{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/ignorance-sacree.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/ignorance-sacree.html", "title": "ignorance sacr\u00e9e", "date_published": "2025-11-08T04:30:11Z", "date_modified": "2025-11-08T04:30:11Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Le gros du troupeau ne s\u2019en sortira pas : il tombera, se noiera dans sa peur, son idiotie, son absence de discernement, sa veulerie. Le berger est cingl\u00e9, ses chiens ont la rage. Et alors ? Qu\u2019est-ce que \u00e7a change ? Le soleil se l\u00e8vera demain. Il y aura un printemps. L\u2019inexorable poursuit, co\u00fbte que co\u00fbte, parce que rien n\u2019est jamais atteint, parce que la fin exige la continuit\u00e9 sans rel\u00e2che. La fin, visage masqu\u00e9 de l\u2019infini. Laisser les choses \u00e0 leur place, avancer — m\u00eame \u00e0 reculons —, ne pas s\u2019\u00e9pancher sans fin, ne pas confondre soulagement et pens\u00e9e. Des flashs me reviennent, du c\u00f4t\u00e9 d\u2019Erzurum : le bus fend des plaines demi-d\u00e9sertes, odeur de diesel, et des chiens efflanqu\u00e9s courent au ras de la t\u00f4le ; on voit leurs c\u00f4tes, la bave file, ils persistent, affam\u00e9s, pr\u00eats \u00e0 mordre le caoutchouc s\u2019il s\u2019offrait — les chiens d\u2019Erzurum rendent la fable litt\u00e9rale. C\u2019est la m\u00eame erreur partout : chien, berger, homme — m\u00eame leurre, m\u00eame refuge dans une ignorance sacr\u00e9e. Nous ne pouvons plus dire aujourd\u2019hui que nous ne savons rien : tout a \u00e9t\u00e9 \u00e9crit, comment\u00e9, diss\u00e9qu\u00e9 ; et pourtant nous r\u00e9clamons du nouveau dans l\u2019horreur. N\u2019ayez pas l\u2019air de baisser les yeux : on aime tant se croire rassur\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 vomir sa hargne d\u00e8s qu\u2019un « salaud » se pr\u00e9sente, parce que le d\u00e9signer nous blanchit un instant, nous installe c\u00f4t\u00e9 victime. Tout est l\u00e0, sur les \u00e9tag\u00e8res, mais la paresse nous a gagn\u00e9s : on pr\u00e9f\u00e8re voir des r\u00eaves remuer sur des \u00e9crans plut\u00f4t que penser au pourquoi — ou mieux, au comment — de l\u2019existence. Et j\u2019allais m\u2019enfuir, comme je me le r\u00e9p\u00e9tais depuis une bonne cinquantaine d\u2019ann\u00e9es chaque matin. Je marche vers le portail, je soul\u00e8ve le loquet. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, au-del\u00e0 de la route et des fa\u00e7ades, les champs, les prairies, les \u00e9toiles ; la nuit respire. Le froid m\u2019envahit, atteint mes os, ma moelle ; je referme. Le gravier crisse sous mes semelles, je reviens. Tous ces gens — mes « proches », dit-on, mais je pr\u00e9f\u00e8re « \u00e9trangers », c\u2019est plus honn\u00eate — je vais revenir, une fois de plus, vers eux. La difficult\u00e9 est l\u00e0. Ce que je pense, est-ce que je dois l\u2019\u00e9crire \u00e0 tout prix ? Parfois l\u2019honn\u00eatet\u00e9 — mais est-ce bien de l\u2019honn\u00eatet\u00e9 ? — me fait dire oui. Chaque fois que j\u2019obtemp\u00e8re, je recule un peu plus dans la marge, dans l\u2019inconnu. \u00c9crire depuis le d\u00e9part me fait dispara\u00eetre des cartes, m\u2019\u00e9loigne de la fr\u00e9quentation de cercles d\u2019amis, d\u2019amis tout court. Cela m\u2019interroge sur la notion d\u2019amiti\u00e9, surtout la mienne. Parfois je me dis qu\u2019un \u00e9crivain ne peut avoir d\u2019amis. Tout au plus entretient-on un commerce avec des « connaissances ». Et maintenant que j\u2019y pense, j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 plus \u00e0 l\u2019aise avec des coll\u00e8gues ouvriers, t\u00e2cherons, manutentionnaires, qu\u2019avec des gens dipl\u00f4m\u00e9s. La qualit\u00e9 de leur silence m\u2019\u00e9tait un apaisement. Est-ce un d\u00e9lire parano\u00efaque que j\u2019entretiens ? Un instinct de survie tr\u00e8s ancien ? Une sapience tomb\u00e9e trop t\u00f4t, comme une mal\u00e9diction ? Je n\u2019en sais rien. Possible aussi que l\u2019entretien d\u2019un « mauvais objet » me leurre encore sur une construction quelconque. Je ne sais plus rien, je ne veux plus rien savoir, sauf ma peur, ma nuit dans laquelle j\u2019avance, en esp\u00e9rant qu\u2019elle s\u2019ach\u00e8ve un jour. <\/p>", "content_text": " Le gros du troupeau ne s\u2019en sortira pas : il tombera, se noiera dans sa peur, son idiotie, son absence de discernement, sa veulerie. Le berger est cingl\u00e9, ses chiens ont la rage. Et alors ? Qu\u2019est-ce que \u00e7a