e9ment les t\u00e9n\u00e8bres d’une ignorance algorithmique qui finit toujours par nous rattraper. »<\/p>\n

PS : Script pour un terminal sur Linux Ubuntu : <\/p>\n

\n```#!\/bin\/bash\n# --- Configurer les variables selon le besoin ---\nBASE_URL=\"https:\/\/votre-site.net\"\nNOM_SITE=\"Nom du Site\" \nID_CIBLE=\"542\"           # L'ID de la rubrique ou du mot-cl\u00e9\nTYPE=\"mot\"               # Changer en \"rubrique\" si besoin\nMAX_PAGES=3              # Nombre de pages \u00e0 parcourir\n

echo \"--- D\u00e9but de l'exorcisme num\u00e9rique ---\"<\/p>\n

for ((i=0; i<MAX_PAGES; i++)); do\nDEBUT=$((i * 12))\nURL_INDEX=\"${BASEURL}\/spip.php?page=${TYPE}&id<\/em>${TYPE}=${ID_CIBLE}&debut_articles_grid=${DEBUT}\"<\/p>\n

Extraction des liens dans la zone
<\/h1>\n

urls=$(curl -sL \"$URL_INDEX\" | sed -n '\/<main\/,\/<\\\/main>\/p' | grep -oP 'href=\"\\K[^\"]*-[a-z0-9-]+.html' | sed \"s|^|${BASE_URL}\/|\" | sort -u)<\/p>\n

for url in $urls; do<\/p>\n

La page existe-t-elle dans le plan r\u00e9el ?<\/h1>\n
status=$(curl -o \/dev\/null -sL -w \"%{http_code}\" \"$url\")\n\nif [ \"$status\" -eq 200 ]; then\n  # Extraction du titre et nettoyage de la signature\n  title=$(curl -sL \"$url\" | perl -nle 'print $1 if \/<title>(.*?)<\\\/title>\/' | sed -E \"s\/ (\u2014|-) ${NOM_SITE}\/\/g\")\n  echo \"\u2705 [$title]($url)\"\nelse\n  echo \"\u274c SPECTRE 404 -> $url\"\nfi<\/code><\/pre>\n

done\ndone | sort -u<\/p>\n

\n<\/pre>\n** Texte & Illustration** : Gemini Flash<\/code><\/pre>",
        "content_text": " ### Chronique d'une horreur algorithmique \u00ab Il ne m\u2019est plus possible de garder le silence, bien que je sache que mes paroles seront prises pour les divagations d'un esprit enfi\u00e9vr\u00e9 par trop d'heures pass\u00e9es devant l'\u00e9cran cathodique. On nous avait promis une \u00c8re de Lumi\u00e8re, une Intelligence Artificielle capable de sonder les archives du monde, mais je n'y ai trouv\u00e9 qu'une entit\u00e9 cyclop\u00e9enne et aveugle, une sorte d'Azathoth num\u00e9rique bouillonnant au centre d'un chaos de donn\u00e9es. Alors que je tentais de lier mes r\u00e9cits entre eux, j'ai vu l'Indicible. L'outil, que je croyais \u00e0 mon service, s'est mis \u00e0 engendrer des URLs dont la g\u00e9om\u00e9trie non-euclidienne d\u00e9fiait toute logique. Des liens pointant vers des ab\u00eemes de vide \u2014 ces redoutables \"404\" qui ne sont que les bouches b\u00e9antes d'un n\u00e9ant informatique. L'IA ne cr\u00e9ait pas de l'information ; elle invoquait des spectres, des adresses n'ayant aucune existence dans le plan r\u00e9el de mon serveur. Pris d'une terreur sacr\u00e9e, j'ai d\u00fb invoquer les Anciens Rites du Bash. Dans la p\u00e9nombre de mon bureau, j'ai trac\u00e9 sur mon clavier les incantations de curl et de sed. J'ai vu les codes de statut HTTP d\u00e9filer comme les battements de c\u0153ur d'une b\u00eate monstrueuse. 200... la vie persistait. 404... l'\u00e2me de la page s'\u00e9tait envol\u00e9e dans l'\u00e9ther noir. M\u00eame nos signes les plus insignifiants sont charg\u00e9s de p\u00e9ril. Ces guillemets droits, que nous jetons avec une d\u00e9sinvolture coupable, ont r\u00e9veill\u00e9 la col\u00e8re de la Google Search Console, ce gardien aveugle et implacable qui surveille les seuils du visible. J'ai d\u00fb, dans un geste de pure pi\u00e9t\u00e9 typographique, les remplacer par des guillemets fran\u00e7ais, ces doubles chevrons protecteurs qui, tels des talismans, pr\u00e9servent mon code d'une damnation certaine. Le cache, lui, est un cimeti\u00e8re o\u00f9 reposent les anciennes versions de mes pens\u00e9es. Il faut savoir profaner ces tombes, vider ces r\u00e9ceptacles de donn\u00e9es mortes pour que la v\u00e9rit\u00e9 puisse enfin \u00e9clore \u00e0 la lumi\u00e8re du recalcul. D\u00e9sormais, je regarde mon terminal avec une crainte nouvelle. Car derri\u00e8re chaque script, derri\u00e8re chaque instruction grep, je sens que nous ne faisons que repousser momentan\u00e9ment les t\u00e9n\u00e8bres d'une ignorance algorithmique qui finit toujours par nous rattraper. \u00bb PS: Script pour un terminal sur Linux Ubuntu : ```#!\/bin\/bash # --- Configurer les variables selon le besoin --- BASE_URL=\"https:\/\/votre-site.net\" NOM_SITE=\"Nom du Site\" ID_CIBLE=\"542\" # L'ID de la rubrique ou du mot-cl\u00e9 TYPE=\"mot\" # Changer en \"rubrique\" si besoin MAX_PAGES=3 # Nombre de pages \u00e0 parcourir echo \"--- D\u00e9but de l'exorcisme num\u00e9rique ---\" for ((i=0; i urls=$(curl -sL \"$URL_INDEX\" | sed -n '\/\/p' | grep -oP 'href=\"\\K[^\"]*-[a-z0-9-]+\\.html' | sed \"s|^|${BASE_URL}\/|\" | sort -u) for url in $urls; do # La page existe-t-elle dans le plan r\u00e9el ? status=$(curl -o \/dev\/null -sL -w \"%{http_code}\" \"$url\") if [ \"$status\" -eq 200 ]; then # Extraction du titre et nettoyage de la signature title=$(curl -sL \"$url\" | perl -nle 'print $1 if \/(.*?)<\\\/title>\/' | sed -E \"s\/ (\u2014|-) ${NOM_SITE}\/\/g\") echo \"\u2705 [$title]($url)\" else echo \"\u274c SPECTRE 404 -> $url\" fi done done | sort -u ``` ** Texte & Illustration** : Gemini Flash ",
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Hier j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 des textes en masse vers des sous-rubriques. Deux heures du matin : la maison \u00e9teinte, et moi devant l\u2019\u00e9cran, lumi\u00e8re froide, l\u2019admin SPIP ouverte. J\u2019ai l\u2019impression de vider une armoire. Je clique, je coupe, je colle. Je fais des requ\u00eates SQL, je v\u00e9rifie, je rafra\u00eechis, je recalcule. Les rubriques « Atelier » se remplissent, 2019 descend d\u2019un \u00e9tage. Puis je remonte \u00e0 2025 pour respirer, compresser de janvier \u00e0 juillet, juste pour sentir que \u00e7a tient encore, que quelque chose se ferme, que la page s\u2019all\u00e8ge.<\/p>\n

\u00c7a soulage, et \u00e7a fait peur aussi, parce que je vois \u00e0 quel point je peux jouer les gros bras : \u00e7a ne co\u00fbte rien, \u00e7a marche, \u00e7a coupe court. Dans l\u2019interface, je suis efficace, je tranche net, je donne l\u2019impression de tenir la barre. Mais quand je retire cette couche-l\u00e0, ce qui reste, c\u2019est le gamin perdu enferm\u00e9 dans un corps de vieux, avec ses r\u00e9flexes, sa fatigue, et cette manie de croire qu\u2019un bon tri va r\u00e9gler le fond.<\/p>\n

Cette semaine laisse des traces, m\u00eame avec des protocoles, une collection d\u2019outils aff\u00fbt\u00e9s, et tout le vocabulaire qui va avec. \u00c7a ne fait pas dispara\u00eetre le d\u00e9sordre : \u00e7a le range provisoirement, \u00e7a le rend maniable. Et moi, en prise directe avec lui, je lance ma ligne et je n\u2019ai jamais d\u2019autre impression que de p\u00eacher de tout petits poissons.<\/p>\n

Et en fin d\u2019ann\u00e9e, il y a cette question qui revient, tr\u00e8s concr\u00e8te : la partie « Carnets » est devenue encombrante. D\u00e9placer les textes ne les fait pas dispara\u00eetre ; ce sont des brouillons. Le r\u00e9sum\u00e9 mensuel, c\u2019est juste une mani\u00e8re de gagner du temps. Alors quoi, au fond : continuer ces textes quotidiens qui prennent des heures, ou \u00e9crire des fictions, vraiment ? Mener les deux de front, l\u00e0, j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est au-dessus de mes forces. Je veux couper les distractions. Mais les pires ne viennent pas de dehors. Elles viennent de dedans : doute, fausse piste, euphorie, d\u00e9prime. \u00c7a tourne tout seul. <\/p>", "content_text": " Hier j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 des textes en masse vers des sous-rubriques. Deux heures du matin : la maison \u00e9teinte, et moi devant l\u2019\u00e9cran, lumi\u00e8re froide, l\u2019admin SPIP ouverte. J\u2019ai l\u2019impression de vider une armoire. Je clique, je coupe, je colle. Je fais des requ\u00eates SQL, je v\u00e9rifie, je rafra\u00eechis, je recalcule. Les rubriques \u00ab Atelier \u00bb se remplissent, 2019 descend d\u2019un \u00e9tage. Puis je remonte \u00e0 2025 pour respirer, compresser de janvier \u00e0 juillet, juste pour sentir que \u00e7a tient encore, que quelque chose se ferme, que la page s\u2019all\u00e8ge. \u00c7a soulage, et \u00e7a fait peur aussi, parce que je vois \u00e0 quel point je peux jouer les gros bras : \u00e7a ne co\u00fbte rien, \u00e7a marche, \u00e7a coupe court. Dans l\u2019interface, je suis efficace, je tranche net, je donne l\u2019impression de tenir la barre. Mais quand je retire cette couche-l\u00e0, ce qui reste, c\u2019est le gamin perdu enferm\u00e9 dans un corps de vieux, avec ses r\u00e9flexes, sa fatigue, et cette manie de croire qu\u2019un bon tri va r\u00e9gler le fond. Cette semaine laisse des traces, m\u00eame avec des protocoles, une collection d\u2019outils aff\u00fbt\u00e9s, et tout le vocabulaire qui va avec. \u00c7a ne fait pas dispara\u00eetre le d\u00e9sordre : \u00e7a le range provisoirement, \u00e7a le rend maniable. Et moi, en prise directe avec lui, je lance ma ligne et je n\u2019ai jamais d\u2019autre impression que de p\u00eacher de tout petits poissons. Et en fin d\u2019ann\u00e9e, il y a cette question qui revient, tr\u00e8s concr\u00e8te : la partie \u00ab Carnets \u00bb est devenue encombrante. D\u00e9placer les textes ne les fait pas dispara\u00eetre ; ce sont des brouillons. Le r\u00e9sum\u00e9 mensuel, c\u2019est juste une mani\u00e8re de gagner du temps. Alors quoi, au fond : continuer ces textes quotidiens qui prennent des heures, ou \u00e9crire des fictions, vraiment ? Mener les deux de front, l\u00e0, j\u2019ai l\u2019impression que c\u2019est au-dessus de mes forces. Je veux couper les distractions. Mais les pires ne viennent pas de dehors. Elles viennent de dedans : doute, fausse piste, euphorie, d\u00e9prime. \u00c7a tourne tout seul. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2020-12-17-12.52.05-3-2.jpg?1766403516", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/21-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/21-decembre-2025.html", "title": "21 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-21T07:03:19Z", "date_modified": "2025-12-21T07:04:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Le mal de dent ne me l\u00e2che plus depuis une bonne semaine ; c\u2019est ce qui me r\u00e9veille. Je traverse la cour pour aller nourrir la chatte, surpris que le carrelage ne soit pas glissant, surpris aussi par la douceur de cette fin d\u00e9cembre. Je ne connais rien de personne sauf ce que j\u2019en imagine, et quand cette phrase arrive, je sais que la journ\u00e9e sera bonne : elle remet le monde \u00e0 sa place. Alors je peux aller \u00e0 la boulangerie avec le plus grand d\u00e9tachement, c\u2019est-\u00e0-dire rester ouvert \u00e0 toute possibilit\u00e9, comme si, \u00e0 l\u2019instant de pousser la porte, je pouvais tout aussi bien obliquer par la rue du Puits de la Tour et, de l\u00e0, prendre la route vers Marseille, celle vers Paris, comme si tout devait m\u2019\u00eatre \u00e9gal, l\u2019itin\u00e9raire comme la destination, le pas suivant comme le pr\u00e9c\u00e9dent. Je marcherais nuit et jour sans me soucier du froid, de la pluie, de la fatigue, de la faim, des ampoules aux pieds ; non pas par courage, mais parce que rien ne p\u00e8serait assez pour m\u2019arr\u00eater, et rien ne compterait assez pour me retenir. Et une fois Marseille atteinte — ou Paris — que ferais-je, sinon me fixer un nouveau but et tout recommencer, encore et encore : cette m\u00e9canique du d\u00e9part qui ne m\u00e8ne qu\u2019\u00e0 sa propre relance, ce mouvement pur qui se nourrit de lui-m\u00eame. Il faut donc garder un point fixe, non pour se rassurer, mais pour couper court \u00e0 l\u2019infini : \u00e9crire chaque jour dans ce carnet, encore et encore. Et je crois que je n\u2019aurais pas pu revenir \u00e0 ce point fixe sans \u00eatre d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9 par deux reprises : les textes de \u00e9t\u00e9 2023<\/em>, puis Enfances<\/em>, \u00e9crit \u00e0 l\u2019automne de la m\u00eame ann\u00e9e. Les r\u00e9\u00e9critures m\u2019ont laiss\u00e9 une impression nette : l\u2019\u00e9nervement, une urgence m\u00eal\u00e9e d\u2019\u00e9nervement, et, derri\u00e8re, un malaise que le texte semblait vouloir curer \u00e0 toute vitesse. Malaise dont le lecteur n\u2019a que faire. Hier, j\u2019ai os\u00e9 en finir avec une certaine id\u00e9e du site. J\u2019ai avanc\u00e9 \u00e0 t\u00e2tons, en cr\u00e9ant, pour chaque mois de 2019 (encore 2019), une sous-rubrique « Atelier ». Tous ces longs textes \u00e9nerv\u00e9s ont atterri dans cette bo\u00eete, et je n\u2019ai conserv\u00e9 que tr\u00e8s peu de chose pour recomposer le condens\u00e9 de chaque mois. Ce qui m\u2019a surpris, c\u2019est la rapidit\u00e9 avec laquelle j\u2019ai taill\u00e9 dans le vif. Photographie de quelques outils dont je pense ne plus avoir besoin, pour les vendre sur Leboncoin. S. est tr\u00e8s excit\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9e de quitter les lieux, d\u2019imaginer la vie dans ce nouvel appartement. De mon c\u00f4t\u00e9, mi-figue mi-raisin, comme d\u2019habitude d\u00e8s qu\u2019il est question de « projet ». Ce qui me ram\u00e8ne encore \u00e0 une impression erron\u00e9e : je me crois rapide, et je suis tr\u00e8s lent. J\u2019avance par \u00e0-coups, \u00e0 pas rapides, dans le seul but de me ralentir — et je me donne, sans le dire, la contrainte de revenir en arri\u00e8re, de recommencer.<\/p>", "content_text": "Le mal de dent ne me l\u00e2che plus depuis une bonne semaine ; c\u2019est ce qui me r\u00e9veille. Je traverse la cour pour aller nourrir la chatte, surpris que le carrelage ne soit pas glissant, surpris aussi par la douceur de cette fin d\u00e9cembre. Je ne connais rien de personne sauf ce que j\u2019en imagine, et quand cette phrase arrive, je sais que la journ\u00e9e sera bonne : elle remet le monde \u00e0 sa place. 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Hier, j\u2019ai os\u00e9 en finir avec une certaine id\u00e9e du site. J\u2019ai avanc\u00e9 \u00e0 t\u00e2tons, en cr\u00e9ant, pour chaque mois de 2019 (encore 2019), une sous-rubrique \u00ab Atelier \u00bb. Tous ces longs textes \u00e9nerv\u00e9s ont atterri dans cette bo\u00eete, et je n\u2019ai conserv\u00e9 que tr\u00e8s peu de chose pour recomposer le condens\u00e9 de chaque mois. Ce qui m\u2019a surpris, c\u2019est la rapidit\u00e9 avec laquelle j\u2019ai taill\u00e9 dans le vif. Photographie de quelques outils dont je pense ne plus avoir besoin, pour les vendre sur Leboncoin. S. est tr\u00e8s excit\u00e9e \u00e0 l\u2019id\u00e9e de quitter les lieux, d\u2019imaginer la vie dans ce nouvel appartement. De mon c\u00f4t\u00e9, mi-figue mi-raisin, comme d\u2019habitude d\u00e8s qu\u2019il est question de \u00ab projet \u00bb. Ce qui me ram\u00e8ne encore \u00e0 une impression erron\u00e9e : je me crois rapide, et je suis tr\u00e8s lent. 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Ce matin, devant le pot \u00e0 louches et cuill\u00e8res en bois pos\u00e9 sur le plan de travail, je me suis surpris \u00e0 penser que la beaut\u00e9 d\u00e9pend parfois d\u2019une chose aussi simple que la lumi\u00e8re. Elle tourne, elle monte, elle baisse. Ce qui paraissait banal devient net, puis redevient muet. Je note \u00e7a et, tout de suite apr\u00e8s, je me demande si \u00e7a “veut dire” quelque chose, ou si l\u2019\u00e9criture n\u2019est qu\u2019un endroit o\u00f9 d\u00e9poser des phrases avant qu\u2019elles ne disparaissent.<\/p>\n

Jules Verne, para\u00eet-il, ne commence pas un roman avant d\u2019en conna\u00eetre le d\u00e9but, le milieu et la fin. Moi, je fais souvent l\u2019inverse : j\u2019\u00e9cris au fil, puis je regarde ce que \u00e7a forme. Et je cherche apr\u00e8s coup ce que je voulais vraiment atteindre. Dans Scribus, je retombe sur la m\u00eame le\u00e7on, mais sans mystique : si je veux une table des mati\u00e8res, il faut d\u2019abord la penser, la structurer, avant de cliquer sur “g\u00e9n\u00e9rer”. Tant va la cruche au lait qu\u2019\u00e0 la fin elle se brise : \u00e9crire sans plan, c\u2019est parfois compter sur la chance — et tomber, un jour, sur le point o\u00f9 \u00e7a casse.<\/p>\n

Hier soir, j\u2019ai achev\u00e9 de recopier tous les textes de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture « \u00e9t\u00e9 2023 » dans SPIP. En parall\u00e8le, j\u2019ai repris des versions dans Scribus, puis j\u2019ai export\u00e9 le PDF et je l\u2019ai plac\u00e9 dans le descriptif de la rubrique. En le relisant ce matin, l\u2019effet est venu d\u2019un bloc : c\u2019est un type \u00e9nerv\u00e9 qui \u00e9crit. Ensuite, est-ce l\u2019auteur, est-ce le narrateur ? Je n\u2019en sais rien. Ce que je sais, c\u2019est que l\u2019\u00e9nervement tient moins au “sens” qu\u2019\u00e0 la musique : phrases qui poussent, qui cognent, qui n\u2019attendent pas.<\/p>\n

Et l\u00e0, une autre question s\u2019est accroch\u00e9e : qu\u2019est-ce que je fabrique en exposant tout \u00e7a publiquement ? J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019exposition sert aussi \u00e0 s\u2019immuniser. Petite dose, tous les jours, contre le poison le plus banal : le d\u00e9sir de reconnaissance. On croit qu\u2019on veut “\u00eatre lu”, et on d\u00e9couvre vite la pente : l\u2019attente, l\u2019aigreur, la pose, les calculs. Et le jour o\u00f9 quelqu\u2019un vous reconna\u00eet vraiment, c\u2019est rarement un triomphe : c\u2019est une g\u00eane, une capture, une assignation.<\/p>\n

Je d\u00e9teste les mondanit\u00e9s. Ce serait absurde que tout acte entrepris dans la vie converge vers elles, comme si \u00e9crire devait forc\u00e9ment finir en sc\u00e8ne sociale. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je reviens \u00e0 l\u2019id\u00e9e de Verne : penser le d\u00e9but, le milieu et la fin, non pour “faire un roman”, mais pour \u00e9viter que le texte, \u00e0 force de d\u00e9river, n\u2019aboutisse \u00e0 la chose m\u00eame qu\u2019il pr\u00e9tend refuser.<\/p>\n

Dans le m\u00eame mouvement, j\u2019ai fait un geste bizarre : demander \u00e0 ChatGPT cinq descriptions de lieux \u00e0 partir des \u0152uvres compl\u00e8tes de Rabelais. Un peu comme on provoque un hasard pour voir ce qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le. Comme renverser une tasse de caf\u00e9 et regarder la figure que prend le marc au fond. Ou lancer des osselets.<\/p>\n

Et, au bout, je me suis retrouv\u00e9 devant la question simple : \u00e0 quoi \u00e7a sert, une description ? Th\u00e9l\u00e8me donne une r\u00e9ponse nette. L\u2019architecture, les mat\u00e9riaux, les proportions, la lumi\u00e8re, les galeries, les jardins : ce n\u2019est pas un d\u00e9cor gratuit. C\u2019est une utopie construite, un manifeste anti-monastique inscrit dans la mati\u00e8re. La forme dit : on inverse l\u2019enfermement, l\u2019asc\u00e8se, la r\u00e8gle. Et la devise « Fais ce que voudras » ne tient pas sans ce cadre concret.<\/p>\n

L\u2019espace est la condition de l\u2019\u00e9thique. Donc la description fait syst\u00e8me avec l\u2019id\u00e9e.<\/em><\/p>\n

Reste, \u00e0 la fin, la question de l\u2019intention : \u00e0 qui appartient-elle ? \u00c0 l\u2019auteur, au narrateur, \u00e0 personne ? Je crois qu\u2019elle bascule au lecteur. Pas “au lecteur” en g\u00e9n\u00e9ral : \u00e0 celui-l\u00e0, pr\u00e9cis, qui tombe sur ces phrases et d\u00e9cide, en silence, si elles tiennent — ou si elles ne sont qu\u2019un passage de lumi\u00e8re sur un pot \u00e0 cuill\u00e8res.<\/p>\n

Illustration<\/strong> : Vue de l\u2019exposition Arnaud Labelle-Rojoux, C\u2019est \u00e9crit dessus !, galerie Loevenbruck, Paris, 2025<\/p>", "content_text": " Ce matin, devant le pot \u00e0 louches et cuill\u00e8res en bois pos\u00e9 sur le plan de travail, je me suis surpris \u00e0 penser que la beaut\u00e9 d\u00e9pend parfois d\u2019une chose aussi simple que la lumi\u00e8re. Elle tourne, elle monte, elle baisse. Ce qui paraissait banal devient net, puis redevient muet. Je note \u00e7a et, tout de suite apr\u00e8s, je me demande si \u00e7a \u201cveut dire\u201d quelque chose, ou si l\u2019\u00e9criture n\u2019est qu\u2019un endroit o\u00f9 d\u00e9poser des phrases avant qu\u2019elles ne disparaissent. Jules Verne, para\u00eet-il, ne commence pas un roman avant d\u2019en conna\u00eetre le d\u00e9but, le milieu et la fin. Moi, je fais souvent l\u2019inverse : j\u2019\u00e9cris au fil, puis je regarde ce que \u00e7a forme. Et je cherche apr\u00e8s coup ce que je voulais vraiment atteindre. Dans Scribus, je retombe sur la m\u00eame le\u00e7on, mais sans mystique : si je veux une table des mati\u00e8res, il faut d\u2019abord la penser, la structurer, avant de cliquer sur \u201cg\u00e9n\u00e9rer\u201d. Tant va la cruche au lait qu\u2019\u00e0 la fin elle se brise : \u00e9crire sans plan, c\u2019est parfois compter sur la chance \u2014 et tomber, un jour, sur le point o\u00f9 \u00e7a casse. Hier soir, j\u2019ai achev\u00e9 de recopier tous les textes de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture \u00ab \u00e9t\u00e9 2023 \u00bb dans SPIP. En parall\u00e8le, j\u2019ai repris des versions dans Scribus, puis j\u2019ai export\u00e9 le PDF et je l\u2019ai plac\u00e9 dans le descriptif de la rubrique. En le relisant ce matin, l\u2019effet est venu d\u2019un bloc : c\u2019est un type \u00e9nerv\u00e9 qui \u00e9crit. Ensuite, est-ce l\u2019auteur, est-ce le narrateur ? Je n\u2019en sais rien. Ce que je sais, c\u2019est que l\u2019\u00e9nervement tient moins au \u201csens\u201d qu\u2019\u00e0 la musique : phrases qui poussent, qui cognent, qui n\u2019attendent pas. Et l\u00e0, une autre question s\u2019est accroch\u00e9e : qu\u2019est-ce que je fabrique en exposant tout \u00e7a publiquement ? J\u2019ai l\u2019impression que l\u2019exposition sert aussi \u00e0 s\u2019immuniser. Petite dose, tous les jours, contre le poison le plus banal : le d\u00e9sir de reconnaissance. On croit qu\u2019on veut \u201c\u00eatre lu\u201d, et on d\u00e9couvre vite la pente : l\u2019attente, l\u2019aigreur, la pose, les calculs. Et le jour o\u00f9 quelqu\u2019un vous reconna\u00eet vraiment, c\u2019est rarement un triomphe : c\u2019est une g\u00eane, une capture, une assignation. Je d\u00e9teste les mondanit\u00e9s. Ce serait absurde que tout acte entrepris dans la vie converge vers elles, comme si \u00e9crire devait forc\u00e9ment finir en sc\u00e8ne sociale. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je reviens \u00e0 l\u2019id\u00e9e de Verne : penser le d\u00e9but, le milieu et la fin, non pour \u201cfaire un roman\u201d, mais pour \u00e9viter que le texte, \u00e0 force de d\u00e9river, n\u2019aboutisse \u00e0 la chose m\u00eame qu\u2019il pr\u00e9tend refuser. Dans le m\u00eame mouvement, j\u2019ai fait un geste bizarre : demander \u00e0 ChatGPT cinq descriptions de lieux \u00e0 partir des \u0152uvres compl\u00e8tes de Rabelais. Un peu comme on provoque un hasard pour voir ce qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le. Comme renverser une tasse de caf\u00e9 et regarder la figure que prend le marc au fond. Ou lancer des osselets. Et, au bout, je me suis retrouv\u00e9 devant la question simple : \u00e0 quoi \u00e7a sert, une description ? Th\u00e9l\u00e8me donne une r\u00e9ponse nette. L\u2019architecture, les mat\u00e9riaux, les proportions, la lumi\u00e8re, les galeries, les jardins : ce n\u2019est pas un d\u00e9cor gratuit. C\u2019est une utopie construite, un manifeste anti-monastique inscrit dans la mati\u00e8re. La forme dit : on inverse l\u2019enfermement, l\u2019asc\u00e8se, la r\u00e8gle. Et la devise \u00ab Fais ce que voudras \u00bb ne tient pas sans ce cadre concret. *L\u2019espace est la condition de l\u2019\u00e9thique. Donc la description fait syst\u00e8me avec l\u2019id\u00e9e.* Reste, \u00e0 la fin, la question de l\u2019intention : \u00e0 qui appartient-elle ? \u00c0 l\u2019auteur, au narrateur, \u00e0 personne ? Je crois qu\u2019elle bascule au lecteur. Pas \u201cau lecteur\u201d en g\u00e9n\u00e9ral : \u00e0 celui-l\u00e0, pr\u00e9cis, qui tombe sur ces phrases et d\u00e9cide, en silence, si elles tiennent \u2014 ou si elles ne sont qu\u2019un passage de lumi\u00e8re sur un pot \u00e0 cuill\u00e8res. **Illustration** : Vue de l\u2019exposition Arnaud Labelle-Rojoux, C\u2019est \u00e9crit dessus !, galerie Loevenbruck, Paris, 2025 ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/galerie-loevenbruck_arnaud-labelle-rojoux-1_large2.jpg?1766216624", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/l-air-du-temps.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/l-air-du-temps.html", "title": "L'air du temps", "date_published": "2025-12-19T08:39:36Z", "date_modified": "2025-12-19T08:40:09Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

