{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/9-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/9-decembre-2018.html", "title": "9 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2024-03-05T06:51:45Z", "date_modified": "2025-09-17T23:35:08Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

Je ne me souviens plus tr\u00e8s bien, mais il me semble que ce doit \u00eatre en automne lorsque, plong\u00e9 dans un nouveau livre, j\u2019entendis grommeler un homme dans la pi\u00e8ce attenante. Celui-l\u00e0 est dessinateur et on lui a confi\u00e9, malgr\u00e9 lui visiblement, la mission de photographier la maquette d\u2019un complexe universitaire et \u00e7a l\u2019emmerde profond\u00e9ment.
\nLa pi\u00e8ce est aveugle, et la lueur du n\u00e9on clignote au plafond, projetant des ombres d\u00e9sordonn\u00e9es sur la blancheur du carton plume.
\nIl r\u00e2le, convaincu de se trouver \u00e0 bout de force. La bo\u00eete sort d\u2019une \u00e9ni\u00e8me charrette, tout le monde est nerveux, un projet pharaonique ; impossible de le rater.
\nJe m\u2019approche et, depuis la porte, j\u2019observe son man\u00e8ge. Par toute une s\u00e9rie de contorsions, l\u2019homme tente de trouver un angle ad\u00e9quat, mais \u00e0 chaque fois en vain, les ombres sont tenaces.
\n« Et si tu utilisais une feuille de papier blanc comme r\u00e9flecteur ? » lui dis-je\u2026
\nIl me toise comme on regarde un idiot qui vient de dire un truc intelligent et qui, du coup, fait douter de l\u2019idiotie.
\nJe vais chercher une ramette de papier machine et en extrais quelques feuilles que nous installons \u00e0 l\u2019aide de cales.
\nCela fonctionne et j\u2019en profite, bien s\u00fbr, tout de go, et sans que je ne sache vraiment pourquoi, pour \u00e9voquer mes talents naissants de photographe.
\n« Je pourrais bien m\u2019occuper de prendre les photos, lui dis-je la prochaine fois, et de plus, je pourrai les d\u00e9velopper et effectuer les agrandissements. »
\n\u00c0 la v\u00e9rit\u00e9, je ne savais de la photographie que tr\u00e8s peu de choses. Durant l\u2019\u00e9t\u00e9 pr\u00e9c\u00e9dent, j\u2019\u00e9tais parti en Irlande avec un vieux Nikormat d\u2019occasion et en plus achet\u00e9 \u00e0 temp\u00e9rament.
\nAu retour, c\u2019est le choc : les diapos que je regarde me restituent tr\u00e8s exactement toutes les \u00e9motions que j\u2019ai v\u00e9cues l\u00e0-bas, entre Cork et Galway. Magique ! Je retrouve l\u2019odeur de la pluie sur les champs de tourbe, le brouhaha nasillard des pubs et le go\u00fbt de la bi\u00e8re brune sur ma langue ; et par-dessus tout, les vastes ciels, cette lumi\u00e8re merveilleuse qui les traverse en jouant avec les nuages. La photo, au d\u00e9but, c\u2019est un peu ma petite madeleine de Proust.
\nJ\u2019avais d\u00e9couvert la photographie par hasard ; elle ne devait plus me l\u00e2cher, tumultueuse passion, ma\u00eetresse envahissante pendant de nombreuses ann\u00e9es.
\n« Je vais en parler au patron, » r\u00e9pliqua-t-il, et nous en rest\u00e2mes l\u00e0 pour cette journ\u00e9e. Il continua ses photos, moi ma lecture, et je n\u2019y pensais plus.
\nCe fut \u00e0 la fin de la m\u00eame semaine que je fus convoqu\u00e9 dans le bureau de la direction.
\n« Alors il para\u00eet que vous \u00eates photographe aussi ? Nous avons une nouvelle version de la maquette, des photos \u00e0 prendre, c\u2019est tr\u00e8s urgent, etc. »
\nEt c\u2019est ainsi que le soir m\u00eame, apr\u00e8s mon travail, je courus \u00e0 la petite boutique photo du boulevard Saint Antoine, toute proche de mon domicile, pour acheter un agrandisseur et tout le n\u00e9cessaire \u00e0 d\u00e9velopper les n\u00e9gatifs et \u00e0 tirer les photos. J\u2019avais pris soin d\u2019acheter une dizaine de bobines de film 24\u00d736 de la Tri-X Pan en vue du test que j\u2019allais passer.
\nDurant tout le week-end, je sillonne Paris pour prendre des photos, et me h\u00e2te de remplir mes 36 poses. \u00c0 cette \u00e9poque, pas d\u2019internet, et je ne suis m\u00eame pas s\u00fbr de savoir si je connaissais l\u2019existence des ordinateurs.
\nJe dois t\u00e2tonner un peu, me rendre \u00e0 la biblioth\u00e8que et, \u00e0 l\u2019aide de quelques notes, apprendre \u00e0 d\u00e9velopper les films et r\u00e9aliser les tirages, mais je m\u2019en fiche, j\u2019ai enfin d\u00e9couvert une vraie passion qui me hisse d\u2019une sensation d\u2019ennui profond et, du coup, \u00e7a me donne la p\u00eache, \u00e7a m\u2019excite, je sens \u00e0 nouveau la s\u00e8ve remonter.
\nJe m\u2019\u00e9tais engag\u00e9 et je ne voulais pas d\u00e9cevoir, \u00e7a a fonctionn\u00e9.
\nAu final, j\u2019ai fini par travailler comme photographe tout en conservant ma fonction premi\u00e8re d\u2019archiviste. J\u2019effectuais des photos de chantier, de maquettes, que je d\u00e9veloppais dans ma petite chambre la nuit. La bo\u00eete me remboursait mes frais de produits et de papier sans que mon salaire ne soit augment\u00e9, j\u2019en profitais donc pour acheter bien plus que n\u00e9cessaire sans \u00eatre rancunier. On peut quand m\u00eame se venger. Apr\u00e8s tout, ne m\u2019avaient-ils pas f\u00e9licit\u00e9, m\u2019apprenant que mes tirages \u00e9taient meilleurs que le labo qu\u2019ils avaient l\u2019habitude de fr\u00e9quenter ?
\nEt puis tout s\u2019est barr\u00e9 en couille \u00e0 nouveau, l\u2019ennui \u00e0 nouveau, l\u2019amour et l\u2019argent, et le d\u00e9sir d\u2019ailleurs. J\u2019avais d\u00fb oser demander une augmentation et \u00e7a n\u2019a pas du tout plu \u00e0 monsieur le directeur financier, qui m\u2019entretint de la vie, de ses nombreux \u00e9cueils, de la pluie, du beau temps mais point d\u2019argent.
\nJ\u2019ai quitt\u00e9 mon job d\u2019archiviste-photographe et j\u2019ai trouv\u00e9 un emploi de gardien de nuit, place Vend\u00f4me, dans les locaux d\u2019une bo\u00eete informatique c\u00e9l\u00e8bre. J\u2019avais pris la d\u00e9cision de devenir photographe et j\u2019avais besoin, pensais-je, de plus de temps libre pour me parfaire dans cet art. Je n\u2019ai jamais rechign\u00e9 \u00e0 trouver les pires boulots ; \u00e7a devait \u00eatre dans le fond une forme in\u00e9dite d\u2019asc\u00e8se.
\nMoquette au sol, odeur de propre, vastitude des bureaux, et du hall o\u00f9 je suis assign\u00e9 une grande partie de la nuit avec Yafsah le Kabyle \u00e9dent\u00e9, Rahim et Berouzi, deux Iraniens bac +7, la seule vraie contrainte est de monter dans les \u00e9tages de ce palais moderne suivant un itin\u00e9raire et un tempo bien r\u00e9gl\u00e9s.
\nYafsah est de jour et je le rencontre sur le seuil en train de fumer. Nous \u00e9changeons quelques banalit\u00e9s et puis je m\u2019installe derri\u00e8re un large comptoir dans ce hall d\u00e9mesur\u00e9. Peu de temps apr\u00e8s, les copains iraniens arrivent et nous voici pr\u00eats \u00e0 traverser la nuit, comme embarqu\u00e9s dans ce gigantesque vaisseau aux boiseries luxueuses pour un salaire de mis\u00e8re.
\nBeruzi sort le jeu d\u2019\u00e9chec et le dico, Rahim potasse des manuels d\u2019informatique. Ils m\u2019enseignent le farsi, le persan, les \u00e9checs, et je commence \u00e0 me d\u00e9brouiller plut\u00f4t pas mal.
\nJ\u2019adorais ces nuits pass\u00e9es ensemble \u00e0 discuter de leur ancienne vie \u00e0 T\u00e9h\u00e9ran, de leur culture, qui, particuli\u00e8rement chez Beruzi, \u00e9tait immense. Il m\u2019apprit \u00e0 comprendre Omar Khayy\u00e2m, Ibn Arabi, Hafez, mais aussi l\u2019\u00c9tranger d\u2019Albert Camus comme nul prof aurait eu l\u2019id\u00e9e de le faire, ainsi que les implications terribles qu\u2019avaient eu le renversement du chah d\u2019Iran, l\u2019av\u00e8nement de Khomeiny. En 1985-86, la guerre avec l\u2019Irak \u00e9tait en cours et c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une des raisons principales pour lesquelles mes deux amis m\u2019accompagnaient dans ces nuits \u00e9tranges et formidables. Lorsque, plus tard, j\u2019atteindrai l\u2019Iran, d\u00e8s les premiers pas effectu\u00e9s dans ce pays, je comprendrai plus profond\u00e9ment sa grandeur, malgr\u00e9 le chaos religieux et politique qui y r\u00e9gnait alors. M\u00eame les bouchers avec qui je sympathisais \u00e0 Istanbul avant de prendre le bus m\u2019avaient \u00e9mu lorsqu\u2019ils m\u2019avaient demand\u00e9, au cas o\u00f9 j\u2019eusse avec moi de la « musique am\u00e9ricaine », de pouvoir l\u2019\u00e9couter en \u00e9change du g\u00eete et du couvert dans leur modeste maison de la banlieue de T\u00e9h\u00e9ran. Y a-t-il un peuple ailleurs dans le monde o\u00f9 la po\u00e9sie est si populaire que le moindre de ses membres connaissent par c\u0153ur les paroles, les vers de ses po\u00e8tes les plus raffin\u00e9s ?
\n\u00c9trange cette ronde qu\u2019il faut effectuer, programm\u00e9e \u00e0 heures fixes et durant laquelle je peux voir par \u00e9tage s\u2019organiser le sens de la hi\u00e9rarchie. Au premier \u00e9tage, les bureaux quasiment coll\u00e9s les uns aux autres, sorte d\u2019open space pr\u00e9curseur avec son absence d\u2019intimit\u00e9, les piles de dossiers, l\u2019exigu\u00eft\u00e9 des postes de travail, les plafonniers aux n\u00e9ons pisseux. Plus on gravit des marches, plus on atteint de plus vastes bureaux avec cloison et porte verrouill\u00e9e \u00e0 double tour, de plus en plus cosy et ponctu\u00e9s de lumi\u00e8res d\u2019ambiance tr\u00e8s mignonnes - sauf les jours de m\u00e9nage o\u00f9 les femmes de m\u00e9nage, ayant besoin d\u2019y voir plus clair, actionnent les interrupteurs des plafonniers.
\nEt puis tout en haut, quasiment sous les toits, loge Dieu, ambiance ultra feutr\u00e9e d\u2019appartement bourgeois, fauteuils en cuir de je ne sais quoi mais cher, confortables, cuisine impeccable avec de quoi pr\u00e9parer un lunch, un petit d\u00e9j, un repas \u00e0 n\u2019importe quelle heure du jour, comme de la nuit. \u00c9videmment, j\u2019en profite pour siffler des litres de jus de fruits, \u00e9ventrer les sachets ap\u00e9ritifs, et me pr\u00e9parer un joli petit caf\u00e9. Dieu ici p\u00e8te dans la soie comme dans le cuir.
\n« Polyph\u00e8me, je m\u2019en fous, je suis Personne et je t\u2019emmerde. »
\nAlors je m\u2019assois sur le fauteuil en cuir, pivote silencieusement vers l\u2019\u0153il-de-b\u0153uf qui donne sur la place Vend\u00f4me et, de haut, je contemple la nuit se refl\u00e9ter sur les vitrines des joailliers. Je reste un moment l\u00e0, \u00e0 peine distrait par les ombres des couples qui se meuvent tard dans la nuit derri\u00e8re les fen\u00eatres du Ritz.
\nParfois je m\u2019endors ainsi, et c\u2019est la sonnerie du t\u00e9l\u00e9phone qui me r\u00e9veille\u2026 Beruzi, qui a rep\u00e9r\u00e9 le num\u00e9ro du poste, m\u2019avertit : le contr\u00f4leur arrive.
\nAlors je me rends \u00e0 la salle d\u2019eau en marbre sombre, me passe un peu d\u2019eau fra\u00eeche sur le visage, et redescends pour rejoindre mon poste.
\nIl y a tant de confort et de luxe que cela m\u2019abrutit, et les horaires de nuit ont compl\u00e8tement d\u00e9cal\u00e9 mon rythme de sommeil. Je passe des journ\u00e9es \u00e9tranges, \u00e0 me r\u00e9citer des quatrains en persan et en imaginant des strat\u00e9gies tout autant lumineuses que fumeuses aux \u00e9checs\u2026 Je dormais d\u00e9j\u00e0 peu \u00e0 cette \u00e9poque et, quelques heures de sommeil apr\u00e8s mon retour \u00e0 la chambre, je prends mon appareil photo et je vais par les rues photographier, amasser, avaler, croquer, d\u00e9pecer, avec une avidit\u00e9 rageuse, tout ce qui m\u2019interpelle.Les nuits o\u00f9 je suis de repos, je range la chambre, r\u00e9installe mon laboratoire et d\u00e9veloppe mes photos. Une grande ficelle traverse la pi\u00e8ce et, un \u00e0 un, comme les chasseurs accrochent leur gibier tu\u00e9, j\u2019accroche mes clich\u00e9s avec de simples pinces \u00e0 linge en bois au fur et \u00e0 mesure qu\u2019ils sont rinc\u00e9s \u00e0 l\u2019eau claire pour les d\u00e9barrasser des r\u00e9sidus de fixatif. Combien de positifs ai-je tir\u00e9 de tous ces n\u00e9gatifs\u2026 une sensation encore plus prononc\u00e9e d\u2019errance mais m\u00eal\u00e9e, cette fois, \u00e0 des accents persans, des figures d\u2019\u00e9checs, et une sensation profonde de toucher \u00e0 quelque chose d\u2019essentiel passe comme un ange pendant que j\u2019\u00e9cris ces lignes.
\nLa lecture de la po\u00e9sie persane se m\u00eale encore un peu, de fa\u00e7on mystique, \u00e0 cette qu\u00eate qui aurait, j\u2019imagine, d\u00e9but\u00e9 avec la photographie. Cette qu\u00eate, je vais encore la poursuivre en empruntant d\u2019autres chemins, d\u2019autres routes. Bien s\u00fbr, il y aura d\u2019autres chambres \u00e9troites et aussi, parfois, d\u2019autres plus vastes, tellement plus vastes que l\u00e0 non plus je ne pourrai m\u2019y r\u00e9soudre\u2026 Pourtant, j\u2019ai un peu avanc\u00e9 avant de repartir ; j\u2019ai appris \u00e0 \u00e9quilibrer les blancs, les gris, et les noirs profonds.
\nDe m\u00e9moire, encore toutes ces ann\u00e9es apr\u00e8s, je me souviens de la chanson que chantait Beruzi et Rahim : « n\u2019aie pas peur, petit oiseau perdu sur ta branche, n\u2019aie pas peur », et la suite se perd avec mon ami dans les t\u00e9n\u00e8bres de l\u2019\u00e2ge de fer dans lequel nous allions p\u00e9n\u00e9trer.
\nQuelques mois plus tard, vous me retrouverez \u00e0 la Porte de la Villette, mon sac en bandouli\u00e8re. C\u2019est enfin d\u00e9cid\u00e9 : je pars pour la Turquie. Je quitte tout, je vais faire des photos de la guerre, celle dont on parle dans les journaux pour qu\u2019on ne voit pas celle qui est en nous\u2026
\nJe ne sais quand je reprendrai ce r\u00e9cit, tout \u00e0 l\u2019heure, demain, dans un mois\u2026 ce n\u2019est pas important tant elles sont devenues plus accessibles d\u00e9sormais.
\nMoi qui autrefois notais les moindres d\u00e9tails dans des petits carnets, terrass\u00e9 par la m\u00eame trouille que le petit Poucet\u2026
\nJ\u2019ai tout br\u00fbl\u00e9 un jour de d\u00e9prime, gr\u00e2ce ou \u00e0 cause du quotidien que l\u2019on doit vivre en couple. Je m\u2019en voulais d\u2019avoir pass\u00e9 tant de temps \u00e0 vouloir \u00e9viter la vraie vie. Je me sentais si d\u00e9muni face aux obligations n\u00e9cessaires \u00e0 ce que bien des gens appellent « harmonie » ou pire encore « Amour ». Je ne voyais dans tout cela qu\u2019une suite catastrophique de compromis. Alors, j\u2019ai dit c\u2019est l\u2019\u00e9criture que je dois assassiner, br\u00fbler, \u00e9vacuer de ma vie, r\u00e9pudier. Cette distance qu\u2019elle pose entre la vie et la vie, qu\u2019on en finit par s\u2019y perdre et ne plus savoir si « je » est bien soi ou encore un autre.
\nMais non, en fait, l\u2019\u00e9criture n\u2019y est pour rien, c\u2019est seulement un autre miroir et il suffit de s\u2019en souvenir.<\/p>", "content_text": " Je ne me souviens plus tr\u00e8s bien, mais il me semble que ce doit \u00eatre en automne lorsque, plong\u00e9 dans un nouveau livre, j\u2019entendis grommeler un homme dans la pi\u00e8ce attenante. Celui-l\u00e0 est dessinateur et on lui a confi\u00e9, malgr\u00e9 lui visiblement, la mission de photographier la maquette d\u2019un complexe universitaire et \u00e7a l\u2019emmerde profond\u00e9ment. La pi\u00e8ce est aveugle, et la lueur du n\u00e9on clignote au plafond, projetant des ombres d\u00e9sordonn\u00e9es sur la blancheur du carton plume. Il r\u00e2le, convaincu de se trouver \u00e0 bout de force. La bo\u00eete sort d\u2019une \u00e9ni\u00e8me charrette, tout le monde est nerveux, un projet pharaonique ; impossible de le rater. Je m\u2019approche et, depuis la porte, j\u2019observe son man\u00e8ge. Par toute une s\u00e9rie de contorsions, l\u2019homme tente de trouver un angle ad\u00e9quat, mais \u00e0 chaque fois en vain, les ombres sont tenaces. \u00ab Et si tu utilisais une feuille de papier blanc comme r\u00e9flecteur ? \u00bb lui dis-je\u2026 Il me toise comme on regarde un idiot qui vient de dire un truc intelligent et qui, du coup, fait douter de l\u2019idiotie. Je vais chercher une ramette de papier machine et en extrais quelques feuilles que nous installons \u00e0 l\u2019aide de cales. Cela fonctionne et j\u2019en profite, bien s\u00fbr, tout de go, et sans que je ne sache vraiment pourquoi, pour \u00e9voquer mes talents naissants de photographe. \u00ab Je pourrais bien m\u2019occuper de prendre les photos, lui dis-je la prochaine fois, et de plus, je pourrai les d\u00e9velopper et effectuer les agrandissements. \u00bb \u00c0 la v\u00e9rit\u00e9, je ne savais de la photographie que tr\u00e8s peu de choses. Durant l\u2019\u00e9t\u00e9 pr\u00e9c\u00e9dent, j\u2019\u00e9tais parti en Irlande avec un vieux Nikormat d\u2019occasion et en plus achet\u00e9 \u00e0 temp\u00e9rament. Au retour, c\u2019est le choc : les diapos que je regarde me restituent tr\u00e8s exactement toutes les \u00e9motions que j\u2019ai v\u00e9cues l\u00e0-bas, entre Cork et Galway. Magique ! Je retrouve l\u2019odeur de la pluie sur les champs de tourbe, le brouhaha nasillard des pubs et le go\u00fbt de la bi\u00e8re brune sur ma langue ; et par-dessus tout, les vastes ciels, cette lumi\u00e8re merveilleuse qui les traverse en jouant avec les nuages. La photo, au d\u00e9but, c\u2019est un peu ma petite madeleine de Proust. J\u2019avais d\u00e9couvert la photographie par hasard ; elle ne devait plus me l\u00e2cher, tumultueuse passion, ma\u00eetresse envahissante pendant de nombreuses ann\u00e9es. \u00ab Je vais en parler au patron, \u00bb r\u00e9pliqua-t-il, et nous en rest\u00e2mes l\u00e0 pour cette journ\u00e9e. Il continua ses photos, moi ma lecture, et je n\u2019y pensais plus. Ce fut \u00e0 la fin de la m\u00eame semaine que je fus convoqu\u00e9 dans le bureau de la direction. \u00ab Alors il para\u00eet que vous \u00eates photographe aussi ? Nous avons une nouvelle version de la maquette, des photos \u00e0 prendre, c\u2019est tr\u00e8s urgent, etc. \u00bb Et c\u2019est ainsi que le soir m\u00eame, apr\u00e8s mon travail, je courus \u00e0 la petite boutique photo du boulevard Saint Antoine, toute proche de mon domicile, pour acheter un agrandisseur et tout le n\u00e9cessaire \u00e0 d\u00e9velopper les n\u00e9gatifs et \u00e0 tirer les photos. J\u2019avais pris soin d\u2019acheter une dizaine de bobines de film 24\u00d736 de la Tri-X Pan en vue du test que j\u2019allais passer. Durant tout le week-end, je sillonne Paris pour prendre des photos, et me h\u00e2te de remplir mes 36 poses. \u00c0 cette \u00e9poque, pas d\u2019internet, et je ne suis m\u00eame pas s\u00fbr de savoir si je connaissais l\u2019existence des ordinateurs. Je dois t\u00e2tonner un peu, me rendre \u00e0 la biblioth\u00e8que et, \u00e0 l\u2019aide de quelques notes, apprendre \u00e0 d\u00e9velopper les films et r\u00e9aliser les tirages, mais je m\u2019en fiche, j\u2019ai enfin d\u00e9couvert une vraie passion qui me hisse d\u2019une sensation d\u2019ennui profond et, du coup, \u00e7a me donne la p\u00eache, \u00e7a m\u2019excite, je sens \u00e0 nouveau la s\u00e8ve remonter. Je m\u2019\u00e9tais engag\u00e9 et je ne voulais pas d\u00e9cevoir, \u00e7a a fonctionn\u00e9. Au final, j\u2019ai fini par travailler comme photographe tout en conservant ma fonction premi\u00e8re d\u2019archiviste. J\u2019effectuais des photos de chantier, de maquettes, que je d\u00e9veloppais dans ma petite chambre la nuit. La bo\u00eete me remboursait mes frais de produits et de papier sans que mon salaire ne soit augment\u00e9, j\u2019en profitais donc pour acheter bien plus que n\u00e9cessaire sans \u00eatre rancunier. On peut quand m\u00eame se venger. Apr\u00e8s tout, ne m\u2019avaient-ils pas f\u00e9licit\u00e9, m\u2019apprenant que mes tirages \u00e9taient meilleurs que le labo qu\u2019ils avaient l\u2019habitude de fr\u00e9quenter? Et puis tout s\u2019est barr\u00e9 en couille \u00e0 nouveau, l\u2019ennui \u00e0 nouveau, l\u2019amour et l\u2019argent, et le d\u00e9sir d\u2019ailleurs. J\u2019avais d\u00fb oser demander une augmentation et \u00e7a n\u2019a pas du tout plu \u00e0 monsieur le directeur financier, qui m\u2019entretint de la vie, de ses nombreux \u00e9cueils, de la pluie, du beau temps mais point d\u2019argent. J\u2019ai quitt\u00e9 mon job d\u2019archiviste-photographe et j\u2019ai trouv\u00e9 un emploi de gardien de nuit, place Vend\u00f4me, dans les locaux d\u2019une bo\u00eete informatique c\u00e9l\u00e8bre. J\u2019avais pris la d\u00e9cision de devenir photographe et j\u2019avais besoin, pensais-je, de plus de temps libre pour me parfaire dans cet art. Je n\u2019ai jamais rechign\u00e9 \u00e0 trouver les pires boulots ; \u00e7a devait \u00eatre dans le fond une forme in\u00e9dite d\u2019asc\u00e8se. Moquette au sol, odeur de propre, vastitude des bureaux, et du hall o\u00f9 je suis assign\u00e9 une grande partie de la nuit avec Yafsah le Kabyle \u00e9dent\u00e9, Rahim et Berouzi, deux Iraniens bac +7, la seule vraie contrainte est de monter dans les \u00e9tages de ce palais moderne suivant un itin\u00e9raire et un tempo bien r\u00e9gl\u00e9s. Yafsah est de jour et je le rencontre sur le seuil en train de fumer. Nous \u00e9changeons quelques banalit\u00e9s et puis je m\u2019installe derri\u00e8re un large comptoir dans ce hall d\u00e9mesur\u00e9. Peu de temps apr\u00e8s, les copains iraniens arrivent et nous voici pr\u00eats \u00e0 traverser la nuit, comme embarqu\u00e9s dans ce gigantesque vaisseau aux boiseries luxueuses pour un salaire de mis\u00e8re. Beruzi sort le jeu d\u2019\u00e9chec et le dico, Rahim potasse des manuels d\u2019informatique. Ils m\u2019enseignent le farsi, le persan, les \u00e9checs, et je commence \u00e0 me d\u00e9brouiller plut\u00f4t pas mal. J\u2019adorais ces nuits pass\u00e9es ensemble \u00e0 discuter de leur ancienne vie \u00e0 T\u00e9h\u00e9ran, de leur culture, qui, particuli\u00e8rement chez Beruzi, \u00e9tait immense. Il m\u2019apprit \u00e0 comprendre Omar Khayy\u00e2m, Ibn Arabi, Hafez, mais aussi l\u2019\u00c9tranger d\u2019Albert Camus comme nul prof aurait eu l\u2019id\u00e9e de le faire, ainsi que les implications terribles qu\u2019avaient eu le renversement du chah d\u2019Iran, l\u2019av\u00e8nement de Khomeiny. En 1985-86, la guerre avec l\u2019Irak \u00e9tait en cours et c\u2019\u00e9tait l\u00e0 une des raisons principales pour lesquelles mes deux amis m\u2019accompagnaient dans ces nuits \u00e9tranges et formidables. Lorsque, plus tard, j\u2019atteindrai l\u2019Iran, d\u00e8s les premiers pas effectu\u00e9s dans ce pays, je comprendrai plus profond\u00e9ment sa grandeur, malgr\u00e9 le chaos religieux et politique qui y r\u00e9gnait alors. M\u00eame les bouchers avec qui je sympathisais \u00e0 Istanbul avant de prendre le bus m\u2019avaient \u00e9mu lorsqu\u2019ils m\u2019avaient demand\u00e9, au cas o\u00f9 j\u2019eusse avec moi de la \u00ab musique am\u00e9ricaine \u00bb, de pouvoir l\u2019\u00e9couter en \u00e9change du g\u00eete et du couvert dans leur modeste maison de la banlieue de T\u00e9h\u00e9ran. Y a-t-il un peuple ailleurs dans le monde o\u00f9 la po\u00e9sie est si populaire que le moindre de ses membres connaissent par c\u0153ur les paroles, les vers de ses po\u00e8tes les plus raffin\u00e9s ? \u00c9trange cette ronde qu\u2019il faut effectuer, programm\u00e9e \u00e0 heures fixes et durant laquelle je peux voir par \u00e9tage s\u2019organiser le sens de la hi\u00e9rarchie. Au premier \u00e9tage, les bureaux quasiment coll\u00e9s les uns aux autres, sorte d\u2019open space pr\u00e9curseur avec son absence d\u2019intimit\u00e9, les piles de dossiers, l\u2019exigu\u00eft\u00e9 des postes de travail, les plafonniers aux n\u00e9ons pisseux. Plus on gravit des marches, plus on atteint de plus vastes bureaux avec cloison et porte verrouill\u00e9e \u00e0 double tour, de plus en plus cosy et ponctu\u00e9s de lumi\u00e8res d\u2019ambiance tr\u00e8s mignonnes - sauf les jours de m\u00e9nage o\u00f9 les femmes de m\u00e9nage, ayant besoin d\u2019y voir plus clair, actionnent les interrupteurs des plafonniers. Et puis tout en haut, quasiment sous les toits, loge Dieu, ambiance ultra feutr\u00e9e d\u2019appartement bourgeois, fauteuils en cuir de je ne sais quoi mais cher, confortables, cuisine impeccable avec de quoi pr\u00e9parer un lunch, un petit d\u00e9j, un repas \u00e0 n\u2019importe quelle heure du jour, comme de la nuit. \u00c9videmment, j\u2019en profite pour siffler des litres de jus de fruits, \u00e9ventrer les sachets ap\u00e9ritifs, et me pr\u00e9parer un joli petit caf\u00e9. Dieu ici p\u00e8te dans la soie comme dans le cuir. \u00ab Polyph\u00e8me, je m\u2019en fous, je suis Personne et je t\u2019emmerde. \u00bb Alors je m\u2019assois sur le fauteuil en cuir, pivote silencieusement vers l\u2019\u0153il-de-b\u0153uf qui donne sur la place Vend\u00f4me et, de haut, je contemple la nuit se refl\u00e9ter sur les vitrines des joailliers. Je reste un moment l\u00e0, \u00e0 peine distrait par les ombres des couples qui se meuvent tard dans la nuit derri\u00e8re les fen\u00eatres du Ritz. Parfois je m\u2019endors ainsi, et c\u2019est la sonnerie du t\u00e9l\u00e9phone qui me r\u00e9veille\u2026 Beruzi, qui a rep\u00e9r\u00e9 le num\u00e9ro du poste, m\u2019avertit : le contr\u00f4leur arrive. Alors je me rends \u00e0 la salle d\u2019eau en marbre sombre, me passe un peu d\u2019eau fra\u00eeche sur le visage, et redescends pour rejoindre mon poste. Il y a tant de confort et de luxe que cela m\u2019abrutit, et les horaires de nuit ont compl\u00e8tement d\u00e9cal\u00e9 mon rythme de sommeil. Je passe des journ\u00e9es \u00e9tranges, \u00e0 me r\u00e9citer des quatrains en persan et en imaginant des strat\u00e9gies tout autant lumineuses que fumeuses aux \u00e9checs\u2026 Je dormais d\u00e9j\u00e0 peu \u00e0 cette \u00e9poque et, quelques heures de sommeil apr\u00e8s mon retour \u00e0 la chambre, je prends mon appareil photo et je vais par les rues photographier, amasser, avaler, croquer, d\u00e9pecer, avec une avidit\u00e9 rageuse, tout ce qui m\u2019interpelle.Les nuits o\u00f9 je suis de repos, je range la chambre, r\u00e9installe mon laboratoire et d\u00e9veloppe mes photos. Une grande ficelle traverse la pi\u00e8ce et, un \u00e0 un, comme les chasseurs accrochent leur gibier tu\u00e9, j\u2019accroche mes clich\u00e9s avec de simples pinces \u00e0 linge en bois au fur et \u00e0 mesure qu\u2019ils sont rinc\u00e9s \u00e0 l\u2019eau claire pour les d\u00e9barrasser des r\u00e9sidus de fixatif. Combien de positifs ai-je tir\u00e9 de tous ces n\u00e9gatifs\u2026 une sensation encore plus prononc\u00e9e d\u2019errance mais m\u00eal\u00e9e, cette fois, \u00e0 des accents persans, des figures d\u2019\u00e9checs, et une sensation profonde de toucher \u00e0 quelque chose d\u2019essentiel passe comme un ange pendant que j\u2019\u00e9cris ces lignes. La lecture de la po\u00e9sie persane se m\u00eale encore un peu, de fa\u00e7on mystique, \u00e0 cette qu\u00eate qui aurait, j\u2019imagine, d\u00e9but\u00e9 avec la photographie. Cette qu\u00eate, je vais encore la poursuivre en empruntant d\u2019autres chemins, d\u2019autres routes. Bien s\u00fbr, il y aura d\u2019autres chambres \u00e9troites et aussi, parfois, d\u2019autres plus vastes, tellement plus vastes que l\u00e0 non plus je ne pourrai m\u2019y r\u00e9soudre\u2026 Pourtant, j\u2019ai un peu avanc\u00e9 avant de repartir ; j\u2019ai appris \u00e0 \u00e9quilibrer les blancs, les gris, et les noirs profonds. De m\u00e9moire, encore toutes ces ann\u00e9es apr\u00e8s, je me souviens de la chanson que chantait Beruzi et Rahim : \u00ab n\u2019aie pas peur, petit oiseau perdu sur ta branche, n\u2019aie pas peur \u00bb, et la suite se perd avec mon ami dans les t\u00e9n\u00e8bres de l\u2019\u00e2ge de fer dans lequel nous allions p\u00e9n\u00e9trer. Quelques mois plus tard, vous me retrouverez \u00e0 la Porte de la Villette, mon sac en bandouli\u00e8re. C\u2019est enfin d\u00e9cid\u00e9 : je pars pour la Turquie. Je quitte tout, je vais faire des photos de la guerre, celle dont on parle dans les journaux pour qu\u2019on ne voit pas celle qui est en nous\u2026 Je ne sais quand je reprendrai ce r\u00e9cit, tout \u00e0 l\u2019heure, demain, dans un mois\u2026 ce n\u2019est pas important tant elles sont devenues plus accessibles d\u00e9sormais. Moi qui autrefois notais les moindres d\u00e9tails dans des petits carnets, terrass\u00e9 par la m\u00eame trouille que le petit Poucet\u2026 J\u2019ai tout br\u00fbl\u00e9 un jour de d\u00e9prime, gr\u00e2ce ou \u00e0 cause du quotidien que l\u2019on doit vivre en couple. Je m\u2019en voulais d\u2019avoir pass\u00e9 tant de temps \u00e0 vouloir \u00e9viter la vraie vie. Je me sentais si d\u00e9muni face aux obligations n\u00e9cessaires \u00e0 ce que bien des gens appellent \u00ab harmonie \u00bb ou pire encore \u00ab Amour \u00bb. Je ne voyais dans tout cela qu\u2019une suite catastrophique de compromis. Alors, j\u2019ai dit c\u2019est l\u2019\u00e9criture que je dois assassiner, br\u00fbler, \u00e9vacuer de ma vie, r\u00e9pudier. Cette distance qu\u2019elle pose entre la vie et la vie, qu\u2019on en finit par s\u2019y perdre et ne plus savoir si \u00ab je \u00bb est bien soi ou encore un autre. Mais non, en fait, l\u2019\u00e9criture n\u2019y est pour rien, c\u2019est seulement un autre miroir et il suffit de s\u2019en souvenir. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img023.webp?1748065188", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/29-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/29-decembre-2018.html", "title": "29 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-29T08:42:00Z", "date_modified": "2025-07-07T05:04:57Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