change ? Le soleil se l\u00e8vera demain. Il y aura un printemps. L\u2019inexorable poursuit, co\u00fbte que co\u00fbte, parce que rien n\u2019est jamais atteint, parce que la fin exige la continuit\u00e9 sans rel\u00e2che. La fin, visage masqu\u00e9 de l\u2019infini. Laisser les choses \u00e0 leur place, avancer \u2014 m\u00eame \u00e0 reculons \u2014, ne pas s\u2019\u00e9pancher sans fin, ne pas confondre soulagement et pens\u00e9e. Des flashs me reviennent, du c\u00f4t\u00e9 d\u2019Erzurum : le bus fend des plaines demi-d\u00e9sertes, odeur de diesel, et des chiens efflanqu\u00e9s courent au ras de la t\u00f4le ; on voit leurs c\u00f4tes, la bave file, ils persistent, affam\u00e9s, pr\u00eats \u00e0 mordre le caoutchouc s\u2019il s\u2019offrait \u2014 les chiens d\u2019Erzurum rendent la fable litt\u00e9rale. C\u2019est la m\u00eame erreur partout : chien, berger, homme \u2014 m\u00eame leurre, m\u00eame refuge dans une ignorance sacr\u00e9e. Nous ne pouvons plus dire aujourd\u2019hui que nous ne savons rien : tout a \u00e9t\u00e9 \u00e9crit, comment\u00e9, diss\u00e9qu\u00e9 ; et pourtant nous r\u00e9clamons du nouveau dans l\u2019horreur. N\u2019ayez pas l\u2019air de baisser les yeux : on aime tant se croire rassur\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 vomir sa hargne d\u00e8s qu\u2019un \u00ab salaud \u00bb se pr\u00e9sente, parce que le d\u00e9signer nous blanchit un instant, nous installe c\u00f4t\u00e9 victime. Tout est l\u00e0, sur les \u00e9tag\u00e8res, mais la paresse nous a gagn\u00e9s : on pr\u00e9f\u00e8re voir des r\u00eaves remuer sur des \u00e9crans plut\u00f4t que penser au pourquoi \u2014 ou mieux, au comment \u2014 de l\u2019existence. Et j\u2019allais m\u2019enfuir, comme je me le r\u00e9p\u00e9tais depuis une bonne cinquantaine d\u2019ann\u00e9es chaque matin. Je marche vers le portail, je soul\u00e8ve le loquet. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, au-del\u00e0 de la route et des fa\u00e7ades, les champs, les prairies, les \u00e9toiles ; la nuit respire. Le froid m\u2019envahit, atteint mes os, ma moelle ; je referme. Le gravier crisse sous mes semelles, je reviens. Tous ces gens \u2014 mes \u00ab proches \u00bb, dit-on, mais je pr\u00e9f\u00e8re \u00ab \u00e9trangers \u00bb, c\u2019est plus honn\u00eate \u2014 je vais revenir, une fois de plus, vers eux. La difficult\u00e9 est l\u00e0. Ce que je pense, est-ce que je dois l\u2019\u00e9crire \u00e0 tout prix ? Parfois l\u2019honn\u00eatet\u00e9 \u2014 mais est-ce bien de l\u2019honn\u00eatet\u00e9 ? \u2014 me fait dire oui. Chaque fois que j\u2019obtemp\u00e8re, je recule un peu plus dans la marge, dans l\u2019inconnu. \u00c9crire depuis le d\u00e9part me fait dispara\u00eetre des cartes, m\u2019\u00e9loigne de la fr\u00e9quentation de cercles d\u2019amis, d\u2019amis tout court. Cela m\u2019interroge sur la notion d\u2019amiti\u00e9, surtout la mienne. Parfois je me dis qu\u2019un \u00e9crivain ne peut avoir d\u2019amis. Tout au plus entretient-on un commerce avec des \u00ab connaissances \u00bb. Et maintenant que j\u2019y pense, j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 plus \u00e0 l\u2019aise avec des coll\u00e8gues ouvriers, t\u00e2cherons, manutentionnaires, qu\u2019avec des gens dipl\u00f4m\u00e9s. La qualit\u00e9 de leur silence m\u2019\u00e9tait un apaisement. Est-ce un d\u00e9lire parano\u00efaque que j\u2019entretiens ? Un instinct de survie tr\u00e8s ancien ? Une sapience tomb\u00e9e trop t\u00f4t, comme une mal\u00e9diction ? Je n\u2019en sais rien. Possible aussi que l\u2019entretien d\u2019un \u00ab mauvais objet \u00bb me leurre encore sur une construction quelconque. Je ne sais plus rien, je ne veux plus rien savoir, sauf ma peur, ma nuit dans laquelle j\u2019avance, en esp\u00e9rant qu\u2019elle s\u2019ach\u00e8ve un jour. 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Peu dormi, \u00e9crit plusieurs textes, dont un remis\u00e9 dans la rubrique « carnet noir » que je n\u2019ai pas os\u00e9 publier \u00e0 cause de la franchise nue que j\u2019y entends. Envie de continuer dans cette veine. De me retirer, encore, des r\u00e9seaux. M\u00eame sensation que les jours o\u00f9 j\u2019arr\u00eatais de fumer : la m\u00eame m\u00e9canique d\u2019addiction. Le truc qui m\u2019a servi alors : voir venir de l\u2019horizon un panneau blanc qui grossit, et dessus, en lettres g\u00e9antes, « TAXES ». Pour les r\u00e9seaux, un seul mot suffit : « PERTE DE TEMPS ». Stage de peinture ce matin. Renoncement l\u00e0 