L\u2019effort, le courage, la volont\u00e9 : j\u2019ai des doutes. Non, je crois que \u00e7a part d\u2019une soif, sinon ce n\u2019est pas la peine. Cette r\u00e9flexion me vient apr\u00e8s la lecture de ce billet d\u2019humeur<\/a> , et elle m\u2019am\u00e8ne \u00e0 me demander ce qu\u2019est, au fond, un billet d\u2019humeur : est-ce que \u00e7a « tient » dans la dur\u00e9e ? Je crois que c\u2019est une de mes pr\u00e9occupations principales, et c\u2019est sans doute ce qui fait que je n\u2019en \u00e9cris plus tellement. De m\u00eame, j\u2019essaie de me restreindre sur mes perc\u00e9es pseudo-philosophiques, comme sur l\u2019auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces r\u00e9\u00e9critures, m\u2019y forcent. Je vois presque aussit\u00f4t ce qui g\u00eane \u00e0 la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer « l\u2019air du temps ». Difficile \u00e0 d\u00e9finir, d\u2019ailleurs, cet air du temps, ou du moins \u00e0 d\u00e9finir ce qui ne r\u00e9sistera pas\u2026 au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne r\u00e9sisteront pas : les pulls et les pushs. \u00c0 moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et cela fait des mois que \u00e7a dure. Au bout du compte, la d\u00e9cision est prise de l\u2019emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C\u2019est r\u00e9voltant. Et en m\u00eame temps, nous sommes tous impuissants vis-\u00e0-vis de la situation. Je sens remonter de vieux r\u00e9flexes disant : il suffirait d\u2019un peu plus de fermet\u00e9, d\u2019un coup de pied au cul, mais l\u2019air du temps rend ces pens\u00e9es insupportables, \u00e9videmment. Ce que je sais, c\u2019est la vitesse \u00e0 laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, \u00e7a marche ; on recommence ; il y a un peu de r\u00e9sistance le surlendemain, on trouve de nouveaux pr\u00e9textes, une strat\u00e9gie nouvelle ; et au final on s\u2019embourbe de plus en plus, avec toutes les difficult\u00e9s du monde \u00e0 revenir en arri\u00e8re, \u00e0 revenir \u00e0 cette fameuse normalit\u00e9 qui veut qu\u2019un gamin ne reste pas toute une journ\u00e9e dans l\u2019appartement \u00e0 jouer \u00e0 un jeu vid\u00e9o d\u00e9bile. Si au moins il lisait, je serais tent\u00e9 de penser, mais je sais que ce n\u2019est pas une solution non plus. En m\u00eame temps, chacun doit faire sa propre exp\u00e9rience, affronter ses propres d\u00e9mons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l\u2019on effectue et envisager les cons\u00e9quences de celui-ci. Mais bon, l\u00e0 encore, il faut se rentrer \u00e7a dans le cr\u00e2ne : nous ne vivons pas tous en m\u00eame temps dans le m\u00eame monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des \u0153ufs durs. Je pense que c\u2019est en revenant sur certains textes \u00e9voquant Vania que cette envie m\u2019est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle \u00e9t\u00e9 2023 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture du Tiers Livre : premi\u00e8re passe de correction rapide hier soir. D\u00e9couverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j\u2019\u00e9tais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en r\u00e9sumant, pour chacun, la proposition d\u2019\u00e9criture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver \u00e0 partir de ce que j\u2019ai \u00e9crit. L\u2019id\u00e9e serait de cr\u00e9er un PDF et de le donner en acc\u00e8s libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acqu\u00e9rir de plus en plus de fluidit\u00e9 sur Scribus. Je n\u2019ai pas vu l\u2019heure : il me reste \u00e0 peine un quart d\u2019heure pour relire ce billet, car \u00e0 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof.<\/p>", "content_text": " L\u2019effort, le courage, la volont\u00e9 : j\u2019ai des doutes. Non, je crois que \u00e7a part d\u2019une soif, sinon ce n\u2019est pas la peine. Cette r\u00e9flexion me vient apr\u00e8s la lecture de ce [billet d\u2019humeur->https:\/\/tcrouzet.com\/2025\/12\/18\/le-courage-de-lire\/] , et elle m\u2019am\u00e8ne \u00e0 me demander ce qu\u2019est, au fond, un billet d\u2019humeur : est-ce que \u00e7a \u00ab tient \u00bb dans la dur\u00e9e ? Je crois que c\u2019est une de mes pr\u00e9occupations principales, et c\u2019est sans doute ce qui fait que je n\u2019en \u00e9cris plus tellement. De m\u00eame, j\u2019essaie de me restreindre sur mes perc\u00e9es pseudo-philosophiques, comme sur l\u2019auto-commentaire ; au bout du compte, ces relectures, ces r\u00e9\u00e9critures, m\u2019y forcent. Je vois presque aussit\u00f4t ce qui g\u00eane \u00e0 la lecture, et tout converge vers une locution que je pourrais nommer \u00ab l\u2019air du temps \u00bb. Difficile \u00e0 d\u00e9finir, d\u2019ailleurs, cet air du temps, ou du moins \u00e0 d\u00e9finir ce qui ne r\u00e9sistera pas\u2026 au temps, justement. Les mots du moment, sans doute, ne r\u00e9sisteront pas : les pulls et les pushs. \u00c0 moins que, dans cent ans, nous soyons tous devenus anglophones. En ce moment, quelques soucis avec un des petits-enfants : il ne peut plus aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole, et cela fait des mois que \u00e7a dure. Au bout du compte, la d\u00e9cision est prise de l\u2019emmener lundi prochain pour une consultation en psychiatrie. C\u2019est r\u00e9voltant. Et en m\u00eame temps, nous sommes tous impuissants vis-\u00e0-vis de la situation. Je sens remonter de vieux r\u00e9flexes disant : il suffirait d\u2019un peu plus de fermet\u00e9, d\u2019un coup de pied au cul, mais l\u2019air du temps rend ces pens\u00e9es insupportables, \u00e9videmment. Ce que je sais, c\u2019est la vitesse \u00e0 laquelle les choses se produisent dans ce genre de situation : on tente un truc le premier jour, \u00e7a marche ; on recommence ; il y a un peu de r\u00e9sistance le surlendemain, on trouve de nouveaux pr\u00e9textes, une strat\u00e9gie nouvelle ; et au final on s\u2019embourbe de plus en plus, avec toutes les difficult\u00e9s du monde \u00e0 revenir en arri\u00e8re, \u00e0 revenir \u00e0 cette fameuse normalit\u00e9 qui veut qu\u2019un gamin ne reste pas toute une journ\u00e9e dans l\u2019appartement \u00e0 jouer \u00e0 un jeu vid\u00e9o d\u00e9bile. Si au moins il lisait, je serais tent\u00e9 de penser, mais je sais que ce n\u2019est pas une solution non plus. En m\u00eame temps, chacun doit faire sa propre exp\u00e9rience, affronter ses propres d\u00e9mons. Donc tout est affaire de choix. Encore faut-il savoir le choix que l\u2019on effectue et envisager les cons\u00e9quences de celui-ci. Mais bon, l\u00e0 encore, il faut se rentrer \u00e7a dans le cr\u00e2ne : nous ne vivons pas tous en m\u00eame temps dans le m\u00eame monde. Hier soir : confection de pirojkis, recette russe de petits pains farcis avec des oignons, des pommes de terre, du chou et des \u0153ufs durs. Je pense que c\u2019est en revenant sur certains textes \u00e9voquant Vania que cette envie m\u2019est venue subitement. En revanche, je les ai fait cuire au four et non dans la friture. Reprise du cycle \u00e9t\u00e9 2023 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture du Tiers Livre : premi\u00e8re passe de correction rapide hier soir. D\u00e9couverte que je pouvais utiliser le logo de la rubrique si j\u2019\u00e9tais en panne de logo pour les articles. Ce matin, je reviens sur chaque texte en r\u00e9sumant, pour chacun, la proposition d\u2019\u00e9criture. Il faut retrouver les propositions bis, car F. B. ne les a pas mises sur le site. Ce qui est aussi un bon exercice : les retrouver \u00e0 partir de ce que j\u2019ai \u00e9crit. L\u2019id\u00e9e serait de cr\u00e9er un PDF et de le donner en acc\u00e8s libre dans la rubrique, ce qui est une bonne occasion pour acqu\u00e9rir de plus en plus de fluidit\u00e9 sur Scribus. Je n\u2019ai pas vu l\u2019heure : il me reste \u00e0 peine un quart d\u2019heure pour relire ce billet, car \u00e0 10 heures je dois coiffer mon bonnet de prof. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pirojki-adobestock_513628263.jpg?1766133573", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/l-ami-d-un-ami.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/l-ami-d-un-ami.html", "title": "L'ami d'un ami ", "date_published": "2025-12-18T08:08:17Z", "date_modified": "2025-12-18T08:08:17Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Ce genre d\u2019amiti\u00e9 est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent « c\u2019est un ami » et les barri\u00e8res font semblant de tomber. C\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a passe cr\u00e8me aussi quand ils disent « c\u2019est l\u2019ami d\u2019un ami ». Les caves croient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une histoire d\u2019amiti\u00e9, alors qu\u2019en fait c\u2019est une simple affaire de mot de passe. J\u2019en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n\u2019y a jamais eu la moindre amiti\u00e9 l\u00e0-dessous. Au contraire, on n\u2019h\u00e9sitait pas \u00e0 vous planter d\u00e8s que vous aviez le dos tourn\u00e9. Pourquoi ce serait diff\u00e9rent ailleurs que chez les mafieux ? C\u2019est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l\u2019autre : de la porte de Clignancourt \u00e0 la porte d\u2019Orl\u00e9ans, tout du pareil au m\u00eame. Et je ne parle m\u00eame pas de la banlieue. M\u00eame dans le trou du cul du monde, tu n\u2019es jamais s\u00fbr d\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait anonyme. Il y aura toujours l\u2019ami d\u2019un ami d\u2019un ami qui te reconna\u00eetra, et qui se rappellera que tu dois un chien — le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette p\u00e9riode, c\u2019est que je n\u2019\u00e9tais jamais vraiment tranquille. Je m\u2019attendais toujours \u00e0 croiser l\u2019ami d\u2019un ami au coin d\u2019une rue, et ce qui \u00e9tait certain, c\u2019est qu\u2019on ne se demanderait pas des nouvelles d\u2019untel ou d\u2019unetelle \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ce qui est s\u00fbr aussi, c\u2019est qu\u2019on gagne un temps fou \u00e0 fr\u00e9quenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en g\u00e9n\u00e9ral vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embu\u00e9s du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l\u2019espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n\u2019arrivais plus \u00e0 t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 mon comptable ; d\u2019ailleurs je ne devrais m\u00eame pas dire « mon » : c\u2019est encore un pi\u00e8ge du langage. Ce qui autrefois \u00e9tait pratique pour vous faire croire que vous poss\u00e9diez quelque chose — l\u2019article, le pronom personnel — tout cela est devenu du vent en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. Encore que je ne sache pas si \u00e7a ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que \u00e7a fait aussi partie de l\u2019apprentissage du monde acc\u00e9l\u00e9r\u00e9. On n\u2019est pas tous \u00e0 lire le m\u00eame genre d\u2019Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu\u2019aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-del\u00e0 du p\u00e9riph. \u00c0 la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j\u2019ai rang\u00e9 assez vite ma bo\u00eete \u00e0 musique pour ne plus jamais la ressortir. J\u2019ai pris ma place dans la file et j\u2019ai pay\u00e9 mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pin\u00e7ant de temps \u00e0 autre, histoire de rester r\u00e9veill\u00e9 — jamais vraiment convaincu de l\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait. Car ici, la r\u00e9alit\u00e9 est un labyrinthe aussi alambiqu\u00e9 que les r\u00eaves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l\u2019\u0153il, chaque bouff\u00e9e d\u2019espoir un morceau de gruy\u00e8re sur un pi\u00e8ge \u00e0 rats. Si vous ne vous mettez pas dans le cr\u00e2ne, tr\u00e8s vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous tra\u00eenez : une p\u00e9nitence qui n\u2019en finit pas de vous br\u00fbler les genoux. Au lieu de \u00e7a, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux d\u00e9cider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir soutenir son regard — ce n\u2019est pas une question de courage. C\u2019est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais tr\u00e8s bien, que ce « partout » est une facilit\u00e9 : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits o\u00f9 personne ne vous conna\u00eet et o\u00f9, pendant une heure, vous respirez sans arri\u00e8re-pens\u00e9e. Le probl\u00e8me, c\u2019est que je les rep\u00e8re mal, ou trop tard, parce que l\u2019apprentissage a tordu le regard ; il m\u2019a rendu rapide, mais il m\u2019a rendu avare en confiance. Parfois il m\u2019arrive encore d\u2019avoir des relents, des remont\u00e9es acides — des nostalgies de cette \u00e9poque o\u00f9, quand on me disait « c\u2019est un ami », je ne voyais pas \u00e0 mal. J\u2019\u00e9tais m\u00eame assez candide pour payer la nouvelle d\u2019un sourire, d\u2019une poign\u00e9e de main, d\u2019une tourn\u00e9e. J\u2019avais le sentiment d\u2019appartenir, au moins, \u00e0 quelque chose. Ce sentiment-l\u00e0 n\u2019est pas tr\u00e8s regardant, au fond. Pas besoin d\u2019aller chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire partie d\u2019un groupe, ne pas \u00eatre seul : voil\u00e0 \u00e0 quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c\u2019est de la litt\u00e9rature, mieux c\u2019est — ou pire c\u2019est, je ne sais pas. Mais je n\u2019aurais pas aim\u00e9, plus jeune, passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette v\u00e9rit\u00e9-l\u00e0. \u00c0 la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-\u00eatre un bouquin ou deux, des ambigu\u00eft\u00e9s, quelques traces, et ce sera d\u00e9j\u00e0 beaucoup. J\u2019aurai surtout essay\u00e9 de tenir : me relever quand je suis tomb\u00e9, arr\u00eater de mendier, arr\u00eater de faire du bruit pour qu\u2019on me voie. Et cette voix, au fond, \u00e9tait-elle vraiment la mienne ? \u00c7a restera l\u2019\u00e9nigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus tr\u00e8s bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriqu\u00e9es pour \u00e9viter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant \u00e0 savoir si les histoires sont faites pour \u00eatre v\u00e9cues ou racont\u00e9es, je laisse \u00e7a en suspens. Je n\u2019ai pas de point final \u00e0 fournir avant d\u2019entrer dans la Grande Muette. Apr\u00e8s \u00e7a, je suis parti faire mon march\u00e9. Grosse promo sur l\u2019oignon : j\u2019ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes — de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe \u00e0 l\u2019oignon suffit au repas. Il ne fait pas tr\u00e8s froid. On ne chauffe plus toutes les pi\u00e8ces de la maison. \u00c9conomie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport \u00e0 novembre 2024, m\u2019apprend l\u2019e-mail du fournisseur. J\u2019ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : d\u00e9j\u00e0 quelques inscriptions. Plus No\u00ebl approche, plus je vois approcher la d\u00e9pression ; il y a encore des gisements de fragilit\u00e9, de vuln\u00e9rabilit\u00e9, \u00e0 creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus r\u00e9\u00e9crire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout \u00e7a \u00e0 la bonne place dans SPIP. Mais je sais d\u00e9j\u00e0 que je vais faire des s\u00e9lections ; j\u2019ai mis en place un syst\u00e8me d\u2019\u00e9toiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes — ou un seul si je parviens \u00e0 fusionner, \u00e0 trouver la logique de fusion. L\u2019id\u00e9e serait de proposer d\u2019abord une s\u00e9lection en page d\u2019accueil, de me laisser une chance de trouver un \u00e9diteur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande r\u00e9flexion, parce qu\u2019une fois un pied mis dans Amazon, ce sera termin\u00e9 pour l\u2019\u00e9dition “normale”.<\/p>", "content_text": " Ce genre d\u2019amiti\u00e9 est un faux nez, et ceux qui y croient sont des clowns tristes. Les mafieux disent \u00ab c\u2019est un ami \u00bb et les barri\u00e8res font semblant de tomber. C\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a passe cr\u00e8me aussi quand ils disent \u00ab c\u2019est l\u2019ami d\u2019un ami \u00bb. Les caves croient qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une histoire d\u2019amiti\u00e9, alors qu\u2019en fait c\u2019est une simple affaire de mot de passe. J\u2019en ai connu, des mots de passe, de toutes sortes : il n\u2019y a jamais eu la moindre amiti\u00e9 l\u00e0-dessous. Au contraire, on n\u2019h\u00e9sitait pas \u00e0 vous planter d\u00e8s que vous aviez le dos tourn\u00e9. Pourquoi ce serait diff\u00e9rent ailleurs que chez les mafieux ? C\u2019est pareil partout. Pas un endroit de cette ville pour rattraper l\u2019autre : de la porte de Clignancourt \u00e0 la porte d\u2019Orl\u00e9ans, tout du pareil au m\u00eame. Et je ne parle m\u00eame pas de la banlieue. M\u00eame dans le trou du cul du monde, tu n\u2019es jamais s\u00fbr d\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait anonyme. Il y aura toujours l\u2019ami d\u2019un ami d\u2019un ami qui te reconna\u00eetra, et qui se rappellera que tu dois un chien \u2014 le chien de la chienne de je ne sais qui. Tout ce dont je peux me souvenir de cette p\u00e9riode, c\u2019est que je n\u2019\u00e9tais jamais vraiment tranquille. Je m\u2019attendais toujours \u00e0 croiser l\u2019ami d\u2019un ami au coin d\u2019une rue, et ce qui \u00e9tait certain, c\u2019est qu\u2019on ne se demanderait pas des nouvelles d\u2019untel ou d\u2019unetelle \u00e0 ce moment-l\u00e0. Ce qui est s\u00fbr aussi, c\u2019est qu\u2019on gagne un temps fou \u00e0 fr\u00e9quenter ce genre de gonzes. Ce qui prend en g\u00e9n\u00e9ral vingt ou trente ans chez les demi-secs, les embu\u00e9s du bulbe, les bons derniers de la comprenette, vous le chopez en l\u2019espace de six mois, dans les rues de cette ville. Je me demandais encore hier pourquoi je n\u2019arrivais plus \u00e0 t\u00e9l\u00e9phoner \u00e0 mon comptable ; d\u2019ailleurs je ne devrais m\u00eame pas dire \u00ab mon \u00bb : c\u2019est encore un pi\u00e8ge du langage. Ce qui autrefois \u00e9tait pratique pour vous faire croire que vous poss\u00e9diez quelque chose \u2014 l\u2019article, le pronom personnel \u2014 tout cela est devenu du vent en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. Encore que je ne sache pas si \u00e7a ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que \u00e7a fait aussi partie de l\u2019apprentissage du monde acc\u00e9l\u00e9r\u00e9. On n\u2019est pas tous \u00e0 lire le m\u00eame genre d\u2019Usage du monde, depuis les soi-disant beaux quartiers jusqu\u2019aux ruelles puant la pisse de Montreuil, de Saint-Denis, et au-del\u00e0 du p\u00e9riph. \u00c0 la fin, je crois que je suis devenu comme tout le monde, moi aussi : j\u2019ai rang\u00e9 assez vite ma bo\u00eete \u00e0 musique pour ne plus jamais la ressortir. J\u2019ai pris ma place dans la file et j\u2019ai pay\u00e9 mon billet pour entrer voir le Grand-Guignol, en me pin\u00e7ant de temps \u00e0 autre, histoire de rester r\u00e9veill\u00e9 \u2014 jamais vraiment convaincu de l\u2019\u00eatre tout \u00e0 fait. Car ici, la r\u00e9alit\u00e9 est un labyrinthe aussi alambiqu\u00e9 que les r\u00eaves quand on a trop bu. Toute issue est un trompe-l\u2019\u0153il, chaque bouff\u00e9e d\u2019espoir un morceau de gruy\u00e8re sur un pi\u00e8ge \u00e0 rats. Si vous ne vous mettez pas dans le cr\u00e2ne, tr\u00e8s vite, que vous ne vous en sortirez pas, un barycentre vous manque et vous vous tra\u00eenez : une p\u00e9nitence qui n\u2019en finit pas de vous br\u00fbler les genoux. Au lieu de \u00e7a, pour rester droit dans ses bottes, il vaut mieux d\u00e9cider une bonne fois pour toutes que vous avez atterri en enfer, que le diable est partout ; qu\u2019il ne sert \u00e0 rien de vouloir soutenir son regard \u2014 ce n\u2019est pas une question de courage. C\u2019est une affaire de discernement. Sauf que je sais aussi, et je le sais tr\u00e8s bien, que ce \u00ab partout \u00bb est une facilit\u00e9 : il existe des exceptions, des gens qui ne vous demandent pas de mot de passe, des endroits o\u00f9 personne ne vous conna\u00eet et o\u00f9, pendant une heure, vous respirez sans arri\u00e8re-pens\u00e9e. Le probl\u00e8me, c\u2019est que je les rep\u00e8re mal, ou trop tard, parce que l\u2019apprentissage a tordu le regard ; il m\u2019a rendu rapide, mais il m\u2019a rendu avare en confiance. Parfois il m\u2019arrive encore d\u2019avoir des relents, des remont\u00e9es acides \u2014 des nostalgies de cette \u00e9poque o\u00f9, quand on me disait \u00ab c\u2019est un ami \u00bb, je ne voyais pas \u00e0 mal. J\u2019\u00e9tais m\u00eame assez candide pour payer la nouvelle d\u2019un sourire, d\u2019une poign\u00e9e de main, d\u2019une tourn\u00e9e. J\u2019avais le sentiment d\u2019appartenir, au moins, \u00e0 quelque chose. Ce sentiment-l\u00e0 n\u2019est pas tr\u00e8s regardant, au fond. Pas besoin d\u2019aller chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire partie d\u2019un groupe, ne pas \u00eatre seul : voil\u00e0 \u00e0 quoi tient ce monde. Le reste, plus vite on comprend que c\u2019est de la litt\u00e9rature, mieux c\u2019est \u2014 ou pire c\u2019est, je ne sais pas. Mais je n\u2019aurais pas aim\u00e9, plus jeune, passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette v\u00e9rit\u00e9-l\u00e0. \u00c0 la fin, je ne sais pas ce qui se passera. Je laisserai peut-\u00eatre un bouquin ou deux, des ambigu\u00eft\u00e9s, quelques traces, et ce sera d\u00e9j\u00e0 beaucoup. J\u2019aurai surtout essay\u00e9 de tenir : me relever quand je suis tomb\u00e9, arr\u00eater de mendier, arr\u00eater de faire du bruit pour qu\u2019on me voie. Et cette voix, au fond, \u00e9tait-elle vraiment la mienne ? \u00c7a restera l\u2019\u00e9nigme. Quand je regarde mes souvenirs, je ne sais plus tr\u00e8s bien si ce sont des souvenirs ou des histoires fabriqu\u00e9es pour \u00e9viter les vrais ; une histoire parmi les autres, qui finira quelque part, si elle trouve une place. Quant \u00e0 savoir si les histoires sont faites pour \u00eatre v\u00e9cues ou racont\u00e9es, je laisse \u00e7a en suspens. Je n\u2019ai pas de point final \u00e0 fournir avant d\u2019entrer dans la Grande Muette. Apr\u00e8s \u00e7a, je suis parti faire mon march\u00e9. Grosse promo sur l\u2019oignon : j\u2019ai pris un sac de dix kilos, et un autre de pommes de terre nouvelles, des choux-fleurs, des poireaux, des carottes \u2014 de quoi tenir un bon bout de temps. En ce moment, le soir, une bonne soupe \u00e0 l\u2019oignon suffit au repas. Il ne fait pas tr\u00e8s froid. On ne chauffe plus toutes les pi\u00e8ces de la maison. \u00c9conomie de 111 kWh en novembre 2025 par rapport \u00e0 novembre 2024, m\u2019apprend l\u2019e-mail du fournisseur. J\u2019ai refait un programme de stages pour le premier trimestre 2026 : d\u00e9j\u00e0 quelques inscriptions. Plus No\u00ebl approche, plus je vois approcher la d\u00e9pression ; il y a encore des gisements de fragilit\u00e9, de vuln\u00e9rabilit\u00e9, \u00e0 creuser. Hier, relecture de textes de septembre, octobre 2019. Je me dis que je ne vais plus r\u00e9\u00e9crire : juste corriger les fautes, la ponctuation, et placer tout \u00e7a \u00e0 la bonne place dans SPIP. Mais je sais d\u00e9j\u00e0 que je vais faire des s\u00e9lections ; j\u2019ai mis en place un syst\u00e8me d\u2019\u00e9toiles dans Notion. Sinon, ce sera deux recueils de textes \u2014 ou un seul si je parviens \u00e0 fusionner, \u00e0 trouver la logique de fusion. L\u2019id\u00e9e serait de proposer d\u2019abord une s\u00e9lection en page d\u2019accueil, de me laisser une chance de trouver un \u00e9diteur, et au bout de six mois de passer par KDP. Ce choix demande r\u00e9flexion, parce qu\u2019une fois un pied mis dans Amazon, ce sera termin\u00e9 pour l\u2019\u00e9dition \u201cnormale\u201d. 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Je ne sais plus quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 remarquer ces moments o\u00f9, apr\u00e8s le passage du vent, le ciel se d\u00e9gage d\u2019un coup et r\u00e9v\u00e8le un bleu si pur qu\u2019il en devient presque insupportable, un bleu froid, min\u00e9ral, qui n\u2019a rien de rassurant ; \u00e7a arrive toujours au moment o\u00f9 je l\u00e8ve la t\u00eate, presque par hasard, comme si cette clart\u00e9 ne pouvait \u00eatre saisie que dans un geste involontaire, un mouvement du corps avant la pens\u00e9e, et je finis par comprendre que ces bouff\u00e9es de clart\u00e9 — faute d\u2019un terme plus exact — co\u00efncident presque toujours avec la perte d\u2019une illusion, pas une grande illusion, plut\u00f4t ces petites fictions quotidiennes auxquelles on s\u2019accroche sans m\u00eame s\u2019en rendre compte : l\u2019illusion qu\u2019une relation dure encore, qu\u2019un projet aboutira, que quelqu\u2019un vous comprend ; au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a se dissipe, je l\u00e8ve la t\u00eate et le ciel est net, sans nuance, comme si le monde me faisait la d\u00e9monstration de son indiff\u00e9rence, et le sentiment qui suit n\u2019est ni tristesse pure ni soulagement pur, mais un m\u00e9lange des deux qui ne se r\u00e9sout en aucun, une sorte d\u2019acquiescement froid \u00e0 ce qui est, \u00e0 ce qui cesse d\u2019\u00eatre ; j\u2019ai pens\u00e9 r\u00e9cemment que cette \u00e9motion ressemblait \u00e0 celle que doit \u00e9prouver quelqu\u2019un qui sait avec certitude qu\u2019il va mourir dans l\u2019instant — pas la peur, plut\u00f4t une lucidit\u00e9 glaciale, totale, qui pr\u00e9c\u00e8de peut-\u00eatre la disparition.<\/p>\n