J\u2019ai longtemps \u00e9t\u00e9 confus dans tous les domaines de ma vie a croire parfois que je mettais un point d\u2019honneur \u00e0 ne pas \u00eatre clair, si toutefois la clart\u00e9 est le contraire v\u00e9ritable de la confusion.<\/p>\n

Quelque chose en moi projetait comme la s\u00e8che, la pieuvre, le calamar,un nuage d\u2019encre afin de me dissimuler certainement en cas de danger. Pour tromper l\u2019adversaire, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur ou \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de moi. Et cet adversaire maintenant que j\u2019y r\u00e9fl\u00e9chis pourrait \u00eatre \u00e0 la fois l\u2019\u00e9vidence comme la certitude et le sommeil que provoquent toujours chez moi ces deux mots.<\/p>\n

Car « moi je » voulais aller plus loin, je voulais \u00eatre le meilleur en quelque chose sans savoir vraiment bien quoi. Il le fallait cela m\u2019\u00e9tait consubstantiel pensais-je. Du moins c\u2019\u00e9tait l\u00e0 le mot d\u2019ordre servant d\u2019excuse \u00e0 une certaine forme d\u2019arrogance, de m\u00e9pris envers le reste de l\u2019humanit\u00e9 qui n\u2019\u00e9tait pas sur la m\u00eame fr\u00e9quence : lanterne \u00e9teintes et lanterne allum\u00e9es.<\/p>\n

D\u00e9s les bancs de l\u2019\u00e9cole je m\u2019\u00e9tais aper\u00e7u que seuls deux ou trois de mes camarades rev\u00eataient une importance pour moi , seule forme de r\u00e9alit\u00e9 tandis que la grande partie des autres, disparaissait dans un amas de contours incertains. Ceux que je ne choisissais pas de regarder n\u2019avaient alors pas acc\u00e8s \u00e0 l\u2019existence.<\/p>\n

Il y en allait ainsi de tout, du choix que j\u2019op\u00e9rais quand au degr\u00e9 d\u2019importance que j\u2019attribuais.<\/p>\n

j\u2019ai ainsi donn\u00e9 de l\u2019importance \u00e0 certains arbres particuli\u00e8rement les cerisiers et j\u2019ai un peu aim\u00e9 les h\u00eatres, les bouleaux, et les ch\u00eanes. \u00c9ventuellement le sureau qui me donnait de quoi fumer. tout le reste de l\u2019immense for\u00eat m\u2019est parfaitement inconnu. Et souvent je me suis jur\u00e9 qu\u2019un jour j\u2019ach\u00e8terais un manuel pour combler mes lacunes, cependant ce serment n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 tenu.<\/p>\n