aussi. Je sais \u00eatre un bon professeur, mais c\u2019est au d\u00e9triment de mon travail personnel. Je ne peins plus depuis des mois, peut-\u00eatre des ann\u00e9es. Il suffit de regarder les dates ; elles reculent tandis que, dans ma t\u00eate, c\u2019\u00e9tait hier. Depuis les confinements de 2020 — oui, je sais — le temps s\u2019est fig\u00e9 pour moi, pendant que le monde continue. Comme si j\u2019\u00e9tais mort depuis cette date sans m\u2019en apercevoir, poursuivant mentalement la construction d\u2019un monde qui n\u2019existe plus. L\u2019\u00e9criture aide \u00e0 entrer dans cette intemporalit\u00e9, elle aide \u00e0 accepter la mort. J\u2019\u00e9cris mieux, peut-\u00eatre parce que j\u2019en ai fini avec les vivants ; et pourtant je rince les brosses dans la t\u00e9r\u00e9benthine, je ramasse la poussi\u00e8re de craie sur le plancher, je corrige un rouge trop chaud : gestes simples qui me retiennent un peu. Je ne sais pas ce que « mieux » veut dire, et je m\u2019en moque. J\u2019\u00e9cris comme un alpiniste \u00e0 mains nues sur une paroi : je ne sais pas quand viendra la chute ; elle viendra.<\/p>", "content_text": " Peu dormi, \u00e9crit plusieurs textes, dont un remis\u00e9 dans la rubrique \u00ab carnet noir \u00bb que je n\u2019ai pas os\u00e9 publier \u00e0 cause de la franchise nue que j\u2019y entends. Envie de continuer dans cette veine. De me retirer, encore, des r\u00e9seaux. M\u00eame sensation que les jours o\u00f9 j\u2019arr\u00eatais de fumer : la m\u00eame m\u00e9canique d\u2019addiction. Le truc qui m\u2019a servi alors : voir venir de l\u2019horizon un panneau blanc qui grossit, et dessus, en lettres g\u00e9antes, \u00ab TAXES \u00bb. Pour les r\u00e9seaux, un seul mot suffit : \u00ab PERTE DE TEMPS \u00bb. Stage de peinture ce matin. Renoncement l\u00e0 aussi. Je sais \u00eatre un bon professeur, mais c\u2019est au d\u00e9triment de mon travail personnel. Je ne peins plus depuis des mois, peut-\u00eatre des ann\u00e9es. Il suffit de regarder les dates ; elles reculent tandis que, dans ma t\u00eate, c\u2019\u00e9tait hier. Depuis les confinements de 2020 \u2014 oui, je sais \u2014 le temps s\u2019est fig\u00e9 pour moi, pendant que le monde continue. Comme si j\u2019\u00e9tais mort depuis cette date sans m\u2019en apercevoir, poursuivant mentalement la construction d\u2019un monde qui n\u2019existe plus. L\u2019\u00e9criture aide \u00e0 entrer dans cette intemporalit\u00e9, elle aide \u00e0 accepter la mort. J\u2019\u00e9cris mieux, peut-\u00eatre parce que j\u2019en ai fini avec les vivants ; et pourtant je rince les brosses dans la t\u00e9r\u00e9benthine, je ramasse la poussi\u00e8re de craie sur le plancher, je corrige un rouge trop chaud : gestes simples qui me retiennent un peu. Je ne sais pas ce que \u00ab mieux \u00bb veut dire, et je m\u2019en moque. J\u2019\u00e9cris comme un alpiniste \u00e0 mains nues sur une paroi : je ne sais pas quand viendra la chute ; elle viendra. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0271-2.jpg?1762346875", "tags": ["peinture"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/04-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/04-novembre-2025.html", "title": "04 novembre 2025", "date_published": "2025-11-04T08:58:27Z", "date_modified": "2025-11-04T08:58:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Entre deux catastrophes, l\u2019oubli de la pr\u00e9c\u00e9dente, l\u2019ignorance de la suivante, l\u2019homme \u00e0 t\u00eate de linotte bat des paupi\u00e8res en esp\u00e9rant s\u2019envoler — ce qui n\u2019arrive jamais. Par d\u00e9pit, il donne sa langue au chat, en remarquant que c\u2019est toujours bien difficile d\u2019\u00e9crire « \u00e0 la chatte » plut\u00f4t qu\u2019« au chat ». Content, car apr\u00e8s tout, pourquoi ne pas tenter de l\u2019\u00eatre, d\u2019avoir \u00e0 donner quelque chose plut\u00f4t que rien ? Enfin, il l\u00e8ve les yeux au ciel et voit le bleu. Il ne voit plus que du bleu. Il s\u2019en remet tout entier au bleu ; cela finit par descendre sur lui. Il devient un de ces hommes bleus, cal\u00e9 entre deux bosses, entre deux dunes ; il traverse un grand d\u00e9sert \u00e0 pas lents, toujours en se demandant : « Doit-on dire chameau ou dromadaire ? » Ou rien, pour avoir l\u2019air, toujours l\u2019air, alors qu\u2019on \u00e9touffe, qu\u2019on aurait bien des choses \u00e0 dire, mais l\u2019abondance — comme la pauvret\u00e9 — se cachant derri\u00e8re la facilit\u00e9 de la chose, l\u2019\u00e9puise trop.<\/p>\n

