{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/le-lilas.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/le-lilas.html", "title": "Le lilas", "date_published": "2021-08-28T01:36:25Z", "date_modified": "2025-11-15T20:43:55Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Il y avait un bouquet de lilas dont les tiges s’enfon\u00e7aient joliment dans un vase. Le tour pos\u00e9 sur un gu\u00e9ridon pr\u00e8s de la fen\u00eatre. Nous nous ass\u00eemes lorsque l’horloge sonna la demie. Cette ponctualit\u00e9 \u00e9tait tout \u00e0 fait rassurante \u00e0 cette \u00e9poque car j’avais perdu une bonne partie de la notion de temps. Je fermais les yeux un instant pour savourer ce moment en cherchant vaguement ce que j’allais pouvoir dire. Car \u00e9videmment il fallait que je dise quelque chose. Nous \u00e9tions l\u00e0 pour cela. Du moins c’est ce que je pensais. Au fond de ma poche les billets pli\u00e9s me le rappelaient aussi surement qu’un n\u0153ud fait \u00e0 un mouchoir.<\/p>\n
Au moment o\u00f9 elle croisa les jambes je perdis la t\u00eate. J’eus cette image fantasque d’un ch\u00eane perdant ses glands au beau milieu de la for\u00eat. Puis de Varenne, de l’\u00e9chafaud et d’un panier sanglant.<\/p>\n
\u00e7a sent bon le lilas chez vous je dis.<\/p>\n
Je n’avais rien d’autre \u00e0 dire dans cet instant.<\/p>\n
Et je me revis monter les rues depuis la gare de Boissy Saint Leger vers la maison de mes parents.<\/p>\n
C’\u00e9tait au printemps et il y avait beaucoup de lilas dans les jardins des pavillons de cette banlieue. L’odeur embaumait et chassait mes angoisses. Plus de 10 ans sans nouvelles et j’allais me pointer comme une fleur.<\/p>\n
Elle ne r\u00e9pondit pas. Le silence s’associa \u00e0 l’image d’un reposoir. Quelque chose commen\u00e7a \u00e0 osciller de plus en plus rapidement entre la confession et la r\u00e9demption. J’eus des images d’hosties... comme des confettis qui envahirent la pi\u00e8ce.<\/p>\n
Quand j’allais au cat\u00e9chisme en cachette de mon p\u00e8re \u00e7a sentait bon le lilas sur la route. Je m’aper\u00e7us que je ne pensais plus qu’au printemps.<\/p>\n
Ce qui est \u00e9trange ne trouvez vous pas car nous allons sur novembre.<\/p>\n
Elle resta silencieuse.<\/p>\n
Je regardais ses jambes. C’\u00e9tait un d\u00e9fi. Ne plus les l\u00e2cher du regard presque \u00e0 l’insinuer sous sa jupe.<\/p>\n
Alors elle d\u00e9croisa les jambes tout doucement<\/p>\n
et tout de suite apr\u00e8s les croisa dans l’autre sens.<\/p>\n
Je me suis demand\u00e9 soudain ce que je fichais l\u00e0. Comme si la col\u00e8re allait me permettre de ne pas fondre tout entier dans le fauteuil.<\/p>\n
Vous ne dites rien c’est d\u00e9courageant ai je r\u00e9ussi \u00e0 \u00e9mettre p\u00e9niblement.<\/p>\n
C’est votre temps de parole elle a dit, ou un truc du genre.<\/p>\n
Mon temps de parole bordel de merde et je ne peux pas me sortir du lilas et de ses jambes j’ai pens\u00e9.<\/p>\n
Et puis peu \u00e0 peu quelque chose de subtil s’est mis en place tout doucement pour balayer toute cette col\u00e8re toute cette rancune contre moi-m\u00eame.<\/p>\n
J’ai un soucis avec l’id\u00e9e de la premi\u00e8re fois j’ai dit.<\/p>\n
Elle a relev\u00e9 la t\u00eate tout \u00e0 coup en me fixant et elle a murmur\u00e9 oui<\/p>\n
Je me suis accroch\u00e9 \u00e0 ce oui de toutes mes forces. C’\u00e9tait comme un cheval qui galopait dans la nuit bleue.<\/p>\n
Des flashs en pagaille o\u00f9 je pouvais \u00e9num\u00e9rer toutes les fois o\u00f9 je me disais \u00e7a me fait penser \u00e0 la premi\u00e8re fois<\/p>\n
Et puis je revins dans le bureau un peu comme un avion qui tourne en rond avant d’atterrir.<\/p>\n