Dans cette notion d\u2019importance donn\u00e9e aux choses, aux \u00eatres, le moteur, la motivation qui me poussait \u00e9tait souvent la curiosit\u00e9. alors que je n\u2019\u00e9tais en fait curieux que d\u2019une seule chose : explorer une version de moi-m\u00eame encore in\u00e9dite et ce peu importe que ce fusse en amiti\u00e9, en amour, la travers\u00e9e du miroir m\u2019\u00e9tait inconnue.<\/p>\n

Pourtant je le savais, intellectuellement, je ma\u00eetrisais cette notion d\u2019ego, de projection, de transfert, de rejet \u00e9galement, et voil\u00e0 ce qui sans doute m\u2019a retard\u00e9 le plus longtemps. Cette impression, cette fabrication mentale s\u2019appuyant \u00e0 la fois sur l\u2019instinct, l\u2019analogie et le livre mais assez peu sur le corps, sur le ressenti ni sur le c\u0153ur.<\/p>\n

D\u2019ailleurs tr\u00e8s longtemps j\u2019ai pens\u00e9 \u00eatre d\u00e9pourvu de cet organe. Ne me le disait on pas \u00e0 longueur de temps, « tu n\u2019as pas de c\u0153ur, mets y du c\u0153ur », je n\u2019avais pas de c\u0153ur \u00e0 avoir du c\u0153ur et voil\u00e0 tout.<\/p>\n

Moi c\u2019\u00e9tait plut\u00f4t la t\u00eate en premier et assez rapidement les jambes que je prenais \u00e0 mon cou quand on me crachait en pleine figure les vertus cardiaques<\/p>\n

C\u2019est que du fin fond de ma confusion je comprenais bien toutes les mailles, la toile enti\u00e8re parfois que tissait ce pr\u00e9tendu « c\u0153ur \u00e0 l\u2019ouvrage » et qui me paraissait m\u2019emp\u00eatrer dans plus de confusion encore \u00e0 chaque tentative de m\u2019en \u00e9chapper.<\/p>\n

Il doit en \u00eatre de tous les mots ainsi je le crains. Nous les utilisons comme des ombres s\u2019emparant d\u2019armes tranchantes, argent\u00e9es et luisantes dans la nuit de notre ignorance. Nous croyons savoir ce que veut dire aimer, nous croyons savoir ce que veut dire ha\u00efr, nous nous formons des images mentales associ\u00e9es \u00e0 ces mots et born\u00e9es par celles ci nous tra\u00e7ons des voies labyrinthiques que nous appelons alors , simplicit\u00e9, \u00e9vidence, clart\u00e9.<\/p>\n

En peinture je n\u2019ai jamais cess\u00e9 de savoir ces bornes et j\u2019ai souvent compris qu\u2019il fallait commencer par la confusion comme dans la vie. Laisser aller sa pente naturelle \u00e0 d\u00e9sordonner le monde ou la toile ce n\u2019est pas quand m\u00eame tout \u00e0 fait semblable.<\/p>\n

Les harmonies, les lumi\u00e8res \u00e9quilibr\u00e9es d\u2019avec les ombres que je n\u2019ai pu trouver en peinture, j\u2019ai pu les recouvrir et reprendre par dessus de nouvelles toiles, cependant que les d\u00e9faites, les guerres, les pr\u00e9tendues victoires obtenues au travers les ombres et les lumi\u00e8res de ma vie pass\u00e9e je les ai laiss\u00e9es dispara\u00eetre \u00e0 jamais dans la nuit de mon oubli.<\/p>\n

« A jamais dans la nuit de mon oubli » vous voyez on y croirait !<\/p>\n

Bien sur que non, rien n\u2019est oubli\u00e9 vraiment elles me hantent souvent la nuit et m\u00eame en pleine lumi\u00e8re d\u00e9sormais.<\/p>\n

Sur la tol\u00e9rance et la conviction<\/h3>\n

Il ne peut y avoir de tol\u00e9rance sans conviction, du moins c\u2019est ce que l\u2019on pourrait imaginer puisqu\u2019on fait preuve d\u2019une pour d\u00e9couvrir l\u2019autre peu \u00e0 peu. Mais quand on part dans la vie sans aucune conviction quel curseur utiliser pour ajuster la tol\u00e9rance ?<\/p>\n

Alors je vous propose de modifier le mot conviction par intention et les choses s\u2019\u00e9claireront peut-\u00eatre d\u2019une lumi\u00e8re in\u00e9dite.<\/p>\n

Pour les chamanes la notion d\u2019intention est majeure, comme les notions d\u2019\u00e9nergie. Peu de choses dans le monde chamanique se produisent sur le plan mental, mais sur un plan \u00e9nerg\u00e9tique. Pour parvenir au plus haut degr\u00e9 de connaissance, ou de pouvoir, peu importe les mots que l\u2019on pourrait coller sur le sommet, deux qualit\u00e9s sont n\u00e9cessaires voire indispensables :<\/p>\n

Accepter de souffrir pour comprendre la quantit\u00e9 de tol\u00e9rance dont on peut faire preuve au travers d\u2019une forme d\u2019endurance \u00e0 la b\u00eatise, la sienne et celle des autres si l\u2019on veut. Quand je dis b\u00eatise il n\u2019y a vraiment rien de p\u00e9joratif, je parle bien de notre nature animale.<\/p>\n

La seconde chose est l\u2019impeccabilit\u00e9 que j\u2019appelle plus modestement la justesse. Cette justesse qui, si l\u2019on apprend \u00e0 rep\u00e9rer la fuite d\u2019\u00e9nergie en soi ou l\u2019app\u00e9tit qui commence \u00e0 sucer la notre chez autrui, r\u00e9agit de plus en plus rapidement et souplement \u00e0 tout d\u00e9bordement, de fa\u00e7on \u00e0 rester dans l\u2019axe.<\/p>\n

Nous ne savons pas grand chose des \u00e9changes gazeux et encore moins des \u00e9changes \u00e9nerg\u00e9tiques qui s\u2019op\u00e8rent entre les individus. J\u2019ai connu des ma\u00eetresses fabuleuses qui une fois que nous nous fussions s\u00e9par\u00e9s m\u2019avaient d\u00e9rob\u00e9 une tr\u00e8s grande part d\u2019\u00e9nergie et je ne parle pas ici de rapports sexuels uniquement. c\u2019est que l\u2019id\u00e9e de vampire n\u2019est pas venue du fond des temps par hasard , nous passons notre temps \u00e0 nous gorger de l\u2019\u00e9nergie des autres et eux de la notre.<\/p>\n

Je ne me souviens plus mais je ne serais pas \u00e9tonn\u00e9 que ce soit l\u2019\u00e9crivain Paul Claudel qui refusait m\u00eame de se masturber de peur de dilapider imprudemment sa pr\u00e9cieuse \u00e9nergie.. et ainsi de perdre son inspiration, sa cr\u00e9ativit\u00e9. A mon avis, il aura rater bien des moments de plaisir mais le postulat n\u2019\u00e9tait pas mauvais en soi.<\/p>\n

Les ermites aussi savent que s\u2019\u00e9loigner de la masse les pr\u00e9serve de d\u00e9penses inutiles, mais sans risque alors comment tester la tol\u00e9rance, comment construire une v\u00e9ritable conviction ? Et comment d\u00e9truire celle ci une fois construite \u2026 ?<\/p>\n

C\u2019est que peut-\u00eatre tous les chemins m\u00e8nent \u00e0 des « Rome » tr\u00e8s personnelles, nous arrivons avec une petite id\u00e9e en t\u00eate dans le monde de la confusion et c\u2019est toute cette confusion, ce chaos, qu\u2019il nous faudra traverser avec ce que j\u2019appelle « intention »<\/p>\n

Cette intention ne provient pas de notre r\u00e9flexion, le mental n\u2019est pas sa source, ni d\u2019ailleurs le c\u0153ur. On pourrait peut \u00eatre imaginer un intervalle entre deux fr\u00e9quences, plus qu\u2019une fr\u00e9quence vraiment, un tout petit vide entre deux voil\u00e0 ce serait cela l\u2019intention capable \u00e0 la fois de soulever des montagnes, de faire preuve peu \u00e0 peu d\u2019une tol\u00e9rance infinie, et d\u2019\u00e9carter ainsi un peu plus \u00e0 chaque cran la moindre de nos convictions.<\/p>\n

D\u00e9couvrir qu\u2019une intention existe au fond de soi est un jour de f\u00eate. Lui faire confiance et la suivre aveugl\u00e9ment n\u00e9cessite de traverser bien des d\u00e9serts cependant que parvenu \u00e0 l\u2019oasis, nous sommes capables de tout oublier ou presque, heureux enfin d\u2019\u00e9tancher notre soif tout simplement.<\/p>", "content_text": "J\u2019ai longtemps \u00e9t\u00e9 confus dans tous les domaines de ma vie a croire parfois que je mettais un point d\u2019honneur \u00e0 ne pas \u00eatre clair, si toutefois la clart\u00e9 est le contraire v\u00e9ritable de la confusion. Quelque chose en moi projetait comme la s\u00e8che, la pieuvre, le calamar,un nuage d\u2019encre afin de me dissimuler certainement en cas de danger. Pour tromper l\u2019adversaire, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur ou \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de moi. Et cet adversaire maintenant que j\u2019y r\u00e9fl\u00e9chis pourrait \u00eatre \u00e0 la fois l\u2019\u00e9vidence comme la certitude et le sommeil que provoquent toujours chez moi ces deux mots. Car \u00ab moi je \u00bb voulais aller plus loin, je voulais \u00eatre le meilleur en quelque chose sans savoir vraiment bien quoi. Il le fallait cela m\u2019\u00e9tait consubstantiel pensais-je. Du moins c\u2019\u00e9tait l\u00e0 le mot d\u2019ordre servant d\u2019excuse \u00e0 une certaine forme d\u2019arrogance, de m\u00e9pris envers le reste de l\u2019humanit\u00e9 qui n\u2019\u00e9tait pas sur la m\u00eame fr\u00e9quence: lanterne \u00e9teintes et lanterne allum\u00e9es. D\u00e9s les bancs de l\u2019\u00e9cole je m\u2019\u00e9tais aper\u00e7u que seuls deux ou trois de mes camarades rev\u00eataient une importance pour moi , seule forme de r\u00e9alit\u00e9 tandis que la grande partie des autres, disparaissait dans un amas de contours incertains. Ceux que je ne choisissais pas de regarder n\u2019avaient alors pas acc\u00e8s \u00e0 l\u2019existence. Il y en allait ainsi de tout, du choix que j\u2019op\u00e9rais quand au degr\u00e9 d\u2019importance que j\u2019attribuais. j\u2019ai ainsi donn\u00e9 de l\u2019importance \u00e0 certains arbres particuli\u00e8rement les cerisiers et j\u2019ai un peu aim\u00e9 les h\u00eatres, les bouleaux, et les ch\u00eanes. \u00c9ventuellement le sureau qui me donnait de quoi fumer. tout le reste de l\u2019immense for\u00eat m\u2019est parfaitement inconnu. Et souvent je me suis jur\u00e9 qu\u2019un jour j\u2019ach\u00e8terais un manuel pour combler mes lacunes, cependant ce serment n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 tenu. Dans cette notion d\u2019importance donn\u00e9e aux choses, aux \u00eatres, le moteur, la motivation qui me poussait \u00e9tait souvent la curiosit\u00e9. alors que je n\u2019\u00e9tais en fait curieux que d\u2019une seule chose : explorer une version de moi-m\u00eame encore in\u00e9dite et ce peu importe que ce fusse en amiti\u00e9, en amour, la travers\u00e9e du miroir m\u2019\u00e9tait inconnue. Pourtant je le savais, intellectuellement, je ma\u00eetrisais cette notion d\u2019ego, de projection, de transfert, de rejet \u00e9galement, et voil\u00e0 ce qui sans doute m\u2019a retard\u00e9 le plus longtemps. Cette impression, cette fabrication mentale s\u2019appuyant \u00e0 la fois sur l\u2019instinct, l\u2019analogie et le livre mais assez peu sur le corps, sur le ressenti ni sur le c\u0153ur. D\u2019ailleurs tr\u00e8s longtemps j\u2019ai pens\u00e9 \u00eatre d\u00e9pourvu de cet organe. Ne me le disait on pas \u00e0 longueur de temps, \u00ab tu n\u2019as pas de c\u0153ur, mets y du c\u0153ur \u00bb, je n\u2019avais pas de c\u0153ur \u00e0 avoir du c\u0153ur et voil\u00e0 tout. Moi c\u2019\u00e9tait plut\u00f4t la t\u00eate en premier et assez rapidement les jambes que je prenais \u00e0 mon cou quand on me crachait en pleine figure les vertus cardiaques C\u2019est que du fin fond de ma confusion je comprenais bien toutes les mailles, la toile enti\u00e8re parfois que tissait ce pr\u00e9tendu \u00ab c\u0153ur \u00e0 l\u2019ouvrage \u00bb et qui me paraissait m\u2019emp\u00eatrer dans plus de confusion encore \u00e0 chaque tentative de m\u2019en \u00e9chapper. Il doit en \u00eatre de tous les mots ainsi je le crains. Nous les utilisons comme des ombres s\u2019emparant d\u2019armes tranchantes, argent\u00e9es et luisantes dans la nuit de notre ignorance. Nous croyons savoir ce que veut dire aimer, nous croyons savoir ce que veut dire ha\u00efr, nous nous formons des images mentales associ\u00e9es \u00e0 ces mots et born\u00e9es par celles ci nous tra\u00e7ons des voies labyrinthiques que nous appelons alors , simplicit\u00e9, \u00e9vidence, clart\u00e9. En peinture je n\u2019ai jamais cess\u00e9 de savoir ces bornes et j\u2019ai souvent compris qu\u2019il fallait commencer par la confusion comme dans la vie. Laisser aller sa pente naturelle \u00e0 d\u00e9sordonner le monde ou la toile ce n\u2019est pas quand m\u00eame tout \u00e0 fait semblable. Les harmonies, les lumi\u00e8res \u00e9quilibr\u00e9es d\u2019avec les ombres que je n\u2019ai pu trouver en peinture, j\u2019ai pu les recouvrir et reprendre par dessus de nouvelles toiles, cependant que les d\u00e9faites, les guerres, les pr\u00e9tendues victoires obtenues au travers les ombres et les lumi\u00e8res de ma vie pass\u00e9e je les ai laiss\u00e9es dispara\u00eetre \u00e0 jamais dans la nuit de mon oubli. \u00ab A jamais dans la nuit de mon oubli \u00bb vous voyez on y croirait ! Bien sur que non, rien n\u2019est oubli\u00e9 vraiment elles me hantent souvent la nuit et m\u00eame en pleine lumi\u00e8re d\u00e9sormais. {{{Sur la tol\u00e9rance et la conviction}}} Il ne peut y avoir de tol\u00e9rance sans conviction, du moins c\u2019est ce que l\u2019on pourrait imaginer puisqu\u2019on fait preuve d\u2019une pour d\u00e9couvrir l\u2019autre peu \u00e0 peu. Mais quand on part dans la vie sans aucune conviction quel curseur utiliser pour ajuster la tol\u00e9rance ? Alors je vous propose de modifier le mot conviction par intention et les choses s\u2019\u00e9claireront peut-\u00eatre d\u2019une lumi\u00e8re in\u00e9dite. Pour les chamanes la notion d\u2019intention est majeure, comme les notions d\u2019\u00e9nergie. Peu de choses dans le monde chamanique se produisent sur le plan mental, mais sur un plan \u00e9nerg\u00e9tique. Pour parvenir au plus haut degr\u00e9 de connaissance, ou de pouvoir, peu importe les mots que l\u2019on pourrait coller sur le sommet, deux qualit\u00e9s sont n\u00e9cessaires voire indispensables: Accepter de souffrir pour comprendre la quantit\u00e9 de tol\u00e9rance dont on peut faire preuve au travers d\u2019une forme d\u2019endurance \u00e0 la b\u00eatise, la sienne et celle des autres si l\u2019on veut. Quand je dis b\u00eatise il n\u2019y a vraiment rien de p\u00e9joratif, je parle bien de notre nature animale. La seconde chose est l\u2019impeccabilit\u00e9 que j\u2019appelle plus modestement la justesse. Cette justesse qui, si l\u2019on apprend \u00e0 rep\u00e9rer la fuite d\u2019\u00e9nergie en soi ou l\u2019app\u00e9tit qui commence \u00e0 sucer la notre chez autrui, r\u00e9agit de plus en plus rapidement et souplement \u00e0 tout d\u00e9bordement, de fa\u00e7on \u00e0 rester dans l\u2019axe. Nous ne savons pas grand chose des \u00e9changes gazeux et encore moins des \u00e9changes \u00e9nerg\u00e9tiques qui s\u2019op\u00e8rent entre les individus. J\u2019ai connu des ma\u00eetresses fabuleuses qui une fois que nous nous fussions s\u00e9par\u00e9s m\u2019avaient d\u00e9rob\u00e9 une tr\u00e8s grande part d\u2019\u00e9nergie et je ne parle pas ici de rapports sexuels uniquement. c\u2019est que l\u2019id\u00e9e de vampire n\u2019est pas venue du fond des temps par hasard , nous passons notre temps \u00e0 nous gorger de l\u2019\u00e9nergie des autres et eux de la notre. Je ne me souviens plus mais je ne serais pas \u00e9tonn\u00e9 que ce soit l\u2019\u00e9crivain Paul Claudel qui refusait m\u00eame de se masturber de peur de dilapider imprudemment sa pr\u00e9cieuse \u00e9nergie.. et ainsi de perdre son inspiration, sa cr\u00e9ativit\u00e9. A mon avis, il aura rater bien des moments de plaisir mais le postulat n\u2019\u00e9tait pas mauvais en soi. Les ermites aussi savent que s\u2019\u00e9loigner de la masse les pr\u00e9serve de d\u00e9penses inutiles, mais sans risque alors comment tester la tol\u00e9rance, comment construire une v\u00e9ritable conviction ? Et comment d\u00e9truire celle ci une fois construite \u2026 ? C\u2019est que peut-\u00eatre tous les chemins m\u00e8nent \u00e0 des \u00ab Rome \u00bb tr\u00e8s personnelles, nous arrivons avec une petite id\u00e9e en t\u00eate dans le monde de la confusion et c\u2019est toute cette confusion, ce chaos, qu\u2019il nous faudra traverser avec ce que j\u2019appelle \u00ab intention \u00bb Cette intention ne provient pas de notre r\u00e9flexion, le mental n\u2019est pas sa source, ni d\u2019ailleurs le c\u0153ur. On pourrait peut \u00eatre imaginer un intervalle entre deux fr\u00e9quences, plus qu\u2019une fr\u00e9quence vraiment, un tout petit vide entre deux voil\u00e0 ce serait cela l\u2019intention capable \u00e0 la fois de soulever des montagnes, de faire preuve peu \u00e0 peu d\u2019une tol\u00e9rance infinie, et d\u2019\u00e9carter ainsi un peu plus \u00e0 chaque cran la moindre de nos convictions. D\u00e9couvrir qu\u2019une intention existe au fond de soi est un jour de f\u00eate. Lui faire confiance et la suivre aveugl\u00e9ment n\u00e9cessite de traverser bien des d\u00e9serts cependant que parvenu \u00e0 l\u2019oasis, nous sommes capables de tout oublier ou presque, heureux enfin d\u2019\u00e9tancher notre soif tout simplement. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img069.webp?1748065131", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/27-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/27-decembre-2018.html", "title": "27 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-27T08:40:00Z", "date_modified": "2025-07-07T05:04:57Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