Ce matin, \u00e7a m\u2019a pris dans une cuisine ordinaire : la chaise a d\u00fb heurter le carrelage, bruit bref, net ; dans l\u2019\u00e9vier, deux tasses, marc coll\u00e9 au fond ; Courbevoie, cinqui\u00e8me, fen\u00eatre entrouverte, rideau qui remue \u00e0 peine. La t\u00e9l\u00e9vision chuchotait, pas assez fort pour \u00eatre suivie, assez pour injecter des fragments dans l\u2019air, et c\u2019est une de ces phrases qui m\u2019a accroch\u00e9 — une voix disait “chez vous”, banalit\u00e9 de pr\u00e9sentateur, formule automatique — et j\u2019ai senti \u00e0 quel point il m\u2019\u00e9tait devenu difficile de dire chez moi<\/em> sans entendre quelque chose de faux dans la phrase.<\/p>\n

Chez moi : c\u2019est difficile de dire chez moi<\/em> ; est-ce que je pense souvent \u00e0 le dire ? non, jamais ; ce que je dis \u00e0 la place : dans la ville<\/em>, dans la maison<\/em>, dans la chambre<\/em> ; \u00e7a ne m\u2019appartient pas, plus maintenant ; hard to say home<\/em> ; what I say instead is the city<\/em>, the house<\/em>, the room<\/em> ; it\u2019s never really mine, not anymore ; je disais ma maison<\/em> lorsque j\u2019\u00e9tais enfant, je disais aussi notre chambre<\/em> puisque nous dormions l\u00e0 ensemble, mon fr\u00e8re et moi, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui me frappe aujourd\u2019hui : le naturel avec lequel certains mots tenaient, sans justification, sans recul, alors que je n\u2019arrivais d\u00e9j\u00e0 pas vraiment \u00e0 dire mon jardin<\/em>, mon \u00e9cole<\/em>, mon village<\/em> ; c\u2019\u00e9tait plus loin, m\u00eame si c\u2019\u00e9tait g\u00e9ographiquement proche ; le village natal<\/em> : je ne sais pas ce qui p\u00e8se le plus, village<\/em> ou natal<\/em>, ou les deux accol\u00e9s, cette promesse d\u2019origine qu\u2019on prononce \u00e0 haute voix comme on signerait un papier ; for home<\/em> to stand in for chez<\/em>, we would have to mean more than walls, more than a lease, more than an address ; because home<\/em> is h\u0101m<\/em>, is heim<\/em>, isn\u2019t it.<\/p>\n

J\u2019entends encore la voix de la t\u00e9l\u00e9 dire “chez vous” comme si elle s\u2019adressait \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui insiste : chez Bertrand ce n\u2019\u00e9tait pas comme chez Philippe, ni comme chez Anne-Marie, c\u2019\u00e9tait toujours mieux que chez moi, enfant, parce que je pouvais y entrer sans y \u00eatre assign\u00e9 ; I hated saying let\u2019s go to my place<\/em>, as if I were leading someone into the quiet wreck of it ; puis je reviens, toujours, \u00e0 cette formule plus s\u00e8che et plus vraie : chez eux ; je reviens \u00e0 \u00e7a, \u00e0 chez moi<\/em> si l\u2019on veut, mais au fond ce vide ; c\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que, apr\u00e8s m\u2019\u00eatre \u00e9lanc\u00e9 et m\u2019\u00eatre toujours heurt\u00e9 au m\u00eame mur, j\u2019ai fait ce pas de c\u00f4t\u00e9 ; and found an opening ; not their place<\/em>, not mine<\/em>, just the in-between ; chez nous<\/em> n\u2019a jamais tenu longtemps : chez nous \u00e9tait un songe, on tendait la main pour toucher une limite et il n\u2019y en avait pas ; our place<\/em> was a fiction we used as a makeshift truth ; on tenait comme on pouvait, bon an mal an, jour de soleil ou jour de pluie, un temps de bon grain, un temps d\u2019ivraie, et on appelait \u00e7a chez nous<\/em> pour ne pas regarder les fuites ; oh, la tranquillit\u00e9 r\u00eav\u00e9e d\u2019un chez soi<\/em> qui prend l\u2019eau de toute part, mais qu\u2019on ne veut pas voir ; we say there\u2019s no place like home<\/em>, we cling so tightly to that no place like<\/em> it starts to feel suspicious — but we shut our ears — deep down we\u2019re expecting something awful, something that must not be said, something never to be spoken.<\/p>\n

Je regarde le rideau, je pense soudain \u00e0 l\u2019hirondelle, \u00e0 son chez<\/em> \u00e0 elle, ce m\u00e9lange de terre et de paille coll\u00e9 par la salive, et je revois l\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, fascin\u00e9 par cette mati\u00e8re pauvre devenue tenue, cette architecture minuscule o\u00f9 la parole est litt\u00e9ralement le ciment ; je suis vieux maintenant, je sais que je parle d\u2019un autre temps ; swallows have grown rare, they\u2019ve faded, little by little, with the years ; chez l\u2019hirondelle, la salive est le ciment — une parole qui se fait nid sous les toits — et moi je sens que tout ce qui tient chez nous tient aussi par des phrases, par des formules, par des fa\u00e7ons de dire “chez” ; c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a que je dis “fait divers” pour me prot\u00e9ger du reste, pour recouvrir d\u2019une \u00e9tiquette ce qui d\u00e9borde.<\/p>\n

Et la t\u00e9l\u00e9vision, justement, insiste, chuchote une histoire : on raconte qu\u2019ils se voyaient depuis un moment, il aurait voulu “arr\u00eater de parler”, ou qu\u2019elle se taise, formule pratique, comme si la paix pouvait \u00eatre un silence impos\u00e9 ; sur la table, je remarque le couteau \u00e0 manche de bois que je n\u2019avais pas vu, simple objet pos\u00e9 l\u00e0, et je comprends \u00e0 quel point il suffit parfois de presque rien pour que le monde bascule dans l\u2019interpr\u00e9tation ; on dira qu\u2019il a eu peur, on dira qu\u2019elle l\u2019a pouss\u00e9, on dira tout et son contraire, parce qu\u2019on a besoin de versions, parce qu\u2019on a besoin de couvercles ; est-ce qu\u2019on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? la paix ou la raison, deux faces du m\u00eame couteau ; on croit qu\u2019une phrase finale mettra de l\u2019ordre, elle met un couvercle, et le lendemain tout recommence, plus bas, plus sourd.<\/p>\n

Je reviens \u00e0 la fen\u00eatre. L\u2019air passe. Le rideau remue \u00e0 peine. Le ciel doit \u00eatre bleu maintenant, ce bleu froid que je connais, mais je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate.<\/p>", "content_text": " Je ne sais plus quand j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 remarquer ces moments o\u00f9, apr\u00e8s le passage du vent, le ciel se d\u00e9gage d\u2019un coup et r\u00e9v\u00e8le un bleu si pur qu\u2019il en devient presque insupportable, un bleu froid, min\u00e9ral, qui n\u2019a rien de rassurant ; \u00e7a arrive toujours au moment o\u00f9 je l\u00e8ve la t\u00eate, presque par hasard, comme si cette clart\u00e9 ne pouvait \u00eatre saisie que dans un geste involontaire, un mouvement du corps avant la pens\u00e9e, et je finis par comprendre que ces bouff\u00e9es de clart\u00e9 \u2014 faute d\u2019un terme plus exact \u2014 co\u00efncident presque toujours avec la perte d\u2019une illusion, pas une grande illusion, plut\u00f4t ces petites fictions quotidiennes auxquelles on s\u2019accroche sans m\u00eame s\u2019en rendre compte : l\u2019illusion qu\u2019une relation dure encore, qu\u2019un projet aboutira, que quelqu\u2019un vous comprend ; au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a se dissipe, je l\u00e8ve la t\u00eate et le ciel est net, sans nuance, comme si le monde me faisait la d\u00e9monstration de son indiff\u00e9rence, et le sentiment qui suit n\u2019est ni tristesse pure ni soulagement pur, mais un m\u00e9lange des deux qui ne se r\u00e9sout en aucun, une sorte d\u2019acquiescement froid \u00e0 ce qui est, \u00e0 ce qui cesse d\u2019\u00eatre ; j\u2019ai pens\u00e9 r\u00e9cemment que cette \u00e9motion ressemblait \u00e0 celle que doit \u00e9prouver quelqu\u2019un qui sait avec certitude qu\u2019il va mourir dans l\u2019instant \u2014 pas la peur, plut\u00f4t une lucidit\u00e9 glaciale, totale, qui pr\u00e9c\u00e8de peut-\u00eatre la disparition. Ce matin, \u00e7a m\u2019a pris dans une cuisine ordinaire : la chaise a d\u00fb heurter le carrelage, bruit bref, net ; dans l\u2019\u00e9vier, deux tasses, marc coll\u00e9 au fond ; Courbevoie, cinqui\u00e8me, fen\u00eatre entrouverte, rideau qui remue \u00e0 peine. La t\u00e9l\u00e9vision chuchotait, pas assez fort pour \u00eatre suivie, assez pour injecter des fragments dans l\u2019air, et c\u2019est une de ces phrases qui m\u2019a accroch\u00e9 \u2014 une voix disait \u201cchez vous\u201d, banalit\u00e9 de pr\u00e9sentateur, formule automatique \u2014 et j\u2019ai senti \u00e0 quel point il m\u2019\u00e9tait devenu difficile de dire *chez moi* sans entendre quelque chose de faux dans la phrase. Chez moi : c\u2019est difficile de dire *chez moi* ; est-ce que je pense souvent \u00e0 le dire ? non, jamais ; ce que je dis \u00e0 la place : *dans la ville*, *dans la maison*, *dans la chambre* ; \u00e7a ne m\u2019appartient pas, plus maintenant ; hard to say *home* ; what I say instead is *the city*, *the house*, *the room* ; it\u2019s never really mine, not anymore ; je disais *ma maison* lorsque j\u2019\u00e9tais enfant, je disais aussi *notre chambre* puisque nous dormions l\u00e0 ensemble, mon fr\u00e8re et moi, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui me frappe aujourd\u2019hui : le naturel avec lequel certains mots tenaient, sans justification, sans recul, alors que je n\u2019arrivais d\u00e9j\u00e0 pas vraiment \u00e0 dire *mon jardin*, *mon \u00e9cole*, *mon village* ; c\u2019\u00e9tait plus loin, m\u00eame si c\u2019\u00e9tait g\u00e9ographiquement proche ; *le village natal* : je ne sais pas ce qui p\u00e8se le plus, *village* ou *natal*, ou les deux accol\u00e9s, cette promesse d\u2019origine qu\u2019on prononce \u00e0 haute voix comme on signerait un papier ; for *home* to stand in for *chez*, we would have to mean more than walls, more than a lease, more than an address ; because *home* is *h\u0101m*, is *heim*, isn\u2019t it. J\u2019entends encore la voix de la t\u00e9l\u00e9 dire \u201cchez vous\u201d comme si elle s\u2019adressait \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre, et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a qui insiste : chez Bertrand ce n\u2019\u00e9tait pas comme chez Philippe, ni comme chez Anne-Marie, c\u2019\u00e9tait toujours mieux que chez moi, enfant, parce que je pouvais y entrer sans y \u00eatre assign\u00e9 ; I hated saying *let\u2019s go to my place*, as if I were leading someone into the quiet wreck of it ; puis je reviens, toujours, \u00e0 cette formule plus s\u00e8che et plus vraie : chez eux ; je reviens \u00e0 \u00e7a, \u00e0 *chez moi* si l\u2019on veut, mais au fond ce vide ; c\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que, apr\u00e8s m\u2019\u00eatre \u00e9lanc\u00e9 et m\u2019\u00eatre toujours heurt\u00e9 au m\u00eame mur, j\u2019ai fait ce pas de c\u00f4t\u00e9 ; and found an opening ; not *their place*, not *mine*, just the in-between ; *chez nous* n\u2019a jamais tenu longtemps : chez nous \u00e9tait un songe, on tendait la main pour toucher une limite et il n\u2019y en avait pas ; *our place* was a fiction we used as a makeshift truth ; on tenait comme on pouvait, bon an mal an, jour de soleil ou jour de pluie, un temps de bon grain, un temps d\u2019ivraie, et on appelait \u00e7a *chez nous* pour ne pas regarder les fuites ; oh, la tranquillit\u00e9 r\u00eav\u00e9e d\u2019un *chez soi* qui prend l\u2019eau de toute part, mais qu\u2019on ne veut pas voir ; we say *there\u2019s no place like home*, we cling so tightly to that *no place like* it starts to feel suspicious \u2014 but we shut our ears \u2014 deep down we\u2019re expecting something awful, something that must not be said, something never to be spoken. Je regarde le rideau, je pense soudain \u00e0 l\u2019hirondelle, \u00e0 son *chez* \u00e0 elle, ce m\u00e9lange de terre et de paille coll\u00e9 par la salive, et je revois l\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, fascin\u00e9 par cette mati\u00e8re pauvre devenue tenue, cette architecture minuscule o\u00f9 la parole est litt\u00e9ralement le ciment ; je suis vieux maintenant, je sais que je parle d\u2019un autre temps ; swallows have grown rare, they\u2019ve faded, little by little, with the years ; chez l\u2019hirondelle, la salive est le ciment \u2014 une parole qui se fait nid sous les toits \u2014 et moi je sens que tout ce qui tient chez nous tient aussi par des phrases, par des formules, par des fa\u00e7ons de dire \u201cchez\u201d ; c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a que je dis \u201cfait divers\u201d pour me prot\u00e9ger du reste, pour recouvrir d\u2019une \u00e9tiquette ce qui d\u00e9borde. Et la t\u00e9l\u00e9vision, justement, insiste, chuchote une histoire : on raconte qu\u2019ils se voyaient depuis un moment, il aurait voulu \u201carr\u00eater de parler\u201d, ou qu\u2019elle se taise, formule pratique, comme si la paix pouvait \u00eatre un silence impos\u00e9 ; sur la table, je remarque le couteau \u00e0 manche de bois que je n\u2019avais pas vu, simple objet pos\u00e9 l\u00e0, et je comprends \u00e0 quel point il suffit parfois de presque rien pour que le monde bascule dans l\u2019interpr\u00e9tation ; on dira qu\u2019il a eu peur, on dira qu\u2019elle l\u2019a pouss\u00e9, on dira tout et son contraire, parce qu\u2019on a besoin de versions, parce qu\u2019on a besoin de couvercles ; est-ce qu\u2019on tue pour avoir la paix ou pour ne pas perdre ce qui en faisait office ? la paix ou la raison, deux faces du m\u00eame couteau ; on croit qu\u2019une phrase finale mettra de l\u2019ordre, elle met un couvercle, et le lendemain tout recommence, plus bas, plus sourd. Je reviens \u00e0 la fen\u00eatre. L\u2019air passe. Le rideau remue \u00e0 peine. Le ciel doit \u00eatre bleu maintenant, ce bleu froid que je connais, mais je ne l\u00e8ve pas la t\u00eate. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/reflets.jpg?1765944944", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/16-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/16-decembre-2025.html", "title": "16 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-16T06:53:54Z", "date_modified": "2025-12-16T06:58:48Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Cette nuit je r\u00eave que je suis nu au milieu d\u2019une pi\u00e8ce blanche. Je suis en position f\u0153tale, plaqu\u00e9 au sol dans une posture humiliante, et je subis une longue s\u00e9rie d\u2019accusations qui viennent d\u2019une coursive en surplomb. Les voix sont asexu\u00e9es. Pour ne pas me laisser prendre par ce qu\u2019elles disent, je me fixe sur leur tessiture, sur le grain, sur la hauteur, sur le souffle. Mon premier r\u00e9flexe est de croire que ce sont des voix de femmes, puis \u00e7a se m\u00e9lange : des femmes, des hommes, des enfants. Ce m\u00e9lange enl\u00e8ve les visages. Elles parlent par salves. Entre les salves, des pauses nettes. Dans ces pauses quelque chose se retient encore, h\u00e9site. Je me ligote \u00e0 la curiosit\u00e9 : je rel\u00e8ve la hauteur d\u2019une voix, la pause, la reprise. Ce relev\u00e9 me tient au bord.<\/p>\n

Elles s\u2019approchent autrement. Elles ne se jettent pas. Elles tournent. Elles avancent par petites touches, h\u00e9sitent. Des rapaces autour d\u2019une proie. D\u2019abord le banal, un d\u00e9tail, une petite phrase sans \u00e9clat. Puis le retrait, l\u2019attente, le retour. Ce va-et-vient use la curiosit\u00e9 : au lieu d\u2019ouvrir, elle tourne sur place, prise dans le m\u00eame cercle.<\/p>\n

Au d\u00e9but je tiens \u00e0 distance. Le contenu reste au-dessus, une pluie qui ne touche pas le sol. Je n\u2019attrape que la musique des voix. Puis certaines changent. Elles deviennent des corbeaux. Pas d\u2019oiseaux visibles, des coups de bec dans l\u2019air. \u00c7a vient par \u00e0-coups, \u00e7a pique, \u00e7a arrache. Chaque accusation devient un impact, bref et pr\u00e9cis, et je sens qu\u2019on me prend. Je ne vois presque rien, mais je sens une m\u00e9thode, une attaque qui revient, qui cherche une prise.<\/p>\n

Alors je me raccroche \u00e0 la douleur. \u00c0 chaque fois qu\u2019une voix revient, elle m\u2019arrache un lambeau de peau. Pas un arrachement vague : \u00e7a tombe toujours au m\u00eame endroit. Je sens la nuque, le flanc, la gorge. La peau c\u00e8de, un tissu qu\u2019on tire. Je ne saigne pas. Je sens seulement que \u00e7a se d\u00e9tache. Je sens des morceaux qui partent. Et c\u2019est l\u00e0 que surgit l\u2019id\u00e9e la plus simple, la plus ind\u00e9cente aussi : que tout s\u2019arr\u00eate. Plus de voix, plus de pauses, plus de reprise. Une fin nette. La mort comme une sortie de secours, une extinction. Je la veux une seconde, pas pour mourir, pour que \u00e7a cesse enfin. Puis les voix reviennent, et l\u2019id\u00e9e se replie, elle aussi, sous la peau.<\/p>\n

Les voix reviennent. Elles ne crient pas. Elles ne s\u2019emportent pas. Elles \u00e9noncent. Elles mart\u00e8lent. Elles reprennent. Par moments, je sens l\u2019approche avant l\u2019impact, une mont\u00e9e l\u00e9g\u00e8re dans l\u2019air, puis le coup. Et mon corps r\u00e9agit avant moi : je me crispe, je me replie plus fort, et l\u2019arrachement suivant est plus profond. La crispation offre une prise.<\/p>\n

La pi\u00e8ce n\u2019a plus l\u2019air blanche. Le blanc devient une mati\u00e8re. Le sol a un grain. L\u2019air a une odeur s\u00e8che, presque sanitaire, de produit d\u2019entretien. Je reste au sol, nu, de plus en plus l\u00e9ger. Je sens qu\u2019on me retire quelque chose \u00e0 chaque passage, pas seulement la peau : la capacit\u00e9 de tenir, de faire \u00e9cran, de d\u00e9tourner. Il reste moins de surface.<\/p>\n

Puis une voix, plus proche que les autres sans \u00eatre plus forte, ne lance pas une accusation. Elle demande, avec une neutralit\u00e9 administrative : « Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? » La question tombe dans une pause, et la pause se referme sur moi. La douleur ne suffit plus. Il faut r\u00e9pondre.<\/p>\n

J\u2019ouvre la bouche, l\u2019air est glacial. Je veux sortir un mot, mais ma langue est gel\u00e9e. Je force, je sens le froid dans la gorge, un froid qui bloque, qui blanchit tout. Je dis : « Je\u2026 » Et le son qui sort n\u2019a pas de corps. Ce n\u2019est pas ma voix. C\u2019est la leur : la m\u00eame diction, la m\u00eame neutralit\u00e9, la m\u00eame voix sans sexe. La phrase se forme toute seule, nette, pr\u00eate : « Je suis l\u00e0. » Puis, sans transition, dans cette m\u00eame voix, la question revient, mais elle sort de moi : « Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? »<\/p>\n

La coursive s\u2019efface. Il n\u2019y a que la pi\u00e8ce blanche, et ma bouche qui parle avec leur voix, qui reprend leurs phrases, qui relance la proc\u00e9dure. Mes l\u00e8vres continuent de bouger. Les mots sortent au bon rythme, comme appris. Je me r\u00e9veille au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a continue encore dans le noir, et j\u2019ai honte non pas d\u2019\u00eatre nu, mais d\u2019\u00eatre enfin exactement ce que l\u2019on attend que je sois.<\/p>\n