Il y avait de nouveau cette odeur de lilas elle \u00e9tait \u00e0 la fois famili\u00e8re et diff\u00e9rente toutefois.<\/p>\n
Il est l’heure on va s’arr\u00eater pour aujourd’hui elle a dit.<\/p>\n
J’ai sorti mes billets pour les d\u00e9plier devant elle et les poser sur le bureau.<\/p>\n
Elle a sourit comme une maitresse d’\u00e9cole \u00e0 qui on donne un joli dessin.<\/p>\n
Et puis voil\u00e0 il faudra revenir la semaine prochaine.<\/p>\n
Au revoir madame<\/p>\n
Au revoir monsieur.<\/p>", "content_text": "Il y avait un bouquet de lilas dont les tiges s'enfon\u00e7aient joliment dans un vase. Le tour pos\u00e9 sur un gu\u00e9ridon pr\u00e8s de la fen\u00eatre. Nous nous ass\u00eemes lorsque l'horloge sonna la demie. Cette ponctualit\u00e9 \u00e9tait tout \u00e0 fait rassurante \u00e0 cette \u00e9poque car j'avais perdu une bonne partie de la notion de temps. Je fermais les yeux un instant pour savourer ce moment en cherchant vaguement ce que j'allais pouvoir dire. Car \u00e9videmment il fallait que je dise quelque chose. Nous \u00e9tions l\u00e0 pour cela. Du moins c'est ce que je pensais. Au fond de ma poche les billets pli\u00e9s me le rappelaient aussi surement qu'un n\u0153ud fait \u00e0 un mouchoir. \n\nAu moment o\u00f9 elle croisa les jambes je perdis la t\u00eate. J'eus cette image fantasque d'un ch\u00eane perdant ses glands au beau milieu de la for\u00eat. Puis de Varenne, de l'\u00e9chafaud et d'un panier sanglant.\n\n\u00e7a sent bon le lilas chez vous je dis.\n\nJe n'avais rien d'autre \u00e0 dire dans cet instant.\n\nEt je me revis monter les rues depuis la gare de Boissy Saint Leger vers la maison de mes parents.\n\nC'\u00e9tait au printemps et il y avait beaucoup de lilas dans les jardins des pavillons de cette banlieue. L'odeur embaumait et chassait mes angoisses. Plus de 10 ans sans nouvelles et j'allais me pointer comme une fleur.\n\nElle ne r\u00e9pondit pas. Le silence s'associa \u00e0 l'image d'un reposoir. Quelque chose commen\u00e7a \u00e0 osciller de plus en plus rapidement entre la confession et la r\u00e9demption. J'eus des images d'hosties... comme des confettis qui envahirent la pi\u00e8ce.\n\nQuand j'allais au cat\u00e9chisme en cachette de mon p\u00e8re \u00e7a sentait bon le lilas sur la route. Je m'aper\u00e7us que je ne pensais plus qu'au printemps.\n\nCe qui est \u00e9trange ne trouvez vous pas car nous allons sur novembre.\n\nElle resta silencieuse.\n\nJe regardais ses jambes. C'\u00e9tait un d\u00e9fi. Ne plus les l\u00e2cher du regard presque \u00e0 l'insinuer sous sa jupe.\n\nAlors elle d\u00e9croisa les jambes tout doucement \n\net tout de suite apr\u00e8s les croisa dans l'autre sens.\n\nJe me suis demand\u00e9 soudain ce que je fichais l\u00e0. Comme si la col\u00e8re allait me permettre de ne pas fondre tout entier dans le fauteuil.\n\nVous ne dites rien c'est d\u00e9courageant ai je r\u00e9ussi \u00e0 \u00e9mettre p\u00e9niblement.\n\nC'est votre temps de parole elle a dit, ou un truc du genre.\n\nMon temps de parole bordel de merde et je ne peux pas me sortir du lilas et de ses jambes j'ai pens\u00e9.\n\nEt puis peu \u00e0 peu quelque chose de subtil s'est mis en place tout doucement pour balayer toute cette col\u00e8re toute cette rancune contre moi-m\u00eame.\n\nJ'ai un soucis avec l'id\u00e9e de la premi\u00e8re fois j'ai dit.\n\nElle a relev\u00e9 la t\u00eate tout \u00e0 coup en me fixant et elle a murmur\u00e9 oui \n\nJe me suis accroch\u00e9 \u00e0 ce oui de toutes mes forces. C'\u00e9tait comme un cheval qui galopait dans la nuit bleue.\n\nDes flashs en pagaille o\u00f9 je pouvais \u00e9num\u00e9rer toutes les fois o\u00f9 je me disais \u00e7a me fait penser \u00e0 la premi\u00e8re fois \n\nEt puis je revins dans le bureau un peu comme un avion qui tourne en rond avant d'atterrir.