J\u2019ai remis hier ma copie<\/a> pour l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. Je pense que l\u2019atelier m\u2019apporte surtout la vitesse d\u2019ex\u00e9cution en ce moment. Mais il faut dire aussi que je baigne dans tout cela toute la journ\u00e9e et la nuit. Au d\u00e9pens de tout le reste, j\u2019en ai bien peur.<\/p>\n

Nouveau billet : phrases<\/a> ouverture pour novembre. \u00c0 relire octobre<\/a> , bonne impression, quelque chose de tranquille, l\u00e9ger ; bien que ce soient des phrases seules, le blanc entre elles, sans doute, avec de moins en moins de doute.<\/p>\n

Et toujours cette ambigu\u00eft\u00e9 fatigante de partager, de ne pas partager. Parfois je m\u2019en tire sans me poser la question, c\u2019est une affaire d\u2019encha\u00eenement de gestes, tr\u00e8s rapides, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Aujourd\u2019hui la r\u00e9flexion m\u2019en emp\u00eache, je l\u2019ai trop laiss\u00e9e prendre le dessus.<\/p>\n

Ici, prendre une nouvelle habitude : \u00e9crire court. M\u00e9nager le blanc entre les groupes de phrases. Patience, 40 jours suffisent pour prendre une nouvelle habitude, 40 nuits pour traverser un d\u00e9sert.<\/p>\n