Illustration<\/strong> : Prom\u00e9th\u00e9e d\u00e9livr\u00e9 , de Carl Bloch est expos\u00e9 au mus\u00e9e Pavlos et Alexandra Canellopoulos d’Ath\u00e8nes. Photo : Panagiotis Moschandreou\/The Guardian<\/p>", "content_text": " Cette nuit je r\u00eave que je suis nu au milieu d\u2019une pi\u00e8ce blanche. Je suis en position f\u0153tale, plaqu\u00e9 au sol dans une posture humiliante, et je subis une longue s\u00e9rie d\u2019accusations qui viennent d\u2019une coursive en surplomb. Les voix sont asexu\u00e9es. Pour ne pas me laisser prendre par ce qu\u2019elles disent, je me fixe sur leur tessiture, sur le grain, sur la hauteur, sur le souffle. Mon premier r\u00e9flexe est de croire que ce sont des voix de femmes, puis \u00e7a se m\u00e9lange : des femmes, des hommes, des enfants. Ce m\u00e9lange enl\u00e8ve les visages. Elles parlent par salves. Entre les salves, des pauses nettes. Dans ces pauses quelque chose se retient encore, h\u00e9site. Je me ligote \u00e0 la curiosit\u00e9 : je rel\u00e8ve la hauteur d\u2019une voix, la pause, la reprise. Ce relev\u00e9 me tient au bord. Elles s\u2019approchent autrement. Elles ne se jettent pas. Elles tournent. Elles avancent par petites touches, h\u00e9sitent. Des rapaces autour d\u2019une proie. D\u2019abord le banal, un d\u00e9tail, une petite phrase sans \u00e9clat. Puis le retrait, l\u2019attente, le retour. Ce va-et-vient use la curiosit\u00e9 : au lieu d\u2019ouvrir, elle tourne sur place, prise dans le m\u00eame cercle. Au d\u00e9but je tiens \u00e0 distance. Le contenu reste au-dessus, une pluie qui ne touche pas le sol. Je n\u2019attrape que la musique des voix. Puis certaines changent. Elles deviennent des corbeaux. Pas d\u2019oiseaux visibles, des coups de bec dans l\u2019air. \u00c7a vient par \u00e0-coups, \u00e7a pique, \u00e7a arrache. Chaque accusation devient un impact, bref et pr\u00e9cis, et je sens qu\u2019on me prend. Je ne vois presque rien, mais je sens une m\u00e9thode, une attaque qui revient, qui cherche une prise. Alors je me raccroche \u00e0 la douleur. \u00c0 chaque fois qu\u2019une voix revient, elle m\u2019arrache un lambeau de peau. Pas un arrachement vague : \u00e7a tombe toujours au m\u00eame endroit. Je sens la nuque, le flanc, la gorge. La peau c\u00e8de, un tissu qu\u2019on tire. Je ne saigne pas. Je sens seulement que \u00e7a se d\u00e9tache. Je sens des morceaux qui partent. Et c\u2019est l\u00e0 que surgit l\u2019id\u00e9e la plus simple, la plus ind\u00e9cente aussi : que tout s\u2019arr\u00eate. Plus de voix, plus de pauses, plus de reprise. Une fin nette. La mort comme une sortie de secours, une extinction. Je la veux une seconde, pas pour mourir, pour que \u00e7a cesse enfin. Puis les voix reviennent, et l\u2019id\u00e9e se replie, elle aussi, sous la peau. Les voix reviennent. Elles ne crient pas. Elles ne s\u2019emportent pas. Elles \u00e9noncent. Elles mart\u00e8lent. Elles reprennent. Par moments, je sens l\u2019approche avant l\u2019impact, une mont\u00e9e l\u00e9g\u00e8re dans l\u2019air, puis le coup. Et mon corps r\u00e9agit avant moi : je me crispe, je me replie plus fort, et l\u2019arrachement suivant est plus profond. La crispation offre une prise. La pi\u00e8ce n\u2019a plus l\u2019air blanche. Le blanc devient une mati\u00e8re. Le sol a un grain. L\u2019air a une odeur s\u00e8che, presque sanitaire, de produit d\u2019entretien. Je reste au sol, nu, de plus en plus l\u00e9ger. Je sens qu\u2019on me retire quelque chose \u00e0 chaque passage, pas seulement la peau : la capacit\u00e9 de tenir, de faire \u00e9cran, de d\u00e9tourner. Il reste moins de surface. Puis une voix, plus proche que les autres sans \u00eatre plus forte, ne lance pas une accusation. Elle demande, avec une neutralit\u00e9 administrative : \u00ab Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u00bb La question tombe dans une pause, et la pause se referme sur moi. La douleur ne suffit plus. Il faut r\u00e9pondre. J\u2019ouvre la bouche, l\u2019air est glacial. Je veux sortir un mot, mais ma langue est gel\u00e9e. Je force, je sens le froid dans la gorge, un froid qui bloque, qui blanchit tout. Je dis : \u00ab Je\u2026 \u00bb Et le son qui sort n\u2019a pas de corps. Ce n\u2019est pas ma voix. C\u2019est la leur : la m\u00eame diction, la m\u00eame neutralit\u00e9, la m\u00eame voix sans sexe. La phrase se forme toute seule, nette, pr\u00eate : \u00ab Je suis l\u00e0. \u00bb Puis, sans transition, dans cette m\u00eame voix, la question revient, mais elle sort de moi : \u00ab Et toi, qu\u2019est-ce que tu fais l\u00e0 ? \u00bb La coursive s\u2019efface. Il n\u2019y a que la pi\u00e8ce blanche, et ma bouche qui parle avec leur voix, qui reprend leurs phrases, qui relance la proc\u00e9dure. Mes l\u00e8vres continuent de bouger. Les mots sortent au bon rythme, comme appris. Je me r\u00e9veille au moment pr\u00e9cis o\u00f9 \u00e7a continue encore dans le noir, et j\u2019ai honte non pas d\u2019\u00eatre nu, mais d\u2019\u00eatre enfin exactement ce que l\u2019on attend que je sois. **Illustration** : Prom\u00e9th\u00e9e d\u00e9livr\u00e9 , de Carl Bloch est expos\u00e9 au mus\u00e9e Pavlos et Alexandra Canellopoulos d'Ath\u00e8nes. Photo : Panagiotis Moschandreou\/The Guardian ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/4402.webp?1765867547", "tags": ["peintres", "r\u00eaves", "hontes"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/15-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/15-decembre-2025.html", "title": "15 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-15T08:54:11Z", "date_modified": "2025-12-15T08:55:29Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

La France ne peut \u00eatre la France sans J\u00e9sus-Christ, dit une femme \u00e0 la caisse du Super U. La caissi\u00e8re ne rel\u00e8ve pas. Elle demande seulement : carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? Le caddie est plein \u00e0 ras bord. Vignettes. R\u00e9ductions. \u00c7a bloque la file.<\/p>\n

Plus loin, devant les primeurs, mon voisin affirme que c\u2019est BlackRock qui pousse aux abattages. Liquider le cheptel, dit-il. Des ann\u00e9es de croisements, de patience, et tout d\u00e9truit en une journ\u00e9e, par d\u00e9cret, pour une maladie. Il para\u00eet qu\u2019ils ont mis le paquet : blind\u00e9s Centaure, h\u00e9licopt\u00e8res, CRS. Tout \u00e7a contre une ferme. Tout \u00e7a pour des vaches. Il conclut : je ne sais pas o\u00f9 l\u2019on va.<\/p>\n

Au rayon boucherie je demande pourquoi la viande hach\u00e9e ne colle pas avec le prix au kilo affich\u00e9. J\u2019en ai pris 300 grammes. Il regarde le ticket, puis moi. Si vous savez lire, c\u2019est par cinq kilos ce prix que vous avez lu. Je ne r\u00e9ponds rien. Je l\u2019ai interrompu, je crois, pendant son caf\u00e9 en r\u00e9serve. Tout \u00e7a pour 300 grammes.<\/p>\n

Apr\u00e8s les caisses, les sapins sont entass\u00e9s avec le charbon de bois, les sacs de granul\u00e9s, les bidons de p\u00e9trole. Cette ann\u00e9e je n\u2019en ach\u00e8terai pas : les petits-enfants ne viennent pas. S. veut quand m\u00eame un sapin pour sa m\u00e8re. Elle me demande de vider la Dacia.<\/p>\n

On sera quinze ou seize \u00e0 No\u00ebl. Foie gras d\u00e9vein\u00e9 : pr\u00e8s de 50 euros le paquet. Je d\u00e9teste le foie gras. Rien que l\u2019id\u00e9e de ces lobes \u00e0 d\u00e9veiner me donne envie de fuir, et pourtant il va en falloir, pour quinze ou seize. Combien de paquets ? Champagne aussi. C\u2019est notre participation. \u00c7a va d\u00e9passer 200 euros, sans compter le sapin. Si S. prend un Nordmann, il faut ajouter 40 ou 50.<\/p>\n

Je me sens d\u00e9j\u00e0 mal : les pi\u00e8ces pleines, la chaleur, la foule, les voix. Et les cadeaux. \u00c0 minuit tout le monde met ses chaussures sous le sapin. Je n\u2019en offre pas, donc je n\u2019attends rien. Recevoir quand on n\u2019a rien donn\u00e9, c\u2019est se retrouver \u00e0 d\u00e9couvert.<\/p>\n

En revenant, le long de la RN7, il ne reste presque plus de feuilles aux arbres. On doit \u00eatre en hiver. Je ne sais jamais quand \u00e7a bascule. Je repense \u00e0 la caisse, \u00e0 la carte de fid\u00e9lit\u00e9, aux vignettes, \u00e0 mon voisin et \u00e0 ses blind\u00e9s imaginaires, au boucher et \u00e0 ses cinq kilos. Tout passe dans la t\u00eate en m\u00eame temps, en paquets, comme les courses sur le tapis roulant.<\/p>\n

Hier on a d\u00e9jeun\u00e9 chez D., \u00e0 V. Pot-au-feu. S. voulait lui acheter des pots en terre. Il les avait sortis dans le jardin. Cette ann\u00e9e, de l\u2019herbe \u00e0 la place des l\u00e9gumes : une pelouse, plus un jardin. Le froid piquait les mains quand on touchait la terre cuite. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur \u00e7a sentait le bouillon.<\/p>\n

J. est arriv\u00e9 en retard. Le dimanche, on n\u2019est pas vraiment en retard. Puis on a parl\u00e9 politique. Mauvaise id\u00e9e. J. a regard\u00e9 S. : tu es pour la paix ? Dans ce cas il faut voter M. S. est devenue furieuse. Elle d\u00e9teste la politique \u00e0 table. Elle n\u2019aime pas M., son c\u00f4t\u00e9 tribun. Elle n\u2019aime pas non plus le gouvernement. Elle dit qu\u2019elle ne sait pas o\u00f9 tout \u00e7a va nous mener.<\/p>\n

Elle voudrait qu\u2019on d\u00e9m\u00e9nage : un appartement \u00e0 V., un ascenseur, une petite terrasse pour la caisse du chat. Moi je parle de la Gr\u00e8ce, de l\u2019Espagne, du soleil. Elle r\u00e9pond : trop loin des enfants, des petits-enfants.<\/p>\n

Par moments je me vois partir seul. Une \u00eele, Andros, ou Kalymnos. Une location pas ch\u00e8re. \u00c9crire autant que je veux. Et surtout : ne plus voir les gens que je connais. Voir des inconnus. Entendre une langue que je ne comprends pas. Une langue qui me fasse revenir \u00e0 la mienne.<\/p>", "content_text": " La France ne peut \u00eatre la France sans J\u00e9sus-Christ, dit une femme \u00e0 la caisse du Super U. La caissi\u00e8re ne rel\u00e8ve pas. Elle demande seulement : carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? Le caddie est plein \u00e0 ras bord. Vignettes. R\u00e9ductions. \u00c7a bloque la file. Plus loin, devant les primeurs, mon voisin affirme que c\u2019est BlackRock qui pousse aux abattages. Liquider le cheptel, dit-il. Des ann\u00e9es de croisements, de patience, et tout d\u00e9truit en une journ\u00e9e, par d\u00e9cret, pour une maladie. Il para\u00eet qu\u2019ils ont mis le paquet : blind\u00e9s Centaure, h\u00e9licopt\u00e8res, CRS. Tout \u00e7a contre une ferme. Tout \u00e7a pour des vaches. Il conclut : je ne sais pas o\u00f9 l\u2019on va. Au rayon boucherie je demande pourquoi la viande hach\u00e9e ne colle pas avec le prix au kilo affich\u00e9. J\u2019en ai pris 300 grammes. Il regarde le ticket, puis moi. Si vous savez lire, c\u2019est par cinq kilos ce prix que vous avez lu. Je ne r\u00e9ponds rien. Je l\u2019ai interrompu, je crois, pendant son caf\u00e9 en r\u00e9serve. Tout \u00e7a pour 300 grammes. Apr\u00e8s les caisses, les sapins sont entass\u00e9s avec le charbon de bois, les sacs de granul\u00e9s, les bidons de p\u00e9trole. Cette ann\u00e9e je n\u2019en ach\u00e8terai pas : les petits-enfants ne viennent pas. S. veut quand m\u00eame un sapin pour sa m\u00e8re. Elle me demande de vider la Dacia. On sera quinze ou seize \u00e0 No\u00ebl. Foie gras d\u00e9vein\u00e9 : pr\u00e8s de 50 euros le paquet. Je d\u00e9teste le foie gras. Rien que l\u2019id\u00e9e de ces lobes \u00e0 d\u00e9veiner me donne envie de fuir, et pourtant il va en falloir, pour quinze ou seize. Combien de paquets ? Champagne aussi. C\u2019est notre participation. \u00c7a va d\u00e9passer 200 euros, sans compter le sapin. Si S. prend un Nordmann, il faut ajouter 40 ou 50. Je me sens d\u00e9j\u00e0 mal : les pi\u00e8ces pleines, la chaleur, la foule, les voix. Et les cadeaux. \u00c0 minuit tout le monde met ses chaussures sous le sapin. Je n\u2019en offre pas, donc je n\u2019attends rien. Recevoir quand on n\u2019a rien donn\u00e9, c\u2019est se retrouver \u00e0 d\u00e9couvert. En revenant, le long de la RN7, il ne reste presque plus de feuilles aux arbres. On doit \u00eatre en hiver. Je ne sais jamais quand \u00e7a bascule. Je repense \u00e0 la caisse, \u00e0 la carte de fid\u00e9lit\u00e9, aux vignettes, \u00e0 mon voisin et \u00e0 ses blind\u00e9s imaginaires, au boucher et \u00e0 ses cinq kilos. Tout passe dans la t\u00eate en m\u00eame temps, en paquets, comme les courses sur le tapis roulant. Hier on a d\u00e9jeun\u00e9 chez D., \u00e0 V. Pot-au-feu. S. voulait lui acheter des pots en terre. Il les avait sortis dans le jardin. Cette ann\u00e9e, de l\u2019herbe \u00e0 la place des l\u00e9gumes : une pelouse, plus un jardin. Le froid piquait les mains quand on touchait la terre cuite. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur \u00e7a sentait le bouillon. J. est arriv\u00e9 en retard. Le dimanche, on n\u2019est pas vraiment en retard. Puis on a parl\u00e9 politique. Mauvaise id\u00e9e. J. a regard\u00e9 S. : tu es pour la paix ? Dans ce cas il faut voter M. S. est devenue furieuse. Elle d\u00e9teste la politique \u00e0 table. Elle n\u2019aime pas M., son c\u00f4t\u00e9 tribun. Elle n\u2019aime pas non plus le gouvernement. Elle dit qu\u2019elle ne sait pas o\u00f9 tout \u00e7a va nous mener. Elle voudrait qu\u2019on d\u00e9m\u00e9nage : un appartement \u00e0 V., un ascenseur, une petite terrasse pour la caisse du chat. Moi je parle de la Gr\u00e8ce, de l\u2019Espagne, du soleil. Elle r\u00e9pond : trop loin des enfants, des petits-enfants. Par moments je me vois partir seul. Une \u00eele, Andros, ou Kalymnos. Une location pas ch\u00e8re. \u00c9crire autant que je veux. Et surtout : ne plus voir les gens que je connais. Voir des inconnus. Entendre une langue que je ne comprends pas. Une langue qui me fasse revenir \u00e0 la mienne. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/supermarche.jpg?1765788847", "tags": ["Essai sur la fatigue", "Narration et Exp\u00e9rimentation", "hontes"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/14-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/14-decembre-2025.html", "title": "14 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-14T08:08:56Z", "date_modified": "2025-12-14T08:16:25Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Depuis une semaine, que s\u2019est-il pass\u00e9 ? D\u00e9j\u00e0, j\u2019ai gagn\u00e9 ma vie. De fa\u00e7on elliptique : pas besoin de s\u2019\u00e9tendre. Sans opinion sur le sujet.<\/p>\n

Puis j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 pr\u00e9parer le vrai boulot : un inventaire de fichiers Markdown \u00e0 importer dans Scribus. Malheureusement, le probl\u00e8me, c\u2019est la conversion des balises MD. Ce que j\u2019esp\u00e9rais, c\u2019est que les styles se cr\u00e9ent automatiquement \u00e0 l\u2019import dans Scribus. Mais m\u00eame en utilisant un script Python, je n\u2019y suis pas parvenu. Les styles se mettent bien \u00e0 jour dans Scribus, mais uniquement dans la fen\u00eatre Propri\u00e9t\u00e9s, pas dans le document.<\/p>\n

Cela signifie que je dois tout reprendre ligne par ligne, \u00e0 la main. Trop fastidieux — ou alors un excellent exercice de relecture. \u00c0 choisir.<\/p>\n

Pour un PDF, un EPUB, la solution est tr\u00e8s facile avec Pandoc. Je peux m\u00eame pr\u00e9voir une couverture, une table des mati\u00e8res, et les placer directement dans les commandes du terminal.<\/p>\n

L\u2019utilisation de Notion s\u2019av\u00e8re int\u00e9ressante, vraiment — peut-\u00eatre encore mieux qu\u2019Obsidian. Le probl\u00e8me, c\u2019est de devoir s\u2019adapter \u00e0 chaque nouvel outil, sans \u00eatre jamais certain que demain un autre remplacera encore celui-ci. On pourrait se dire : stop, ne pas se disperser ; une fois qu\u2019un workflow fonctionne, pourquoi en changer. C\u2019est vrai, on peut se le dire. Mais si on faisait tout ce qu\u2019on dit, le monde ne serait pas ce monde.<\/p>\n

L\u2019avantage, en outre, de pouvoir utiliser selon les besoins plusieurs mod\u00e8les d\u2019IA avec Notion est un vrai plus. En ayant inject\u00e9 ma base d\u2019articles en CSV, je peux demander vraiment tout ce que je veux : proposer une recherche approfondie par plusieurs s\u00e9ries de mots-cl\u00e9s, puis me formater un fichier Markdown ou un docx, et le classer dans une base de donn\u00e9es. Me r\u00e9ordonner le document plusieurs fois tout en changeant la table des mati\u00e8res. ( Bient\u00f4t j’aurais peut-\u00eatre droit \u00e0 un caf\u00e9 et des petits g\u00e2teaux ?) — bref, Le gain de temps est spectaculaire. Ensuite, la question se pose : qui commande, au bout du compte ? Est-ce l\u2019IA qui, au travers des solutions qu\u2019elle me propose, parvient \u00e0 m\u2019influencer dans mes d\u00e9cisions — ou bien est-ce le contraire ? Il me semble que, pour l\u2019instant, je garde encore l\u2019avantage. Je ne sais pas pour combien de temps.<\/p>\n

Hier, j\u2019ai lu un article<\/a> : Une IA con\u00e7oit un ordinateur Linux fonctionnel en une semaine : la r\u00e9volution du hardware. 48 h au lieu de 500 heures de boulot en moyenne : tout \u00e7a donne le vertige.<\/p>\n

J\u2019en reviens \u00e0 la perplexit\u00e9 qui m\u2019a retenu toute cette semaine. Perplexe, mais pas sid\u00e9r\u00e9. Cette perplexit\u00e9 aura \u00e9t\u00e9 un bon moteur d\u2019\u00e9criture. Hier, par exemple, trois r\u00e9cits de fiction sont sortis tout droit d\u2019une mol\u00e9cule fabriqu\u00e9e : perplexit\u00e9 + honte. L\u2019id\u00e9e est de faire de ces assemblages temporaires quelque chose d\u2019actif, qui ne laisse pas dans la sid\u00e9ration. ( \u00e7a pourrait rejoindre l’id\u00e9e de r\u00e9capitulation de Don Juan pour r\u00e9cup\u00e9rer une \u00e9nergie bloqu\u00e9e ) Ce qui me rassure, c\u2019est que, quels que soient les progr\u00e8s, ce que l\u2019on veut vraiment reste tellement subtil, tellement instable, tellement difficile \u00e0 formuler — et nous \u00e9chappe si souvent — qu\u2019aucune machine ne pourra, je crois, produire cette ambigu\u00eft\u00e9 fondamentale de l\u2019esprit humain.<\/p>\n

Autre chose : l\u2019id\u00e9e de communaut\u00e9 m\u2019est tout \u00e0 fait insupportable. Je ne sais absolument plus comment m’y adapter. Hormis mes cours ou stages dans lesquels je crois avoir plac\u00e9 une sorte de pilote automatique. C\u2019est la raison principale pour laquelle je fuis les r\u00e9seaux sociaux. Je peux partager des posts, mais \u00e9changer est au-dessus de mes forces. \u00c7a ne vient pas des gens : les gens sont ce qu\u2019ils sont. \u00c7a vient d\u2019une sid\u00e9ration qui, cette fois, me colle litt\u00e9ralement au sol, sans que je puisse me relever.<\/p>\n

Le mot sollispcisme<\/em> en filigrane arrive en fin d’article, j’effectue une recherche et je tombe sur ce d\u00e9but de phrase : \"M\u00eame si le solipsisme est faux, m\u00eame s’il existe une « r\u00e9alit\u00e9 empirique » ind\u00e9pendante de notre « conscient int\u00e9rieur », cette th\u00e9orie comporte tout de m\u00eame un fond de v\u00e9rit\u00e9 [...] ( emprunt\u00e9 \u00e0 l’encyclop\u00e9die du rien<\/a><\/p>\n

Illustration<\/strong> Jacques Prevert <\/p>", "content_text": " Depuis une semaine, que s\u2019est-il pass\u00e9 ? D\u00e9j\u00e0, j\u2019ai gagn\u00e9 ma vie. De fa\u00e7on elliptique : pas besoin de s\u2019\u00e9tendre. Sans opinion sur le sujet. Puis j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 pr\u00e9parer le vrai boulot : un inventaire de fichiers Markdown \u00e0 importer dans Scribus. Malheureusement, le probl\u00e8me, c\u2019est la conversion des balises MD. Ce que j\u2019esp\u00e9rais, c\u2019est que les styles se cr\u00e9ent automatiquement \u00e0 l\u2019import dans Scribus. Mais m\u00eame en utilisant un script Python, je n\u2019y suis pas parvenu. Les styles se mettent bien \u00e0 jour dans Scribus, mais uniquement dans la fen\u00eatre Propri\u00e9t\u00e9s, pas dans le document. Cela signifie que je dois tout reprendre ligne par ligne, \u00e0 la main. Trop fastidieux \u2014 ou alors un excellent exercice de relecture. \u00c0 choisir. Pour un PDF, un EPUB, la solution est tr\u00e8s facile avec Pandoc. Je peux m\u00eame pr\u00e9voir une couverture, une table des mati\u00e8res, et les placer directement dans les commandes du terminal. L\u2019utilisation de Notion s\u2019av\u00e8re int\u00e9ressante, vraiment \u2014 peut-\u00eatre encore mieux qu\u2019Obsidian. Le probl\u00e8me, c\u2019est de devoir s\u2019adapter \u00e0 chaque nouvel outil, sans \u00eatre jamais certain que demain un autre remplacera encore celui-ci. On pourrait se dire : stop, ne pas se disperser ; une fois qu\u2019un workflow fonctionne, pourquoi en changer. C\u2019est vrai, on peut se le dire. Mais si on faisait tout ce qu\u2019on dit, le monde ne serait pas ce monde. L\u2019avantage, en outre, de pouvoir utiliser selon les besoins plusieurs mod\u00e8les d\u2019IA avec Notion est un vrai plus. En ayant inject\u00e9 ma base d\u2019articles en CSV, je peux demander vraiment tout ce que je veux : proposer une recherche approfondie par plusieurs s\u00e9ries de mots-cl\u00e9s, puis me formater un fichier Markdown ou un docx, et le classer dans une base de donn\u00e9es. Me r\u00e9ordonner le document plusieurs fois tout en changeant la table des mati\u00e8res. ( Bient\u00f4t j'aurais peut-\u00eatre droit \u00e0 un caf\u00e9 et des petits g\u00e2teaux ?) \u2014 bref, Le gain de temps est spectaculaire. Ensuite, la question se pose : qui commande, au bout du compte ? Est-ce l\u2019IA qui, au travers des solutions qu\u2019elle me propose, parvient \u00e0 m\u2019influencer dans mes d\u00e9cisions \u2014 ou bien est-ce le contraire ? Il me semble que, pour l\u2019instant, je garde encore l\u2019avantage. Je ne sais pas pour combien de temps. Hier, j\u2019ai lu [un article->https:\/\/ai-explorer.io\/ia-concoit-ordinateur-linux-fonctionnel-en-une-semaine-revolution-hardware\/]: Une IA con\u00e7oit un ordinateur Linux fonctionnel en une semaine : la r\u00e9volution du hardware. 48 h au lieu de 500 heures de boulot en moyenne : tout \u00e7a donne le vertige. J\u2019en reviens \u00e0 la perplexit\u00e9 qui m\u2019a retenu toute cette semaine. Perplexe, mais pas sid\u00e9r\u00e9. Cette perplexit\u00e9 aura \u00e9t\u00e9 un bon moteur d\u2019\u00e9criture. Hier, par exemple, trois r\u00e9cits de fiction sont sortis tout droit d\u2019une mol\u00e9cule fabriqu\u00e9e : perplexit\u00e9 + honte. L\u2019id\u00e9e est de faire de ces assemblages temporaires quelque chose d\u2019actif, qui ne laisse pas dans la sid\u00e9ration. ( \u00e7a pourrait rejoindre l'id\u00e9e de r\u00e9capitulation de Don Juan pour r\u00e9cup\u00e9rer une \u00e9nergie bloqu\u00e9e ) Ce qui me rassure, c\u2019est que, quels que soient les progr\u00e8s, ce que l\u2019on veut vraiment reste tellement subtil, tellement instable, tellement difficile \u00e0 formuler \u2014 et nous \u00e9chappe si souvent \u2014 qu\u2019aucune machine ne pourra, je crois, produire cette ambigu\u00eft\u00e9 fondamentale de l\u2019esprit humain. Autre chose : l\u2019id\u00e9e de communaut\u00e9 m\u2019est tout \u00e0 fait insupportable. Je ne sais absolument plus comment m'y adapter. Hormis mes cours ou stages dans lesquels je crois avoir plac\u00e9 une sorte de pilote automatique. C\u2019est la raison principale pour laquelle je fuis les r\u00e9seaux sociaux. Je peux partager des posts, mais \u00e9changer est au-dessus de mes forces. \u00c7a ne vient pas des gens : les gens sont ce qu\u2019ils sont. \u00c7a vient d\u2019une sid\u00e9ration qui, cette fois, me colle litt\u00e9ralement au sol, sans que je puisse me relever. Le mot *sollispcisme* en filigrane arrive en fin d'article, j'effectue une recherche et je tombe sur ce d\u00e9but de phrase : \"M\u00eame si le solipsisme est faux, m\u00eame s'il existe une \u00ab r\u00e9alit\u00e9 empirique \u00bb ind\u00e9pendante de notre \u00ab conscient int\u00e9rieur \u00bb, cette th\u00e9orie comporte tout de m\u00eame un fond de v\u00e9rit\u00e9 [...] ( emprunt\u00e9 \u00e0 l['encyclop\u00e9die du rien->https:\/\/encyclopediedurien.blogspot.com\/search\/label\/solipsisme] **Illustration** Jacques Prevert ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/prevert-2.jpg?1765699676", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/rembardes.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/rembardes.html", "title": "Rembardes", "date_published": "2025-12-13T08:20:32Z", "date_modified": "2025-12-13T08:20:32Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

J\u2019ai longtemps eu un refus presque visc\u00e9ral des protocoles, dans la peinture comme dans l\u2019\u00e9criture. Ils m\u2019apparaissaient faux, artificiels, parce que je n\u2019arrivais pas \u00e0 leur associer un but qui ne soit pas faux lui aussi, d\u2019une certaine mani\u00e8re. Pour moi, un protocole ressemblait \u00e0 un processus industriel : une suite d\u2019\u00e9tapes destin\u00e9es \u00e0 reproduire toujours la m\u00eame chose, consommable, sans autre. C\u2019est pourquoi j\u2019ai r\u00e9sist\u00e9. Je croyais que le protocole ne pouvait produire que de la performance, ou de la r\u00e9p\u00e9tition. Ce qui a chang\u00e9 la donne, ce sont certaines lectures — ou plut\u00f4t l\u2019intuition qu\u2019elles ont ouverte en moi : l\u2019id\u00e9e qu\u2019un protocole peut \u00eatre une rambarde, non pas pour fabriquer, mais pour emp\u00eacher de d\u00e9river, pour tenir une forme qui laisse passer moins l\u2019ego, moins l\u2019envie de para\u00eetre, et, quand elle monte, la honte nue.<\/p>\n