\n\nIl y avait de nouveau cette odeur de lilas elle \u00e9tait \u00e0 la fois famili\u00e8re et diff\u00e9rente toutefois.\n\nIl est l'heure on va s'arr\u00eater pour aujourd'hui elle a dit.\n\nJ'ai sorti mes billets pour les d\u00e9plier devant elle et les poser sur le bureau.\n\nElle a sourit comme une maitresse d'\u00e9cole \u00e0 qui on donne un joli dessin.\n\nEt puis voil\u00e0 il faudra revenir la semaine prochaine.\n\nAu revoir madame\n\nAu revoir monsieur.", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_2745.jpg?1763239382", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/le-modele.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/le-modele.html", "title": "Le mod\u00e8le", "date_published": "2021-07-12T03:24:23Z", "date_modified": "2025-11-15T15:47:34Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
J’avais pass\u00e9 une annonce dans un journal il y a de cela des lustres. Cherche mod\u00e8le, sexe et \u00e2ge indiff\u00e9rent<\/em>.<\/p>\n J’avais eu un nombre de coups de fil prodigieux durant les quelques jours qui suivirent la parution. A chaque fois que je d\u00e9crochais je fixais toute mon attention sur la voix de mon interlocutrice ou interlocuteur, pour traquer la fausset\u00e9.<\/p>\n Elle appela en fin de semaine, un vendredi en tout d\u00e9but d’apr\u00e8s-midi et le timbre de sa voix \u00e9tait tellement sp\u00e9cial, que je d\u00e9cidais d’aller \u00e0 sa rencontre dans un caf\u00e9 de Saint-Germain.<\/p>\n Elle n’\u00e9tait pas jolie, ni laide et pourtant pas quelconque non plus.<\/p>\n Une femme qui avait d\u00e9pass\u00e9 la trentaine avec les traits qui commen\u00e7aient \u00e0 s’affaisser.<\/p>\n Et durant notre entretien elle parla avec le m\u00eame timbre qui me fit penser \u00e0 une fronti\u00e8re, \u00e0 la lisi\u00e8re d’une foret imp\u00e9n\u00e9trable.<\/p>\n Cela m’excita bien sur et je n’eus plus qu’une envie alors c’est de p\u00e9n\u00e9trer cette fronti\u00e8re.<\/p>\n Nous travers\u00e2mes tout Paris pour nous rendre \u00e0 Aubervilliers o\u00f9 je vivais.<\/p>\n J’installais une toile sur le chevalet et lui demandais de s’asseoir pr\u00e8s de la fen\u00eatre.<\/p>\n Lorsque je me d\u00e9pla\u00e7ais pour la voir enfin, elle \u00e9tait nue.<\/p>\n Je dus montrer un signe d’\u00e9tonnement car elle me dit \u00e0 ce moment l\u00e0<\/p>\n Il fallait bien que je me mette toute nue n’est ce pas ?<\/p>\n Toujours avec cette voix parfaitement \u00e9gale sans la moindre asp\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n Evidemment que cela m’excita encore plus.<\/p>\n J’ai pris un morceau de fusain et sans la quitter des yeux j’ai stri\u00e9 la toile de lignes<\/p>\n Son regard \u00e9tait dans le vague elle semblait fixer un point de la cloison derri\u00e8re moi, jamais elle ne croisait mon regard.<\/p>\n Regarde moi dis je en passant au tutoiement<\/p>\n Elle orienta alors son regard vers le mien et j’eus cette sensation assez d\u00e9sagr\u00e9able de me sentir travers\u00e9.<\/p>\n Comme si j’\u00e9tais transparent.<\/p>\n Je tentais de mettre de cot\u00e9 cette sensation pour dessiner<\/p>\n mais je voyais bien qu’elle agissait sur mon trait<\/p>\n quelque chose qui n’arrivait pas \u00e0 se fixer entre l’h\u00e9sitation et la d\u00e9cision.<\/p>\n Au bout du compte j’obtins assez rapidement un gribouillis,<\/p>\n quelque chose d’insupportable.<\/p>\n comme si le d\u00e9sordre \u00e9tait la seule chose dont j’\u00e9tais capable face \u00e0 cette femme<\/p>\n qui s’\u00e9tait mise nue devant moi pour que je la peigne.<\/p>\n Je n’\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 pas bien riche \u00e0 l’\u00e9poque et ce n’\u00e9tait pas l’argent qui l’avait convaincue.