illustration<\/strong> attraction \u00e0 voir autour de Quarante (34)<\/p>", "content_text": " Entre deux catastrophes, l\u2019oubli de la pr\u00e9c\u00e9dente, l\u2019ignorance de la suivante, l\u2019homme \u00e0 t\u00eate de linotte bat des paupi\u00e8res en esp\u00e9rant s\u2019envoler \u2014 ce qui n\u2019arrive jamais. Par d\u00e9pit, il donne sa langue au chat, en remarquant que c\u2019est toujours bien difficile d\u2019\u00e9crire \u00ab \u00e0 la chatte \u00bb plut\u00f4t qu\u2019\u00ab au chat \u00bb. Content, car apr\u00e8s tout, pourquoi ne pas tenter de l\u2019\u00eatre, d\u2019avoir \u00e0 donner quelque chose plut\u00f4t que rien ? Enfin, il l\u00e8ve les yeux au ciel et voit le bleu. Il ne voit plus que du bleu. Il s\u2019en remet tout entier au bleu ; cela finit par descendre sur lui. Il devient un de ces hommes bleus, cal\u00e9 entre deux bosses, entre deux dunes ; il traverse un grand d\u00e9sert \u00e0 pas lents, toujours en se demandant : \u00ab Doit-on dire chameau ou dromadaire ? \u00bb Ou rien, pour avoir l\u2019air, toujours l\u2019air, alors qu\u2019on \u00e9touffe, qu\u2019on aurait bien des choses \u00e0 dire, mais l\u2019abondance \u2014 comme la pauvret\u00e9 \u2014 se cachant derri\u00e8re la facilit\u00e9 de la chose, l\u2019\u00e9puise trop. J\u2019ai remis hier ma [copie->https:\/\/ledibbouk.net\/boost-2-07-il-voit-la-champagne-les-dardanelles-et-s-en-revient.html] pour l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. Je pense que l\u2019atelier m\u2019apporte surtout la vitesse d\u2019ex\u00e9cution en ce moment. Mais il faut dire aussi que je baigne dans tout cela toute la journ\u00e9e et la nuit. Au d\u00e9pens de tout le reste, j\u2019en ai bien peur. Nouveau billet : [phrases->https:\/\/ledibbouk.net\/novembre-2025-phrases.html] ouverture pour novembre. \u00c0 relire [octobre->https:\/\/ledibbouk.net\/septembre-octobre-2025-phrases.html] , bonne impression, quelque chose de tranquille, l\u00e9ger ; bien que ce soient des phrases seules, le blanc entre elles, sans doute, avec de moins en moins de doute. Et toujours cette ambigu\u00eft\u00e9 fatigante de partager, de ne pas partager. Parfois je m\u2019en tire sans me poser la question, c\u2019est une affaire d\u2019encha\u00eenement de gestes, tr\u00e8s rapides, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Aujourd\u2019hui la r\u00e9flexion m\u2019en emp\u00eache, je l\u2019ai trop laiss\u00e9e prendre le dessus. Ici, prendre une nouvelle habitude : \u00e9crire court. M\u00e9nager le blanc entre les groupes de phrases. Patience, 40 jours suffisent pour prendre une nouvelle habitude, 40 nuits pour traverser un d\u00e9sert. **illustration** attraction \u00e0 voir autour de Quarante (34) ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bize-minervois.jpg?1762245043", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/03-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/03-novembre-2025.html", "title": "03 novembre 2025", "date_published": "2025-11-03T07:23:52Z", "date_modified": "2025-11-03T07:23:52Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

O\u00f9 l\u2019on tente de circonscrire l\u2019insaisissable. Peut-on classer Steiner ? La question elle-m\u00eame trahit une mentalit\u00e9 de biblioth\u00e9caire, cette manie d\u2019\u00e9tiqueter ce qui, par nature, fuit la cat\u00e9gorie. Je pense \u00e0 ce mot de Val\u00e9ry : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l\u2019est pas est inutilisable. » Steiner, lui, choisit d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment l\u2019inutilisable — c\u2019est-\u00e0-dire le complexe, le contradictoire, le profond.<\/p>\n

« Je suis un sioniste le matin, un antisioniste l\u2019apr\u00e8s-midi. »<\/p>\n

Cette phrase n\u2019est pas une boutade. C\u2019est une profession de foi m\u00e9thodologique. Elle dit : je refuse de m\u2019installer dans une identit\u00e9 politique. Elle dit : je pr\u00e9f\u00e8re la lucidit\u00e9 douloureuse \u00e0 l\u2019appartenance confortable. Elle dit aussi, peut-\u00eatre, que toute pens\u00e9e v\u00e9ritable est un exil — et que toute terre promise est aussi une terre maudite. Mon archiviste<\/a> en prend un bon coup sur le carafon, mais en m\u00eame temps ne s’y est-il pas pr\u00e9par\u00e9 express\u00e9ment ?\nLui, George Steiner, d\u00e9fend la haute culture — non comme un privil\u00e8ge, mais comme un droit. Il exige l\u2019exigence. Il veut que le plus grand nombre acc\u00e8de \u00e0 ce qui n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 con\u00e7u pour le grand nombre. Position intenable ? Sans doute. Mais toute position tenable n\u2019est-elle pas, par d\u00e9finition, une position m\u00e9diocre ? Je me souviens de cette phrase, lue dans R\u00e9elles pr\u00e9sences<\/em> :\n« La culture n\u2019a pas sauv\u00e9 de la barbarie. Elle doit pourtant \u00eatre notre seul recours. »\nVoil\u00e0 le noyau steinerien : un pessimisme actif. Un courage m\u00eal\u00e9 de d\u00e9sespoir. Une foi sans illusion.\nEt pour revenir encore \u00e0 l’id\u00e9e d’Europe : Steiner aime l\u2019Europe de Dante, de Goethe, de Proust — cette Europe des chefs-d\u2019\u0153uvre. Mais il n\u2019oublie pas l\u2019Europe d\u2019Auschwitz, cette Europe des charniers. Comment concilier les deux ? Il ne le fait pas. Il les garde ensemble, douloureusement, comme on garde une cicatrice qui ne se ferme pas.\n« L\u2019Europe est ma langue maternelle, mais une langue maternelle qui a commis des crimes contre l\u2019humanit\u00e9. »\nPenser avec Steiner, ou comme lui, ou se d\u00e9couvrir des affinit\u00e9s avec sa pens\u00e9e, c\u2019est accepter de vivre avec des contradictions qui ne se r\u00e9soudront jamais. C\u2019est habiter un ch\u00e2teau de Barbe-Bleue o\u00f9 chaque porte ouverte r\u00e9v\u00e8le \u00e0 la fois un tr\u00e9sor et un cadavre.\nCependant Steiner me rappelle quelque chose que j’ai ces derniers temps tendance \u00e0 oublier : \u00e0 ne pas avoir peur des positions intenables. \u00c0 cultiver le doute comme une vertu. \u00c0 aimer les questions plus que les r\u00e9ponses. Je note cette phrase, que je viens d\u2019\u00e9crire et qu\u2019il n\u2019a peut-\u00eatre jamais dite, mais qu\u2019il aurait pu signer :<\/p>\n