Ce n\u2019est pas le plus facile des m\u00e9tiers mais pour moi c\u2019est l\u2019un des plus beaux. En fait comprenons nous tous les m\u00e9tiers peuvent \u00eatre beaux cela d\u00e9pend surtout de l\u2019\u00e9tat d\u2019esprit de la personne qui oeuvre.<\/p>\n

Etre artiste et plus pr\u00e9cis\u00e9ment artiste peintre est le dernier m\u00e9tier que j\u2019ai choisi d\u2019effectuer apr\u00e8s de nombreux autres qui ne me permettaient plus de m\u2019exprimer. Ce m\u00e9tier ne me permet pas de vivre aussi bien que dans mes anciennes occupations qui, du reste si elles s\u00e9curisaient plus l\u2019atmosph\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale de ma vie, m\u2019obligeaient \u00e0 de nombreux compromis, \u00e0 ne pas r\u00e9v\u00e9ler pleinement ma personnalit\u00e9, \u00e0 me taire beaucoup par usure, par d\u00e9pit, par crainte aussi quelques fois de perdre mon emploi, de perdre ma s\u00e9curit\u00e9 financi\u00e8re.<\/p>\n

Cependant en r\u00e9fl\u00e9chissant bien cette pseudo s\u00e9curit\u00e9 financi\u00e8re n\u2019\u00e9tait qu\u2019un mot d\u2019ordre h\u00e9rit\u00e9 de p\u00e8re en fils, et la r\u00e9p\u00e9tition d\u2019un sch\u00e9ma ancestrale \u00e0 appliquer par un manque cruel d\u2019imagination.<\/p>\n

Quelle est la v\u00e9ritable richesse si ce ne sont pas les enfants que l\u2019on \u00e9l\u00e8ve, l\u2019\u00e9pouse que l\u2019on \u00e9paule, les amis que l\u2019on rencontre et avec lesquels on construit une amiti\u00e9, si ce n\u2019est pas toujours para\u00eetre plut\u00f4t qu\u2019\u00eatre tout simplement ?<\/p>\n

Car nous ne sommes vraiment que tr\u00e8s rarement nous m\u00eames au travers des circonstances brutales ou douces de l\u2019existence, nous sommes des copies plus ou moins am\u00e9lior\u00e9es d\u2019un syst\u00e8me \u00e9ducatif, social, \u00e9conomique et politique qui jugule la notion v\u00e9ritable d\u2019identit\u00e9 depuis tellement longtemps d\u00e9sormais. Syst\u00e8me qui craque de toutes parts et devant nous se dresse un inconnu qui comme toujours nous effraie nous rappelant trop bien l\u2019inconnu qui toujours sommeille au fond de nous.<\/p>\n

Quelle est donc la v\u00e9ritable richesse sinon aller au devant de cet inconnu qui est soi et pour ce faire pas besoin d\u2019argent mais du temps, et c\u2019est bien ce temps que l\u2019on ne nous permet pas de prendre facilement qui me parait \u00eatre le luxe le plus haut actuellement.<\/p>\n

Car il en faut du temps pour apprendre \u00e0 peindre par exemple, non pas qu\u2019il soit si difficile de ma\u00eetriser une technique, non cela est d\u00e9sormais \u00e0 la port\u00e9e d\u2019un grand nombre de personnes. Pour am\u00e9liorer le quotidien je suis moi-m\u00eame professeur et j\u2019enseigne la technique du dessin et le maniement des formes et des couleurs. Cependant que je reste toujours stup\u00e9fait par le manque de temps que pr\u00e9textent mes \u00e9l\u00e8ves.<\/p>\n

J\u2019ai beau dire, si vous voulez progresser, prenez une demi heure par jour pour dessiner, peindre, une demie heure ce n\u2019est pas grand chose mais si on le fait chaque jour, pendant 365 jours imaginez\u2026<\/p>\n

Et pourtant non , personne n\u2019y parvient invoquant chaque semaine lorsque je pose la question des pr\u00e9occupations tellement serr\u00e9es qu\u2019aucun interstice n\u2019a pu \u00eatre trouv\u00e9.<\/p>\n

Il m\u2019a fallut du temps pour comprendre comment g\u00e9rer celui-ci, pour qu\u2019\u00e0 la toute fin tout ne soit pas en vain, pour que perdure une partie pr\u00e9cieuse de mon \u00eatre inscrite dans le papier, le chant, la photographie ou la peinture, j\u2019ai test\u00e9 beaucoup de voies diverses accordant du temps \u00e0 chacune autant que le pouvais , parfois d\u2019une fa\u00e7on frugale, parfois avec exc\u00e8s.<\/p>\n

La r\u00e9gularit\u00e9 du m\u00e9tronome s\u2019accorde mal avec l\u2019id\u00e9e que l\u2019on se fait d\u2019un artiste. Elle s\u2019accorde d\u00e9j\u00e0 si mal dans le cadre que l\u2019on pose pour exercer le moindre labeur. On la subit en g\u00e9n\u00e9ral plus qu\u2019on la choisit cette r\u00e9gularit\u00e9.<\/p>\n

Alors devenir « libre » en tant qu\u2019artiste demande bien plus que de l\u2019application pour int\u00e9grer cette r\u00e9gularit\u00e9, pour diviser son temps en parcelles, pour segmenter l\u2019administratif du commercial, et du temps de cr\u00e9ation.<\/p>\n

Cela demande du temps et une certaine forme d\u2019abn\u00e9gation aussi.<\/p>\n

\u00c9tablir un emploi du temps et s\u2019y tenir demande de renoncer \u00e0 beaucoup de choses notamment \u00e0 la distraction.<\/p>\n

Je vous l\u2019avoue, j\u2019ai essay\u00e9 plein de moyens diverses pour tenter de mettre en place cet emploi du temps. Aucun n\u2019a pu tenir la route et toujours la distraction m\u2019attirait pour m\u2019extraire de ces contraintes insupportables que je m\u2019\u00e9tais fix\u00e9es.<\/p>\n

C\u2019est seulement qu\u2019il me manquait une intention v\u00e9ritable.<\/p>\n

cette intention ne se trouvait pas dans l\u2019envie de gagner de l\u2019argent, ni dans celle de r\u00e9aliser des \u0153uvres d\u2019o\u00f9 surgiraient l\u2019\u00e9vidence de ma ma\u00eetrise, encore moins dans l\u2019id\u00e9e de la beaut\u00e9 qui m\u2019aura celle ci fait perdre de nombreuses ann\u00e9es, non aucune de ses intentions ne pouvait \u00eatre vou\u00e9e au succ\u00e8s de la r\u00e9alisation d\u2019un v\u00e9ritable emploi du temps.<\/p>\n

Alors je me suis pench\u00e9 sur les t\u00e2ches d\u00e9j\u00e0 en place, les cours que je donne, l\u2019administratif \u00e0 r\u00e9gler, la communication sur les r\u00e9seaux sociaux \u00e0 ne pas n\u00e9gliger et dans chacune de ces t\u00e2ches j\u2019ai tent\u00e9 de donner le meilleur de ce que je pouvais, c\u2019est \u00e0 dire d\u2019\u00eatre le plus juste possible avec moi-m\u00eame tout d\u2019abord en esp\u00e9rant que cette justesse atteindrait les autres.<\/p>\n

Je ne dis pas que tout est en place d\u00e9sormais pour toujours, non il y a encore bien des choses \u00e0 am\u00e9liorer notamment cette propension \u00e0 vouloir trop donner d\u2019un coup comme si demain j\u2019allais mourir. J\u2019essaie de me restreindre d\u00e9sormais dans des cadres temporaires plus succincts.<\/p>\n

La cr\u00e9ation c\u2019est un peu comme l\u2019amour, donner tout d\u2019un seul coup ne sert \u00e0 rien et surtout \u00e0 ne pas durer, \u00e0 ne pas faire durer. C\u2019est sur le long terme que la passion s\u2019apaise et que la braise de la tendresse r\u00e9chauffe les vieux amants.<\/p>\n

Bien sur la tentation est grande d\u2019utiliser internet pour promouvoir mon travail et j\u2019y c\u00e8de d\u00e9sormais volontiers, non pas que j\u2019imagine atteindre \u00e0 une c\u00e9l\u00e9brit\u00e9 quelconque voir \u00e0 une client\u00e8le plus large, non cela ne me parait m\u00eame pas souhaitable pour l\u2019\u00e9quilibre fragile que j\u2019installe peu \u00e0 peu dans mon emploi du temps.<\/p>\n

Internet me permet de montrer mon travail, de sortir d\u2019une certaine fa\u00e7on de l\u2019atelier, de m\u2019exposer aussi moi-m\u00eame tel que je suis sans autre retenue que celle de vouloir rester juste. C\u2019est bien de cette justesse dont il s\u2019agit en fait et qui pourrait bien devenir l\u2019intention majeure de tout mon travail d\u2019homme comme de peintre.<\/p>\n

Cette justesse emprunte des voies parfois \u00e9tranges et peut-\u00eatre parfois aussi laborieuses encore mais je ne d\u00e9sesp\u00e8re pas, j\u2019adapte peu \u00e0 peu mon emploi du temps \u00e0 sa mesure et esp\u00e8re pour 2019 des \u0153uvres nouvelles en ad\u00e9quation avec celle ci plus que jamais encore auparavant.<\/p>\n

en lisant la col\u00e8re exprim\u00e9e par certaine chroniqueuse sur l\u2019art contemporain, je peux comprendre au del\u00e0 de son vocabulaire de fa\u00e7ade l\u2019indignation qu\u2019elle ressent quant \u00e0 une grande partie de l\u2019art en France aujourd\u2019hui qui serait d\u00e9laiss\u00e9e par les institutions qui pr\u00e9f\u00e8rent miser sur des plus values rapides et des retours sur investissements plus juteux avec le denier public. C\u2019est qu\u2019on a tous oubli\u00e9 le temps dans l\u2019affaire.<\/p>\n

Il faut du temps pour construire un emploi du temps efficace, du temps pour r\u00e9aliser des tableaux qui touchent vraiment l\u2019\u00e2me et l\u2019esprit, et la h\u00e2te des institutions \u00e0 vouloir courir plus vite que la musique en fabricant des artistes trop rapidement ne r\u00e9sistera sans doute pas \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9 qui est en fait le v\u00e9ritable tamis du talent.<\/p>\n

Ce n\u2019est jamais dans l\u2019urgence qu\u2019on d\u00e9cr\u00e8te le juste et le beau, on peut tenter de l\u2019imposer bien sur mais cela ne sert de rien, il faut attendre h\u00e9las encore la dissipation des brumes pour parvenir \u00e0 retrouver l\u2019horizon.<\/p>\n

Dans ce grand bateau qui pourrait ressembler \u00e0 celui de la M\u00e9duse, nous voici les artistes inconnus naufrag\u00e9s de l\u2019imm\u00e9diatet\u00e9. La faim et la soif et l\u2019absence de reconnaissance peut bien nous tenailler et nous rendre presque fous parfois, il faut les ignorer cela ne vient pas de nous, cela n\u2019est pas en nous. Nous sommes seulement le temps et nous n\u2019avons besoin en fait profond\u00e9ment de rien d\u2019autre que de justesse telle que nous la ressentons, toujours la m\u00eame \u00e0 la fois neuve et ancienne, toujours renouvel\u00e9e.<\/p>", "content_text": "Ce n\u2019est pas le plus facile des m\u00e9tiers mais pour moi c\u2019est l\u2019un des plus beaux. En fait comprenons nous tous les m\u00e9tiers peuvent \u00eatre beaux cela d\u00e9pend surtout de l\u2019\u00e9tat d\u2019esprit de la personne qui oeuvre. Etre artiste et plus pr\u00e9cis\u00e9ment artiste peintre est le dernier m\u00e9tier que j\u2019ai choisi d\u2019effectuer apr\u00e8s de nombreux autres qui ne me permettaient plus de m\u2019exprimer. Ce m\u00e9tier ne me permet pas de vivre aussi bien que dans mes anciennes occupations qui, du reste si elles s\u00e9curisaient plus l\u2019atmosph\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale de ma vie, m\u2019obligeaient \u00e0 de nombreux compromis, \u00e0 ne pas r\u00e9v\u00e9ler pleinement ma personnalit\u00e9, \u00e0 me taire beaucoup par usure, par d\u00e9pit, par crainte aussi quelques fois de perdre mon emploi, de perdre ma s\u00e9curit\u00e9 financi\u00e8re. Cependant en r\u00e9fl\u00e9chissant bien cette pseudo s\u00e9curit\u00e9 financi\u00e8re n\u2019\u00e9tait qu\u2019un mot d\u2019ordre h\u00e9rit\u00e9 de p\u00e8re en fils, et la r\u00e9p\u00e9tition d\u2019un sch\u00e9ma ancestrale \u00e0 appliquer par un manque cruel d\u2019imagination. Quelle est la v\u00e9ritable richesse si ce ne sont pas les enfants que l\u2019on \u00e9l\u00e8ve, l\u2019\u00e9pouse que l\u2019on \u00e9paule, les amis que l\u2019on rencontre et avec lesquels on construit une amiti\u00e9, si ce n\u2019est pas toujours para\u00eetre plut\u00f4t qu\u2019\u00eatre tout simplement ? Car nous ne sommes vraiment que tr\u00e8s rarement nous m\u00eames au travers des circonstances brutales ou douces de l\u2019existence, nous sommes des copies plus ou moins am\u00e9lior\u00e9es d\u2019un syst\u00e8me \u00e9ducatif, social, \u00e9conomique et politique qui jugule la notion v\u00e9ritable d\u2019identit\u00e9 depuis tellement longtemps d\u00e9sormais. Syst\u00e8me qui craque de toutes parts et devant nous se dresse un inconnu qui comme toujours nous effraie nous rappelant trop bien l\u2019inconnu qui toujours sommeille au fond de nous. Quelle est donc la v\u00e9ritable richesse sinon aller au devant de cet inconnu qui est soi et pour ce faire pas besoin d\u2019argent mais du temps, et c\u2019est bien ce temps que l\u2019on ne nous permet pas de prendre facilement qui me parait \u00eatre le luxe le plus haut actuellement. Car il en faut du temps pour apprendre \u00e0 peindre par exemple, non pas qu\u2019il soit si difficile de ma\u00eetriser une technique, non cela est d\u00e9sormais \u00e0 la port\u00e9e d\u2019un grand nombre de personnes. Pour am\u00e9liorer le quotidien je suis moi-m\u00eame professeur et j\u2019enseigne la technique du dessin et le maniement des formes et des couleurs. Cependant que je reste toujours stup\u00e9fait par le manque de temps que pr\u00e9textent mes \u00e9l\u00e8ves. J\u2019ai beau dire, si vous voulez progresser, prenez une demi heure par jour pour dessiner, peindre, une demie heure ce n\u2019est pas grand chose mais si on le fait chaque jour, pendant 365 jours imaginez\u2026 Et pourtant non , personne n\u2019y parvient invoquant chaque semaine lorsque je pose la question des pr\u00e9occupations tellement serr\u00e9es qu\u2019aucun interstice n\u2019a pu \u00eatre trouv\u00e9. Il m\u2019a fallut du temps pour comprendre comment g\u00e9rer celui-ci, pour qu\u2019\u00e0 la toute fin tout ne soit pas en vain, pour que perdure une partie pr\u00e9cieuse de mon \u00eatre inscrite dans le papier, le chant, la photographie ou la peinture, j\u2019ai test\u00e9 beaucoup de voies diverses accordant du temps \u00e0 chacune autant que le pouvais , parfois d\u2019une fa\u00e7on frugale, parfois avec exc\u00e8s. La r\u00e9gularit\u00e9 du m\u00e9tronome s\u2019accorde mal avec l\u2019id\u00e9e que l\u2019on se fait d\u2019un artiste. Elle s\u2019accorde d\u00e9j\u00e0 si mal dans le cadre que l\u2019on pose pour exercer le moindre labeur. On la subit en g\u00e9n\u00e9ral plus qu\u2019on la choisit cette r\u00e9gularit\u00e9. Alors devenir \u00ab libre \u00bb en tant qu\u2019artiste demande bien plus que de l\u2019application pour int\u00e9grer cette r\u00e9gularit\u00e9, pour diviser son temps en parcelles, pour segmenter l\u2019administratif du commercial, et du temps de cr\u00e9ation. Cela demande du temps et une certaine forme d\u2019abn\u00e9gation aussi. \u00c9tablir un emploi du temps et s\u2019y tenir demande de renoncer \u00e0 beaucoup de choses notamment \u00e0 la distraction. Je vous l\u2019avoue, j\u2019ai essay\u00e9 plein de moyens diverses pour tenter de mettre en place cet emploi du temps. Aucun n\u2019a pu tenir la route et toujours la distraction m\u2019attirait pour m\u2019extraire de ces contraintes insupportables que je m\u2019\u00e9tais fix\u00e9es. C\u2019est seulement qu\u2019il me manquait une intention v\u00e9ritable. cette intention ne se trouvait pas dans l\u2019envie de gagner de l\u2019argent, ni dans celle de r\u00e9aliser des \u0153uvres d\u2019o\u00f9 surgiraient l\u2019\u00e9vidence de ma ma\u00eetrise, encore moins dans l\u2019id\u00e9e de la beaut\u00e9 qui m\u2019aura celle ci fait perdre de nombreuses ann\u00e9es, non aucune de ses intentions ne pouvait \u00eatre vou\u00e9e au succ\u00e8s de la r\u00e9alisation d\u2019un v\u00e9ritable emploi du temps. Alors je me suis pench\u00e9 sur les t\u00e2ches d\u00e9j\u00e0 en place, les cours que je donne, l\u2019administratif \u00e0 r\u00e9gler, la communication sur les r\u00e9seaux sociaux \u00e0 ne pas n\u00e9gliger et dans chacune de ces t\u00e2ches j\u2019ai tent\u00e9 de donner le meilleur de ce que je pouvais, c\u2019est \u00e0 dire d\u2019\u00eatre le plus juste possible avec moi-m\u00eame tout d\u2019abord en esp\u00e9rant que cette justesse atteindrait les autres. Je ne dis pas que tout est en place d\u00e9sormais pour toujours, non il y a encore bien des choses \u00e0 am\u00e9liorer notamment cette propension \u00e0 vouloir trop donner d\u2019un coup comme si demain j\u2019allais mourir. J\u2019essaie de me restreindre d\u00e9sormais dans des cadres temporaires plus succincts. La cr\u00e9ation c\u2019est un peu comme l\u2019amour, donner tout d\u2019un seul coup ne sert \u00e0 rien et surtout \u00e0 ne pas durer, \u00e0 ne pas faire durer. C\u2019est sur le long terme que la passion s\u2019apaise et que la braise de la tendresse r\u00e9chauffe les vieux amants. Bien sur la tentation est grande d\u2019utiliser internet pour promouvoir mon travail et j\u2019y c\u00e8de d\u00e9sormais volontiers, non pas que j\u2019imagine atteindre \u00e0 une c\u00e9l\u00e9brit\u00e9 quelconque voir \u00e0 une client\u00e8le plus large, non cela ne me parait m\u00eame pas souhaitable pour l\u2019\u00e9quilibre fragile que j\u2019installe peu \u00e0 peu dans mon emploi du temps. Internet me permet de montrer mon travail, de sortir d\u2019une certaine fa\u00e7on de l\u2019atelier, de m\u2019exposer aussi moi-m\u00eame tel que je suis sans autre retenue que celle de vouloir rester juste. C\u2019est bien de cette justesse dont il s\u2019agit en fait et qui pourrait bien devenir l\u2019intention majeure de tout mon travail d\u2019homme comme de peintre. Cette justesse emprunte des voies parfois \u00e9tranges et peut-\u00eatre parfois aussi laborieuses encore mais je ne d\u00e9sesp\u00e8re pas, j\u2019adapte peu \u00e0 peu mon emploi du temps \u00e0 sa mesure et esp\u00e8re pour 2019 des \u0153uvres nouvelles en ad\u00e9quation avec celle ci plus que jamais encore auparavant. en lisant la col\u00e8re exprim\u00e9e par certaine chroniqueuse sur l\u2019art contemporain, je peux comprendre au del\u00e0 de son vocabulaire de fa\u00e7ade l\u2019indignation qu\u2019elle ressent quant \u00e0 une grande partie de l\u2019art en France aujourd\u2019hui qui serait d\u00e9laiss\u00e9e par les institutions qui pr\u00e9f\u00e8rent miser sur des plus values rapides et des retours sur investissements plus juteux avec le denier public. C\u2019est qu\u2019on a tous oubli\u00e9 le temps dans l\u2019affaire. Il faut du temps pour construire un emploi du temps efficace, du temps pour r\u00e9aliser des tableaux qui touchent vraiment l\u2019\u00e2me et l\u2019esprit, et la h\u00e2te des institutions \u00e0 vouloir courir plus vite que la musique en fabricant des artistes trop rapidement ne r\u00e9sistera sans doute pas \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9 qui est en fait le v\u00e9ritable tamis du talent. Ce n\u2019est jamais dans l\u2019urgence qu\u2019on d\u00e9cr\u00e8te le juste et le beau, on peut tenter de l\u2019imposer bien sur mais cela ne sert de rien, il faut attendre h\u00e9las encore la dissipation des brumes pour parvenir \u00e0 retrouver l\u2019horizon. Dans ce grand bateau qui pourrait ressembler \u00e0 celui de la M\u00e9duse, nous voici les artistes inconnus naufrag\u00e9s de l\u2019imm\u00e9diatet\u00e9. La faim et la soif et l\u2019absence de reconnaissance peut bien nous tenailler et nous rendre presque fous parfois, il faut les ignorer cela ne vient pas de nous, cela n\u2019est pas en nous. Nous sommes seulement le temps et nous n\u2019avons besoin en fait profond\u00e9ment de rien d\u2019autre que de justesse telle que nous la ressentons, toujours la m\u00eame \u00e0 la fois neuve et ancienne, toujours renouvel\u00e9e. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/justesse-et-spontaneite.webp?1748065082", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/26-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/26-decembre-2018.html", "title": "26 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-26T08:37:00Z", "date_modified": "2025-10-29T18:26:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