<\/p>\n Je crois que l’on s’\u00e9tait mis d’accord pour un \u00e9change, quelques dessins contre une s\u00e9ance.<\/p>\n Elle travaillait, ce n’\u00e9tait pas pour l’argent m’avait t’elle d\u00e9clar\u00e9.<\/p>\n Et cependant elle ne semblait afficher aucune curiosit\u00e9, elle paraissait \u00eatre l\u00e0 dans cette pi\u00e8ce comme si elle avait \u00e9t\u00e9 n’importe o\u00f9 ailleurs.<\/p>\n Et bien sur moi j’\u00e9tais un peintre comme j’aurais pu \u00eatre facteur, boulanger ou chef de gare, cela ne semblait pas rev\u00eatir pour elle la plus petite importance.<\/p>\n Au bout de l’heure et de nombreuses esquisses rat\u00e9es<\/p>\n Elle me dit, tu as l’air de vouloir t’acharner contre toi-m\u00eame.<\/p>\n Je posais le fusain et me laissais tomber sur le tabouret attenant sans r\u00e9pondre quoi que ce soit.<\/p>\n -\u00e7a se voit que tu ne tournes pas rond, ajouta t’elle<\/p>\n -Les autres peintres m’auraient d\u00e9j\u00e0 touch\u00e9e tu sais tu n’es pas le premier.<\/p>\n C’est \u00e0 cet instant pr\u00e9cis qu’elle se leva et marcha vers moi et j’eus la sensation de voir une g\u00e9ante me foncer dessus<\/p>\n j’\u00e9tais d\u00e9sar\u00e7onn\u00e9<\/p>\n totalement impuissant<\/p>\n Elle me prit dans ses bras comme un petit enfant et je sentis \u00e0 ce moment l\u00e0 l’odeur de ses aisselles<\/p>\n affreusement d\u00e9sagr\u00e9able mais dont pourtant je ne pouvais me d\u00e9tacher.<\/p>\n je me d\u00e9battais mollement pour ne pas la vexer - du moins c’est ce que j’imaginais.<\/p>\n Elle se mit \u00e0 genoux, d\u00e9grafa ma ceinture, baissa mon pantalon et me prit sans un mot dans sa bouche.<\/p>\n Ce fut si long que quelque chose de douloureux m’en reste encore \u00e0 la m\u00e9moire.<\/p>\n Je ne me souviens m\u00eame plus d’avoir joui ou pas.<\/p>\n Cette fascination de la voir \u00e0 l’\u0153uvre de la sentir enfin vivante, r\u00e9elle, agissante \u00e9tait de la m\u00eame teneur que ce que j’ai coutume de chercher dans la peinture.<\/p>\n Une r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n Et qui sans cesse m’\u00e9chappe \u00e9videmment.<\/p>\n Elle se leva enfin et me caressa la joue. Une sorte de geste automatique comme avec les chevaux.<\/p>\n Voil\u00e0 \u00e7a va aller mieux maintenant me dit-elle<\/p>\n Et elle fit mine de retourner s’asseoir.<\/p>\n Mais je n’\u00e9tais plus du tout \u00e0 la peinture \u00e0 cet instant<\/p>\n je voulais la baiser sauvagement pour me venger comme si elle m’avait d\u00e9rob\u00e9 quelque chose d’important.<\/p>\n Peut-\u00eatre un truc comme mon \u00e2me je me disais.<\/p>\n Je fis mine de me ruer vers elle<\/p>\n mais elle leva la main paume grande ouverte<\/p>\n -Il n’en est pas question- dit elle avec une autorit\u00e9 que je ne lui aurais pas pr\u00eat\u00e9e quelques minutes auparavant.<\/p>\n Je me remis \u00e0 l’ouvrage avec une sorte de d\u00e9gout, d’\u00e9c\u0153urement de moi-m\u00eame<\/p>\n Et chose inconcevable le dessin prit aussit\u00f4t fi\u00e8re allure.<\/p>\n Nous nous v\u00eemes plusieurs fois durant quelques semaines durant lesquelles exactement le m\u00eame sc\u00e9nario se produisit.<\/p>\n Et puis je ne la vis plus.<\/p>\n La v\u00e9rit\u00e9 c’est que je ne l’ai jamais p\u00e9n\u00e9tr\u00e9e ou poss\u00e9d\u00e9e comme on dit et je n’ai jamais su si c’\u00e9tait quelque chose qu’il fallait consid\u00e9rer comme une d\u00e9faite ou une victoire.<\/p>\n Mais je crois que j’ai \u00e9t\u00e9 comme gu\u00e9ri de quelque chose \u00e0 partir de l\u00e0 bien que je sois totalement infichu de dire quoi.<\/p>",