« La pens\u00e9e commence l\u00e0 o\u00f9 finit l\u2019appartenance. »<\/p>\n

Et cette habitude de vivre avec des contradictions, ne serait-ce pas l\u00e0, justement, la marque d\u2019une pens\u00e9e talmudiste sans Dieu ? Steiner pense en talmudiste s\u00e9cularis\u00e9, cette habitude de gloser le commentaire, de d\u00e9plier le texte \u00e0 l\u2019infini, de chercher non la conclusion mais l\u2019ouverture — c\u2019est la m\u00e9thode des yeshivas, s\u00e9cularis\u00e9e, transpos\u00e9e dans le champ de la culture occidentale.\nJe me souviens de cette phrase, lue quelque part dans « Ma\u00eetres et disciples » :<\/p>\n

« Tout grand texte est un midrash en puissance. Il ne se referme jamais. Il attend le commentaire qui le prolongera, le contredira, le f\u00e9condera. »<\/p>\n

Steiner ne commente pas la Torah, mais il commente Hom\u00e8re, Dante, Shakespeare, Kafka — avec la m\u00eame ferveur, la m\u00eame minutie, le m\u00eame refus de clore le sens.<\/p>\n

Demain, je relirai Le Transport de A.H., ce texte vertigineux o\u00f9 Steiner imagine Hitler r\u00e9fugi\u00e9 en Amazonie. Texte insoutenable, n\u00e9cessaire. Comme toute son \u0153uvre.<\/p>\n


\n

Nous avons gout\u00e9 la pot\u00e9e ce dimanche au d\u00e9jeuner, j’avais pris soin de la faire r\u00e9chauffer au four le matin m\u00eame. Dans le fond les saucisses \u00e9taient en trop, ou bien elles n’\u00e9taient pas pertinentes, il eut fallu prendre de la morteau plut\u00f4t que de la toulousaine. Le lard fum\u00e9 est amplement suffisant. A noter le d\u00e9go\u00fbt que m’inspire la viande, ou plut\u00f4t non, c’est plus compliqu\u00e9 que cela, une part profonde, enfouie la d\u00e9sire, me fait saliver, tandis qu’une autre, antagoniste, plus raisonn\u00e9e sans doute ou d\u00e9licate ou sensible la r\u00e9fute.<\/p>\n