On ne sait d’o\u00f9 elle vient, mais elle s’empare de tout notre \u00eatre : la m\u00e9lancolie. Les anciens l’attribuaient \u00e0 la bile noire, tout en notant qu’elle n’\u00e9pargnait pas le g\u00e9nie.\nMes premiers acc\u00e8s remontent \u00e0 cet \u00e9t\u00e9 dans le Bourbonnais, chez mes grands-parents. D\u00e8s mon arriv\u00e9e \u00e0 la gare, je sentis sa pr\u00e9sence. Cet ennui m\u00eal\u00e9 de solitude, ce \"\u00e0 quoi bon\" poivr\u00e9 d’un sentiment mortif\u00e8re d’infini.\nM\u00eame la p\u00eache - que j’adorais - ne parvenait \u00e0 m’en distraire. Jusqu’\u00e0 ce jour o\u00f9, assis avec mon ami Paula sur les marches d’une maison abandonn\u00e9e, un gravier nous atteignit. Un rire l\u00e9ger fendit l’air, et Babette surgit.\nPuis sa s\u0153ur a\u00een\u00e9e Nadine apparut, toute de blanc v\u00eatue, avec ses cheveux blonds et ses yeux de biche moqueurs. Coup de foudre imm\u00e9diat. Cette fille de cinq ans mon a\u00een\u00e9e m’extirpa de ma m\u00e9lancolie. Je devins parfaitement idiot, passant le reste des vacances dans un \u00e9tat d’apesanteur.\nLe soir, nous nous retrouvions apr\u00e8s le d\u00eener. Que de chemins avons-nous parcourus dans la nuit, nos d\u00e9sirs barricad\u00e9s de pudeur ! Sa hanche fr\u00f4lait ma main, mais jamais de contact \u00e9vident. Un accord tacite : cet \u00e9tat de fait dura jusqu’\u00e0 la fin des vacances.\n\u00c0 la rentr\u00e9e en pension, une lettre arriva. Son \u00e9criture fine, ses mots pudiques. Je lui r\u00e9pondis chaque jour, \u00e9chafaudant tout un roman.\nL’\u00e9t\u00e9 suivant, je revins au hameau sans pr\u00e9venir. En passant devant sa maison, je la vis dans les bras d’un gaillard en cuir, pendue \u00e0 son cou. Elle me fit un petit signe. Un sourire vint on ne sait comment sur mes l\u00e8vres. Je tournai les talons.\nJ’ai gard\u00e9 longtemps ses lettres. Ce n’est qu’\u00e0 trente ans, quand un nouvel amour arriva, que je les br\u00fblai.\nIl y a ainsi des histoires inscrites \u00e0 mi-chemin du r\u00e9el et du r\u00eave, comme ces tableaux rang\u00e9s dans mon atelier. Un ami dit : \"Qu’est-ce qu’un homme ? C’est tout ce qu’il ne montre pas.\" J’ai longtemps cach\u00e9, jugant cela insignifiant.\nMais mon chemin m’a appris qu’en partageant ces secrets, on \u00e9tablit des ponts entre les \u00eatres. Et parfois, dans la confusion des autres, mes histoires rencontrent un \u00e9cho.<\/p>", "content_text": " On ne sait d'o\u00f9 elle vient, mais elle s'empare de tout notre \u00eatre : la m\u00e9lancolie. Les anciens l'attribuaient \u00e0 la bile noire, tout en notant qu'elle n'\u00e9pargnait pas le g\u00e9nie. Mes premiers acc\u00e8s remontent \u00e0 cet \u00e9t\u00e9 dans le Bourbonnais, chez mes grands-parents. D\u00e8s mon arriv\u00e9e \u00e0 la gare, je sentis sa pr\u00e9sence. Cet ennui m\u00eal\u00e9 de solitude, ce \"\u00e0 quoi bon\" poivr\u00e9 d'un sentiment mortif\u00e8re d'infini. M\u00eame la p\u00eache - que j'adorais - ne parvenait \u00e0 m'en distraire. Jusqu'\u00e0 ce jour o\u00f9, assis avec mon ami Paula sur les marches d'une maison abandonn\u00e9e, un gravier nous atteignit. Un rire l\u00e9ger fendit l'air, et Babette surgit. Puis sa s\u0153ur a\u00een\u00e9e Nadine apparut, toute de blanc v\u00eatue, avec ses cheveux blonds et ses yeux de biche moqueurs. Coup de foudre imm\u00e9diat. Cette fille de cinq ans mon a\u00een\u00e9e m'extirpa de ma m\u00e9lancolie. Je devins parfaitement idiot, passant le reste des vacances dans un \u00e9tat d'apesanteur. Le soir, nous nous retrouvions apr\u00e8s le d\u00eener. Que de chemins avons-nous parcourus dans la nuit, nos d\u00e9sirs barricad\u00e9s de pudeur ! Sa hanche fr\u00f4lait ma main, mais jamais de contact \u00e9vident. Un accord tacite : cet \u00e9tat de fait dura jusqu'\u00e0 la fin des vacances. \u00c0 la rentr\u00e9e en pension, une lettre arriva. Son \u00e9criture fine, ses mots pudiques. Je lui r\u00e9pondis chaque jour, \u00e9chafaudant tout un roman. L'\u00e9t\u00e9 suivant, je revins au hameau sans pr\u00e9venir. En passant devant sa maison, je la vis dans les bras d'un gaillard en cuir, pendue \u00e0 son cou. Elle me fit un petit signe. Un sourire vint on ne sait comment sur mes l\u00e8vres. Je tournai les talons. J'ai gard\u00e9 longtemps ses lettres. Ce n'est qu'\u00e0 trente ans, quand un nouvel amour arriva, que je les br\u00fblai. Il y a ainsi des histoires inscrites \u00e0 mi-chemin du r\u00e9el et du r\u00eave, comme ces tableaux rang\u00e9s dans mon atelier. Un ami dit : \"Qu'est-ce qu'un homme ? C'est tout ce qu'il ne montre pas.\" J'ai longtemps cach\u00e9, jugant cela insignifiant. 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La mode est devenue fade, mais j’ai tent\u00e9 de devenir positif. Tout a commenc\u00e9 au travail, dans l’ennui.\nMon coll\u00e8gue P., expert en hypocrisie corporate, m’a initi\u00e9 aux auteurs new age m\u00ealant d\u00e9veloppement personnel et spiritualit\u00e9. Curieux, je me suis mis aux fleurs de Bach, \u00e0 Sai Baba, puis \u00e0 un stage de PNL.\n\u00c0 Grenoble, j’ai d\u00e9couvert un monde enchant\u00e9 o\u00f9 tout le monde se complimentait \u00e0 qui mieux mieux. Je suis ressorti \"augment\u00e9\" et me suis inscrit \u00e0 la suite - plus ch\u00e8re - en Belgique.\nLe stage de chamanisme fut le comble : dans une abbaye magnifique, j’ai rencontr\u00e9 une rouquine avec qui j’ai pratiqu\u00e9 les \"nettoyages \u00e9nerg\u00e9tiques\". Main dans la main, nous sentions les \u00e9nergies circuler. Tout aurait pu tourner \u00e0 la partouze, mais le lieu et le temps en ont d\u00e9cid\u00e9 autrement.\nDe retour \u00e0 Lyon, nous avons entam\u00e9 une relation houleuse entre deux \"mages\" qui s’envoient des sorts. Elle cherchait peut-\u00eatre un compagnon pour vieillir, moi je fuyais toute responsabilit\u00e9. Cette histoire m’aura au moins \u00e9veill\u00e9 le premier chakra - m\u00eame si je reste perplexe sur cette \u00e9nergie qui, partie du \"trou de balle\", devait atteindre le c\u0153ur...\nJ’ai finalement tout quitt\u00e9 pour l’inconnu, jetant les peintures obs\u00e9d\u00e9es de cette p\u00e9riode - vulves, matrices et sodomies - qui tentaient vainement de percer le myst\u00e8re de la vie par le bas.<\/p>\n

Le premier mensonge<\/strong><\/p>\n

Mon premier mensonge ? Une maladie invent\u00e9e pour \u00e9viter l’\u00e9cole. J’avais si bien jou\u00e9 mon r\u00f4le que j’en ressentais les sympt\u00f4mes.\nCe premier mensonge en appela d’autres, puis vint le vol - d’abord dans le portefeuille de ma m\u00e8re, puis dans la caisse de mon grand-p\u00e8re sur les march\u00e9s parisiens. Le g\u00e9ant Totor feignait de vouloir me couper les oreilles avec son Opinel, tout le monde riait, m\u00eame le perroquet du bistrot qui criait \"menteur !\".\nPersonne ne me punissait vraiment. Je pris les adultes pour des idiots, et me crus malin. Des ann\u00e9es de larcins m\u00e9diocres s’ensuivirent.\nBien plus tard, visitant ma grand-m\u00e8re en maison de retraite, elle ne me reconnut pas. \"Mais vous \u00eates qui, jeune homme ?\" Cette fois, je me tus. C’\u00e9tait \u00e0 mon tour de faire semblant.\nJe crois que j’ai trouv\u00e9 l’art par lassitude du mensonge. Ayant d\u00e9tect\u00e9 en moi cette habilet\u00e9 \u00e0 travestir les faits, j’ai na\u00efvement cru pouvoir donner le change dans une \u0153uvre.\nLe vrai d\u00e9fi restait : trouver ce qui ne se montre pas, l’ellipse magistrale, le non-dit au-del\u00e0 de l’\u00e9vidence.<\/p>", "content_text": " La mode est devenue fade, mais j'ai tent\u00e9 de devenir positif. Tout a commenc\u00e9 au travail, dans l'ennui. Mon coll\u00e8gue P., expert en hypocrisie corporate, m'a initi\u00e9 aux auteurs new age m\u00ealant d\u00e9veloppement personnel et spiritualit\u00e9. Curieux, je me suis mis aux fleurs de Bach, \u00e0 Sai Baba, puis \u00e0 un stage de PNL. \u00c0 Grenoble, j'ai d\u00e9couvert un monde enchant\u00e9 o\u00f9 tout le monde se complimentait \u00e0 qui mieux mieux. Je suis ressorti \"augment\u00e9\" et me suis inscrit \u00e0 la suite - plus ch\u00e8re - en Belgique. Le stage de chamanisme fut le comble : dans une abbaye magnifique, j'ai rencontr\u00e9 une rouquine avec qui j'ai pratiqu\u00e9 les \"nettoyages \u00e9nerg\u00e9tiques\". Main dans la main, nous sentions les \u00e9nergies circuler. Tout aurait pu tourner \u00e0 la partouze, mais le lieu et le temps en ont d\u00e9cid\u00e9 autrement. De retour \u00e0 Lyon, nous avons entam\u00e9 une relation houleuse entre deux \"mages\" qui s'envoient des sorts. Elle cherchait peut-\u00eatre un compagnon pour vieillir, moi je fuyais toute responsabilit\u00e9. Cette histoire m'aura au moins \u00e9veill\u00e9 le premier chakra - m\u00eame si je reste perplexe sur cette \u00e9nergie qui, partie du \"trou de balle\", devait atteindre le c\u0153ur... J'ai finalement tout quitt\u00e9 pour l'inconnu, jetant les peintures obs\u00e9d\u00e9es de cette p\u00e9riode - vulves, matrices et sodomies - qui tentaient vainement de percer le myst\u00e8re de la vie par le bas. **Le premier mensonge** Mon premier mensonge ? Une maladie invent\u00e9e pour \u00e9viter l'\u00e9cole. J'avais si bien jou\u00e9 mon r\u00f4le que j'en ressentais les sympt\u00f4mes. Ce premier mensonge en appela d'autres, puis vint le vol - d'abord dans le portefeuille de ma m\u00e8re, puis dans la caisse de mon grand-p\u00e8re sur les march\u00e9s parisiens. Le g\u00e9ant Totor feignait de vouloir me couper les oreilles avec son Opinel, tout le monde riait, m\u00eame le perroquet du bistrot qui criait \"menteur !\". Personne ne me punissait vraiment. Je pris les adultes pour des idiots, et me crus malin. Des ann\u00e9es de larcins m\u00e9diocres s'ensuivirent. Bien plus tard, visitant ma grand-m\u00e8re en maison de retraite, elle ne me reconnut pas. \"Mais vous \u00eates qui, jeune homme ?\" Cette fois, je me tus. C'\u00e9tait \u00e0 mon tour de faire semblant. Je crois que j'ai trouv\u00e9 l'art par lassitude du mensonge. Ayant d\u00e9tect\u00e9 en moi cette habilet\u00e9 \u00e0 travestir les faits, j'ai na\u00efvement cru pouvoir donner le change dans une \u0153uvre. Le vrai d\u00e9fi restait : trouver ce qui ne se montre pas, l'ellipse magistrale, le non-dit au-del\u00e0 de l'\u00e9vidence. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/femme-en-rouge.webp?1748065055", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/22-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/22-decembre-2018.html", "title": "22 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-22T08:19:00Z", "date_modified": "2025-10-29T18:12:07Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Le retour \u00e0 l’enfance<\/strong><\/p>\n

Ce jour-l\u00e0, exc\u00e9d\u00e9, je me suis lev\u00e9 en disant : « \u00c7a va merde, je retourne en enfance ! »\nJ’ai balay\u00e9 toute la paperasse de la table, tout enfonc\u00e9 \u00e0 coups de talon dans un carton. Scotch\u00e9 cinq fois plut\u00f4t qu’une. Puis je me suis \u00e9tir\u00e9 en b\u00e2illant.\nEt j’ai commenc\u00e9 \u00e0 peindre comme un enfant. \u00c0 la gouache, sur du papier bon march\u00e9. Quelle r\u00e9v\u00e9lation ! Ces lignes maladroites, ces p\u00e2t\u00e9s - quelle jouissance ! C’\u00e9tait pour moi seul, pour le pur plaisir.\nJe peignais le Joueur de fl\u00fbte de Hamelin - allez savoir pourquoi. Des dizaines de petits tableaux en quelques jours. Ce retour \u00e0 l’enfance par la peinture m’a lav\u00e9 de quelque chose de mortif\u00e8re.\nJ’ai tout perdu dans mes d\u00e9m\u00e9nagements - on avance en restant l\u00e9ger. Mais pourquoi ce th\u00e8me ? Je n’en sais toujours rien.<\/p>\n

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

Tagore et moi<\/strong><\/p>\n

Le soir, dans la nuit d’\u00e9t\u00e9, j’entendais son pas l\u00e9ger dans le couloir. Je coupais la t\u00e9l\u00e9, br\u00fblais de l’encens dans une tasse vide.\nRabindranath, de Calcutta, bien plus \u00e2g\u00e9 que moi. Sa souplesse physique n’avait d’\u00e9gale que la pr\u00e9cision de son discours. Sa langue limpide p\u00e9n\u00e9trait mon c\u0153ur comme la lame d’un scalpel.\nEnivr\u00e9, je devenais fou. Il fallait jaillir - de la chambre, de mon corps, de mon c\u0153ur. Tagore marchait \u00e0 grands pas, peut-\u00eatre l\u00e9vitait-il...\nJe me retrouvais irr\u00e9m\u00e9diablement devant un comptoir. Je buvais \u00e0 Tagore, \u00e0 mon insignifiance, \u00e0 l’indicible. \u00c0 la fin, je buvais simplement pour boire.\n\u00c0 l’aube, je remontais l’escalier, me rangeais en vrac dans ma bo\u00eete, et pour tout oublier, j’allumais la t\u00e9l\u00e9.<\/p>\n