"content_text": "J'avais pass\u00e9 une annonce dans un journal il y a de cela des lustres. Cherche mod\u00e8le, sexe et \u00e2ge indiff\u00e9rent.\n\nJ'avais eu un nombre de coups de fil prodigieux durant les quelques jours qui suivirent la parution. A chaque fois que je d\u00e9crochais je fixais toute mon attention sur la voix de mon interlocutrice ou interlocuteur, pour traquer la fausset\u00e9. \n\nElle appela en fin de semaine, un vendredi en tout d\u00e9but d'apr\u00e8s-midi et le timbre de sa voix \u00e9tait tellement sp\u00e9cial, que je d\u00e9cidais d'aller \u00e0 sa rencontre dans un caf\u00e9 de Saint-Germain.\n\nElle n'\u00e9tait pas jolie, ni laide et pourtant pas quelconque non plus.\n\nUne femme qui avait d\u00e9pass\u00e9 la trentaine avec les traits qui commen\u00e7aient \u00e0 s'affaisser.\n\nEt durant notre entretien elle parla avec le m\u00eame timbre qui me fit penser \u00e0 une fronti\u00e8re, \u00e0 la lisi\u00e8re d'une foret imp\u00e9n\u00e9trable.\n\nCela m'excita bien sur et je n'eus plus qu'une envie alors c'est de p\u00e9n\u00e9trer cette fronti\u00e8re.\n\nNous travers\u00e2mes tout Paris pour nous rendre \u00e0 Aubervilliers o\u00f9 je vivais.\n\nJ'installais une toile sur le chevalet et lui demandais de s'asseoir pr\u00e8s de la fen\u00eatre.\n\nLorsque je me d\u00e9pla\u00e7ais pour la voir enfin, elle \u00e9tait nue.\n\nJe dus montrer un signe d'\u00e9tonnement car elle me dit \u00e0 ce moment l\u00e0 \n\nIl fallait bien que je me mette toute nue n'est ce pas ?\n\nToujours avec cette voix parfaitement \u00e9gale sans la moindre asp\u00e9rit\u00e9.\n\nEvidemment que cela m'excita encore plus.\n\nJ'ai pris un morceau de fusain et sans la quitter des yeux j'ai stri\u00e9 la toile de lignes \n\nSon regard \u00e9tait dans le vague elle semblait fixer un point de la cloison derri\u00e8re moi, jamais elle ne croisait mon regard.\n\nRegarde moi dis je en passant au tutoiement \n\nElle orienta alors son regard vers le mien et j'eus cette sensation assez d\u00e9sagr\u00e9able de me sentir travers\u00e9.\n\nComme si j'\u00e9tais transparent.\n\nJe tentais de mettre de cot\u00e9 cette sensation pour dessiner \n\nmais je voyais bien qu'elle agissait sur mon trait \n\nquelque chose qui n'arrivait pas \u00e0 se fixer entre l'h\u00e9sitation et la d\u00e9cision.\n\nAu bout du compte j'obtins assez rapidement un gribouillis, \n\nquelque chose d'insupportable.\n\ncomme si le d\u00e9sordre \u00e9tait la seule chose dont j'\u00e9tais capable face \u00e0 cette femme \n\nqui s'\u00e9tait mise nue devant moi pour que je la peigne.\n\nJe n'\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 pas bien riche \u00e0 l'\u00e9poque et ce n'\u00e9tait pas l'argent qui l'avait convaincue.\n\nJe crois que l'on s'\u00e9tait mis d'accord pour un \u00e9change, quelques dessins contre une s\u00e9ance.\n\nElle travaillait, ce n'\u00e9tait pas pour l'argent m'avait t'elle d\u00e9clar\u00e9.\n\nEt cependant elle ne semblait afficher aucune curiosit\u00e9, elle paraissait \u00eatre l\u00e0 dans cette pi\u00e8ce comme si elle avait \u00e9t\u00e9 n'importe o\u00f9 ailleurs.\n\nEt bien sur moi j'\u00e9tais un peintre comme j'aurais pu \u00eatre facteur, boulanger ou chef de gare, cela ne semblait pas rev\u00eatir pour elle la plus petite importance.\n\nAu bout de l'heure et de nombreuses esquisses rat\u00e9es \n\nElle me dit, tu as l'air de vouloir t'acharner contre toi-m\u00eame.\n\nJe posais le fusain et me laissais tomber sur le tabouret attenant sans r\u00e9pondre quoi que ce soit.\n\n-\u00e7a se voit que tu ne tournes pas rond, ajouta t'elle \n\n-Les autres peintres m'auraient d\u00e9j\u00e0 touch\u00e9e tu sais tu n'es pas le premier.\n\nC'est \u00e0 cet instant pr\u00e9cis qu'elle se leva et marcha vers moi et j'eus la sensation de voir une g\u00e9ante me foncer dessus \n\nj'\u00e9tais d\u00e9sar\u00e7onn\u00e9 \n\ntotalement impuissant \n\nElle me prit dans ses bras comme un petit enfant et je sentis \u00e0 ce moment l\u00e0 l'odeur de ses aisselles \n\naffreusement d\u00e9sagr\u00e9able mais dont pourtant je ne pouvais me d\u00e9tacher.