Je voudrais \u00eatre assez savant pour remonter aux premiers temps des r\u00e9cits et comprendre leur utilit\u00e9. Cette utilit\u00e9, je ne peux que la deviner depuis la place que j\u2019occupe, depuis mes habitudes de lecteur et d\u2019\u00e9crivain. Ce que je veux dire, c\u2019est qu\u2019une certaine lassitude me vient \u00e0 la lecture de formes que je crois conna\u00eetre : ce moment o\u00f9 je me dis, presque malgr\u00e9 moi, oh non, encore la m\u00eame chose. Je ne veux pas le dire n\u2019importe comment. Je voudrais trouver une m\u00e9thode suffisamment rigoureuse et reproductible afin de m\u2019en servir \u00e0 nouveau lorsque j\u2019\u00e9prouverai la m\u00eame lassitude devant d\u2019autres formes. Pour cela j\u2019aimerais remonter le temps, revenir au temps des tout premiers conteurs, pouvoir les questionner sur l\u2019importance qu\u2019ils attribuaient \u00e0 la m\u00e9moire et \u00e0 l\u2019oralit\u00e9. Non, pas “par exemple” : essentiellement. Je cherche un protocole o\u00f9 le mot \u00e0 mot et la m\u00e9moire fabriquent un moyen de traduire le r\u00e9el — l\u2019interpr\u00e9ter, non pas mot \u00e0 mot \u00e9trangement, mais par le mot \u00e0 mot. Un protocole auquel le mot \u00e0 mot appartient, et qui, comme une rambarde, emp\u00eacherait le conteur de s\u2019\u00e9garer dans ses propres affects, sa propre imagination, son \u00e9gotisme : autant d\u2019\u00e9garements, probablement, dans le seul but de briller en public. Je voudrais revenir \u00e0 une forme po\u00e9tique qui se fiche de ce genre d\u2019\u00e9garement, qui le tient pour quantit\u00e9 absolument n\u00e9gligeable. Une po\u00e9sie qui joue son vrai r\u00f4le : interpr\u00e8te du r\u00e9el par images, par symboles, reli\u00e9s \u00e0 quelque chose de plus ancien — je n\u2019ose pas dire quelque chose de primordial. Et pourtant, plus j\u2019y pense, plus je me dis que le pari est ailleurs : si je parviens \u00e0 remonter vers cette origine du r\u00e9cit, je verrai peut-\u00eatre que le but n\u2019est pas seulement de traduire le r\u00e9el, mais d\u2019entrer en contact avec ce qui le produit, ou plut\u00f4t avec ce qui le co-produit — c\u2019est-\u00e0-dire : ce que le monde fait de nous, et ce que nous faisons du monde, puisque nous sommes dans l\u2019affaire. Le r\u00e9cit, alors, ne serait pas une copie du monde : il serait une mani\u00e8re d\u2019y participer, une fa\u00e7on de toucher le m\u00e9canisme, d\u2019approcher la source, de n\u00e9gocier avec elle. J\u2019emploie “m\u00e9taphysique” faute de mieux, au sens d\u2019une question sur ce qui produit le r\u00e9el, pas au sens d\u2019un credo. Je repense alors \u00e0 une partie de la litt\u00e9rature contemporaine : elle travaille avec des protocoles, parfois avec une rigueur impressionnante, mais elle ne parle presque jamais de m\u00e9taphysique. Je ne crois pas que ce soit seulement un \u00e9vitement. J\u2019ai l\u2019impression qu\u2019elle rend pr\u00e9sente une absence, qu\u2019elle la tient devant nous comme on tient une forme vide, et que cette absence n\u2019est pas forc\u00e9ment “\u00e0 vide” : elle est peut-\u00eatre ce qu\u2019il reste, ce qui insiste, ce qui fait signe. Et peut-\u00eatre que cette absence, quand on la regarde assez longtemps, ressemble \u00e0 une nostalgie — non pas de la religion, mais de ce contact avec ce qui produit le r\u00e9el dont je parlais plus haut. Je repense aussi \u00e0 une sc\u00e8ne archa\u00efque : un homme se fait attacher pour entendre un chant qu\u2019il ne peut pas rejoindre. La force de ce chant tient \u00e0 son d\u00e9faut, \u00e0 sa promesse qui se retire au moment m\u00eame o\u00f9 elle appelle. Le protocole n\u2019est pas une performance : c\u2019est ce qui rend possible l\u2019approche sans se perdre. Et s\u2019il y a, derri\u00e8re tout \u00e7a, des noms qui me viennent — Gu\u00e9non pour l\u2019id\u00e9e de rigueur, Ibn \u02bfArab\u00ee pour l\u2019id\u00e9e de po\u00e9sie comme interm\u00e9diaire — je ne les invoque pas comme des autorit\u00e9s : c\u2019est une intuition, un appel. Au fond, c\u2019est peut-\u00eatre cela que je cherche \u00e0 travers les protocoles, qu\u2019ils soient rigoureux ou po\u00e9tiques : l\u2019intuition, ce qui jaillit et demeure dans le domaine de l\u2019esprit, et qui r\u00e9siste au mot tout en le r\u00e9clamant.<\/p>\n

Illustration<\/strong> Magasin d’apothicaire, Marrakech 2010<\/p>", "content_text": " J\u2019ai longtemps eu un refus presque visc\u00e9ral des protocoles, dans la peinture comme dans l\u2019\u00e9criture. Ils m\u2019apparaissaient faux, artificiels, parce que je n\u2019arrivais pas \u00e0 leur associer un but qui ne soit pas faux lui aussi, d\u2019une certaine mani\u00e8re. Pour moi, un protocole ressemblait \u00e0 un processus industriel : une suite d\u2019\u00e9tapes destin\u00e9es \u00e0 reproduire toujours la m\u00eame chose, consommable, sans autre. C\u2019est pourquoi j\u2019ai r\u00e9sist\u00e9. Je croyais que le protocole ne pouvait produire que de la performance, ou de la r\u00e9p\u00e9tition. Ce qui a chang\u00e9 la donne, ce sont certaines lectures \u2014 ou plut\u00f4t l\u2019intuition qu\u2019elles ont ouverte en moi : l\u2019id\u00e9e qu\u2019un protocole peut \u00eatre une rambarde, non pas pour fabriquer, mais pour emp\u00eacher de d\u00e9river, pour tenir une forme qui laisse passer moins l\u2019ego, moins l\u2019envie de para\u00eetre, et, quand elle monte, la honte nue. Je voudrais \u00eatre assez savant pour remonter aux premiers temps des r\u00e9cits et comprendre leur utilit\u00e9. Cette utilit\u00e9, je ne peux que la deviner depuis la place que j\u2019occupe, depuis mes habitudes de lecteur et d\u2019\u00e9crivain. Ce que je veux dire, c\u2019est qu\u2019une certaine lassitude me vient \u00e0 la lecture de formes que je crois conna\u00eetre : ce moment o\u00f9 je me dis, presque malgr\u00e9 moi, oh non, encore la m\u00eame chose. Je ne veux pas le dire n\u2019importe comment. Je voudrais trouver une m\u00e9thode suffisamment rigoureuse et reproductible afin de m\u2019en servir \u00e0 nouveau lorsque j\u2019\u00e9prouverai la m\u00eame lassitude devant d\u2019autres formes. Pour cela j\u2019aimerais remonter le temps, revenir au temps des tout premiers conteurs, pouvoir les questionner sur l\u2019importance qu\u2019ils attribuaient \u00e0 la m\u00e9moire et \u00e0 l\u2019oralit\u00e9. Non, pas \u201cpar exemple\u201d : essentiellement. Je cherche un protocole o\u00f9 le mot \u00e0 mot et la m\u00e9moire fabriquent un moyen de traduire le r\u00e9el \u2014 l\u2019interpr\u00e9ter, non pas mot \u00e0 mot \u00e9trangement, mais par le mot \u00e0 mot. Un protocole auquel le mot \u00e0 mot appartient, et qui, comme une rambarde, emp\u00eacherait le conteur de s\u2019\u00e9garer dans ses propres affects, sa propre imagination, son \u00e9gotisme : autant d\u2019\u00e9garements, probablement, dans le seul but de briller en public. Je voudrais revenir \u00e0 une forme po\u00e9tique qui se fiche de ce genre d\u2019\u00e9garement, qui le tient pour quantit\u00e9 absolument n\u00e9gligeable. Une po\u00e9sie qui joue son vrai r\u00f4le : interpr\u00e8te du r\u00e9el par images, par symboles, reli\u00e9s \u00e0 quelque chose de plus ancien \u2014 je n\u2019ose pas dire quelque chose de primordial. Et pourtant, plus j\u2019y pense, plus je me dis que le pari est ailleurs : si je parviens \u00e0 remonter vers cette origine du r\u00e9cit, je verrai peut-\u00eatre que le but n\u2019est pas seulement de traduire le r\u00e9el, mais d\u2019entrer en contact avec ce qui le produit, ou plut\u00f4t avec ce qui le co-produit \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire : ce que le monde fait de nous, et ce que nous faisons du monde, puisque nous sommes dans l\u2019affaire. Le r\u00e9cit, alors, ne serait pas une copie du monde : il serait une mani\u00e8re d\u2019y participer, une fa\u00e7on de toucher le m\u00e9canisme, d\u2019approcher la source, de n\u00e9gocier avec elle. J\u2019emploie \u201cm\u00e9taphysique\u201d faute de mieux, au sens d\u2019une question sur ce qui produit le r\u00e9el, pas au sens d\u2019un credo. Je repense alors \u00e0 une partie de la litt\u00e9rature contemporaine : elle travaille avec des protocoles, parfois avec une rigueur impressionnante, mais elle ne parle presque jamais de m\u00e9taphysique. Je ne crois pas que ce soit seulement un \u00e9vitement. J\u2019ai l\u2019impression qu\u2019elle rend pr\u00e9sente une absence, qu\u2019elle la tient devant nous comme on tient une forme vide, et que cette absence n\u2019est pas forc\u00e9ment \u201c\u00e0 vide\u201d : elle est peut-\u00eatre ce qu\u2019il reste, ce qui insiste, ce qui fait signe. Et peut-\u00eatre que cette absence, quand on la regarde assez longtemps, ressemble \u00e0 une nostalgie \u2014 non pas de la religion, mais de ce contact avec ce qui produit le r\u00e9el dont je parlais plus haut. Je repense aussi \u00e0 une sc\u00e8ne archa\u00efque : un homme se fait attacher pour entendre un chant qu\u2019il ne peut pas rejoindre. La force de ce chant tient \u00e0 son d\u00e9faut, \u00e0 sa promesse qui se retire au moment m\u00eame o\u00f9 elle appelle. Le protocole n\u2019est pas une performance : c\u2019est ce qui rend possible l\u2019approche sans se perdre. Et s\u2019il y a, derri\u00e8re tout \u00e7a, des noms qui me viennent \u2014 Gu\u00e9non pour l\u2019id\u00e9e de rigueur, Ibn \u02bfArab\u00ee pour l\u2019id\u00e9e de po\u00e9sie comme interm\u00e9diaire \u2014 je ne les invoque pas comme des autorit\u00e9s : c\u2019est une intuition, un appel. Au fond, c\u2019est peut-\u00eatre cela que je cherche \u00e0 travers les protocoles, qu\u2019ils soient rigoureux ou po\u00e9tiques : l\u2019intuition, ce qui jaillit et demeure dans le domaine de l\u2019esprit, et qui r\u00e9siste au mot tout en le r\u00e9clamant. **Illustration** Magasin d'apothicaire, Marrakech 2010 ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/p1010595.jpg?1765543001", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/12-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/12-decembre-2025.html", "title": "12 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-12T11:13:34Z", "date_modified": "2025-12-12T11:13:34Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Je me dirigeais vers Tarjuman. Quelques lieues apr\u00e8s le hameau de Hayra, sur une portion de route sans maison, l\u2019attelage s\u2019est arr\u00eat\u00e9 net, puis les chevaux ont disparu. L\u2019embarras surgit avec une violence telle que, durant quelques heures, je restais sur le bord de la route, \u00e0 faire semblant de r\u00e9fl\u00e9chir, alors que je ruminai surtout : ce dialogue interne, bouclier vain contre les \u00e9v\u00e9nements que produit le r\u00e9el. La g\u00eane de ne pas pouvoir me rendre \u00e0 Tarjuman se m\u00ealait d\u00e9j\u00e0 aux cons\u00e9quences que j\u2019imaginais d\u00e9sastreuses. Pour lutter contre mon d\u00e9sarroi, je sortis le petit carnet qui ne me quitte jamais et commen\u00e7ai \u00e0 lister, en phrases br\u00e8ves, comme je le fais toujours dans ces circonstances, tout ce que j\u2019estimais terrifiant dans cette situation. 1. Je suis bloqu\u00e9 sur la route, au milieu de nulle part. 2. Je ne peux b\u00e9n\u00e9ficier, en l\u2019\u00e9tat, d\u2019aucune aide. 3. Les chevaux se sont d\u00e9tach\u00e9s et sont partis dans la nature. 4. Je ne sais \u00e0 quelle distance je me trouve de mon lieu d\u2019arriv\u00e9e. 5. Personne ne passe sur cette route, ou, essayons de ne pas \u00eatre aussi radical : pas grand monde. 6. J\u2019ai faim et soif et je n\u2019ai pas pris la pr\u00e9caution de r\u00e9server des provisions. 7. Je pourrais partir \u00e0 pied et tenter de rejoindre Tarjuman. 8. Je suis vieux et fatigu\u00e9 ; je doute de pouvoir atteindre mon but \u00e0 pied. 9. Qu\u2019ai-je fait au Bon Dieu pour en \u00eatre arriv\u00e9 l\u00e0 ? 10. Que se passerait-il si j\u2019arrive trois jours apr\u00e8s la date de mon rendez-vous ? 11. Rien n\u2019est grave, car tout est illusion. 12. En attendant, je suis bloqu\u00e9 l\u00e0, et je reste disponible \u00e0 tout ce qui peut advenir. Tout le reste parlait de moi. Les chevaux parlaient du monde. J\u2019ai suivi les chevaux. Attelage vide. Je comprends avant m\u00eame de regarder qu\u2019ils ne sont plus l\u00e0, et cette compr\u00e9hension est d\u00e9j\u00e0 une d\u00e9faite : quelque chose a gliss\u00e9 hors de ma surveillance, sans bruit, sans t\u00e9moin, et le monde continue comme si ce d\u00e9tail n\u2019en \u00e9tait pas un. Je descends, je fais ce que je sais faire : je cherche des traces dans l\u2019herbe, je calcule des directions possibles, je m\u2019ordonne d\u2019utiliser mes sens, d\u2019\u00e9couter, de respirer, de rester au pr\u00e9sent. Mais tr\u00e8s vite je vois que je suis en train de fabriquer un plan pour ne pas entendre ce qui monte. Les chevaux ne sont qu\u2019un fait ; ce que je ne supporte pas, c\u2019est le fait qu\u2019un fait puisse s\u2019imposer \u00e0 moi, nu, sans recours imm\u00e9diat. Je m\u2019enfonce dans la lisi\u00e8re avec l\u2019id\u00e9e que je vais les retrouver, et je sens en m\u00eame temps que ce n\u2019est pas seulement eux que je cherche : je cherche \u00e0 r\u00e9tablir l\u2019ordre, \u00e0 me prouver que rien ne m\u2019\u00e9chappe, que je ne d\u00e9pends pas du hasard, que je ne suis pas celui qui reste sur le bord de la route \u00e0 attendre. La digression arrive comme une protection : une phrase, une th\u00e9orie, un d\u00e9tour, n\u2019importe quoi pour ne pas regarder la peur en face. Alors je la regarde : elle n\u2019est pas immense, elle est pr\u00e9cise, elle a un but unique — me rendre la ma\u00eetrise, ou, \u00e0 d\u00e9faut, m\u2019\u00e9viter la honte. Je continue pourtant \u00e0 avancer, \u00e0 scruter, \u00e0 m\u2019arr\u00eater, mais ce qui me d\u00e9route n\u2019est plus l\u2019absence des chevaux, c\u2019est cette perplexit\u00e9 active o\u00f9 je me vois faire tout ce que je fais pour ne pas laisser le r\u00e9el gagner, et o\u00f9 je comprends que le r\u00e9el gagne quand m\u00eame. Et je comprends enfin ce que je fuyais depuis le d\u00e9but : ce n\u2019est pas la route, ni le retard, ni m\u00eame la disparition des chevaux. C\u2019est la honte. La honte comme point d\u2019arriv\u00e9e, comme lieu pr\u00e9vu d\u2019avance, comme endroit o\u00f9 tout ce qui m\u2019arrive finit par vouloir me conduire. Tout ce que j\u2019ai mis en liste, toutes mes pr\u00e9cautions, mes calculs, mon plan d\u2019action, ma disponibilit\u00e9 affich\u00e9e, tout converge vers elle, comme si l\u2019\u00e9v\u00e9nement n\u2019avait qu\u2019un but : me faire revenir \u00e0 Hayra et m\u2019y laisser. Alors je m\u2019enfonce. Je m\u2019enfonce dans la lisi\u00e8re et je m\u2019enfonce dans la honte, et je vois que je marche moins pour retrouver des chevaux que pour retarder ce moment o\u00f9 je serai simplement celui qui n\u2019a pas su, celui qui n\u2019a pas tenu, celui qui a \u00e9t\u00e9 pris de court par le r\u00e9el. Je m\u2019arr\u00eate, je rouvre le carnet, et je constate que mes doigts tremblent l\u00e9g\u00e8rement au-dessus de la page, comme si le corps, lui, \u00e9crivait d\u00e9j\u00e0 la suite.<\/p>\n

Illustration<\/strong> Atlas Marocain, 2010, pb <\/p>", "content_text": " Je me dirigeais vers Tarjuman. Quelques lieues apr\u00e8s le hameau de Hayra, sur une portion de route sans maison, l\u2019attelage s\u2019est arr\u00eat\u00e9 net, puis les chevaux ont disparu. L\u2019embarras surgit avec une violence telle que, durant quelques heures, je restais sur le bord de la route, \u00e0 faire semblant de r\u00e9fl\u00e9chir, alors que je ruminai surtout : ce dialogue interne, bouclier vain contre les \u00e9v\u00e9nements que produit le r\u00e9el. La g\u00eane de ne pas pouvoir me rendre \u00e0 Tarjuman se m\u00ealait d\u00e9j\u00e0 aux cons\u00e9quences que j\u2019imaginais d\u00e9sastreuses. Pour lutter contre mon d\u00e9sarroi, je sortis le petit carnet qui ne me quitte jamais et commen\u00e7ai \u00e0 lister, en phrases br\u00e8ves, comme je le fais toujours dans ces circonstances, tout ce que j\u2019estimais terrifiant dans cette situation. 1. Je suis bloqu\u00e9 sur la route, au milieu de nulle part. 2. Je ne peux b\u00e9n\u00e9ficier, en l\u2019\u00e9tat, d\u2019aucune aide. 3. Les chevaux se sont d\u00e9tach\u00e9s et sont partis dans la nature. 4. Je ne sais \u00e0 quelle distance je me trouve de mon lieu d\u2019arriv\u00e9e. 5. Personne ne passe sur cette route, ou, essayons de ne pas \u00eatre aussi radical : pas grand monde. 6. J\u2019ai faim et soif et je n\u2019ai pas pris la pr\u00e9caution de r\u00e9server des provisions. 7. Je pourrais partir \u00e0 pied et tenter de rejoindre Tarjuman. 8. Je suis vieux et fatigu\u00e9 ; je doute de pouvoir atteindre mon but \u00e0 pied. 9. Qu\u2019ai-je fait au Bon Dieu pour en \u00eatre arriv\u00e9 l\u00e0 ? 10. Que se passerait-il si j\u2019arrive trois jours apr\u00e8s la date de mon rendez-vous ? 11. Rien n\u2019est grave, car tout est illusion. 12. En attendant, je suis bloqu\u00e9 l\u00e0, et je reste disponible \u00e0 tout ce qui peut advenir. Tout le reste parlait de moi. Les chevaux parlaient du monde. J\u2019ai suivi les chevaux. Attelage vide. Je comprends avant m\u00eame de regarder qu\u2019ils ne sont plus l\u00e0, et cette compr\u00e9hension est d\u00e9j\u00e0 une d\u00e9faite : quelque chose a gliss\u00e9 hors de ma surveillance, sans bruit, sans t\u00e9moin, et le monde continue comme si ce d\u00e9tail n\u2019en \u00e9tait pas un. Je descends, je fais ce que je sais faire : je cherche des traces dans l\u2019herbe, je calcule des directions possibles, je m\u2019ordonne d\u2019utiliser mes sens, d\u2019\u00e9couter, de respirer, de rester au pr\u00e9sent. Mais tr\u00e8s vite je vois que je suis en train de fabriquer un plan pour ne pas entendre ce qui monte. Les chevaux ne sont qu\u2019un fait ; ce que je ne supporte pas, c\u2019est le fait qu\u2019un fait puisse s\u2019imposer \u00e0 moi, nu, sans recours imm\u00e9diat. Je m\u2019enfonce dans la lisi\u00e8re avec l\u2019id\u00e9e que je vais les retrouver, et je sens en m\u00eame temps que ce n\u2019est pas seulement eux que je cherche : je cherche \u00e0 r\u00e9tablir l\u2019ordre, \u00e0 me prouver que rien ne m\u2019\u00e9chappe, que je ne d\u00e9pends pas du hasard, que je ne suis pas celui qui reste sur le bord de la route \u00e0 attendre. La digression arrive comme une protection : une phrase, une th\u00e9orie, un d\u00e9tour, n\u2019importe quoi pour ne pas regarder la peur en face. Alors je la regarde : elle n\u2019est pas immense, elle est pr\u00e9cise, elle a un but unique \u2014 me rendre la ma\u00eetrise, ou, \u00e0 d\u00e9faut, m\u2019\u00e9viter la honte. Je continue pourtant \u00e0 avancer, \u00e0 scruter, \u00e0 m\u2019arr\u00eater, mais ce qui me d\u00e9route n\u2019est plus l\u2019absence des chevaux, c\u2019est cette perplexit\u00e9 active o\u00f9 je me vois faire tout ce que je fais pour ne pas laisser le r\u00e9el gagner, et o\u00f9 je comprends que le r\u00e9el gagne quand m\u00eame. Et je comprends enfin ce que je fuyais depuis le d\u00e9but : ce n\u2019est pas la route, ni le retard, ni m\u00eame la disparition des chevaux. C\u2019est la honte. La honte comme point d\u2019arriv\u00e9e, comme lieu pr\u00e9vu d\u2019avance, comme endroit o\u00f9 tout ce qui m\u2019arrive finit par vouloir me conduire. Tout ce que j\u2019ai mis en liste, toutes mes pr\u00e9cautions, mes calculs, mon plan d\u2019action, ma disponibilit\u00e9 affich\u00e9e, tout converge vers elle, comme si l\u2019\u00e9v\u00e9nement n\u2019avait qu\u2019un but : me faire revenir \u00e0 Hayra et m\u2019y laisser. Alors je m\u2019enfonce. Je m\u2019enfonce dans la lisi\u00e8re et je m\u2019enfonce dans la honte, et je vois que je marche moins pour retrouver des chevaux que pour retarder ce moment o\u00f9 je serai simplement celui qui n\u2019a pas su, celui qui n\u2019a pas tenu, celui qui a \u00e9t\u00e9 pris de court par le r\u00e9el. Je m\u2019arr\u00eate, je rouvre le carnet, et je constate que mes doigts tremblent l\u00e9g\u00e8rement au-dessus de la page, comme si le corps, lui, \u00e9crivait d\u00e9j\u00e0 la suite. **Illustration** Atlas Marocain, 2010, pb ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/atlas.jpg?1765537891", "tags": ["fictions br\u00e8ves"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/11-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/11-decembre-2025.html", "title": "11 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-11T10:31:26Z", "date_modified": "2025-12-11T10:49:54Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Jean-Philippe Toussaint raconte dans C\u2019est vous l\u2019\u00e9crivain<\/em> comment Crime et ch\u00e2timent<\/em> de Dosto\u00efevski a d\u00e9clench\u00e9 chez lui le d\u00e9sir d\u2019\u00e9crire. Il d\u00e9crit un moment tr\u00e8s pr\u00e9cis : en lisant la sc\u00e8ne du meurtre de l\u2019usuri\u00e8re, il devient l\u2019assassin, au point de pouvoir la raconter des ann\u00e9es plus tard avec une nettet\u00e9 qui montre \u00e0 quel point cette lecture s\u2019est imprim\u00e9e en lui. Moi aussi, j\u2019ai lu Dosto\u00efevski dans ma jeunesse, mais si je devais aujourd\u2019hui reprendre cette sc\u00e8ne, il me faudrait aller chercher le livre dans la biblioth\u00e8que, v\u00e9rifier les noms, les lieux, les gestes. Rien n\u2019est rest\u00e9 avec cette intensit\u00e9-l\u00e0. Ce d\u00e9calage entre sa m\u00e9moire et la mienne me fait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 la place de chacun dans ce triangle : l\u2019auteur qui emprunte une voix, le narrateur qui porte cette voix, le lecteur qui la re\u00e7oit, l\u2019habite un temps, puis la laisse se dissoudre dans sa propre m\u00e9moire. Ce triangle passe aussi par ce qu\u2019on appelle “le genre” : roman d\u2019amour, thriller, policier, suspense, autofiction\u2026 Chaque \u00e9tiquette promet des codes reconnaissables, un certain contrat avec le lecteur. En principe, on ne m\u00e9lange pas les genres, on sait vaguement o\u00f9 l\u2019on met les pieds. Mais la modernit\u00e9 a fissur\u00e9 ces cadres : Calvino, avec Si par une nuit d\u2019hiver un voyageur<\/em>, change d\u00e9j\u00e0 les r\u00e8gles du jeu et propose au lecteur un autre type de contrat, plus instable, o\u00f9 le roman exhibe sa propre construction. Plus tard, chez Kundera, dans ses pages sur Cervant\u00e8s et Don Quichotte<\/em>, j\u2019ai gard\u00e9 l\u2019impression \u2013 peut-\u00eatre approximative mais tenace \u2013 qu\u2019il insiste davantage sur la seconde partie que sur la premi\u00e8re, comme si le roman se regardait lui-m\u00eame en train d\u2019exister et d\u00e9pla\u00e7ait ainsi sa propre d\u00e9finition. Le Nouveau Roman, \u00e0 sa mani\u00e8re, a aussi brouill\u00e9 les rep\u00e8res de ceux qui cherchaient “une intrigue” \u00e0 l\u2019endroit habituel. Ces \u00e9crivains ne sont pas “populaires” au sens commercial, mais on ne peut pas s\u00e9rieusement leur reprocher de ne pas l\u2019\u00eatre : pour beaucoup de lecteurs, la lecture reste surtout un moment d\u2019\u00e9vasion et de consommation, au m\u00eame titre qu\u2019un film, des courses au supermarch\u00e9 ou un voyage d\u2019agr\u00e9ment. Tout cela me revient en relisant mes propres textes rang\u00e9s sous l\u2019\u00e9tiquette “autofiction et introspection”. Je constate que j\u2019y m\u00e9lange journal, essai, fiction, commentaire de lecture, sans toujours savoir, au moment d\u2019\u00e9crire, qui parle exactement. C\u2019est l\u00e0 que surgit pour moi la figure de cet “homme du sous-sol contemporain” que je suis en train de dessiner : un type enferm\u00e9 dans sa douche, son \u00e9cran, son cabinet dentaire, satur\u00e9 de phrases toutes faites, de pubs EDF, de vid\u00e9os complotistes et de honte sourde, qui parle en “je” mais dont je sais qu\u2019il n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus tout \u00e0 fait moi. En le laissant porter une part de ma voix, une part de ma fatigue et de ma col\u00e8re, je d\u00e9place la question : ce n\u2019est plus seulement “moi” qui parle, c\u2019est un narrateur construit, travers\u00e9 par ce qui l\u2019environne, et que je peux regarder ensuite comme lecteur. Le n\u0153ud que je cherche \u00e0 serrer est peut-\u00eatre l\u00e0 : dans cette h\u00e9sitation volontaire entre auteur, narrateur et lecteur, dans ce m\u00e9lange assum\u00e9 des genres et des positions, comme si mes textes “autofiction et introspection” \u00e9taient pr\u00e9cis\u00e9ment le sous-sol o\u00f9 cette confusion est travaill\u00e9e plut\u00f4t que r\u00e9solue. Et, au moment de me relire, je ne sais plus tr\u00e8s bien qui je suis dans cette affaire : auteur qui r\u00e8gle ses comptes, narrateur qui se fabrique un personnage, ou simple lecteur pris dans un texte qui ne correspond plus \u00e0 aucun genre stable. Peut-\u00eatre que \u00e7a suffit comme constat pour l\u2019instant : reconna\u00eetre que \u00e7a flotte, que \u00e7a m\u00e9lange les places, et continuer malgr\u00e9 tout \u00e0 \u00e9crire l\u00e0, en essayant seulement de ne pas ajouter plus de bruit que celui qui est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0.<\/p>\n