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

La nuit de No\u00ebl<\/strong><\/p>\n

Fen\u00eatre ouverte malgr\u00e9 le froid, j’\u00e9coutais le pouls de la ville affol\u00e9e. En bas, le clodo hurlait sur sa liti\u00e8re cartonn\u00e9e. Des passants press\u00e9s l’enjambaient sans m\u00eame s’excuser.\nCela faisait huit ans que je n’avais pas vu mes parents. Pas de coup de fil, rien. La coupure totale. J’avais choisi l’exil par n\u00e9cessit\u00e9 vitale - l\u00e0-bas, rien n’aurait jamais pouss\u00e9.\nJ’eus une id\u00e9e folle : je descendis avec un bol de soupe et deux pommes de terre chaudes pour le clodo. Il m’envoya chier copieusement.\nJe remontais, la queue entre les jambes. « Quel con, il a pas voulu de ma soupe... »\nCe soir-l\u00e0, j’ai appris plusieurs choses d’un coup.<\/p>", "content_text": " **Le retour \u00e0 l'enfance** Ce jour-l\u00e0, exc\u00e9d\u00e9, je me suis lev\u00e9 en disant : \u00ab \u00c7a va merde, je retourne en enfance ! \u00bb J'ai balay\u00e9 toute la paperasse de la table, tout enfonc\u00e9 \u00e0 coups de talon dans un carton. Scotch\u00e9 cinq fois plut\u00f4t qu'une. Puis je me suis \u00e9tir\u00e9 en b\u00e2illant. Et j'ai commenc\u00e9 \u00e0 peindre comme un enfant. \u00c0 la gouache, sur du papier bon march\u00e9. Quelle r\u00e9v\u00e9lation ! Ces lignes maladroites, ces p\u00e2t\u00e9s - quelle jouissance ! C'\u00e9tait pour moi seul, pour le pur plaisir. Je peignais le Joueur de fl\u00fbte de Hamelin - allez savoir pourquoi. Des dizaines de petits tableaux en quelques jours. Ce retour \u00e0 l'enfance par la peinture m'a lav\u00e9 de quelque chose de mortif\u00e8re. J'ai tout perdu dans mes d\u00e9m\u00e9nagements - on avance en restant l\u00e9ger. Mais pourquoi ce th\u00e8me ? Je n'en sais toujours rien. **Tagore et moi** Le soir, dans la nuit d'\u00e9t\u00e9, j'entendais son pas l\u00e9ger dans le couloir. Je coupais la t\u00e9l\u00e9, br\u00fblais de l'encens dans une tasse vide. Rabindranath, de Calcutta, bien plus \u00e2g\u00e9 que moi. Sa souplesse physique n'avait d'\u00e9gale que la pr\u00e9cision de son discours. Sa langue limpide p\u00e9n\u00e9trait mon c\u0153ur comme la lame d'un scalpel. Enivr\u00e9, je devenais fou. Il fallait jaillir - de la chambre, de mon corps, de mon c\u0153ur. Tagore marchait \u00e0 grands pas, peut-\u00eatre l\u00e9vitait-il... Je me retrouvais irr\u00e9m\u00e9diablement devant un comptoir. Je buvais \u00e0 Tagore, \u00e0 mon insignifiance, \u00e0 l'indicible. \u00c0 la fin, je buvais simplement pour boire. \u00c0 l'aube, je remontais l'escalier, me rangeais en vrac dans ma bo\u00eete, et pour tout oublier, j'allumais la t\u00e9l\u00e9. **La nuit de No\u00ebl** Fen\u00eatre ouverte malgr\u00e9 le froid, j'\u00e9coutais le pouls de la ville affol\u00e9e. En bas, le clodo hurlait sur sa liti\u00e8re cartonn\u00e9e. Des passants press\u00e9s l'enjambaient sans m\u00eame s'excuser. Cela faisait huit ans que je n'avais pas vu mes parents. Pas de coup de fil, rien. La coupure totale. J'avais choisi l'exil par n\u00e9cessit\u00e9 vitale - l\u00e0-bas, rien n'aurait jamais pouss\u00e9. J'eus une id\u00e9e folle : je descendis avec un bol de soupe et deux pommes de terre chaudes pour le clodo. Il m'envoya chier copieusement. Je remontais, la queue entre les jambes. \u00ab Quel con, il a pas voulu de ma soupe... \u00bb Ce soir-l\u00e0, j'ai appris plusieurs choses d'un coup. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/retour_a_l_enfance.webp?1748065098", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/21-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/21-decembre-2018.html", "title": "21 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-21T07:03:00Z", "date_modified": "2025-10-29T18:08:02Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Je sors dans la cour pour sentir le temps. Tasse de caf\u00e9 aux l\u00e8vres, j’\u00e9coute les premiers oiseaux - ce chant venu du fond des \u00e2ges, \u00e0 la lisi\u00e8re de l’aube et de la nuit. Un divertissement qui m’\u00e9loigne de l’essentiel.\nUne fois le seuil de l’atelier franchi, toujours ce m\u00eame malaise. Cette \u00e9preuve entre l’« \u00e0 quoi bon » et le « je ne sais pas quoi faire ».\nJe fais des plans d\u00e9taill\u00e9s, document\u00e9s. Mais toute planification m’impose de me quitter, de retrouver ce moi qui ne sera pas moi. Cette apparence.\nPuis j’envoie tout promener et m’installe devant la toile, vierge ou inachev\u00e9e.\nJe reste l\u00e0 sans rien faire. J’essaie de comprendre. Je ne comprends jamais. Mais je recommence chaque matin - sans cette tentative, \u00e0 quoi bon renoncer ?\nD\u00e9sarm\u00e9 par l’\u00e9vidence, je pr\u00e9pare mes couleurs : les trois primaires et un peu de blanc au centre de la palette.\nEt puis je disparais. Je r\u00e9apparais. Au gr\u00e9 des effacements, des ajouts, des erreurs. Des tons gris ou sales, des exc\u00e8s de gras, des couleurs trop vives ou trop ternes.\nTout cela ne tient qu’\u00e0 moi. Et moi, je tiens \u00e0 lui - \u00e0 ce d\u00e9sordre dont j’ai absolument besoin pour trouver l’ordre.\nLe Graal, c’est un peu \u00e7a, la qu\u00eate. Les pi\u00e8ges sont nombreux. J’y tombe sans cesse, sans doute parce qu’au fond, je sais tr\u00e8s bien de quoi il retourne.\nIl faut faire des centaines de tableaux pour le comprendre. Pour en \u00eatre certain. Et quand on croit comprendre, surtout ne pas s’arr\u00eater : ce n’est jamais cela, voyez-vous.\nChaque tableau n’est qu’un indice. Une coquille vide. Celle d’une d\u00e9faite toujours renouvel\u00e9e.\nRien d’important l\u00e0-dedans. Rien \u00e0 voir sur une seule toile - j’ai beaucoup esp\u00e9r\u00e9, mais c’est pass\u00e9.\nJ’imagine que quelque chose se situe entre les tableaux. Cette histoire dont je vous parle - l’intimite du peintre, si l’on veut.\nAh, j’oubliais : n’essayez pas de faire comme moi. Vous n’y parviendriez pas. Je m’entra\u00eene depuis trop longtemps.\nMaintenant, je me tais. Il est l’heure d’y aller.<\/p>", "content_text": " Je sors dans la cour pour sentir le temps. Tasse de caf\u00e9 aux l\u00e8vres, j'\u00e9coute les premiers oiseaux - ce chant venu du fond des \u00e2ges, \u00e0 la lisi\u00e8re de l'aube et de la nuit. Un divertissement qui m'\u00e9loigne de l'essentiel. Une fois le seuil de l'atelier franchi, toujours ce m\u00eame malaise. Cette \u00e9preuve entre l'\u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb et le \u00ab je ne sais pas quoi faire \u00bb. Je fais des plans d\u00e9taill\u00e9s, document\u00e9s. Mais toute planification m'impose de me quitter, de retrouver ce moi qui ne sera pas moi. Cette apparence. Puis j'envoie tout promener et m'installe devant la toile, vierge ou inachev\u00e9e. Je reste l\u00e0 sans rien faire. J'essaie de comprendre. Je ne comprends jamais. Mais je recommence chaque matin - sans cette tentative, \u00e0 quoi bon renoncer ? D\u00e9sarm\u00e9 par l'\u00e9vidence, je pr\u00e9pare mes couleurs : les trois primaires et un peu de blanc au centre de la palette. Et puis je disparais. Je r\u00e9apparais. Au gr\u00e9 des effacements, des ajouts, des erreurs. Des tons gris ou sales, des exc\u00e8s de gras, des couleurs trop vives ou trop ternes. Tout cela ne tient qu'\u00e0 moi. Et moi, je tiens \u00e0 lui - \u00e0 ce d\u00e9sordre dont j'ai absolument besoin pour trouver l'ordre. Le Graal, c'est un peu \u00e7a, la qu\u00eate. Les pi\u00e8ges sont nombreux. J'y tombe sans cesse, sans doute parce qu'au fond, je sais tr\u00e8s bien de quoi il retourne. Il faut faire des centaines de tableaux pour le comprendre. Pour en \u00eatre certain. Et quand on croit comprendre, surtout ne pas s'arr\u00eater : ce n'est jamais cela, voyez-vous. Chaque tableau n'est qu'un indice. Une coquille vide. Celle d'une d\u00e9faite toujours renouvel\u00e9e. Rien d'important l\u00e0-dedans. Rien \u00e0 voir sur une seule toile - j'ai beaucoup esp\u00e9r\u00e9, mais c'est pass\u00e9. J'imagine que quelque chose se situe entre les tableaux. Cette histoire dont je vous parle - l'intimite du peintre, si l'on veut. Ah, j'oubliais : n'essayez pas de faire comme moi. Vous n'y parviendriez pas. Je m'entra\u00eene depuis trop longtemps. Maintenant, je me tais. Il est l'heure d'y aller. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/paysages-abstaits-1.webp?1748065107", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/17-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/17-decembre-2018.html", "title": "17 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-17T06:42:00Z", "date_modified": "2025-10-29T17:52:58Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Plus j\u2019avance en \u00e2ge, plus je suis pris de vertige devant tout ce que je ne saurai jamais faire : piloter un avion de chasse, jouer dans un film, \u00e9pouser Marilyn Monroe. Mon souffl\u00e9 au fromage restera une \u00e9nigme. En v\u00e9rit\u00e9, je n\u2019ai jamais rien su faire vraiment de mes dix doigts. J\u2019ai pourtant exerc\u00e9 mille m\u00e9tiers, connu des femmes magnifiques, saut\u00e9 en parachute. Mais ce n\u2019\u00e9tait jamais que moi, comprenez-vous ?<\/p>\n

Je pourrais me lamenter, \u00e0 presque soixante ans, d\u2019une crise d\u2019adolescence prolong\u00e9e. Mais ce malaise s\u2019envole d\u00e8s que je m\u2019attable pour \u00e9crire. Alors j\u2019avoue : j\u2019ai toujours cru \u00eatre plus malin que les autres. Plus malin que mes parents, que j\u2019ai voulu arracher \u00e0 leur condition par mes \u00e9carts. Pas par haine, mais par une envie d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e de les voir exister au-del\u00e0 des st\u00e9r\u00e9otypes.<\/p>\n

Pour y parvenir, j\u2019ai tout enfoui. Oui, j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 de la haine, de la col\u00e8re. Oui, j\u2019ai pratiqu\u00e9 l\u2019entourloupe, le vol et le massacre. Si cela vous para\u00eet contradictoire, c\u2019est que vous avez du chemin \u00e0 faire pour \u00eatre vraiment vous.<\/p>\n

Moi, \u00e9ternel insatisfait tremblant de trouille et de rage.\nMoi capable de toutes les petitesses pour ne jamais dire je t\u2019aime.\nMoi hypertrophie des neurones sur pattes.\nMoi gros con attendrissant pour mieux vous planter dans le dos.<\/p>\n

Ce sale gamin qui se cache derri\u00e8re un masque en esp\u00e9rant \u00eatre d\u00e9couvert. Ce gar\u00e7on envahi par tant d\u2019ignorance qu\u2019il s\u2019est invent\u00e9 un rasoir de lucidit\u00e9 pour se d\u00e9chiqueter lui-m\u00eame.<\/p>\n

Tout ce que je ne saurai jamais faire : \u00eatre sans faille, lisse et poli comme ce galet avec lequel le vent et l\u2019eau jouent en se d\u00e9chirant, dans le cri des mouettes, la naissance des ruches.<\/p>\n

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

Pourquoi pas le silence ?<\/p>\n

Oui tu es froid et blanc sans accroc et sans r\u00eave,\nl\u2019haleine des rivi\u00e8res \u00e0 l\u2019aube embrume tes lointains\net mon bouchon sur l\u2019onde tremble,\ntaquineries des algues\nici pas de lourd brochet ni de fine ablette\n\u00e0 ferrer<\/p>\n

Pas de ploiement de scion aucune tension de fil\nJuste le long cri de l\u2019hirondelle l\u00e0 haut qui s\u2019appr\u00eate \u00e0 rejoindre\nles vents chauds du sud.<\/p>\n

Alors pourquoi pas le silence\nTotal assourdissant comme un arbre qui tombe\nEt laisse derri\u00e8re lui le blanc d\u2019une trou\u00e9e\nEt laisse derri\u00e8re lui l\u2019amiti\u00e9 des racines, la voix de l\u2019\u00e9toile p\u00e2le jusqu\u2019\u00e0 la pierre enfouie.<\/p>\n

Pourquoi pas le silence\nUn chevreuil est pass\u00e9 pr\u00e8s de lui une biche\nLes deux m\u2019ont regard\u00e9\nJ\u2019\u00e9tais au bord de dire au bord de leur parler\nquand soudain je ne sais plus je me suis rappel\u00e9\nPourquoi pas le silence\nAlors je suis rentr\u00e9.<\/p>\n

Puis ceci sur la Dombe :<\/p>\n

Quand je traverse la Dombe, je guette l\u2019envol des grues, la p\u00e2leur des marais, le bruissement des herbes et tout m\u2019appelle vers toi. Garce magnifique, am\u00e8re comme une pinte dont le souvenir reste apr\u00e8s qu\u2019on t\u2019ait bais\u00e9e, si peu qu\u2019on t\u2019ait aim\u00e9e\u2026<\/p>\n

« \u00catre vivant, c\u2019est \u00eatre pr\u00eat. Pr\u00eat \u00e0 ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journ\u00e9e. D\u2019une pr\u00e9voyance incessamment et subconsciemment ajust\u00e9e. L\u2019\u00e9tat normal, bien loin d\u2019\u00eatre un repos, est une mise sous tension en vue d\u2019efforts \u00e0 fournir\u2026 Mise sous tension si habituelle et inaper\u00e7ue qu\u2019on ne sait comment la faire baisser. L\u2019\u00e9tat normal est un \u00e9tat de pr\u00e9paration, de disposition vers les gouffres »<\/p>\n

Henri Michaux, Connaissance par les gouffres<\/p>", "content_text": " Plus j\u2019avance en \u00e2ge, plus je suis pris de vertige devant tout ce que je ne saurai jamais faire : piloter un avion de chasse, jouer dans un film, \u00e9pouser Marilyn Monroe. Mon souffl\u00e9 au fromage restera une \u00e9nigme. En v\u00e9rit\u00e9, je n\u2019ai jamais rien su faire vraiment de mes dix doigts. J\u2019ai pourtant exerc\u00e9 mille m\u00e9tiers, connu des femmes magnifiques, saut\u00e9 en parachute. Mais ce n\u2019\u00e9tait jamais que moi, comprenez-vous ? Je pourrais me lamenter, \u00e0 presque soixante ans, d\u2019une crise d\u2019adolescence prolong\u00e9e. Mais ce malaise s\u2019envole d\u00e8s que je m\u2019attable pour \u00e9crire. Alors j\u2019avoue : j\u2019ai toujours cru \u00eatre plus malin que les autres. Plus malin que mes parents, que j\u2019ai voulu arracher \u00e0 leur condition par mes \u00e9carts. Pas par haine, mais par une envie d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e de les voir exister au-del\u00e0 des st\u00e9r\u00e9otypes. Pour y parvenir, j\u2019ai tout enfoui. Oui, j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 de la haine, de la col\u00e8re. Oui, j\u2019ai pratiqu\u00e9 l\u2019entourloupe, le vol et le massacre. Si cela vous para\u00eet contradictoire, c\u2019est que vous avez du chemin \u00e0 faire pour \u00eatre vraiment vous. Moi, \u00e9ternel insatisfait tremblant de trouille et de rage. Moi capable de toutes les petitesses pour ne jamais dire je t\u2019aime. Moi hypertrophie des neurones sur pattes. Moi gros con attendrissant pour mieux vous planter dans le dos. Ce sale gamin qui se cache derri\u00e8re un masque en esp\u00e9rant \u00eatre d\u00e9couvert. Ce gar\u00e7on envahi par tant d\u2019ignorance qu\u2019il s\u2019est invent\u00e9 un rasoir de lucidit\u00e9 pour se d\u00e9chiqueter lui-m\u00eame. Tout ce que je ne saurai jamais faire : \u00eatre sans faille, lisse et poli comme ce galet avec lequel le vent et l\u2019eau jouent en se d\u00e9chirant, dans le cri des mouettes, la naissance des ruches. Pourquoi pas le silence ? Oui tu es froid et blanc sans accroc et sans r\u00eave, l\u2019haleine des rivi\u00e8res \u00e0 l\u2019aube embrume tes lointains et mon bouchon sur l\u2019onde tremble, taquineries des algues ici pas de lourd brochet ni de fine ablette \u00e0 ferrer Pas de ploiement de scion aucune tension de fil Juste le long cri de l\u2019hirondelle l\u00e0 haut qui s\u2019appr\u00eate \u00e0 rejoindre les vents chauds du sud. Alors pourquoi pas le silence Total assourdissant comme un arbre qui tombe Et laisse derri\u00e8re lui le blanc d\u2019une trou\u00e9e Et laisse derri\u00e8re lui l\u2019amiti\u00e9 des racines, la voix de l\u2019\u00e9toile p\u00e2le jusqu\u2019\u00e0 la pierre enfouie. Pourquoi pas le silence Un chevreuil est pass\u00e9 pr\u00e8s de lui une biche Les deux m\u2019ont regard\u00e9 J\u2019\u00e9tais au bord de dire au bord de leur parler quand soudain je ne sais plus je me suis rappel\u00e9 Pourquoi pas le silence Alors je suis rentr\u00e9. Puis ceci sur la Dombe : Quand je traverse la Dombe, je guette l\u2019envol des grues, la p\u00e2leur des marais, le bruissement des herbes et tout m\u2019appelle vers toi. Garce magnifique, am\u00e8re comme une pinte dont le souvenir reste apr\u00e8s qu\u2019on t\u2019ait bais\u00e9e, si peu qu\u2019on t\u2019ait aim\u00e9e\u2026 \u00ab \u00catre vivant, c\u2019est \u00eatre pr\u00eat. Pr\u00eat \u00e0 ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journ\u00e9e. D\u2019une pr\u00e9voyance incessamment et subconsciemment ajust\u00e9e. L\u2019\u00e9tat normal, bien loin d\u2019\u00eatre un repos, est une mise sous tension en vue d\u2019efforts \u00e0 fournir\u2026 Mise sous tension si habituelle et inaper\u00e7ue qu\u2019on ne sait comment la faire baisser. L\u2019\u00e9tat normal est un \u00e9tat de pr\u00e9paration, de disposition vers les gouffres \u00bb Henri Michaux, Connaissance par les gouffres ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/clown.webp?1748065125", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "Auteurs litt\u00e9raires", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/14-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/14-decembre-2018.html", "title": "14 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-14T06:18:00Z", "date_modified": "2025-10-29T17:40:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Intense mais calme, m\u00e9ditative, l’intention polarise le sable du chemin. Mieux : elle est le chemin lui-m\u00eame. Sa pr\u00e9tendue ennemie, la distraction, lui est en fait ontologiquement li\u00e9e. Comme un chauffeur de taxi avis\u00e9, l’intention parle de la pluie et du beau temps pour mieux reposer le voyageur en elle.<\/p>\n