\n\nje me d\u00e9battais mollement pour ne pas la vexer - du moins c'est ce que j'imaginais.\n\nElle se mit \u00e0 genoux, d\u00e9grafa ma ceinture, baissa mon pantalon et me prit sans un mot dans sa bouche.\n\nCe fut si long que quelque chose de douloureux m'en reste encore \u00e0 la m\u00e9moire.\n\nJe ne me souviens m\u00eame plus d'avoir joui ou pas.\n\nCette fascination de la voir \u00e0 l'\u0153uvre de la sentir enfin vivante, r\u00e9elle, agissante \u00e9tait de la m\u00eame teneur que ce que j'ai coutume de chercher dans la peinture.\n\nUne r\u00e9alit\u00e9.\n\nEt qui sans cesse m'\u00e9chappe \u00e9videmment.\n\nElle se leva enfin et me caressa la joue. Une sorte de geste automatique comme avec les chevaux.\n\nVoil\u00e0 \u00e7a va aller mieux maintenant me dit-elle \n\nEt elle fit mine de retourner s'asseoir.\n\nMais je n'\u00e9tais plus du tout \u00e0 la peinture \u00e0 cet instant \n\nje voulais la baiser sauvagement pour me venger comme si elle m'avait d\u00e9rob\u00e9 quelque chose d'important.\n\nPeut-\u00eatre un truc comme mon \u00e2me je me disais.\n\nJe fis mine de me ruer vers elle \n\nmais elle leva la main paume grande ouverte \n\n-Il n'en est pas question- dit elle avec une autorit\u00e9 que je ne lui aurais pas pr\u00eat\u00e9e quelques minutes auparavant.\n\nJe me remis \u00e0 l'ouvrage avec une sorte de d\u00e9gout, d'\u00e9c\u0153urement de moi-m\u00eame \n\nEt chose inconcevable le dessin prit aussit\u00f4t fi\u00e8re allure. \n\nNous nous v\u00eemes plusieurs fois durant quelques semaines durant lesquelles exactement le m\u00eame sc\u00e9nario se produisit.\n\nEt puis je ne la vis plus.\n\nLa v\u00e9rit\u00e9 c'est que je ne l'ai jamais p\u00e9n\u00e9tr\u00e9e ou poss\u00e9d\u00e9e comme on dit et je n'ai jamais su si c'\u00e9tait quelque chose qu'il fallait consid\u00e9rer comme une d\u00e9faite ou une victoire.\n\nMais je crois que j'ai \u00e9t\u00e9 comme gu\u00e9ri de quelque chose \u00e0 partir de l\u00e0 bien que je sois totalement infichu de dire quoi.",
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"id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/pourquoi-changer.html",
"url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/pourquoi-changer.html",
"title": "Pourquoi changer ?",
"date_published": "2021-06-27T05:58:02Z",
"date_modified": "2025-11-15T12:05:27Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " L’id\u00e9e de changer revient comme une ritournelle, tu sais c’est un peu cette chanson que l’on fredonne sans savoir vraiment pourquoi ni comment et qui finit par nous agacer au bout d’un certain temps. Tout ce qui est plus fort que soi est aga\u00e7ant n’est-ce pas ? Tout ce que l’on ne maitrise ni ne contr\u00f4le pas l’est souvent aussi. Cette agacement je crois qu’il provient du petit enfant que l’on conserve au fond de nous-m\u00eames, et qui soudain comprend que beaucoup de choses dans la vie le d\u00e9passent. Qu’il ne ma\u00eetrise ni ne contr\u00f4le pas grand-chose.<\/p>\n Alors je peux me dire que c’est enfantin de vouloir changer. C’est \u00e0 dire que j’imagine gr\u00e2ce \u00e0 l’illusion du changement devenir un autre. Mais quel autre si ce n’est celui qui esp\u00e8re parvenir \u00e0 s’adapter, c’est \u00e0 dire \u00e0 ma\u00eetriser en toutes circonstances l’impact provoqu\u00e9 par les circonstances.<\/p>\n Lorsque j’\u00e9tais gamin j’\u00e9tais fascin\u00e9 par l’eau. Y t’il quelque chose qui s’adapte mieux aux circonstances que celle-ci ? Et comment s’y prend t’elle ? C’\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 ce genre de question que je me posais lorsque j’allais m’asseoir au bord du Cher pour essayer de devenir un p\u00eacheur aussi habile que mon p\u00e8re.