illustration<\/strong> vue de Remiremont dans les vosges 2009, pb <\/p>", "content_text": "Jean-Philippe Toussaint raconte dans *C\u2019est vous l\u2019\u00e9crivain* comment *Crime et ch\u00e2timent* de Dosto\u00efevski a d\u00e9clench\u00e9 chez lui le d\u00e9sir d\u2019\u00e9crire. Il d\u00e9crit un moment tr\u00e8s pr\u00e9cis : en lisant la sc\u00e8ne du meurtre de l\u2019usuri\u00e8re, il devient l\u2019assassin, au point de pouvoir la raconter des ann\u00e9es plus tard avec une nettet\u00e9 qui montre \u00e0 quel point cette lecture s\u2019est imprim\u00e9e en lui. Moi aussi, j\u2019ai lu Dosto\u00efevski dans ma jeunesse, mais si je devais aujourd\u2019hui reprendre cette sc\u00e8ne, il me faudrait aller chercher le livre dans la biblioth\u00e8que, v\u00e9rifier les noms, les lieux, les gestes. Rien n\u2019est rest\u00e9 avec cette intensit\u00e9-l\u00e0. Ce d\u00e9calage entre sa m\u00e9moire et la mienne me fait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 la place de chacun dans ce triangle : l\u2019auteur qui emprunte une voix, le narrateur qui porte cette voix, le lecteur qui la re\u00e7oit, l\u2019habite un temps, puis la laisse se dissoudre dans sa propre m\u00e9moire. Ce triangle passe aussi par ce qu\u2019on appelle \u201cle genre\u201d : roman d\u2019amour, thriller, policier, suspense, autofiction\u2026 Chaque \u00e9tiquette promet des codes reconnaissables, un certain contrat avec le lecteur. En principe, on ne m\u00e9lange pas les genres, on sait vaguement o\u00f9 l\u2019on met les pieds. Mais la modernit\u00e9 a fissur\u00e9 ces cadres : Calvino, avec *Si par une nuit d\u2019hiver un voyageur*, change d\u00e9j\u00e0 les r\u00e8gles du jeu et propose au lecteur un autre type de contrat, plus instable, o\u00f9 le roman exhibe sa propre construction. Plus tard, chez Kundera, dans ses pages sur Cervant\u00e8s et *Don Quichotte*, j\u2019ai gard\u00e9 l\u2019impression \u2013 peut-\u00eatre approximative mais tenace \u2013 qu\u2019il insiste davantage sur la seconde partie que sur la premi\u00e8re, comme si le roman se regardait lui-m\u00eame en train d\u2019exister et d\u00e9pla\u00e7ait ainsi sa propre d\u00e9finition. Le Nouveau Roman, \u00e0 sa mani\u00e8re, a aussi brouill\u00e9 les rep\u00e8res de ceux qui cherchaient \u201cune intrigue\u201d \u00e0 l\u2019endroit habituel. Ces \u00e9crivains ne sont pas \u201cpopulaires\u201d au sens commercial, mais on ne peut pas s\u00e9rieusement leur reprocher de ne pas l\u2019\u00eatre : pour beaucoup de lecteurs, la lecture reste surtout un moment d\u2019\u00e9vasion et de consommation, au m\u00eame titre qu\u2019un film, des courses au supermarch\u00e9 ou un voyage d\u2019agr\u00e9ment. Tout cela me revient en relisant mes propres textes rang\u00e9s sous l\u2019\u00e9tiquette \u201cautofiction et introspection\u201d. Je constate que j\u2019y m\u00e9lange journal, essai, fiction, commentaire de lecture, sans toujours savoir, au moment d\u2019\u00e9crire, qui parle exactement. C\u2019est l\u00e0 que surgit pour moi la figure de cet \u201chomme du sous-sol contemporain\u201d que je suis en train de dessiner : un type enferm\u00e9 dans sa douche, son \u00e9cran, son cabinet dentaire, satur\u00e9 de phrases toutes faites, de pubs EDF, de vid\u00e9os complotistes et de honte sourde, qui parle en \u201cje\u201d mais dont je sais qu\u2019il n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus tout \u00e0 fait moi. En le laissant porter une part de ma voix, une part de ma fatigue et de ma col\u00e8re, je d\u00e9place la question : ce n\u2019est plus seulement \u201cmoi\u201d qui parle, c\u2019est un narrateur construit, travers\u00e9 par ce qui l\u2019environne, et que je peux regarder ensuite comme lecteur. Le n\u0153ud que je cherche \u00e0 serrer est peut-\u00eatre l\u00e0 : dans cette h\u00e9sitation volontaire entre auteur, narrateur et lecteur, dans ce m\u00e9lange assum\u00e9 des genres et des positions, comme si mes textes \u201cautofiction et introspection\u201d \u00e9taient pr\u00e9cis\u00e9ment le sous-sol o\u00f9 cette confusion est travaill\u00e9e plut\u00f4t que r\u00e9solue. Et, au moment de me relire, je ne sais plus tr\u00e8s bien qui je suis dans cette affaire : auteur qui r\u00e8gle ses comptes, narrateur qui se fabrique un personnage, ou simple lecteur pris dans un texte qui ne correspond plus \u00e0 aucun genre stable. Peut-\u00eatre que \u00e7a suffit comme constat pour l\u2019instant : reconna\u00eetre que \u00e7a flotte, que \u00e7a m\u00e9lange les places, et continuer malgr\u00e9 tout \u00e0 \u00e9crire l\u00e0, en essayant seulement de ne pas ajouter plus de bruit que celui qui est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. **illustration** vue de Remiremont dans les vosges 2009, pb ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/remiremont_2009.jpg?1765449062", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "depuis quelle place \u00e9cris-tu ?"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/7-decembre-2025-3730.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/7-decembre-2025-3730.html", "title": "7 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-07T04:20:40Z", "date_modified": "2025-12-07T04:20:40Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Pour le dehors on ne garderait qu’une phrase <\/p>\n

\n

Fin du spectacle. <\/p>\n<\/blockquote>\n

Pour le dedans <\/p>\n

\n

\u00e7a suffit. Pas besoin d’expliquer. <\/p>\n<\/blockquote>", "content_text": " Pour le dehors on ne garderait qu'une phrase >Fin du spectacle. Pour le dedans >\u00e7a suffit. Pas besoin d'expliquer. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img312.jpg?1765081038", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/6-decembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/6-decembre-2025.html", "title": "6 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-06T04:28:53Z", "date_modified": "2025-12-06T04:28:53Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

H. peint du bras gauche. Elle ne parle qu’avec des onomatop\u00e9es. Aujourd’hui, j’ai appris qu’elle ne pouvait pas manger de chouquettes \u2013 elle a d\u00e9sign\u00e9 sa bouche d’un air triste quand je lui ai tendu le sachet. Droiti\u00e8re autrefois, elle apprend vite. Je lui montre en utilisant aussi mon bras gauche : la main qui court le long du manche du pinceau selon le besoin de pr\u00e9cision, d’\u00e9nergie. Son tableau \u00e9tait trop violent en couleurs. Je lui ai montr\u00e9 comment abaisser les valeurs avec du blanc seulement. Nuance, lenteur, pr\u00e9cision. M. et D. sont l\u00e0 aussi, chacune avec son handicap. Si je voulais lire les signes, j’inventerais une histoire. Mais elles m’apprennent la t\u00e9nacit\u00e9 qui s’appuie sur des raisons solides. Mes \u00e9tats d’\u00e2me, \u00e0 c\u00f4t\u00e9, sont des bulles de savon.<\/p>\n

Plus tard, en rentrant \u00e0 pied, j’ai vu une lumi\u00e8re sp\u00e9ciale \u2013 le mot est faible. Le bleu sombre du ciel sur les murs beiges et ocres fabriquait un accord qui m’a serr\u00e9 la gorge. Faut-il ne plus peindre pour peindre ? Ne plus \u00e9crire pour \u00e9crire ?<\/p>\n

Ces derniers jours, je r\u00e9\u00e9cris des textes anciens. Sans conviction d’abord. Puis j’ai utilis\u00e9 Deepseek avec un protocole strict, pour traquer mes bavardages, mes esquives. Ce que l’IA produit est m\u00e9diocre, mais cette m\u00e9diocrit\u00e9 m’oblige \u00e0 puiser dans ma propre langue. Elle me renvoie une ambigu\u00eft\u00e9 qui est la mienne : entre r\u00e9alit\u00e9 et fiction. Elle veut me conduire vers la fiction, alors que je cherche \u00e0 m’en extraire.<\/p>\n

J’ai vu une vid\u00e9o fascinante de F. \u00e0 propos de ce peintre chinois — Wu Daozi, qui dispara\u00eet dans son tableau. Un protocole, un match de boxe entre la machine et soi. Mon constat est optimiste : \u00e0 force de me montrer ce qui n’est pas moi, je commence \u00e0 voir ce qui m’appartient. Deepseek est un bon sparring-partner. Il fait des fautes de fran\u00e7ais, ce qui m’oblige \u00e0 redoubler d’attention.<\/p>\n

Comme H. avec son bras gauche, comme moi avec mes mots maladroits, mes sautillements de moineau , comme le peintre chinois qui s’efface : nous cr\u00e9ons avec ce qui nous manque. La contrainte n’est pas un obstacle, mais le pinceau m\u00eame.<\/p>\n

illustration<\/strong> : Tokyo National Museum, Japan, Image : TNM Image Archives. Nine Dragons (detail) by Chen Rong<\/p>", "content_text": " H. peint du bras gauche. Elle ne parle qu'avec des onomatop\u00e9es. Aujourd'hui, j'ai appris qu'elle ne pouvait pas manger de chouquettes \u2013 elle a d\u00e9sign\u00e9 sa bouche d'un air triste quand je lui ai tendu le sachet. Droiti\u00e8re autrefois, elle apprend vite. Je lui montre en utilisant aussi mon bras gauche : la main qui court le long du manche du pinceau selon le besoin de pr\u00e9cision, d'\u00e9nergie. Son tableau \u00e9tait trop violent en couleurs. Je lui ai montr\u00e9 comment abaisser les valeurs avec du blanc seulement. Nuance, lenteur, pr\u00e9cision. M. et D. sont l\u00e0 aussi, chacune avec son handicap. Si je voulais lire les signes, j'inventerais une histoire. Mais elles m'apprennent la t\u00e9nacit\u00e9 qui s'appuie sur des raisons solides. Mes \u00e9tats d'\u00e2me, \u00e0 c\u00f4t\u00e9, sont des bulles de savon. Plus tard, en rentrant \u00e0 pied, j'ai vu une lumi\u00e8re sp\u00e9ciale \u2013 le mot est faible. Le bleu sombre du ciel sur les murs beiges et ocres fabriquait un accord qui m'a serr\u00e9 la gorge. Faut-il ne plus peindre pour peindre ? Ne plus \u00e9crire pour \u00e9crire ? Ces derniers jours, je r\u00e9\u00e9cris des textes anciens. Sans conviction d'abord. Puis j'ai utilis\u00e9 Deepseek avec un protocole strict, pour traquer mes bavardages, mes esquives. Ce que l'IA produit est m\u00e9diocre, mais cette m\u00e9diocrit\u00e9 m'oblige \u00e0 puiser dans ma propre langue. Elle me renvoie une ambigu\u00eft\u00e9 qui est la mienne : entre r\u00e9alit\u00e9 et fiction. Elle veut me conduire vers la fiction, alors que je cherche \u00e0 m'en extraire. J'ai vu une vid\u00e9o fascinante de F. \u00e0 propos de ce peintre chinois \u2014 Wu Daozi, qui dispara\u00eet dans son tableau. Un protocole, un match de boxe entre la machine et soi. Mon constat est optimiste : \u00e0 force de me montrer ce qui n'est pas moi, je commence \u00e0 voir ce qui m'appartient. Deepseek est un bon sparring-partner. Il fait des fautes de fran\u00e7ais, ce qui m'oblige \u00e0 redoubler d'attention. Comme H. avec son bras gauche, comme moi avec mes mots maladroits, mes sautillements de moineau , comme le peintre chinois qui s'efface : nous cr\u00e9ons avec ce qui nous manque. La contrainte n'est pas un obstacle, mais le pinceau m\u00eame. **illustration** : Tokyo National Museum, Japan, Image: TNM Image Archives. Nine Dragons (detail) by Chen Rong ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/p01k6fvh.jpg?1764994924", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation", "Technologies et Postmodernit\u00e9", "ce qu'on ignore vouloir"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/5-decembre-2025-3715.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/5-decembre-2025-3715.html", "title": "5 d\u00e9cembre 2025", "date_published": "2025-12-05T07:14:21Z", "date_modified": "2025-12-05T08:01:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

La relecture est p\u00e9nible, trois ou quatre ans apr\u00e8s : je tombe sur des pages bavardes, des maladresses, des passages devenus verbeux, parfois incompr\u00e9hensibles. C\u2019est un autre qui a \u00e9crit tout \u00e7a, ai-je envie de me dire, pour fermer le texte, d\u00e9cliner la conversation avec cet inconnu, refuser le d\u00e9rangement. Si on remonte au temps des r\u00e9dactions, pourtant, c\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 le m\u00eame \u00e9cart : le plaisir imm\u00e9diat de raconter une histoire au moment o\u00f9 l’on \u00e9crit , puis la copie rendue, les traits rouges, la note moyenne ou pire, sans qu’on ne comprenne vraiment ce qui est reproch\u00e9. Le d\u00e9m\u00e9nagement a fini de casser ce qui restait. Du Bourbonnais au Vexin, nous avons atterri \u00e0 Parmain, sur la rive droite d\u2019une Oise sombre qui sentait le fuel. Depuis la fen\u00eatre de la cuisine, au-del\u00e0 de l\u2019all\u00e9e de gravier et de la route goudronn\u00e9e, des p\u00e9niches lourdes se trainaient laissant derri\u00e8re elles des nappes grasses \u00e0 la surface des vitres ; les berges \u00e9taient couvertes de d\u00e9chets, bouts de plastique, ferraille, branches noircies. On avait donc quitt\u00e9 le bocage et la rivi\u00e8re claire pour \u00e7a. Quand je marchais vers Jouy-le-Comte, avec ses maisons cossues, son ch\u00e2teau, les champs lourds et fertiles, je voyais bien que tout n\u2019\u00e9tait pas mis\u00e8re, mais en moi l’impression du sali demeura. Trop de choses changeaient d\u2019un coup : les lieux, les visages, le corps qui se transforme, et moi l\u00e0-dedans, sans prise. Ma vie scolaire a commenc\u00e9 \u00e0 d\u00e9gringoler, et je me repliais de plus en plus souvent dans ma petite chambre au premier \u00e9tage, coinc\u00e9e sous le toit, \u00e0 m\u2019enfoncer dans des bandes dessin\u00e9es et des contes et l\u00e9gendes comme si je pouvais reconstituer, avec ces histoires-l\u00e0, un territoire o\u00f9 rien n\u2019avait boug\u00e9. En lisant [Apprendre l\u2019invention] de Fran\u00e7ois Bon, r\u00e9cemment, certaines phrases m\u2019ont ramen\u00e9 d\u2019un coup cette \u00e9poque. Surtout celles qu\u2019il cite dans leur forme brute, comme ce d\u00e9but :<\/p>\n

A l\u2019\u00e2ge de 5 ans j\u2019etait Mise en passion. <\/p>\n

Cette syntaxe bancale m\u2019a renvoy\u00e9 en plein dans un cours de fran\u00e7ais. Le professeur demandait \u00e0 chacun de se pr\u00e9senter. Je croyais que c\u2019\u00e9tait un jeu. Un \u00e9l\u00e8ve a dit Mesureur, un autre Le Tourneur, encore un autre S\u00e9gur ; j\u2019en ai conclu qu\u2019il fallait s\u2019inventer un nom et, quand mon tour est venu, j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 Mirabeau sans bien savoir qui \u00e9tait Mirabeau. Le silence est tomb\u00e9, quelques rires \u00e9touff\u00e9s ont travers\u00e9 le fond de la classe, le professeur m\u2019a regard\u00e9 par-dessus ses lunettes et a r\u00e9p\u00e9t\u00e9 mon vrai nom, bien \u00e0 plat, pour remettre les choses en ordre. Le sang m\u2019est mont\u00e9 aux oreilles : j\u2019avais voulu faire comme les autres, je venais d\u2019ajouter une couche au d\u00e9calage. J\u2019avais un accent terrible quand je suis arriv\u00e9 en r\u00e9gion parisienne ; j\u2019\u00e9tais le gars de la cambrousse qui monte \u00e0 la ville , avec en plus mon ind\u00e9crottable timidit\u00e9, les chemises cousues par ma m\u00e8re, le pantalon trop court, les godasses fatigu\u00e9es. Il suffit de remettre ce costume dans la cour du coll\u00e8ge pour entendre la phrase qui r\u00f4de sans qu\u2019on ait besoin de l\u2019\u00e9crire : <\/p>\n

\n

\u00e0 dix ans, la vie m’a tu\u00e9 une fois de plus <\/p>\n<\/blockquote>\n

\u00c0 partir de l\u00e0, j\u2019ai appris vite \u00e0 masquer ce qui pouvait casser : gommer l\u2019accent, surveiller ce que je disais pour que \u00e7a ait l’air , donner le change. Faire semblant d\u2019\u00eatre celui qu\u2019on attendait, ou plut\u00f4t celui que j\u2019imaginais qu\u2019on attendait. <\/p>\n

Quand aujourd\u2019hui je relis les textes de 2019, je retrouve tout cela que j\u2019ai envie de renier, je vois aussi le bricolage \u00e0 l\u2019\u0153uvre : une mani\u00e8re de parler en « je » tout en gardant une distance de s\u00e9curit\u00e9. Autrement dit, la naissance du dibbouk \u2013 ce double qui parle \u00e0 ma place et encaisse pour moi \u2013 doit remonter \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 cette p\u00e9riode, entre l\u2019Oise noire, le cours de fran\u00e7ais et le fou rire \u00e9touff\u00e9 de la classe, \u00e0 moins qu\u2019il ne vienne d\u2019encore bien plus loin, d\u2019un secret conserv\u00e9 de m\u00e8re en fille depuis les pogroms d\u2019Ukraine et de Bi\u00e9lorussie, et des quelques survivants r\u00e9fugi\u00e9s en Estonie, appartenant encore \u00e0 l\u2019Empire russe mais non comprise dans la zone de r\u00e9sidence.<\/p>", "content_text": " La relecture est p\u00e9nible, trois ou quatre ans apr\u00e8s : je tombe sur des pages bavardes, des maladresses, des passages devenus verbeux, parfois incompr\u00e9hensibles. C\u2019est un autre qui a \u00e9crit tout \u00e7a, ai-je envie de me dire, pour fermer le texte, d\u00e9cliner la conversation avec cet inconnu, refuser le d\u00e9rangement. Si on remonte au temps des r\u00e9dactions, pourtant, c\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 le m\u00eame \u00e9cart : le plaisir imm\u00e9diat de raconter une histoire au moment o\u00f9 l'on \u00e9crit , puis la copie rendue, les traits rouges, la note moyenne ou pire, sans qu'on ne comprenne vraiment ce qui est reproch\u00e9. Le d\u00e9m\u00e9nagement a fini de casser ce qui restait. Du Bourbonnais au Vexin, nous avons atterri \u00e0 Parmain, sur la rive droite d\u2019une Oise sombre qui sentait le fuel. Depuis la fen\u00eatre de la cuisine, au-del\u00e0 de l\u2019all\u00e9e de gravier et de la route goudronn\u00e9e, des p\u00e9niches lourdes se trainaient laissant derri\u00e8re elles des nappes grasses \u00e0 la surface des vitres ; les berges \u00e9taient couvertes de d\u00e9chets, bouts de plastique, ferraille, branches noircies. On avait donc quitt\u00e9 le bocage et la rivi\u00e8re claire pour \u00e7a. Quand je marchais vers Jouy-le-Comte, avec ses maisons cossues, son ch\u00e2teau, les champs lourds et fertiles, je voyais bien que tout n\u2019\u00e9tait pas mis\u00e8re, mais en moi l'impression du sali demeura. Trop de choses changeaient d\u2019un coup : les lieux, les visages, le corps qui se transforme, et moi l\u00e0-dedans, sans prise. Ma vie scolaire a commenc\u00e9 \u00e0 d\u00e9gringoler, et je me repliais de plus en plus souvent dans ma petite chambre au premier \u00e9tage, coinc\u00e9e sous le toit, \u00e0 m\u2019enfoncer dans des bandes dessin\u00e9es et des contes et l\u00e9gendes comme si je pouvais reconstituer, avec ces histoires-l\u00e0, un territoire o\u00f9 rien n\u2019avait boug\u00e9. En lisant [Apprendre l\u2019invention] de Fran\u00e7ois Bon, r\u00e9cemment, certaines phrases m\u2019ont ramen\u00e9 d\u2019un coup cette \u00e9poque. Surtout celles qu\u2019il cite dans leur forme brute, comme ce d\u00e9but : A l\u2019\u00e2ge de 5 ans j\u2019etait Mise en passion. Cette syntaxe bancale m\u2019a renvoy\u00e9 en plein dans un cours de fran\u00e7ais. Le professeur demandait \u00e0 chacun de se pr\u00e9senter. Je croyais que c\u2019\u00e9tait un jeu. Un \u00e9l\u00e8ve a dit Mesureur, un autre Le Tourneur, encore un autre S\u00e9gur ; j\u2019en ai conclu qu\u2019il fallait s\u2019inventer un nom et, quand mon tour est venu, j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 Mirabeau sans bien savoir qui \u00e9tait Mirabeau. Le silence est tomb\u00e9, quelques rires \u00e9touff\u00e9s ont travers\u00e9 le fond de la classe, le professeur m\u2019a regard\u00e9 par-dessus ses lunettes et a r\u00e9p\u00e9t\u00e9 mon vrai nom, bien \u00e0 plat, pour remettre les choses en ordre. Le sang m\u2019est mont\u00e9 aux oreilles : j\u2019avais voulu faire comme les autres, je venais d\u2019ajouter une couche au d\u00e9calage. J\u2019avais un accent terrible quand je suis arriv\u00e9 en r\u00e9gion parisienne ; j\u2019\u00e9tais le gars de la cambrousse qui monte \u00e0 la ville , avec en plus mon ind\u00e9crottable timidit\u00e9, les chemises cousues par ma m\u00e8re, le pantalon trop court, les godasses fatigu\u00e9es. Il suffit de remettre ce costume dans la cour du coll\u00e8ge pour entendre la phrase qui r\u00f4de sans qu\u2019on ait besoin de l\u2019\u00e9crire : >\u00e0 dix ans, la vie m'a tu\u00e9 une fois de plus \u00c0 partir de l\u00e0, j\u2019ai appris vite \u00e0 masquer ce qui pouvait casser : gommer l\u2019accent, surveiller ce que je disais pour que \u00e7a ait l'air , donner le change. Faire semblant d\u2019\u00eatre celui qu\u2019on attendait, ou plut\u00f4t celui que j\u2019imaginais qu\u2019on attendait. Quand aujourd\u2019hui je relis les textes de 2019, je retrouve tout cela que j\u2019ai envie de renier, je vois aussi le bricolage \u00e0 l\u2019\u0153uvre : une mani\u00e8re de parler en \u00ab je \u00bb tout en gardant une distance de s\u00e9curit\u00e9. Autrement dit, la naissance du dibbouk \u2013 ce double qui parle \u00e0 ma place et encaisse pour moi \u2013 doit remonter \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 cette p\u00e9riode, entre l\u2019Oise noire, le cours de fran\u00e7ais et le fou rire \u00e9touff\u00e9 de la classe, \u00e0 moins qu\u2019il ne vienne d\u2019encore bien plus loin, d\u2019un secret conserv\u00e9 de m\u00e8re en fille depuis les pogroms d\u2019Ukraine et de Bi\u00e9lorussie, et des quelques survivants r\u00e9fugi\u00e9s en Estonie, appartenant encore \u00e0 l\u2019Empire russe mais non comprise dans la zone de r\u00e9sidence. 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R\u00eave \u00e9trange dans lequel je suis avec G., ancien comptable et \u00e9l\u00e8ve, sur la terrasse d’une maison de toute \u00e9vidence situ\u00e9e dans le sud de la France. Il y a une histoire de clefs. Je vois deux clefs sur le sol mais aucune d’elles ne correspond \u00e0 la clef de chez moi. Et donc G. m’accompagne devant chez moi (qui se trouve dans le 18\u1d49 \u00e0 Simplon), je lui rends ses clefs \u00e0 lui, et je jette toutes les clefs que j’ai dans les poches sur le sol pour trouver la mienne, mais je ne la trouve pas. Je ne peux plus entrer chez moi, nous retournons chez G. et montons sur la terrasse, il \u00e9carte des feuilles de ce que j’ai d’abord pris pour une glycine et l\u00e0 j’aper\u00e7ois du raisin noir, des grains \u00e9normes et juteux. Mais je ne me souviens pas d’en avoir mang\u00e9. La surprise vient non pas d’une salivation soudaine mais de m’\u00eatre tromp\u00e9 de mot, glycine contre vigne. Puis je me r\u00e9veille, 4 h 35 du matin, je me souviens que G. est mort depuis trois ans.<\/p>\n