\n

En fin d’apr\u00e8s-midi je relis les textes que j’ai plac\u00e9s \u00e0 la publication ce jour. La photographie de ce char anglais dans les rues de Tallinn<\/a> , je m’interroge encore sur la raison pour laquelle j’ai choisi cette image, et je pense au terme de kairos<\/strong> utilis\u00e9 par les grecs anciens — ce moment de gr\u00e2ce o\u00f9 le temps n\u2019est plus chronologique, mais opportun, o\u00f9 tout s\u2019assemble sans effort apparent. Ce n\u2019est pas du hasard. C\u2019est la convergence de tout un travail souterrain, d’une attention, d’une pr\u00e9paration, la tension d’un ressort et tout \u00e0 coup le trop plein qui prend la forme d’un l\u00e2cher-prise.<\/p>", "content_text": " O\u00f9 l\u2019on tente de circonscrire l\u2019insaisissable. Peut-on classer Steiner ? La question elle-m\u00eame trahit une mentalit\u00e9 de biblioth\u00e9caire, cette manie d\u2019\u00e9tiqueter ce qui, par nature, fuit la cat\u00e9gorie. Je pense \u00e0 ce mot de Val\u00e9ry : \u00ab Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l\u2019est pas est inutilisable. \u00bb Steiner, lui, choisit d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment l\u2019inutilisable \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire le complexe, le contradictoire, le profond. \u00ab Je suis un sioniste le matin, un antisioniste l\u2019apr\u00e8s-midi. \u00bb Cette phrase n\u2019est pas une boutade. C\u2019est une profession de foi m\u00e9thodologique. Elle dit : je refuse de m\u2019installer dans une identit\u00e9 politique. Elle dit : je pr\u00e9f\u00e8re la lucidit\u00e9 douloureuse \u00e0 l\u2019appartenance confortable. Elle dit aussi, peut-\u00eatre, que toute pens\u00e9e v\u00e9ritable est un exil \u2014 et que toute terre promise est aussi une terre maudite. Mon [archiviste->https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=compilation-simple&annee=2025&mois=10&id_rubrique=141] en prend un bon coup sur le carafon, mais en m\u00eame temps ne s'y est-il pas pr\u00e9par\u00e9 express\u00e9ment ? Lui, George Steiner, d\u00e9fend la haute culture \u2014 non comme un privil\u00e8ge, mais comme un droit. Il exige l\u2019exigence. Il veut que le plus grand nombre acc\u00e8de \u00e0 ce qui n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 con\u00e7u pour le grand nombre. Position intenable ? Sans doute. Mais toute position tenable n\u2019est-elle pas, par d\u00e9finition, une position m\u00e9diocre ? Je me souviens de cette phrase, lue dans *R\u00e9elles pr\u00e9sences* : \u00ab La culture n\u2019a pas sauv\u00e9 de la barbarie. Elle doit pourtant \u00eatre notre seul recours. \u00bb Voil\u00e0 le noyau steinerien : un pessimisme actif. Un courage m\u00eal\u00e9 de d\u00e9sespoir. Une foi sans illusion. Et pour revenir encore \u00e0 l'id\u00e9e d'Europe : Steiner aime l\u2019Europe de Dante, de Goethe, de Proust \u2014 cette Europe des chefs-d\u2019\u0153uvre. Mais il n\u2019oublie pas l\u2019Europe d\u2019Auschwitz, cette Europe des charniers. Comment concilier les deux ? Il ne le fait pas. Il les garde ensemble, douloureusement, comme on garde une cicatrice qui ne se ferme pas. \u00ab L\u2019Europe est ma langue maternelle, mais une langue maternelle qui a commis des crimes contre l\u2019humanit\u00e9. \u00bb Penser avec Steiner, ou comme lui, ou se d\u00e9couvrir des affinit\u00e9s avec sa pens\u00e9e, c\u2019est accepter de vivre avec des contradictions qui ne se r\u00e9soudront jamais. C\u2019est habiter un ch\u00e2teau de Barbe-Bleue o\u00f9 chaque porte ouverte r\u00e9v\u00e8le \u00e0 la fois un tr\u00e9sor et un cadavre. Cependant Steiner me rappelle quelque chose que j'ai ces derniers temps tendance \u00e0 oublier : \u00e0 ne pas avoir peur des positions intenables. \u00c0 cultiver le doute comme une vertu. \u00c0 aimer les questions plus que les r\u00e9ponses. Je note cette phrase, que je viens d\u2019\u00e9crire et qu\u2019il n\u2019a peut-\u00eatre jamais dite, mais qu\u2019il aurait pu signer : \u00ab La pens\u00e9e commence l\u00e0 o\u00f9 finit l\u2019appartenance. \u00bb Et cette habitude de vivre avec des contradictions, ne serait-ce pas l\u00e0, justement, la marque d\u2019une pens\u00e9e talmudiste sans Dieu ? Steiner pense en talmudiste s\u00e9cularis\u00e9, cette habitude de gloser le commentaire, de d\u00e9plier le texte \u00e0 l\u2019infini, de chercher non la conclusion mais l\u2019ouverture \u2014 c\u2019est la m\u00e9thode des yeshivas, s\u00e9cularis\u00e9e, transpos\u00e9e dans le champ de la culture occidentale. Je me souviens de cette phrase, lue quelque part dans \u00ab Ma\u00eetres et disciples \u00bb : \u00ab Tout grand texte est un midrash en puissance. Il ne se referme jamais. Il attend le commentaire qui le prolongera, le contredira, le f\u00e9condera. \u00bb Steiner ne commente pas la Torah, mais il commente Hom\u00e8re, Dante, Shakespeare, Kafka \u2014 avec la m\u00eame ferveur, la m\u00eame minutie, le m\u00eame refus de clore le sens. Demain, je relirai Le Transport de A.H., ce texte vertigineux o\u00f9 Steiner imagine Hitler r\u00e9fugi\u00e9 en Amazonie. Texte insoutenable, n\u00e9cessaire. Comme toute son \u0153uvre. --- Nous avons gout\u00e9 la pot\u00e9e ce dimanche au d\u00e9jeuner, j'avais pris soin de la faire r\u00e9chauffer au four le matin m\u00eame. Dans le fond les saucisses \u00e9taient en trop, ou bien elles n'\u00e9taient pas pertinentes, il eut fallu prendre de la morteau plut\u00f4t que de la toulousaine. Le lard fum\u00e9 est amplement suffisant. A noter le d\u00e9go\u00fbt que m'inspire la viande, ou plut\u00f4t non, c'est plus compliqu\u00e9 que cela, une part profonde, enfouie la d\u00e9sire, me fait saliver, tandis qu'une autre, antagoniste, plus raisonn\u00e9e sans doute ou d\u00e9licate ou sensible la r\u00e9fute. --- En fin d'apr\u00e8s-midi je relis les textes que j'ai plac\u00e9s \u00e0 la publication ce jour. La photographie de ce char anglais dans les rues de [Tallinn->https:\/\/ledibbouk.net\/tallinn-1922.html] , je m'interroge encore sur la raison pour laquelle j'ai choisi cette image, et je pense au terme de **kairos** utilis\u00e9 par les grecs anciens \u2014 ce moment de gr\u00e2ce o\u00f9 le temps n\u2019est plus chronologique, mais opportun, o\u00f9 tout s\u2019assemble sans effort apparent. Ce n\u2019est pas du hasard. C\u2019est la convergence de tout un travail souterrain, d'une attention, d'une pr\u00e9paration, la tension d'un ressort et tout \u00e0 coup le trop plein qui prend la forme d'un l\u00e2cher-prise. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pewdp5irmfqjzlqtqqpqspe3he.jpg?1762101088", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/02-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/02-novembre-2025.html", "title": "02 novembre 2025", "date_published": "2025-11-02T06:59:44Z", "date_modified": "2025-11-02T06:59:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