<\/p>\n Je l’imaginais habile \u00e9videmment comment n’aurait-t ’il pas pu l’\u00eatre ?<\/p>\n Par mim\u00e9tisme je m’effor\u00e7ais de m’extraire de quelque chose d\u00e9j\u00e0 pour me rendre vers un ailleurs imaginaire.<\/p>\n Il me semble que si j’avais pu me filmer \u00e0 8 ou 9 ans en train de jeter ma ligne dans le fleuve j’aurais pu voir cette caricature \u00e0 la fois path\u00e9tique et \u00e9mouvante de ce petit gar\u00e7on effectuant des efforts insens\u00e9s pour devenir homme.<\/p>\n Pas n’importe quel homme, le p\u00e8re.<\/p>\n Le pouvoir et la fascination dans lesquels j’avais gliss\u00e9 avec une facilit\u00e9 d\u00e9concertante m’avait totalement d\u00e9concert\u00e9.<\/p>\n Je n’\u00e9tais plus une m\u00e9lodie, mais une cacophonie.<\/p>\n L’admiration, la haine, l’amour et la crainte formaient alors une sensation omnipr\u00e9sente de panique qui m’interdisait l’acc\u00e8s \u00e0 qui j’\u00e9tais. Tout mon \u00eatre s’\u00e9lan\u00e7ait alors vers ce d\u00e9sir de ressembler \u00e0 ce p\u00e8re tout en d\u00e9testant souvent le r\u00e9sultat que j’obtenais.<\/p>\n Cela m’aga\u00e7ait beaucoup et d\u00e9clenchait aussi de formidables col\u00e8res contre le monde entier. Puis une fois la rage pass\u00e9e j’entrais alors dans une sorte de catatonie. Il me fallait m’enfouir dans un trou ou bien grimper au haut d’un arbre pour retrouver mes esprits.<\/p>\n Le lieu commun se confondait avec un platitude infinie, qui souillait toute id\u00e9e d’horizon comme d’avenir . Au fond de moi lorsque je cherchais \u00e0 me distinguer au del\u00e0 de ce mod\u00e8le qu’imprimait mon p\u00e8re, je ne voyais rien. Et j’habillais ce rien d’oripeaux fantasques, abracadabrants lorsque parfois j’avais l’opportunit\u00e9 de prendre la parole.<\/p>\n Pour attirer l’attention des autres sur ce rien qui semblait m’envahir comme une nuit. Une sorte d’appel au secours \u00e0 peine dissimul\u00e9 qui provoquait \u00e9videmment l’effet contraire. La fuite ou l’\u00e9vitement, la mise \u00e0 l’\u00e9cart.<\/p>\n Cela se produisit tellement de fois dans dans cette enfance que peu \u00e0 peu l’\u00e9v\u00e8nement devint un os que je rongeais. Une obsession.<\/p>\n Cette peur ou l’ennui que je provoquais chez les autres finalement je crois que je m’en nourrissais. C’\u00e9tait sans doute ma seule v\u00e9ritable nourriture pour fortifier cette vuln\u00e9rabilit\u00e9 que j’avais peu \u00e0 peu d\u00e9couverte.<\/p>\n Rien n’\u00e9tait aussi intense \u00e0 cot\u00e9 de cette \u00e9motion qu’elle provoquait et qui me renvoyait \u00e0 une singularit\u00e9 impossible \u00e0 nommer.<\/p>\n Cette singularit\u00e9 devint une sorte de compagnie je crois. Une confidente. Du rien dont elle \u00e9tait issue elle se m\u00e9tamorphosa sans m\u00eame que je ne m’en aper\u00e7oive en tout.<\/p>\n Puis mon enfance s’acheva, et j’entrais tout aussi lamentablement dans l’adolescence. J’esp\u00e9rais beaucoup dans le coll\u00e8ge et la multiplicit\u00e9 des sources d’enseignement. L’espoir d’un nouveau monde me pr\u00e9occupa quelques semaines, peut-\u00eatre quelques mois en raison de la force d’inertie. Puis je compris que je n’avais \u00e9chapp\u00e9 \u00e0 Charybde que pour aller buter contre Scylla.<\/p>\n La volont\u00e9 de ressembler \u00e0 mon p\u00e8re s’\u00e9vanouit doucement remplac\u00e9e par celle de ressembler \u00e0 d’autres, que ce soit des camarades ou des professeurs avec lesquels j’entretenais quelques affinit\u00e9s. J’empruntais leurs postures, leurs r\u00e9pliques, et jusqu’\u00e0 leurs mimiques \u00e0 seule fin de parvenir \u00e0 exister dans ce nouveau monde. Je m’\u00e9loignais encore de qui j’\u00e9tais pour devenir quelqu’un d’autre le temps de la journ\u00e9e d’\u00e9cole.