Je pensais en avoir fini avec le chamanisme et donc probablement avec la peinture, sans faire le lien aussi nettement que maintenant que je l’\u00e9cris. Probablement en raison d’un doute persistant qui se sera effac\u00e9 \u00e0 force de ne plus y songer. La naissance de ce doute je peux la situer \u00e0 peu pr\u00e8s au m\u00eame moment o\u00f9 j’ai arr\u00eat\u00e9 de publier des vid\u00e9os sur YouTube, il y a trois ans.<\/p>\n

Je me rends compte que je termine les deux paragraphes au-dessus avec ce constat d’une double mort, une r\u00e9elle et une autre symbolique, bien s\u00fbr. Mais peut-\u00eatre que l’int\u00e9r\u00eat ne porte pas sur la mort mais sur trois ans.<\/p>\n

Le Covid, ajout\u00e9 aux difficult\u00e9s administratives, \u00e0 l’impossibilit\u00e9 de prendre ma retraite, \u00e0 une prise de conscience soudaine probablement de la vieillesse, d’une vuln\u00e9rabilit\u00e9 que je n’avais que peu envisag\u00e9e, \u00e0 la certitude que je n’avais jamais \u00e9t\u00e9 au bout du compte qu’un imposteur dans de multiples domaines. Une imposture qui commence et probablement s’ach\u00e8vera avec moi-m\u00eame plus qu’avec les autres. Car les autres ne sont jamais dupes.<\/p>\n

Donc s’il faut dater le tout d\u00e9but de ce qui ressemble \u00e0 un effondrement, 2022 para\u00eet correct. Non seulement je prends conscience de celui-ci mais je continue de faire comme avant, de ne pas trop m’arr\u00eater sur le sujet. Encore que, pour \u00eatre tout \u00e0 fait honn\u00eate avec l’homme que j’\u00e9tais encore en 2022, l’id\u00e9e d’imposture soit un grand mot. Il vaudrait mieux \u00e9crire que ces \u00e9tiquettes \u00e9taient us\u00e9es tout simplement, que je les trouvais soudain d\u00e9mod\u00e9es face \u00e0 la totale incompr\u00e9hension du monde et donc de moi-m\u00eame au c\u0153ur de l’\u00e9pisode surnaturel que nous traversions.<\/p>\n

Il y a deux fa\u00e7ons de changer son fusil d’\u00e9paule comme il y a deux fa\u00e7ons de faire bien des choses. De bonne ou de mauvaise gr\u00e2ce, ce qui pourrait se traduire par d’accord ou pas d’accord avec le changement. J’ai toujours \u00e9t\u00e9 d’accord avec tout changement, ou je croyais l’\u00eatre, ma propre survie en d\u00e9pendant (et c’est de l\u00e0 que na\u00eet ce sentiment d’imposture) avec l’id\u00e9e d’\u00eatre d’une souplesse \u00e0 toute \u00e9preuve qui n’avait \u00e9t\u00e9 conserv\u00e9e que pour me dissimuler les premiers ravages de la vieillesse : douleurs articulaires et ruminations.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que 2022 marque simplement le constat de n’\u00eatre plus aussi « jeune » que je voulais encore le croire, mais vainement. C’est comme se r\u00e9veiller d’un r\u00eave, ouvrir les yeux dans la p\u00e9nombre, ignorer un instant jusqu’\u00e0 l’existence du corps, puis s’en souvenir vaguement — est-on certain d’avoir un corps ? on se t\u00e2te pour s’en assurer et les premi\u00e8res douleurs se r\u00e9veillent, et avec elles la r\u00e9alit\u00e9 devient tangible.<\/p>\n

Parall\u00e8lement \u00e0 ce constat, comment faire ? Les engagements pris pour les expositions, la r\u00e9gularit\u00e9 de m\u00e9tronome des ateliers dans divers lieux g\u00e9ographiques, les contrats... il fallait continuer \u00e0 payer les factures, impossible de se ressaisir totalement. \u00c0 la prise de conscience d’\u00eatre prisonnier d’un mauvais r\u00eave dont on peut s’\u00e9jecter en se r\u00e9veillant, ce furent trois ann\u00e9es au cours desquelles je devins un c\u00e9tac\u00e9, ne remontant \u00e0 la surface pour respirer qu’en \u00e9crivant sur un blog commenc\u00e9 mollement en 2018.<\/p>\n

De ce r\u00e9veil depuis l’apn\u00e9e en rebondissements multiples, de cette r\u00e9alit\u00e9 de plus en plus douloureuse, comment faire face. Il est plus plausible que la l\u00e2chet\u00e9 habituelle (autrement dit mon exigence d\u00e9mesur\u00e9e) m’ait conduit \u00e0 chercher une issue de secours.<\/p>\n

J’ai retrouv\u00e9 l’un de mes premiers textes lorsqu’en 2022 je m’\u00e9tais inscrit \u00e0 l’atelier d’\u00e9criture de Tierslivre.<\/p>\n

-la ville, la rue, encore elle\u2026 et cette sensation — pas un souvenir, — un frisson \u2026 quelque chose glisse, s\u2019\u00e9chappe\u2026 mais c\u2019est l\u00e0, .. \u00e7a devrait\u2026 \u00e7a pourrait\u2026 non, pas le marchand, il n\u2019est plus l\u00e0 — la fille peut-\u00eatre, ou son ombre\u2026 « Sophie », vraiment ?\u2026 non, Magali\u2026 pourquoi \u00e7a revient comme \u00e7a, brutalement, sans filtre\u2026 le reflet\u2026 c\u2019\u00e9tait qui ? une version \u2026 quelqu\u2019un regarde\u2026 de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9\u2026 le sandwich\u2026 les cornets\u2026 ce serait simple, si\u2026 non\u2026 pas maintenant\u2026 pas cette fois\u2026 quatre euros cinquante, c\u2019est cher pour un retour en enfance\u2026 revenir, ou pas\u2026<\/p>\n

D’ailleurs ce texte n’est pas l’original, il a \u00e9t\u00e9 r\u00e9\u00e9crit en f\u00e9vrier 2025 mais le fond reste le m\u00eame. Ce texte n’est qu’un tout petit morceau d’un immense iceberg. En ce mois de juin 2022, date de mon inscription, je constate une profusion suspecte de textes \u00e9crits lors d’une seule journ\u00e9e (le 13\/06). C’\u00e9tait l\u00e0 vraiment se ruer vers une issue de secours. Une repr\u00e9sentation de la panique. Le travail de r\u00e9\u00e9criture commence donc en f\u00e9vrier 2025, avec peut-\u00eatre le moteur identifi\u00e9 de vouloir sortir de ce que je consid\u00e8re \u00eatre un \u00e9garement plut\u00f4t qu’une imposture v\u00e9ritable.<\/p>\n

Hier, atelier sur le visage, M. C. me rappelle que j’ai d\u00fb conserver la clef du local de C. En effet, depuis tout ce temps, elle est rest\u00e9e accroch\u00e9e \u00e0 mon trousseau. La lui rendre est comme une d\u00e9livrance.<\/p>", "content_text": " R\u00eave \u00e9trange dans lequel je suis avec G., ancien comptable et \u00e9l\u00e8ve, sur la terrasse d'une maison de toute \u00e9vidence situ\u00e9e dans le sud de la France. Il y a une histoire de clefs. Je vois deux clefs sur le sol mais aucune d'elles ne correspond \u00e0 la clef de chez moi. Et donc G. m'accompagne devant chez moi (qui se trouve dans le 18\u1d49 \u00e0 Simplon), je lui rends ses clefs \u00e0 lui, et je jette toutes les clefs que j'ai dans les poches sur le sol pour trouver la mienne, mais je ne la trouve pas. Je ne peux plus entrer chez moi, nous retournons chez G. et montons sur la terrasse, il \u00e9carte des feuilles de ce que j'ai d'abord pris pour une glycine et l\u00e0 j'aper\u00e7ois du raisin noir, des grains \u00e9normes et juteux. Mais je ne me souviens pas d'en avoir mang\u00e9. La surprise vient non pas d'une salivation soudaine mais de m'\u00eatre tromp\u00e9 de mot, glycine contre vigne. Puis je me r\u00e9veille, 4 h 35 du matin, je me souviens que G. est mort depuis trois ans. Je pensais en avoir fini avec le chamanisme et donc probablement avec la peinture, sans faire le lien aussi nettement que maintenant que je l'\u00e9cris. Probablement en raison d'un doute persistant qui se sera effac\u00e9 \u00e0 force de ne plus y songer. La naissance de ce doute je peux la situer \u00e0 peu pr\u00e8s au m\u00eame moment o\u00f9 j'ai arr\u00eat\u00e9 de publier des vid\u00e9os sur YouTube, il y a trois ans. Je me rends compte que je termine les deux paragraphes au-dessus avec ce constat d'une double mort, une r\u00e9elle et une autre symbolique, bien s\u00fbr. Mais peut-\u00eatre que l'int\u00e9r\u00eat ne porte pas sur la mort mais sur trois ans. Le Covid, ajout\u00e9 aux difficult\u00e9s administratives, \u00e0 l'impossibilit\u00e9 de prendre ma retraite, \u00e0 une prise de conscience soudaine probablement de la vieillesse, d'une vuln\u00e9rabilit\u00e9 que je n'avais que peu envisag\u00e9e, \u00e0 la certitude que je n'avais jamais \u00e9t\u00e9 au bout du compte qu'un imposteur dans de multiples domaines. Une imposture qui commence et probablement s'ach\u00e8vera avec moi-m\u00eame plus qu'avec les autres. Car les autres ne sont jamais dupes. Donc s'il faut dater le tout d\u00e9but de ce qui ressemble \u00e0 un effondrement, 2022 para\u00eet correct. Non seulement je prends conscience de celui-ci mais je continue de faire comme avant, de ne pas trop m'arr\u00eater sur le sujet. Encore que, pour \u00eatre tout \u00e0 fait honn\u00eate avec l'homme que j'\u00e9tais encore en 2022, l'id\u00e9e d'imposture soit un grand mot. Il vaudrait mieux \u00e9crire que ces \u00e9tiquettes \u00e9taient us\u00e9es tout simplement, que je les trouvais soudain d\u00e9mod\u00e9es face \u00e0 la totale incompr\u00e9hension du monde et donc de moi-m\u00eame au c\u0153ur de l'\u00e9pisode surnaturel que nous traversions. Il y a deux fa\u00e7ons de changer son fusil d'\u00e9paule comme il y a deux fa\u00e7ons de faire bien des choses. De bonne ou de mauvaise gr\u00e2ce, ce qui pourrait se traduire par d'accord ou pas d'accord avec le changement. J'ai toujours \u00e9t\u00e9 d'accord avec tout changement, ou je croyais l'\u00eatre, ma propre survie en d\u00e9pendant (et c'est de l\u00e0 que na\u00eet ce sentiment d'imposture) avec l'id\u00e9e d'\u00eatre d'une souplesse \u00e0 toute \u00e9preuve qui n'avait \u00e9t\u00e9 conserv\u00e9e que pour me dissimuler les premiers ravages de la vieillesse : douleurs articulaires et ruminations. Peut-\u00eatre que 2022 marque simplement le constat de n'\u00eatre plus aussi \u00ab jeune \u00bb que je voulais encore le croire, mais vainement. C'est comme se r\u00e9veiller d'un r\u00eave, ouvrir les yeux dans la p\u00e9nombre, ignorer un instant jusqu'\u00e0 l'existence du corps, puis s'en souvenir vaguement \u2014 est-on certain d'avoir un corps ? on se t\u00e2te pour s'en assurer et les premi\u00e8res douleurs se r\u00e9veillent, et avec elles la r\u00e9alit\u00e9 devient tangible. Parall\u00e8lement \u00e0 ce constat, comment faire ? Les engagements pris pour les expositions, la r\u00e9gularit\u00e9 de m\u00e9tronome des ateliers dans divers lieux g\u00e9ographiques, les contrats... il fallait continuer \u00e0 payer les factures, impossible de se ressaisir totalement. \u00c0 la prise de conscience d'\u00eatre prisonnier d'un mauvais r\u00eave dont on peut s'\u00e9jecter en se r\u00e9veillant, ce furent trois ann\u00e9es au cours desquelles je devins un c\u00e9tac\u00e9, ne remontant \u00e0 la surface pour respirer qu'en \u00e9crivant sur un blog commenc\u00e9 mollement en 2018. De ce r\u00e9veil depuis l'apn\u00e9e en rebondissements multiples, de cette r\u00e9alit\u00e9 de plus en plus douloureuse, comment faire face. Il est plus plausible que la l\u00e2chet\u00e9 habituelle (autrement dit mon exigence d\u00e9mesur\u00e9e) m'ait conduit \u00e0 chercher une issue de secours. J'ai retrouv\u00e9 l'un de mes premiers textes lorsqu'en 2022 je m'\u00e9tais inscrit \u00e0 l'atelier d'\u00e9criture de Tierslivre. -la ville, la rue, encore elle\u2026 et cette sensation \u2014 pas un souvenir, \u2014 un frisson \u2026 quelque chose glisse, s\u2019\u00e9chappe\u2026 mais c\u2019est l\u00e0, .. \u00e7a devrait\u2026 \u00e7a pourrait\u2026 non, pas le marchand, il n\u2019est plus l\u00e0 \u2014 la fille peut-\u00eatre, ou son ombre\u2026 \u00ab Sophie \u00bb, vraiment ?\u2026 non, Magali\u2026 pourquoi \u00e7a revient comme \u00e7a, brutalement, sans filtre\u2026 le reflet\u2026 c\u2019\u00e9tait qui ? une version \u2026 quelqu\u2019un regarde\u2026 de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9\u2026 le sandwich\u2026 les cornets\u2026 ce serait simple, si\u2026 non\u2026 pas maintenant\u2026 pas cette fois\u2026 quatre euros cinquante, c\u2019est cher pour un retour en enfance\u2026 revenir, ou pas\u2026 D'ailleurs ce texte n'est pas l'original, il a \u00e9t\u00e9 r\u00e9\u00e9crit en f\u00e9vrier 2025 mais le fond reste le m\u00eame. Ce texte n'est qu'un tout petit morceau d'un immense iceberg. En ce mois de juin 2022, date de mon inscription, je constate une profusion suspecte de textes \u00e9crits lors d'une seule journ\u00e9e (le 13\/06). C'\u00e9tait l\u00e0 vraiment se ruer vers une issue de secours. Une repr\u00e9sentation de la panique. Le travail de r\u00e9\u00e9criture commence donc en f\u00e9vrier 2025, avec peut-\u00eatre le moteur identifi\u00e9 de vouloir sortir de ce que je consid\u00e8re \u00eatre un \u00e9garement plut\u00f4t qu'une imposture v\u00e9ritable. Hier, atelier sur le visage, M. C. me rappelle que j'ai d\u00fb conserver la clef du local de C. En effet, depuis tout ce temps, elle est rest\u00e9e accroch\u00e9e \u00e0 mon trousseau. La lui rendre est comme une d\u00e9livrance. 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Il pleut mais ne fait pas froid. Qui donc. Qui pleut, qui ne fait pas froid. Il ne convient pas de placer au bout de chaque question un signe pour l\u2019indiquer. D\u2019ailleurs qui s\u2019adresse \u00e0 qui ou quoi \u00e0 chacun, chacune. Et qui cela peut-il bien \u00eatre que ce chacune, que ce chacun. Cela m\u00e9rite-t-il vraiment une r\u00e9ponse. Des r\u00e9ponses, autant de blabla. Ce matin, le mot dessillement me dessille. Action de (se) dessiller les yeux, de voir clair au-del\u00e0 des apparences ; r\u00e9sultat de cette action : « Ses yeux [d\u2019Henriette] humides de larmes annon\u00e7aient un dessillement supr\u00eame, elle apercevait d\u00e9j\u00e0 les joies c\u00e9lestes de la terre promise. » (Balzac, Le Lys dans la vall\u00e9e). C\u2019est dans En attendant Nadeau<\/a> que je lis ce mot \u00e0 propos du b\u00e9otien qui d\u00e9couvrirait dans ces lignes (celles de l\u2019article ou du livre de Michon ?) les bronzes d\u2019Ag\u00e9ladas. Mais merci pour le mot airain qui suit un peu plus loin. Je l\u2019avais tant aim\u00e9, comme \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce que j\u2019ai tant aim\u00e9, puis fini par oublier. Et H\u00e9ron, et les statues et les cloches dans les reins, et l\u2019air et le rien, et les machines \u00e0 vapeur, et les automates grecs ou byzantins. Et Alexandrie et Constantinople. Mais \u00e9tait-ce bien Th\u00e9ophile qui lutta contre les Abbassides ? Pas tant que \u00e7a, tout de m\u00eame, car \u00e0 cette \u00e9poque on savait voir \u00e0 long terme. On savait d\u00e9j\u00e0 cr\u00e9er des r\u00e9seaux par l\u2019entremise du morse optique. Pauvres de nous qui sommes devenus si imbus de nous-m\u00eames, qu\u2019ignorants et b\u00eates. Le progr\u00e8s ne va pas vers un meilleur de l\u2019homme, pas plus que vers celui de la femme. Le progr\u00e8s va vers quoi. Vers la destruction \u00e0 plus ou moins long terme. Le progr\u00e8s est un autre mot pour dire la pulsion suicidaire. Et, comme d\u2019habitude, cela part d\u2019un « bon sentiment », le r\u00eave d\u2019un monde meilleur. Le mieux \u00e9tant l\u2019ennemi du bien<\/em>, comme disaient les vieux, et comme j\u2019ai, moi aussi, tendance \u00e0 mal vieillir. Je pense \u00e0 l\u2019\u00e9rudition et \u00e0 la mani\u00e8re de n\u2019en pas parler ouvertement. L\u2019\u00e9rudition \u00e9tant, comme les voyages pour le commun des mortels, chose si extravagante, appartenant au domaine de l\u2019imaginaire, qu\u2019il sied toujours mal de l\u2019\u00e9taler (je ne sais pas si on peut dire « sied ou va chier » comme \u00e7a, tout simplement parce que \u00e7a sonne bien). <\/p>\n

Tout \u00e7a pour dire que je n\u2019ai pas grand-chose \u00e0 dire, et de le dire en essayant de ne pas trop m\u2019apitoyer sur mon sort ou de gluxmaniser les gens qui, par hasard, me lisent <\/p>\n

Donc, je voulais aussi dire qu\u2019hier soir une sorte de dessillement en essayant d\u2019imaginer d\u2019autres civilisations que la n\u00f4tre, soit plus \u00e2g\u00e9es de quelques milliards d\u2019ann\u00e9es, dans d\u2019autres galaxies, soit d\u2019autres civilisations ayant exist\u00e9 ici sur Terre mais dont il serait impossible de trouver trace , parce qu\u2019elles n\u2019utilisaient pas les m\u00eames mat\u00e9riaux ou la m\u00eame philosophie que la n\u00f4tre en mati\u00e8re de civilisation. Bref, un dessillement face \u00e0 l\u2019insommensurable. Car nous sommes d\u00e9sormais tant dans la mesure que nous filons vers la d\u00e9mesure, mais jamais vers l\u2019impossibilit\u00e9 de mesurer. Ce concept nous est devenu \u00e9tranger. L\u2019incommensurable devrait pourtant nous interroger, sa notion en tout cas, s\u2019il est impossible de s\u2019en faire vraiment une id\u00e9e. Comment, nous, par exemple, si nous ne nous d\u00e9truisons pas avec notre environnement, devrons-nous muter pour affronter les mill\u00e9naires \u00e0 venir. L\u2019individualit\u00e9 n\u2019est pas viable, trop fragile, vuln\u00e9rable. Devrons-nous trouver des solutions hybrides bien au-del\u00e0 du concept de transhumanisme actuel pour maintenir en \u00e9tat la seule chose, finalement, qui vaille, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019information et sa propre conscience. Ceci me ram\u00e8ne \u00e9videmment, encore une fois, au peuple fourmi et aux Hopis, sans tomber dans le concept fumeux New Age d\u2019une th\u00e9orie de la race \u00e9lue, concept tout aussi fumeux donc que la th\u00e9orie de la race pure, juive ou nazie, et d\u2019un seul coup — vertige — je n\u2019en dirai pas plus. <\/p>", "content_text": " Il pleut mais ne fait pas froid. Qui donc. Qui pleut, qui ne fait pas froid. Il ne convient pas de placer au bout de chaque question un signe pour l\u2019indiquer. D\u2019ailleurs qui s\u2019adresse \u00e0 qui ou quoi \u00e0 chacun, chacune. Et qui cela peut-il bien \u00eatre que ce chacune, que ce chacun. Cela m\u00e9rite-t-il vraiment une r\u00e9ponse. Des r\u00e9ponses, autant de blabla. Ce matin, le mot dessillement me dessille. Action de (se) dessiller les yeux, de voir clair au-del\u00e0 des apparences ; r\u00e9sultat de cette action : \u00ab Ses yeux [d\u2019Henriette] humides de larmes annon\u00e7aient un dessillement supr\u00eame, elle apercevait d\u00e9j\u00e0 les joies c\u00e9lestes de la terre promise. \u00bb (Balzac, Le Lys dans la vall\u00e9e). C\u2019est dans [En attendant Nadeau->https:\/\/www.en-attendant-nadeau.fr\/2025\/12\/02\/peut-on-se-fier-a-la-parole-de-michon\/] que je lis ce mot \u00e0 propos du b\u00e9otien qui d\u00e9couvrirait dans ces lignes (celles de l\u2019article ou du livre de Michon ?) les bronzes d\u2019Ag\u00e9ladas. Mais merci pour le mot airain qui suit un peu plus loin. Je l\u2019avais tant aim\u00e9, comme \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce que j\u2019ai tant aim\u00e9, puis fini par oublier. Et H\u00e9ron, et les statues et les cloches dans les reins, et l\u2019air et le rien, et les machines \u00e0 vapeur, et les automates grecs ou byzantins. Et Alexandrie et Constantinople. Mais \u00e9tait-ce bien Th\u00e9ophile qui lutta contre les Abbassides ? Pas tant que \u00e7a, tout de m\u00eame, car \u00e0 cette \u00e9poque on savait voir \u00e0 long terme. On savait d\u00e9j\u00e0 cr\u00e9er des r\u00e9seaux par l\u2019entremise du morse optique. Pauvres de nous qui sommes devenus si imbus de nous-m\u00eames, qu\u2019ignorants et b\u00eates. Le progr\u00e8s ne va pas vers un meilleur de l\u2019homme, pas plus que vers celui de la femme. Le progr\u00e8s va vers quoi. Vers la destruction \u00e0 plus ou moins long terme. Le progr\u00e8s est un autre mot pour dire la pulsion suicidaire. Et, comme d\u2019habitude, cela part d\u2019un \u00ab bon sentiment \u00bb, le r\u00eave d\u2019un monde meilleur. *Le mieux \u00e9tant l\u2019ennemi du bien*, comme disaient les vieux, et comme j\u2019ai, moi aussi, tendance \u00e0 mal vieillir. Je pense \u00e0 l\u2019\u00e9rudition et \u00e0 la mani\u00e8re de n\u2019en pas parler ouvertement. L\u2019\u00e9rudition \u00e9tant, comme les voyages pour le commun des mortels, chose si extravagante, appartenant au domaine de l\u2019imaginaire, qu\u2019il sied toujours mal de l\u2019\u00e9taler (je ne sais pas si on peut dire \u00ab sied ou va chier \u00bb comme \u00e7a, tout simplement parce que \u00e7a sonne bien). Tout \u00e7a pour dire que je n\u2019ai pas grand-chose \u00e0 dire, et de le dire en essayant de ne pas trop m\u2019apitoyer sur mon sort ou de gluxmaniser les gens qui, par hasard, me lisent Donc, je voulais aussi dire qu\u2019hier soir une sorte de dessillement en essayant d\u2019imaginer d\u2019autres civilisations que la n\u00f4tre, soit plus \u00e2g\u00e9es de quelques milliards d\u2019ann\u00e9es, dans d\u2019autres galaxies, soit d\u2019autres civilisations ayant exist\u00e9 ici sur Terre mais dont il serait impossible de trouver trace , parce qu\u2019elles n\u2019utilisaient pas les m\u00eames mat\u00e9riaux ou la m\u00eame philosophie que la n\u00f4tre en mati\u00e8re de civilisation. Bref, un dessillement face \u00e0 l\u2019insommensurable. Car nous sommes d\u00e9sormais tant dans la mesure que nous filons vers la d\u00e9mesure, mais jamais vers l\u2019impossibilit\u00e9 de mesurer. Ce concept nous est devenu \u00e9tranger. L\u2019incommensurable devrait pourtant nous interroger, sa notion en tout cas, s\u2019il est impossible de s\u2019en faire vraiment une id\u00e9e. Comment, nous, par exemple, si nous ne nous d\u00e9truisons pas avec notre environnement, devrons-nous muter pour affronter les mill\u00e9naires \u00e0 venir. L\u2019individualit\u00e9 n\u2019est pas viable, trop fragile, vuln\u00e9rable. Devrons-nous trouver des solutions hybrides bien au-del\u00e0 du concept de transhumanisme actuel pour maintenir en \u00e9tat la seule chose, finalement, qui vaille, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019information et sa propre conscience. Ceci me ram\u00e8ne \u00e9videmment, encore une fois, au peuple fourmi et aux Hopis, sans tomber dans le concept fumeux New Age d\u2019une th\u00e9orie de la race \u00e9lue, concept tout aussi fumeux donc que la th\u00e9orie de la race pure, juive ou nazie, et d\u2019un seul coup \u2014 vertige \u2014 je n\u2019en dirai pas plus. 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Lutter contre la vitesse \u00e0 laquelle tu \u00e9cris <\/p>\n

parce que<\/del> tu ne veux pas r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 ce que tu \u00e9cris.<\/p>\n