Puis arrive le mot revers.<\/p>\n

Imaginons un lieu o\u00f9 son annonce serait c\u00e9l\u00e9br\u00e9e par des fifres, des hautbois et le cliquetis des couverts dominicaux. Le vin coulerait \u00e0 flots en l’honneur du H\u00e9ros et de sa suite. Car le revers a tant \u00e0 dire qu’il se pr\u00e9sente but\u00e9 de prime abord. Raison pr\u00e9cis\u00e9ment de le f\u00eater - comme on cogne sur une viande pour l’attendrir.\nEnivr\u00e9 par les louanges, confiant par l’attention des convives, il sortirait de sa poche le butin de sa qu\u00eate : ce qu’il n’a pas atteint. Le rien deviendrait alors pour chacun un quelque chose \u00e0 sa mesure. G\u00e9nie du revers que de nous r\u00e9v\u00e9ler ainsi le plan de table de l’H\u00f4te qui nous convie.\nSuite \u00e0 une panne soudaine - providentielle - me voici contraint \u00e0 l’essentiel, \u00e9crivant sur mon smartphone. Cela me rappelle Villiers de l’Isle-Adam \u00e9voquant Sparte, « situ\u00e9e \u00e0 l’extr\u00e9mit\u00e9 sud du P\u00e9loponn\u00e8se ». Chez les Lac\u00e9d\u00e9moniens, le vol \u00e9tait le passage oblig\u00e9 pour gagner le regard de ses pairs. Gide note que cette cit\u00e9, qui pr\u00e9cipitait les enfants ch\u00e9tifs dans des oubliettes, produisit presque z\u00e9ro artiste.\nJe comprends soudain d’o\u00f9 je viens. Si j’\u00e9tais moi, je m’applaudirais presque. Mais restons laconicques.<\/p>\n

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L’\u00e9cuy\u00e8re<\/p>\n<\/blockquote>\n

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Entre ses cuisses douces et chaudes\nlorsqu’elle chevauche\nl’axe des limbes vers l’oubli\nourdit l’orage<\/p>\n<\/blockquote>\n

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et des espoirs \u0153uf coup\u00e9\nimmobile et vibrant\n<robuste \u00e9nergiquement\ns’\u00e9lance vers les sommets r\u00eav\u00e9s\npar la plus noire des profondeurs<\/p>\n<\/blockquote>\n

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Se tient satin inou\u00ef\norange am\u00e8re\nl’amie, la mort, la vie.<\/p>\n<\/blockquote>", "content_text": " Intense mais calme, m\u00e9ditative, l'intention polarise le sable du chemin. Mieux : elle est le chemin lui-m\u00eame. Sa pr\u00e9tendue ennemie, la distraction, lui est en fait ontologiquement li\u00e9e. Comme un chauffeur de taxi avis\u00e9, l'intention parle de la pluie et du beau temps pour mieux reposer le voyageur en elle. Puis arrive le mot revers. Imaginons un lieu o\u00f9 son annonce serait c\u00e9l\u00e9br\u00e9e par des fifres, des hautbois et le cliquetis des couverts dominicaux. Le vin coulerait \u00e0 flots en l'honneur du H\u00e9ros et de sa suite. Car le revers a tant \u00e0 dire qu'il se pr\u00e9sente but\u00e9 de prime abord. Raison pr\u00e9cis\u00e9ment de le f\u00eater - comme on cogne sur une viande pour l'attendrir. Enivr\u00e9 par les louanges, confiant par l'attention des convives, il sortirait de sa poche le butin de sa qu\u00eate : ce qu'il n'a pas atteint. Le rien deviendrait alors pour chacun un quelque chose \u00e0 sa mesure. G\u00e9nie du revers que de nous r\u00e9v\u00e9ler ainsi le plan de table de l'H\u00f4te qui nous convie. Suite \u00e0 une panne soudaine - providentielle - me voici contraint \u00e0 l'essentiel, \u00e9crivant sur mon smartphone. Cela me rappelle Villiers de l'Isle-Adam \u00e9voquant Sparte, \u00ab situ\u00e9e \u00e0 l'extr\u00e9mit\u00e9 sud du P\u00e9loponn\u00e8se \u00bb. Chez les Lac\u00e9d\u00e9moniens, le vol \u00e9tait le passage oblig\u00e9 pour gagner le regard de ses pairs. Gide note que cette cit\u00e9, qui pr\u00e9cipitait les enfants ch\u00e9tifs dans des oubliettes, produisit presque z\u00e9ro artiste. Je comprends soudain d'o\u00f9 je viens. Si j'\u00e9tais moi, je m'applaudirais presque. Mais restons laconicques. >L'\u00e9cuy\u00e8re >Entre ses cuisses douces et chaudes >lorsqu'elle chevauche >l'axe des limbes vers l'oubli >ourdit l'orage >et des espoirs \u0153uf coup\u00e9 >immobile et vibrant s'\u00e9lance vers les sommets r\u00eav\u00e9s >par la plus noire des profondeurs >Se tient satin inou\u00ef >orange am\u00e8re >l'amie, la mort, la vie. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/77ccc6ce-6fd1-42e5-a473-7a027454d83c.webp?1748065183", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/12-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/12-decembre-2018.html", "title": "12 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-12T05:46:00Z", "date_modified": "2025-10-29T17:37:28Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Le mot \"algorithme\" nous vient d’Al-Khw\u00e2rizm\u00ee, math\u00e9maticien persan du IX\u1d49 si\u00e8cle dont les travaux introduisirent l’alg\u00e8bre en Europe. Dans les \"maisons de la sagesse\" de Bagdad, o\u00f9 se m\u00ealaient math\u00e9matiques, astronomie et po\u00e9sie, il \u0153uvrait sous les califes abbassides.\nUn algorithme est cette panac\u00e9e capable de r\u00e9soudre une multitude de probl\u00e8mes, pourvu qu’on les d\u00e9coupe en instances - comme on couperait les cheveux en quatre. Le verbe \"r\u00e9soudre\" lui-m\u00eame poss\u00e8de cette triple dimension : d\u00e9cider, d\u00e9composer, trouver.\nCette approche rejoint la vision soufie, que j’admire chez Omar Khayy\u00e2m - \u00e0 la fois astronome et po\u00e8te, qui \u00e9crivait :<\/p>\n

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« Au printemps, je vais quelques fois m’asseoir \u00e0 la lisi\u00e8re d’un champ fleuri.\nLorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne pense gu\u00e8re \u00e0 mon salut.\nSi j’avais cette pr\u00e9occupation, je vaudrais moins qu’un chien. »<\/p>\n<\/blockquote>\n

La question devient alors : quel filtre appliquer \u00e0 l’information ? Dans le monde de l’avoir, c’est l’ajustement aux variables du client. Dans l’art, ce fut longtemps la beaut\u00e9. Dans l’\u00eatre, ne devrait-ce pas \u00eatre la simple justesse ?<\/p>\n

Ce qui m’am\u00e8ne \u00e0 \"readiness\" - cet \u00e9tat de disponibilit\u00e9 \u00e0 l’instant qui m’a toujours caract\u00e9ris\u00e9. Enfant, je saluais avec empressement chaque personne crois\u00e9e, jusqu’au jour o\u00f9 mon p\u00e8re me demanda si je les connaissais toutes. La r\u00e9ponse n\u00e9gative fit na\u00eetre en lui une d\u00e9ception visible.<\/p>\n

Sur son bureau tr\u00f4naient les trois singes de la sagesse - ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Embl\u00e8me s’opposant \u00e0 mon empressement naturel. Notre malentendu dura longtemps, mais depuis, dans chaque regard rencontr\u00e9, je per\u00e7ois cette lueur myst\u00e9rieuse, simiesque, et j’entends encore le rire de mon p\u00e8re.<\/p>", "content_text": " Le mot \"algorithme\" nous vient d'Al-Khw\u00e2rizm\u00ee, math\u00e9maticien persan du IX\u1d49 si\u00e8cle dont les travaux introduisirent l'alg\u00e8bre en Europe. Dans les \"maisons de la sagesse\" de Bagdad, o\u00f9 se m\u00ealaient math\u00e9matiques, astronomie et po\u00e9sie, il \u0153uvrait sous les califes abbassides. Un algorithme est cette panac\u00e9e capable de r\u00e9soudre une multitude de probl\u00e8mes, pourvu qu'on les d\u00e9coupe en instances - comme on couperait les cheveux en quatre. Le verbe \"r\u00e9soudre\" lui-m\u00eame poss\u00e8de cette triple dimension : d\u00e9cider, d\u00e9composer, trouver. Cette approche rejoint la vision soufie, que j'admire chez Omar Khayy\u00e2m - \u00e0 la fois astronome et po\u00e8te, qui \u00e9crivait : >\u00ab Au printemps, je vais quelques fois m'asseoir \u00e0 la lisi\u00e8re d'un champ fleuri. >Lorsqu'une belle jeune fille m'apporte une coupe de vin, je ne pense gu\u00e8re \u00e0 mon salut. >Si j'avais cette pr\u00e9occupation, je vaudrais moins qu'un chien. \u00bb La question devient alors : quel filtre appliquer \u00e0 l'information ? Dans le monde de l'avoir, c'est l'ajustement aux variables du client. Dans l'art, ce fut longtemps la beaut\u00e9. Dans l'\u00eatre, ne devrait-ce pas \u00eatre la simple justesse ? Ce qui m'am\u00e8ne \u00e0 \"readiness\" - cet \u00e9tat de disponibilit\u00e9 \u00e0 l'instant qui m'a toujours caract\u00e9ris\u00e9. Enfant, je saluais avec empressement chaque personne crois\u00e9e, jusqu'au jour o\u00f9 mon p\u00e8re me demanda si je les connaissais toutes. La r\u00e9ponse n\u00e9gative fit na\u00eetre en lui une d\u00e9ception visible. Sur son bureau tr\u00f4naient les trois singes de la sagesse - ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Embl\u00e8me s'opposant \u00e0 mon empressement naturel. Notre malentendu dura longtemps, mais depuis, dans chaque regard rencontr\u00e9, je per\u00e7ois cette lueur myst\u00e9rieuse, simiesque, et j'entends encore le rire de mon p\u00e8re. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_9832.webp?1748065104", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/10-decembre_2-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/10-decembre_2-2018.html", "title": "10 d\u00e9cembre_2 2018", "date_published": "2018-12-10T07:16:00Z", "date_modified": "2025-10-29T17:34:00Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Dans Le Chemin des Nuages Blancs du lama Anagarika Govinda \u2013 un Allemand converti au bouddhisme tib\u00e9tain ayant v\u00e9cu trente ans en Inde du Nord \u2013, un passage d\u00e9crit un vieux moine entretenant le temple o\u00f9 il a trouv\u00e9 refuge.\nC\u2019est un homme tr\u00e8s \u00e2g\u00e9, qui re\u00e7oit une petite pension de la confr\u00e9rie des moines. L\u2019auteur comprend qu\u2019il reverse presque tout cet argent pour l\u2019entretien du temple. Pour vivre, le vieil homme ne conserve qu\u2019une natte et un bol.\nGovinda esquisse ensuite son portrait par petites touches : sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, lorsqu\u2019il propose un breuvage m\u00ealant th\u00e9 et beurre clarifi\u00e9 \u2013 d\u00e9go\u00fbtant, mais co\u00fbteux pour celui qui ne roule pas sur l\u2019or. Puis il \u00e9voque son occupation : le moine ne reste jamais inactif. On le voit enfiler des chaussons, briquer chaque dalle du temple, nettoyer les bols \u00e0 offrandes, changer les chandelles\u2026 Un emploi du temps charg\u00e9, accompli simplement, comme une pri\u00e8re continuelle.\nL\u2019auteur aborde aussi la puissance des mantras que le vieux moine lui enseigne : ces pri\u00e8res parl\u00e9es, ces sons, s\u2019adressent \u00e0 la part la plus profonde des \u00eatres, et non \u00e0 leur mental ou leurs sentiments.\nCela m\u2019a donn\u00e9 mati\u00e8re \u00e0 r\u00e9flexion durant mes nuits d\u2019insomnie, que j\u2019occupe \u00e0 classer mes toiles, balayer mon atelier, et surtout \u00e0 mettre de l\u2019ordre dans mes pens\u00e9es en \u00e9crivant.\n\u00c9videmment, c\u2019est d\u2019une limpidit\u00e9 et d\u2019une simplicit\u00e9 inou\u00efes. Si l\u2019on consid\u00e9rait que tout ce que l\u2019on touche, regarde, mange ou boit \u00e9tait une manifestation du divin ou de l\u2019univers, si l\u2019on accordait notre esprit et notre c\u0153ur \u00e0 cette \u00e9vidence magistrale \u2013 alors la vie deviendrait si simple, si limpide, que je crains de ne pas encore pouvoir soutenir une telle simplicit\u00e9.\nMais attendons un peu. Apr\u00e8s tout, je ne suis pas encore si vieux que je n\u2019aie d\u2019autre choix que de l\u2019accepter tout \u00e0 fait.<\/p>", "content_text": " Dans Le Chemin des Nuages Blancs du lama Anagarika Govinda \u2013 un Allemand converti au bouddhisme tib\u00e9tain ayant v\u00e9cu trente ans en Inde du Nord \u2013, un passage d\u00e9crit un vieux moine entretenant le temple o\u00f9 il a trouv\u00e9 refuge. C\u2019est un homme tr\u00e8s \u00e2g\u00e9, qui re\u00e7oit une petite pension de la confr\u00e9rie des moines. L\u2019auteur comprend qu\u2019il reverse presque tout cet argent pour l\u2019entretien du temple. Pour vivre, le vieil homme ne conserve qu\u2019une natte et un bol. Govinda esquisse ensuite son portrait par petites touches : sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, lorsqu\u2019il propose un breuvage m\u00ealant th\u00e9 et beurre clarifi\u00e9 \u2013 d\u00e9go\u00fbtant, mais co\u00fbteux pour celui qui ne roule pas sur l\u2019or. Puis il \u00e9voque son occupation : le moine ne reste jamais inactif. On le voit enfiler des chaussons, briquer chaque dalle du temple, nettoyer les bols \u00e0 offrandes, changer les chandelles\u2026 Un emploi du temps charg\u00e9, accompli simplement, comme une pri\u00e8re continuelle. L\u2019auteur aborde aussi la puissance des mantras que le vieux moine lui enseigne : ces pri\u00e8res parl\u00e9es, ces sons, s\u2019adressent \u00e0 la part la plus profonde des \u00eatres, et non \u00e0 leur mental ou leurs sentiments. Cela m\u2019a donn\u00e9 mati\u00e8re \u00e0 r\u00e9flexion durant mes nuits d\u2019insomnie, que j\u2019occupe \u00e0 classer mes toiles, balayer mon atelier, et surtout \u00e0 mettre de l\u2019ordre dans mes pens\u00e9es en \u00e9crivant. \u00c9videmment, c\u2019est d\u2019une limpidit\u00e9 et d\u2019une simplicit\u00e9 inou\u00efes. Si l\u2019on consid\u00e9rait que tout ce que l\u2019on touche, regarde, mange ou boit \u00e9tait une manifestation du divin ou de l\u2019univers, si l\u2019on accordait notre esprit et notre c\u0153ur \u00e0 cette \u00e9vidence magistrale \u2013 alors la vie deviendrait si simple, si limpide, que je crains de ne pas encore pouvoir soutenir une telle simplicit\u00e9. Mais attendons un peu. Apr\u00e8s tout, je ne suis pas encore si vieux que je n\u2019aie d\u2019autre choix que de l\u2019accepter tout \u00e0 fait. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/autoportrait-en-rouge.webp?1748065182", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/10-decembre-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/10-decembre-2018.html", "title": "10 d\u00e9cembre 2018", "date_published": "2018-12-10T07:07:00Z", "date_modified": "2025-10-29T17:28:13Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Parmi la toile, le pinceau, la peinture et le peintre, quel \u00e9l\u00e9ment incarne le mieux ce cheval sauvage qu’il faut apprivoiser pour le monter et le guider ? Faut-il l’\u00e9puiser ou, au contraire, le juguler ?<\/p>\n

Cette question \u00e9claire la pulsion - ces forces profondes que la famille, l’\u00e9cole, la religion, puis l’entreprise et le gouvernement tentent de canaliser pour pr\u00e9server le vivre-ensemble. Un processus visant \u00e0 \u00e9viter les conflits violents et assurer la p\u00e9rennit\u00e9 de l’esp\u00e8ce, comme des mod\u00e8les \u00e9conomiques et politiques.<\/p>\n

Pourtant, l’histoire r\u00e9v\u00e8le les failles de cette approche. Les soci\u00e9t\u00e9s tendent \u00e0 marginaliser les ph\u00e9nom\u00e8nes p\u00e9riph\u00e9riques g\u00eanants - hier les forgerons chass\u00e9s des villages, les druides pers\u00e9cut\u00e9s, les sorci\u00e8res pourchass\u00e9es.<\/p>\n

Le premier niveau d’\u00e9volution, personnel ou collectif, r\u00e9side dans cette gestion des pulsions pour maintenir un \u00e9quilibre \u00e9cologique global. L’opposition entre \"\u00e9puiser\" et \"juguler\" prend ici tout son sens, utilisant la strat\u00e9gie des vases communicants pour cr\u00e9er des zones d’expression vari\u00e9es, esp\u00e9rant une coexistence pacifique.<\/p>\n