<\/p>\n Puis je rentrais et il me fallait toujours un espace temps particulier pour switcher du coll\u00e8ge \u00e0 la famille. Pour changer ce costume de coll\u00e9gien, en fils. J’avais saisi de plein fouet la notion de positionnement et de statut. Mais le probl\u00e8me \u00e9tait l’impossibilit\u00e9 d’effectuer des liens toujours avec ce rien au fond de moi. La singularit\u00e9 paraissait indiff\u00e9rente \u00e0 tous les efforts que j’essayais de faire pour m’int\u00e9grer dans ces diff\u00e9rents lieux et espaces. Et plus je faisais d’effort d’ailleurs plus il me semble que la pr\u00e9sence de cette singularit\u00e9 s’en trouvait comme renforc\u00e9e.<\/p>\n Ce qui se traduisait \u00e0 nouveau par des col\u00e8res, des d\u00e9pressions, ou encore des fr\u00e9n\u00e9sies \u00e9tranges d’aller courir dans les bois les champs \u00e0 perdre haleine, de lectures boulimiques , ou encore m’allonger sur le lit de ma petite chambre en ne faisant plus attention qu’au seul fait de respirer pour tenter de me d\u00e9barrasser de l’incessant tourbillon mental qui m’accablait.<\/p>\n Tout au long de ce processus je crois que j’ai \u00e9t\u00e9 obs\u00e9d\u00e9 par l’envie de changer, de pouvoir me d\u00e9barrasser de cette intuition terrifiante de n’\u00eatre rien. Une intuition aussi que cette intuition serait pr\u00e9monitoire. J’avais tellement la trouille d’\u00eatre ce rien qu’il ne pouvait \u00eatre qu’un d\u00e9sir que je ne parvenais pas \u00e0 assumer.<\/p>\n Une sorte de fabrication imaginaire, une all\u00e9gorie ou une succession de m\u00e9taphores pour tenter d’ \u00e9chapper \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de la vie et de la mort.<\/p>\n L’id\u00e9e de changer devait \u00e0 peu de chose pr\u00e8s \u00eatre du m\u00eame acabit que cette barre de points de vie suppl\u00e9mentaires qui s’affiche au haut de l’\u00e9cran d’un jeu vid\u00e9o.<\/p>\n Je pouvais changer plusieurs fois, ce n’\u00e9tait pas un souci tant que j’avais encore quelques petits c\u0153urs allum\u00e9s avant le Game over d\u00e9finitif.<\/p>\n Evidemment on peut consid\u00e9rer que la vie est un r\u00eave ou un jeu. Une sorte d’abstraction. On peut trouver une issue en imaginant cela aussi. En s’en persuadant.<\/p>\n Lorsqu’on est seul, il n’y a aucun probl\u00e8me.<\/p>\n Les difficult\u00e9s viennent avec les autres et notamment ceux dont on finit par s’entourer et que l’on aime et que l’on entoure \u00e9galement d’attentions et de manifestations d’affections.<\/p>\n Ces relations intimes s’attaquent directement \u00e0 cet espace temps an\u00e9anti que l’on porte pour toujours au fond de soi.<\/p>\n Elles ne cessent de vouloir l’amadouer afin qu’on puisse l’oublier. Et cela fonctionne durant un temps.<\/p>\n Puis il arrive que ce temps s’ach\u00e8ve. Le rien reprend possession de tous ses territoires \u00e0 l’occasion d’un changement d’hygrom\u00e9trie dans l’air, d’un nuage qui passe, d’un chat qui miaule.<\/p>\n On se retrouve alors nez \u00e0 nez avec ce rien, avec cette singularit\u00e9 d’\u00eatre aussi vieux qu’H\u00e9rode par ses art\u00e8res aussi na\u00eff qu’un nouveau n\u00e9 par ses cris et ses larmes lorsqu’on lui refuse le sein.<\/p>\n Alors on prend une nouvelle toile, celle que l’on a rat\u00e9 hier et on recommence.<\/p>\n Peu importe qu’on r\u00e9ussisse cette fois ci ou pas \u00e0 affronter ce rien les yeux dans les yeux. Ce n’est pas une question de victoire.<\/p>\n C’est seulement accepter d’\u00eatre en vie pendant que nous le sommes tels que nous sommes.<\/p>\n