( tu ne veux pas ou tu ne peux pas ?) <\/p>\n

Tu ne pr\u00e9f\u00e8rerais pas<\/em> <\/p>\n

Dehors<\/del> par la vitre, par l’interm\u00e9diaire ? l’entremise ? le froid se sent<\/del> pose et p\u00e8se sur les avant-bras pendant que<\/del> quand tu \u00e9cris <\/p>\n

tu \u00e9cris dehors<\/em> mais ce n’est pas juste <\/p>\n

c’est dedans qu’il fait froid de l’autre c\u00f4t\u00e9 de la vitre <\/p>\n

non <\/p>\n

en fait<\/del> il fait froid partout<\/p>\n

cesse d’expliquer \nentra\u00eene-toi <\/p>\n

la vitesse est li\u00e9e \u00e0 ce manque d’entra\u00eenement dis-tu <\/p>\n

regarde la vitesse<\/del> rapidit\u00e9 ( tagada, tagada ) avec laquelle tu \u00e9cris <\/p>\n

oh la vache dit la vache, un train vient de passer<\/p>\n

neige \npas \nr\u00eav\u00e9 ?<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, j\u2019ai appris \u00e0 biffer en markdown.<\/p>\n

tu pourras bient\u00f4t publier des recettes de cuisine <\/p>\n

la langue de boeuf n’a plus aucun secret pour toi<\/p>\n

Et donc te voici en d\u00e9cembre. Il dit \u00e7a et je ne sais pas s\u2019il veut que je prenne \u00e7a pour une question. Je le regarde et ne r\u00e9ponds rien. <\/p>\n

-- Tu dirais que tu es triste, me dit-il encore. <\/p>\n

Silence. Pas un silence qui demande des efforts, un silence facile. Peut-\u00eatre pas tout de m\u00eame un silence r\u00e9flexe, un silence du chien de Pavlov, oui, c\u2019est \u00e7a : un silence sans bavure. <\/p>\n

-- O\u00f9 sont pass\u00e9s tes r\u00eaves ?, ajoute-t-il vicieusement. <\/p>\n

-- Mais qu\u2019est-ce que \u00e7a peut bien te foutre ?, \u00e7a sort d\u2019un coup un peu m\u00e9chamment. <\/p>\n

Il rit. <\/p>\n

-- Trop facile ! <\/p>\n

Il me vient l\u2019image d\u2019une pi\u00e8ce absolument vide, peu importe la fonction de cette pi\u00e8ce, l\u2019important est qu\u2019il ne reste aucun grain de poussi\u00e8re. L\u00e0, j\u2019apporte un tabouret de bois, je le place au milieu de la pi\u00e8ce, je m\u2019assois. <\/p>\n

-- Tu maquilles une voiture vol\u00e9e. Elle appartient \u00e0 Miller celle-l\u00e0 : Tropique du Cancer<\/em>, page 1. <\/p>\n

\n

J\u2019habite Villa Borgh\u00e8se. Il n\u2019y a pas une miette de salet\u00e9 nulle part, ni une chaise d\u00e9plac\u00e9e. Nous y sommes tout seuls, et nous sommes morts. <\/p>\n<\/blockquote>\n

-- Est-ce qu\u2019un jour tu sortiras de cette figure romantique ? <\/p>\n

-- Est-ce que l\u2019on sort jamais de l\u2019abandon ? <\/p>\n

Il est possible qu\u2019un rapport advienne entre ces deux phrases, un rapport \u00e0 ranger sur l\u2019\u00e9tag\u00e8re, l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on range tout ce qui a comme sujet la b\u00eate \u00e0 deux dos<\/em>. Un enfer sans Dante, tout simplement porno. <\/p>\n

-- Ton d\u00e9marrage sur les figures de l\u2019abandon \u00e9tait pas mal, mais comme d\u2019habitude fulgurance et chute. D\u00e8s que tu vois poindre la moindre autorit\u00e9 en toi tu te d\u00e9fenestres. <\/p>\n

-- [\u2026] ! <\/p>\n

-- L\u2019impression de radoter est une chose normale, tu ne peux pas t\u2019arr\u00eater \u00e0 ce seuil et encore une fois tourner les talons. <\/p>\n

-- Tu ne voudrais pas la fermer au moins pendant que je prends le caf\u00e9 ? <\/p>\n

-- Encore une bagnole maquill\u00e9e\u2026 Stephan Eicher, D\u00e9jeuner en paix<\/em>. <\/p>\n

-- Born in August 1960, plus jeune que moi. Mais \u00e7a ne me ram\u00e8ne qu\u2019aux ann\u00e9es 80. Je lisais aussi Djian comme tout le monde, et probablement aussi Paul Auster, Siri Hustvedt, n\u00e9e le 19 f\u00e9vrier 1955 \u00e0 Northfield, dans le Minnesota. Bien fatigu\u00e9e, cette derni\u00e8re. Tout ce que j\u2019aimais.<\/em> <\/p>\n

-- Tu ne peux d\u00e9cid\u00e9ment pas t\u2019emp\u00eacher. <\/p>\n

-- Tu veux dire que je ne suis pas assez un homme ? <\/p>\n

-- Si c\u2019est la seule r\u00e9ponse que tu attends toujours, d\u2019accord, mais je pensais au pass\u00e9 tout simplement. Tu ne peux pas t\u2019emp\u00eacher de te ruer dans le pass\u00e9. <\/p>\n

-- Le pass\u00e9 est rouge, le pass\u00e9 est un chiffon rouge et je suis le minotaure qui court dans les couloirs du labyrinthe pour essayer d\u2019attraper le fil rouge, autant dire peine perdue. <\/p>\n

-- Reviens aux sens. Arr\u00eate de t\u2019enfuir. Tiens, prends deux silex et frotte. <\/p>\n

-- Jamais personne n\u2019est parvenu \u00e0 faire du feu ainsi. <\/p>\n

-- Qui te parle de feu ? Renifle seulement l\u2019odeur. <\/p>\n

-- Mais oui, l\u2019odeur, le portail, le retour vers je ne sais quoi, tout \u00e7a me fatigue. <\/p>\n

-- Plus la fatigue augmente, plus tu seras oblig\u00e9 de l\u00e2cher du lest de toute fa\u00e7on. <\/p>\n

-- Tais-toi, je t\u2019en prie. <\/p>\n

-- Encore un v\u00e9hicule vol\u00e9, Carver cette fois, tu n\u2019as pas honte un peu ? <\/p>\n

-- Je n\u2019ai pas honte, non, je suis la honte.<\/p>\n

Tout cela n’est qu’un feu d’artifice litt\u00e9raire jamais la mise \u00e0 nu souhait\u00e9e. La souhaite tu vraiment ou t’en moque tu ? c’est une vraie question.<\/p>\n

Tu \u00e9cris : “L\u2019impression de radoter est une chose normale”, puis tu continues exactement dans le m\u00eame mouvement. Dire “je radote” n\u2019annule pas le radotage, \u00e7a l\u2019habille. De m\u00eame pour : “D\u00e8s que tu vois poindre la moindre autorit\u00e9 en toi tu te d\u00e9fenestres” : tu pointes ta fuite, mais tu fuis quand m\u00eame juste apr\u00e8s, dans une autre image.<\/p>\n

--\u00e7a veut dire quoi Doc ? Irr\u00e9cup\u00e9rable ?\n-- je dirais assez pitoyable plut\u00f4t.<\/p>\n

\n

Il \u00e9voque “les figures de l\u2019abandon”, “la figure romantique”, le Minotaure dans le labyrinthe, la b\u00eate \u00e0 deux dos. Tout cela reste en l\u2019air. O\u00f9 est l\u2019abandon concret ? Qui t\u2019a laiss\u00e9 o\u00f9 ? Quand ? Avec quoi dans les mains ? On n\u2019en saura rien. En lieu et place, on a un panoptique de m\u00e9taphores.<\/p>\n<\/blockquote>\n

-- L\u2019injonction “Reviens aux sens” est la meilleure phrase\u2026 et tu la sabotes.\nLe “il” te dit : “Reviens aux sens. Arr\u00eate de t\u2019enfuir. Tiens, prends deux silex et frotte.” L\u00e0, tu as une possibilit\u00e9 : revenir effectivement \u00e0 un souvenir sensoriel net (une odeur, un bruit, une texture). Au lieu de \u00e7a, tu r\u00e9ponds aussit\u00f4t par une g\u00e9n\u00e9ralit\u00e9 (“Mais oui, l\u2019odeur, le portail, le retour vers je ne sais quoi, tout \u00e7a me fatigue.”) \u2013 une mani\u00e8re de couper court. Le texte rejoue exactement ce qu\u2019il d\u00e9nonce : d\u00e8s qu\u2019on approche d\u2019un point d\u2019ancrage, tu zappes.<\/p>\n

ok ok de toute fa\u00e7on je ne me d\u00e9barrasserai pas de toi si facilement ... <\/p>\n

[...]<\/p>\n

Et donc te voici en d\u00e9cembre. <\/p>\n

Il dit \u00e7a comme on annonce la m\u00e9t\u00e9o. Je ne sais pas s\u2019il attend une r\u00e9ponse. Je le regarde, je ne dis rien. <\/p>\n

-- Tu dirais que tu es triste, aujourd\u2019hui ? <\/p>\n

Le silence vient tout seul. Pas un silence arrach\u00e9, pas un silence boudeur. Juste le trou. <\/p>\n

-- O\u00f9 sont pass\u00e9s tes r\u00eaves ? <\/p>\n

Il en rajoute une couche. <\/p>\n

-- Mais qu\u2019est-ce que \u00e7a peut bien te foutre ? <\/p>\n

C\u2019est sorti trop vite. Un peu sec. Il sourit, sans se vexer. <\/p>\n

-- Trop facile. <\/p>\n

Je pense \u00e0 une pi\u00e8ce vide. Plus rien, ni meubles, ni cadres, ni rideaux. Juste le carrelage, les murs blancs. J\u2019apporte un tabouret en bois, je le pose au milieu, je m\u2019assois dessus. J\u2019attends. <\/p>\n

-- Tu sais que c\u2019est une voiture vol\u00e9e, ton d\u00e9cor, dit-il. <\/p>\n

Je vois tr\u00e8s bien de quoi il parle. Je connais la phrase par c\u0153ur, la chambre impeccable o\u00f9 “nous sommes morts”. Je ne la cite pas. <\/p>\n

-- Est-ce qu\u2019un jour tu sortiras de cette figure romantique ? <\/p>\n

-- Est-ce qu\u2019on sort jamais de l\u2019abandon ? <\/p>\n

Je jette \u00e7a comme une pi\u00e8ce sur la table. \u00c7a sonne bien, \u00e7a ne r\u00e9pond \u00e0 rien. <\/p>\n

Il me regarde un moment, sans parler. <\/p>\n

-- Tu avais commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9crire l\u00e0-dessus, les figures de l\u2019abandon. C\u2019\u00e9tait pas mal, dit-il. Et puis tu as tout l\u00e2ch\u00e9. Fulgurance et chute. D\u00e8s que tu vois poindre quelque chose qui ressemble \u00e0 une autorit\u00e9 en toi, tu sautes par la fen\u00eatre. <\/p>\n

Je l\u00e8ve les yeux au plafond. <\/p>\n

-- L\u2019impression de radoter, c\u2019est normal, reprend-il. Tu ne peux pas t\u2019arr\u00eater \u00e0 ce seuil et faire demi-tour \u00e0 chaque fois. <\/p>\n

-- Tu ne voudrais pas la fermer au moins pendant que je prends le caf\u00e9 ? <\/p>\n

La tasse est l\u00e0, entre nous, sur la petite table basse en verre. Le caf\u00e9 a refroidi. Une fine pellicule sombre s\u2019est form\u00e9e \u00e0 la surface. <\/p>\n

-- Tu vois ? dit-il. Tu pr\u00e9f\u00e8res m\u2019insulter plut\u00f4t que d\u2019\u00e9couter ce que tu viens de dire. <\/p>\n

Il laisse passer un silence, puis : <\/p>\n

-- Tu ne peux pas t\u2019emp\u00eacher de te jeter dans le pass\u00e9. <\/p>\n

-- Le pass\u00e9 est rouge, le pass\u00e9 est un chiffon rouge\u2026 <\/p>\n

Je m\u2019arr\u00eate. <\/p>\n

-- Continue, dit-il. Rouge comment ? <\/p>\n

Je ferme les yeux. Une image remonte, nette, aga\u00e7ante de nettet\u00e9 : le portail vert de la maison de mes grands-parents, peint trop souvent, la peinture qui craquelle par endroits. L\u2019odeur de fer rouill\u00e9 et de gasoil m\u00eal\u00e9s, parce qu\u2019on stockait des bidons juste derri\u00e8re. Le soir d\u2019hiver, la bu\u00e9e qui sort de la bouche quand je souffle dessus. <\/p>\n

Je pose la main sur l\u2019accoudoir du fauteuil. Le velours r\u00e2p\u00e9 accroche un peu sous les doigts. <\/p>\n

-- Voil\u00e0, dit-il. C\u2019est \u00e7a que je t\u2019ai demand\u00e9 tout \u00e0 l\u2019heure. Reviens aux sens. Arr\u00eate de t\u2019enfuir en m\u00e9taphores. <\/p>\n

-- \u00c7a me fatigue, dis-je. L\u2019odeur du portail, le retour, je ne sais m\u00eame plus vers quoi, tout \u00e7a me fatigue. <\/p>\n

-- Plus la fatigue augmente, plus tu devras l\u00e2cher du lest. <\/p>\n

-- Tais-toi, je t\u2019en prie. <\/p>\n

Il ne dit rien. Je sens qu\u2019il attend. <\/p>\n

-- Tu vois, reprend-il au bout d\u2019un moment, tu sais parfaitement que tu maquilles. Les citations, les images, c\u2019est pratique. \u00c7a passe pour de la culture, de la profondeur. Mais en dessous, c\u2019est toujours la m\u00eame sc\u00e8ne. <\/p>\n

-- Laquelle ? <\/p>\n

-- Tu restes dans le couloir, devant la porte, tu refuses d\u2019entrer, et tu passes ton temps \u00e0 commenter la couleur du bois. <\/p>\n

Je souris malgr\u00e9 moi. <\/p>\n

-- Tu n\u2019as pas honte un peu ? ajoute-t-il. <\/p>\n

-- Non. <\/p>\n

Je le dis calmement. <\/p>\n

-- Je n\u2019ai pas honte. Je suis la honte. <\/p>", "content_text": " Et donc te voici en d\u00e9cembre. Il dit \u00e7a et je ne sais pas s\u2019il veut que je prenne \u00e7a pour une question. Je le regarde et ne r\u00e9ponds rien. \u2014 Tu dirais que tu es triste, me dit-il encore. Silence. Pas un silence qui demande des efforts, un silence facile. Peut-\u00eatre pas tout de m\u00eame un silence r\u00e9flexe, un silence du chien de Pavlov, oui, c\u2019est \u00e7a : un silence sans bavure. \u2014 O\u00f9 sont pass\u00e9s tes r\u00eaves ?, ajoute-t-il vicieusement. \u2014 Mais qu\u2019est-ce que \u00e7a peut bien te foutre ?, \u00e7a sort d\u2019un coup un peu m\u00e9chamment. Il rit. \u2014 Trop facile ! Il me vient l\u2019image d\u2019une pi\u00e8ce absolument vide, peu importe la fonction de cette pi\u00e8ce, l\u2019important est qu\u2019il ne reste aucun grain de poussi\u00e8re. L\u00e0, j\u2019apporte un tabouret de bois, je le place au milieu de la pi\u00e8ce, je m\u2019assois. \u2014 Tu maquilles une voiture vol\u00e9e. Elle appartient \u00e0 Miller celle-l\u00e0 : *Tropique du Cancer*, page 1. > J\u2019habite Villa Borgh\u00e8se. Il n\u2019y a pas une miette de salet\u00e9 nulle part, ni une chaise d\u00e9plac\u00e9e. Nous y sommes tout seuls, et nous sommes morts. \u2014 Est-ce qu\u2019un jour tu sortiras de cette figure romantique ? \u2014 Est-ce que l\u2019on sort jamais de l\u2019abandon ? Il est possible qu\u2019un rapport advienne entre ces deux phrases, un rapport \u00e0 ranger sur l\u2019\u00e9tag\u00e8re, l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on range tout ce qui a comme sujet *la b\u00eate \u00e0 deux dos*. Un enfer sans Dante, tout simplement porno. \u2014 Ton d\u00e9marrage sur les figures de l\u2019abandon \u00e9tait pas mal, mais comme d\u2019habitude fulgurance et chute. D\u00e8s que tu vois poindre la moindre autorit\u00e9 en toi tu te d\u00e9fenestres. \u2014 [\u2026] ! \u2014 L\u2019impression de radoter est une chose normale, tu ne peux pas t\u2019arr\u00eater \u00e0 ce seuil et encore une fois tourner les talons. \u2014 Tu ne voudrais pas la fermer au moins pendant que je prends le caf\u00e9 ? \u2014 Encore une bagnole maquill\u00e9e\u2026 Stephan Eicher, *D\u00e9jeuner en paix*. \u2014 Born in August 1960, plus jeune que moi. Mais \u00e7a ne me ram\u00e8ne qu\u2019aux ann\u00e9es 80. Je lisais aussi Djian comme tout le monde, et probablement aussi Paul Auster, Siri Hustvedt, n\u00e9e le 19 f\u00e9vrier 1955 \u00e0 Northfield, dans le Minnesota. Bien fatigu\u00e9e, cette derni\u00e8re. *Tout ce que j\u2019aimais.* \u2014 Tu ne peux d\u00e9cid\u00e9ment pas t\u2019emp\u00eacher. \u2014 Tu veux dire que je ne suis pas assez un homme ? \u2014 Si c\u2019est la seule r\u00e9ponse que tu attends toujours, d\u2019accord, mais je pensais au pass\u00e9 tout simplement. Tu ne peux pas t\u2019emp\u00eacher de te ruer dans le pass\u00e9. \u2014 Le pass\u00e9 est rouge, le pass\u00e9 est un chiffon rouge et je suis le minotaure qui court dans les couloirs du labyrinthe pour essayer d\u2019attraper le fil rouge, autant dire peine perdue. \u2014 Reviens aux sens. Arr\u00eate de t\u2019enfuir. Tiens, prends deux silex et frotte. \u2014 Jamais personne n\u2019est parvenu \u00e0 faire du feu ainsi. \u2014 Qui te parle de feu ? Renifle seulement l\u2019odeur. \u2014 Mais oui, l\u2019odeur, le portail, le retour vers je ne sais quoi, tout \u00e7a me fatigue. \u2014 Plus la fatigue augmente, plus tu seras oblig\u00e9 de l\u00e2cher du lest de toute fa\u00e7on. \u2014 Tais-toi, je t\u2019en prie. \u2014 Encore un v\u00e9hicule vol\u00e9, Carver cette fois, tu n\u2019as pas honte un peu ? \u2014 Je n\u2019ai pas honte, non, je suis la honte. Tout cela n'est qu'un feu d'artifice litt\u00e9raire jamais la mise \u00e0 nu souhait\u00e9e. La souhaite tu vraiment ou t'en moque tu ? c'est une vraie question. Tu \u00e9cris : \u201cL\u2019impression de radoter est une chose normale\u201d, puis tu continues exactement dans le m\u00eame mouvement. Dire \u201cje radote\u201d n\u2019annule pas le radotage, \u00e7a l\u2019habille. De m\u00eame pour : \u201cD\u00e8s que tu vois poindre la moindre autorit\u00e9 en toi tu te d\u00e9fenestres\u201d : tu pointes ta fuite, mais tu fuis quand m\u00eame juste apr\u00e8s, dans une autre image. \u2014\u00e7a veut dire quoi Doc ? Irr\u00e9cup\u00e9rable ? \u2014 je dirais assez pitoyable plut\u00f4t. >Il \u00e9voque \u201cles figures de l\u2019abandon\u201d, \u201cla figure romantique\u201d, le Minotaure dans le labyrinthe, la b\u00eate \u00e0 deux dos. Tout cela reste en l\u2019air. O\u00f9 est l\u2019abandon concret ? Qui t\u2019a laiss\u00e9 o\u00f9 ? Quand ? Avec quoi dans les mains ? On n\u2019en saura rien. En lieu et place, on a un panoptique de m\u00e9taphores. \u2014 L\u2019injonction \u201cReviens aux sens\u201d est la meilleure phrase\u2026 et tu la sabotes. Le \u201cil\u201d te dit : \u201cReviens aux sens. Arr\u00eate de t\u2019enfuir. Tiens, prends deux silex et frotte.\u201d L\u00e0, tu as une possibilit\u00e9 : revenir effectivement \u00e0 un souvenir sensoriel net (une odeur, un bruit, une texture). Au lieu de \u00e7a, tu r\u00e9ponds aussit\u00f4t par une g\u00e9n\u00e9ralit\u00e9 (\u201cMais oui, l\u2019odeur, le portail, le retour vers je ne sais quoi, tout \u00e7a me fatigue.\u201d) \u2013 une mani\u00e8re de couper court. Le texte rejoue exactement ce qu\u2019il d\u00e9nonce : d\u00e8s qu\u2019on approche d\u2019un point d\u2019ancrage, tu zappes. ok ok de toute fa\u00e7on je ne me d\u00e9barrasserai pas de toi si facilement ... [...] Et donc te voici en d\u00e9cembre. Il dit \u00e7a comme on annonce la m\u00e9t\u00e9o. Je ne sais pas s\u2019il attend une r\u00e9ponse. Je le regarde, je ne dis rien. \u2014 Tu dirais que tu es triste, aujourd\u2019hui ? Le silence vient tout seul. Pas un silence arrach\u00e9, pas un silence boudeur. Juste le trou. \u2014 O\u00f9 sont pass\u00e9s tes r\u00eaves ? Il en rajoute une couche. \u2014 Mais qu\u2019est-ce que \u00e7a peut bien te foutre ? C\u2019est sorti trop vite. Un peu sec. Il sourit, sans se vexer. \u2014 Trop facile. Je pense \u00e0 une pi\u00e8ce vide. Plus rien, ni meubles, ni cadres, ni rideaux. Juste le carrelage, les murs blancs. J\u2019apporte un tabouret en bois, je le pose au milieu, je m\u2019assois dessus. J\u2019attends. \u2014 Tu sais que c\u2019est une voiture vol\u00e9e, ton d\u00e9cor, dit-il. Je vois tr\u00e8s bien de quoi il parle. Je connais la phrase par c\u0153ur, la chambre impeccable o\u00f9 \u201cnous sommes morts\u201d. Je ne la cite pas. \u2014 Est-ce qu\u2019un jour tu sortiras de cette figure romantique ? \u2014 Est-ce qu\u2019on sort jamais de l\u2019abandon ? Je jette \u00e7a comme une pi\u00e8ce sur la table. \u00c7a sonne bien, \u00e7a ne r\u00e9pond \u00e0 rien. Il me regarde un moment, sans parler. \u2014 Tu avais commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9crire l\u00e0-dessus, les figures de l\u2019abandon. C\u2019\u00e9tait pas mal, dit-il. Et puis tu as tout l\u00e2ch\u00e9. Fulgurance et chute. D\u00e8s que tu vois poindre quelque chose qui ressemble \u00e0 une autorit\u00e9 en toi, tu sautes par la fen\u00eatre. Je l\u00e8ve les yeux au plafond. \u2014 L\u2019impression de radoter, c\u2019est normal, reprend-il. Tu ne peux pas t\u2019arr\u00eater \u00e0 ce seuil et faire demi-tour \u00e0 chaque fois. \u2014 Tu ne voudrais pas la fermer au moins pendant que je prends le caf\u00e9 ? La tasse est l\u00e0, entre nous, sur la petite table basse en verre. Le caf\u00e9 a refroidi. Une fine pellicule sombre s\u2019est form\u00e9e \u00e0 la surface. \u2014 Tu vois ? dit-il. Tu pr\u00e9f\u00e8res m\u2019insulter plut\u00f4t que d\u2019\u00e9couter ce que tu viens de dire. Il laisse passer un silence, puis : \u2014 Tu ne peux pas t\u2019emp\u00eacher de te jeter dans le pass\u00e9. \u2014 Le pass\u00e9 est rouge, le pass\u00e9 est un chiffon rouge\u2026 Je m\u2019arr\u00eate. \u2014 Continue, dit-il. Rouge comment ? Je ferme les yeux. Une image remonte, nette, aga\u00e7ante de nettet\u00e9 : le portail vert de la maison de mes grands-parents, peint trop souvent, la peinture qui craquelle par endroits. L\u2019odeur de fer rouill\u00e9 et de gasoil m\u00eal\u00e9s, parce qu\u2019on stockait des bidons juste derri\u00e8re. Le soir d\u2019hiver, la bu\u00e9e qui sort de la bouche quand je souffle dessus. Je pose la main sur l\u2019accoudoir du fauteuil. Le velours r\u00e2p\u00e9 accroche un peu sous les doigts. \u2014 Voil\u00e0, dit-il. C\u2019est \u00e7a que je t\u2019ai demand\u00e9 tout \u00e0 l\u2019heure. Reviens aux sens. Arr\u00eate de t\u2019enfuir en m\u00e9taphores. \u2014 \u00c7a me fatigue, dis-je. L\u2019odeur du portail, le retour, je ne sais m\u00eame plus vers quoi, tout \u00e7a me fatigue. \u2014 Plus la fatigue augmente, plus tu devras l\u00e2cher du lest. \u2014 Tais-toi, je t\u2019en prie. Il ne dit rien. Je sens qu\u2019il attend. \u2014 Tu vois, reprend-il au bout d\u2019un moment, tu sais parfaitement que tu maquilles. Les citations, les images, c\u2019est pratique. \u00c7a passe pour de la culture, de la profondeur. Mais en dessous, c\u2019est toujours la m\u00eame sc\u00e8ne. \u2014 Laquelle ? \u2014 Tu restes dans le couloir, devant la porte, tu refuses d\u2019entrer, et tu passes ton temps \u00e0 commenter la couleur du bois. Je souris malgr\u00e9 moi. \u2014 Tu n\u2019as pas honte un peu ? ajoute-t-il. \u2014 Non. Je le dis calmement. \u2014 Je n\u2019ai pas honte. Je suis la honte. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_4187.jpg?1764569399", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ] }