Mais remettre en question ces syst\u00e8mes m\u00e8ne souvent \u00e0 l’exclusion. Lorsque pratiques et individus marginalis\u00e9s deviennent majoritaires, c’est le signe de l’\u00e9chec des institutions traditionnelles - l’annonce potentielle de la fin d’un monde.<\/p>\n

Revenons \u00e0 notre m\u00e9taphore du cheval et de la pulsion. Le conditionnement appara\u00eet comme le moyen de g\u00e9rer ces r\u00e9actions anarchiques. Dans le dressage \u00e9questre, qu’il soit par renforcement positif ou n\u00e9gatif, il refl\u00e8te davantage la perspective du dresseur que celle du cheval, qui ne per\u00e7oit que confort ou inconfort.<\/p>\n

Pourtant, les chevaux savent lire le langage corporel de leur dresseur. Cette sensibilit\u00e9 d\u00e9passe les commandes explicites, tout comme le public per\u00e7oit les contradictions dans le discours des leaders - r\u00e9v\u00e9lant les limites du conditionnement.<\/p>\n

En peinture, apr\u00e8s avoir travers\u00e9 les conditionnements acad\u00e9miques et confront\u00e9 les r\u00e9alit\u00e9s du march\u00e9, l’artiste arrive \u00e0 ce carrefour : suivre sa voie ou se conformer aux attentes. Ce moment d\u00e9cisif peut faire na\u00eetre une pulsion cr\u00e9ative renouvel\u00e9e, invitant \u00e0 \u00e9couter les voix int\u00e9rieures et ext\u00e9rieures, fusionnant enfin les inspirations de la terre et du ciel sur la toile.<\/p>", "content_text": " Parmi la toile, le pinceau, la peinture et le peintre, quel \u00e9l\u00e9ment incarne le mieux ce cheval sauvage qu'il faut apprivoiser pour le monter et le guider ? Faut-il l'\u00e9puiser ou, au contraire, le juguler ? Cette question \u00e9claire la pulsion - ces forces profondes que la famille, l'\u00e9cole, la religion, puis l'entreprise et le gouvernement tentent de canaliser pour pr\u00e9server le vivre-ensemble. Un processus visant \u00e0 \u00e9viter les conflits violents et assurer la p\u00e9rennit\u00e9 de l'esp\u00e8ce, comme des mod\u00e8les \u00e9conomiques et politiques. Pourtant, l'histoire r\u00e9v\u00e8le les failles de cette approche. Les soci\u00e9t\u00e9s tendent \u00e0 marginaliser les ph\u00e9nom\u00e8nes p\u00e9riph\u00e9riques g\u00eanants - hier les forgerons chass\u00e9s des villages, les druides pers\u00e9cut\u00e9s, les sorci\u00e8res pourchass\u00e9es. Le premier niveau d'\u00e9volution, personnel ou collectif, r\u00e9side dans cette gestion des pulsions pour maintenir un \u00e9quilibre \u00e9cologique global. L'opposition entre \"\u00e9puiser\" et \"juguler\" prend ici tout son sens, utilisant la strat\u00e9gie des vases communicants pour cr\u00e9er des zones d'expression vari\u00e9es, esp\u00e9rant une coexistence pacifique. Mais remettre en question ces syst\u00e8mes m\u00e8ne souvent \u00e0 l'exclusion. Lorsque pratiques et individus marginalis\u00e9s deviennent majoritaires, c'est le signe de l'\u00e9chec des institutions traditionnelles - l'annonce potentielle de la fin d'un monde. Revenons \u00e0 notre m\u00e9taphore du cheval et de la pulsion. Le conditionnement appara\u00eet comme le moyen de g\u00e9rer ces r\u00e9actions anarchiques. Dans le dressage \u00e9questre, qu'il soit par renforcement positif ou n\u00e9gatif, il refl\u00e8te davantage la perspective du dresseur que celle du cheval, qui ne per\u00e7oit que confort ou inconfort. Pourtant, les chevaux savent lire le langage corporel de leur dresseur. Cette sensibilit\u00e9 d\u00e9passe les commandes explicites, tout comme le public per\u00e7oit les contradictions dans le discours des leaders - r\u00e9v\u00e9lant les limites du conditionnement. En peinture, apr\u00e8s avoir travers\u00e9 les conditionnements acad\u00e9miques et confront\u00e9 les r\u00e9alit\u00e9s du march\u00e9, l'artiste arrive \u00e0 ce carrefour : suivre sa voie ou se conformer aux attentes. Ce moment d\u00e9cisif peut faire na\u00eetre une pulsion cr\u00e9ative renouvel\u00e9e, invitant \u00e0 \u00e9couter les voix int\u00e9rieures et ext\u00e9rieures, fusionnant enfin les inspirations de la terre et du ciel sur la toile. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cheval.jpg?1748065086", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/9-decembre_2-2018.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/9-decembre_2-2018.html", "title": "9 d\u00e9cembre_2 2018", "date_published": "2018-12-09T07:00:00Z", "date_modified": "2025-10-29T17:27:22Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

J’aime parfois m’arr\u00eater sur un mot de notre langue. Aujourd’hui, « admirer » a mis son clignotant et se gare non loin de chez moi ; j’en profite. Superbe carrosserie, un peu d\u00e9su\u00e8te - car d\u00e9sormais on « kiffe » plus qu’on n’admire. Alors, admirer va-t-il dispara\u00eetre, emport\u00e9 par le corbillard d’une soi-disant « modernit\u00e9 » ? L’extinction d’un mot est toujours triste, mais elle correspond \u00e0 de nouveaux usages. « The times are changing », comme dirait Bob...\nJe ne me souviens d’aucune femme m’ayant dit « Comme je t’admire » sans ironie. Mes amis le pensent peut-\u00eatre, mais ne le diront jamais - et c’est tant mieux, car \u00eatre admir\u00e9 est aussi g\u00eanant qu’une eau de toilette qui laisse une trace olfactive d\u00e9sagr\u00e9able.\nLe dictionnaire parle de consid\u00e9ration enthousiaste, d’\u00e9merveillement. L’admiration rel\u00e8ve plus de l’\u00e9motion que du « ciboulot ». On l’\u00e9prouve, comme on \u00e9prouve de l’enthousiasme.\nCe sentiment me revient en \u00e9coutant ma playlist YouTube : ces jeunes de moins de 30 ans, arm\u00e9s d’un pragmatisme et d’une cr\u00e9ativit\u00e9 redoutables, qui cherchent \u00e0 me vendre des formations. J’ach\u00e8terais presque, si je n’\u00e9tais aussi dubitatif quant au b\u00e9n\u00e9fice r\u00e9el.\nPourtant, je suis tent\u00e9 - tellement c’est bien amen\u00e9 chez certains. Il y a l\u00e0 un art de la persuasion qui, pour sembler inn\u00e9, a \u00e9t\u00e9 \u00e9norm\u00e9ment travaill\u00e9. Eux connaissent la valeur du mot « admirer » ; ils en ont fait leur carburant. Ils ont puis\u00e9 chez leurs a\u00een\u00e9s des stratag\u00e8mes absents des \u00e9coles de commerce, m\u00eame les plus prestigieuses.\nL’art de vendre ne s’apprend pas en classe - ces jeunes loups du digital savent que c’est l’\u00e9chec qui forme v\u00e9ritablement. Certains flirtent avec le g\u00e9nie quand, ayant compris les faiblesses humaines, ils r\u00e9duisent leur cercle de clients pour en extraire la substantifique moelle : la dur\u00e9e, la fid\u00e9lit\u00e9.\n\u00c0 les \u00e9couter, on jurerait des amis - et les vrais amis, comme on sait, ne se comptent que sur les doigts d’une main. De la rigueur, ils n’en manquent pas, ni de toupet.\nCette nouvelle mani\u00e8re de vendre ? Devenir ami avec son client. Lui offrir du contenu - et \u00e7a, le contenu bien propre, n’a pas de prix.\nRappelons-nous que l’enthousiasme \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9 par les Anciens comme un d\u00e9lire sacr\u00e9, inspir\u00e9 par le divin... Alors, tout bien consid\u00e9r\u00e9, ne l\u00e2chons rien, comme il est dit dans « Top Chef ».\nJe ne peux m’emp\u00eacher d’\u00e9prouver de l’enthousiasme, donc de l’admiration, alors que je ne « kiffe » que du bout des l\u00e8vres.\nCar le contenu, j’en produis moi-m\u00eame en ce moment, peut-\u00eatre trop. Et si le contenu peut en cacher un autre, tant pis pour vous, je vous aurai averti.\nPour conclure : on peut admirer sans aimer, et aimer sans admirer, c’est certain. Le v\u00e9ritable amour, apr\u00e8s tout, \u00e7a ne nous regarde pas. Comme dirait C\u00e9line, des caniches et des \u00e9toiles, « on kiffe ».<\/p>", "content_text": " J'aime parfois m'arr\u00eater sur un mot de notre langue. Aujourd'hui, \u00ab admirer \u00bb a mis son clignotant et se gare non loin de chez moi ; j'en profite. Superbe carrosserie, un peu d\u00e9su\u00e8te - car d\u00e9sormais on \u00ab kiffe \u00bb plus qu'on n'admire. Alors, admirer va-t-il dispara\u00eetre, emport\u00e9 par le corbillard d'une soi-disant \u00ab modernit\u00e9 \u00bb ? L'extinction d'un mot est toujours triste, mais elle correspond \u00e0 de nouveaux usages. \u00ab The times are changing \u00bb, comme dirait Bob... Je ne me souviens d'aucune femme m'ayant dit \u00ab Comme je t'admire \u00bb sans ironie. Mes amis le pensent peut-\u00eatre, mais ne le diront jamais - et c'est tant mieux, car \u00eatre admir\u00e9 est aussi g\u00eanant qu'une eau de toilette qui laisse une trace olfactive d\u00e9sagr\u00e9able. Le dictionnaire parle de consid\u00e9ration enthousiaste, d'\u00e9merveillement. L'admiration rel\u00e8ve plus de l'\u00e9motion que du \u00ab ciboulot \u00bb. On l'\u00e9prouve, comme on \u00e9prouve de l'enthousiasme. Ce sentiment me revient en \u00e9coutant ma playlist YouTube : ces jeunes de moins de 30 ans, arm\u00e9s d'un pragmatisme et d'une cr\u00e9ativit\u00e9 redoutables, qui cherchent \u00e0 me vendre des formations. J'ach\u00e8terais presque, si je n'\u00e9tais aussi dubitatif quant au b\u00e9n\u00e9fice r\u00e9el. Pourtant, je suis tent\u00e9 - tellement c'est bien amen\u00e9 chez certains. Il y a l\u00e0 un art de la persuasion qui, pour sembler inn\u00e9, a \u00e9t\u00e9 \u00e9norm\u00e9ment travaill\u00e9. Eux connaissent la valeur du mot \u00ab admirer \u00bb ; ils en ont fait leur carburant. Ils ont puis\u00e9 chez leurs a\u00een\u00e9s des stratag\u00e8mes absents des \u00e9coles de commerce, m\u00eame les plus prestigieuses. L'art de vendre ne s'apprend pas en classe - ces jeunes loups du digital savent que c'est l'\u00e9chec qui forme v\u00e9ritablement. Certains flirtent avec le g\u00e9nie quand, ayant compris les faiblesses humaines, ils r\u00e9duisent leur cercle de clients pour en extraire la substantifique moelle : la dur\u00e9e, la fid\u00e9lit\u00e9. \u00c0 les \u00e9couter, on jurerait des amis - et les vrais amis, comme on sait, ne se comptent que sur les doigts d'une main. De la rigueur, ils n'en manquent pas, ni de toupet. Cette nouvelle mani\u00e8re de vendre ? Devenir ami avec son client. Lui offrir du contenu - et \u00e7a, le contenu bien propre, n'a pas de prix. Rappelons-nous que l'enthousiasme \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9 par les Anciens comme un d\u00e9lire sacr\u00e9, inspir\u00e9 par le divin... Alors, tout bien consid\u00e9r\u00e9, ne l\u00e2chons rien, comme il est dit dans \u00ab Top Chef \u00bb. Je ne peux m'emp\u00eacher d'\u00e9prouver de l'enthousiasme, donc de l'admiration, alors que je ne \u00ab kiffe \u00bb que du bout des l\u00e8vres. Car le contenu, j'en produis moi-m\u00eame en ce moment, peut-\u00eatre trop. Et si le contenu peut en cacher un autre, tant pis pour vous, je vous aurai averti. Pour conclure : on peut admirer sans aimer, et aimer sans admirer, c'est certain. Le v\u00e9ritable amour, apr\u00e8s tout, \u00e7a ne nous regarde pas. Comme dirait C\u00e9line, des caniches et des \u00e9toiles, \u00ab on kiffe \u00bb. 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Il y a une diff\u00e9rence majeure entre croire \u00eatre parvenu \u00e0 un niveau et y \u00eatre v\u00e9ritablement. La peinture n’\u00e9chappe pas \u00e0 cette r\u00e8gle. Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas \u00e0 un stade d’\u00e9volution, il faut acc\u00e9der aux niveaux sup\u00e9rieurs, sans quoi le recul n\u00e9cessaire fait d\u00e9faut. Puis, en regardant le chemin parcouru, il s’agit d’appr\u00e9cier honn\u00eatement, \u00e0 la lumi\u00e8re des nouvelles connaissances, le fil imperceptible qui relie l’ensemble. Sans cela, nous tournons en rond comme des hamsters en cage.<\/p>\n

Ces derniers jours, j’ai eu envie de ranger, classer, jeter. Faire le tri entre l’important, le n\u00e9cessaire qui fait levier, et l’inutile qui entrave. Dans des cartons, j’ai retrouv\u00e9 une kyrielle de travaux de jeunesse. En d\u00e9couvrant cette feuille de journal tach\u00e9e de couleurs, j’ai h\u00e9sit\u00e9 avant de la froisser. Prenons le temps d’en reparler, comme \u00e0 un ami.<\/p>\n

Je peignais alors dans des chambres de hasard, r\u00e9chauff\u00e9e seulement par la flamme de mes illusions. J’\u00e9tais au niveau le plus bas de l’\u00e9chelle - celui o\u00f9 l’on se pr\u00e9occupe encore de l’environnement, de quoi manger, comment payer. Pour subvenir \u00e0 mes besoins, je travaillais comme archiviste dans un sous-sol poussi\u00e9reux. La t\u00e2che \u00e9tait si facile que je disposais de longues p\u00e9riodes pour lire - Plutarque et bien d’autres, de fa\u00e7on aussi d\u00e9sordonn\u00e9e que d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e.<\/p>\n

Pour lutter contre l’ennui, j’avais \u00e9lev\u00e9 la r\u00eaverie au rang de sacerdoce. Je me projetais dans un avenir o\u00f9 je serais in\u00e9luctablement peintre, \u00e9crivain, riche... Sans organisation, sans plan d’action, je n’\u00e9tais pas libre - je m’encha\u00eenais davantage.<\/p>\n

Cette suite, je ne la raconterai pas aujourd’hui. L’important est ailleurs : pour voir, il faut fermer les yeux. Revenir \u00e0 la racine de soi et consid\u00e9rer le mental comme un p\u00e9riph\u00e9rique - souris, clavier, \u00e9cran, mais pas l’ordinateur. Changer, c’est l\u00e2cher prise, terme aujourd’hui galvaud\u00e9 au point que je n’y ajouterai rien.<\/p>\n

Hier encore, j’\u00e9voquais Ulysse attach\u00e9 \u00e0 son m\u00e2t. Enfant, j’admirais son ing\u00e9niosit\u00e9 face aux Dieux. Aujourd’hui, je n’y vois qu’un homme prisonnier d’une fausse id\u00e9e de la libert\u00e9.<\/p>\n

Alors, cette feuille froiss\u00e9e et tach\u00e9e que personne n’a jamais vue : devrais-je la jeter ou la garder ?<\/p>", "content_text": " Il y a une diff\u00e9rence majeure entre croire \u00eatre parvenu \u00e0 un niveau et y \u00eatre v\u00e9ritablement. La peinture n'\u00e9chappe pas \u00e0 cette r\u00e8gle. Pour comprendre ce qui ne fonctionne pas \u00e0 un stade d'\u00e9volution, il faut acc\u00e9der aux niveaux sup\u00e9rieurs, sans quoi le recul n\u00e9cessaire fait d\u00e9faut. Puis, en regardant le chemin parcouru, il s'agit d'appr\u00e9cier honn\u00eatement, \u00e0 la lumi\u00e8re des nouvelles connaissances, le fil imperceptible qui relie l'ensemble. Sans cela, nous tournons en rond comme des hamsters en cage. Ces derniers jours, j'ai eu envie de ranger, classer, jeter. Faire le tri entre l'important, le n\u00e9cessaire qui fait levier, et l'inutile qui entrave. Dans des cartons, j'ai retrouv\u00e9 une kyrielle de travaux de jeunesse. En d\u00e9couvrant cette feuille de journal tach\u00e9e de couleurs, j'ai h\u00e9sit\u00e9 avant de la froisser. Prenons le temps d'en reparler, comme \u00e0 un ami. Je peignais alors dans des chambres de hasard, r\u00e9chauff\u00e9e seulement par la flamme de mes illusions. J'\u00e9tais au niveau le plus bas de l'\u00e9chelle - celui o\u00f9 l'on se pr\u00e9occupe encore de l'environnement, de quoi manger, comment payer. Pour subvenir \u00e0 mes besoins, je travaillais comme archiviste dans un sous-sol poussi\u00e9reux. La t\u00e2che \u00e9tait si facile que je disposais de longues p\u00e9riodes pour lire - Plutarque et bien d'autres, de fa\u00e7on aussi d\u00e9sordonn\u00e9e que d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e. Pour lutter contre l'ennui, j'avais \u00e9lev\u00e9 la r\u00eaverie au rang de sacerdoce. Je me projetais dans un avenir o\u00f9 je serais in\u00e9luctablement peintre, \u00e9crivain, riche... Sans organisation, sans plan d'action, je n'\u00e9tais pas libre - je m'encha\u00eenais davantage. Cette suite, je ne la raconterai pas aujourd'hui. L'important est ailleurs : pour voir, il faut fermer les yeux. Revenir \u00e0 la racine de soi et consid\u00e9rer le mental comme un p\u00e9riph\u00e9rique - souris, clavier, \u00e9cran, mais pas l'ordinateur. Changer, c'est l\u00e2cher prise, terme aujourd'hui galvaud\u00e9 au point que je n'y ajouterai rien. Hier encore, j'\u00e9voquais Ulysse attach\u00e9 \u00e0 son m\u00e2t. Enfant, j'admirais son ing\u00e9niosit\u00e9 face aux Dieux. Aujourd'hui, je n'y vois qu'un homme prisonnier d'une fausse id\u00e9e de la libert\u00e9. Alors, cette feuille froiss\u00e9e et tach\u00e9e que personne n'a jamais vue : devrais-je la jeter ou la garder ? ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/p1040716.jpg?1748065127", "tags": ["peinture"] } ] }