La rage, la col\u00e8re, la violence qui, autrefois, \u00e9taient contenues par un certain nombre d\u2019illusions \u2013 auxquelles on se faisait un devoir de croire passionn\u00e9ment, en usant de mots doux comme « Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 », avant qu\u2019on ne saisisse toute l\u2019\u00e9tendue de l\u2019entourloupe \u2013, sont d\u00e9sormais sorties de leurs gonds.<\/p>\n

Nous voici revenus au temps des hordes et de la foire d\u2019empoigne, maltrait\u00e9s, tabass\u00e9s, d\u00e9trouss\u00e9s par ceux-l\u00e0 m\u00eame qui \u00e9taient cens\u00e9s nous prot\u00e9ger et assurer le bonheur du pays. \u00c0 moins que cette pr\u00e9tention ne soit encore qu\u2019un pompon r\u00e9calcitrant de chenilles foraines. Que l\u2019on ne se soit fait duper depuis bien plus longtemps qu\u2019on ne l\u2019imagine, au mieux depuis la R\u00e9volution, au pire depuis la chute de l\u2019Empire romain.<\/p>\n

Sans doute tout ceci n\u2019est-il d\u00fb qu\u2019\u00e0 une simple op\u00e9ration arithm\u00e9tique. Nourrir et loger des esclaves \u00e9tant devenu hors de prix, on inventa la libert\u00e9 \u00e0 bon escient, accompagn\u00e9e d\u2019un coup de pied au cul pour s\u2019en aller qu\u00e9rir logis et ouvrage \u00e0 l\u2019\u00e9cart des villas juch\u00e9es sur les hauteurs qui cernent la ville. Et nous autres, bons et braves bougres, barbares ontologiques d\u2019un pouvoir qui ne saurait exister sans son reflet contraire, nous avons couru, nous courons encore, pire : nous courons en esp\u00e9rant rejoindre le haut de la colline, et sommes \u00e9tonn\u00e9s de n\u2019y trouver personne, que du vide, du rien, du n\u00e9ant. Car nous aussi, donc, avions besoin de ma\u00eetres pour nous vivre esclaves.<\/p>\n

Ce matin, il s\u2019est \u00e9veill\u00e9 avec cette phrase qui clignotait sans cesse, tel un vieux n\u00e9on gr\u00e9sillant pr\u00e8s de l\u2019araign\u00e9e au plafond : « Le style est l\u2019homme m\u00eame ». — c\u2019est de Buffon, lors de son discours \u00e0 l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise en 1753, souvent attribu\u00e9 \u00e0 tort \u00e0 Boileau — et tout devint lumineux.<\/p>\n

Puis la seconde pens\u00e9e qui l\u2019assaillit fut celle d\u2019\u00eatre un homme d\u2019un autre temps ; non pas un anachronisme, mais un homme qui refuse de se relier au temps pr\u00e9sent en b\u00ealant de concert avec lui et en son sein. Il se d\u00e9couvrait soudain une famille, des gens avec qui, par leur style, il pouvait entretenir un commerce sans f\u00e2cherie. Ils ne risquaient pas de le contredire de fa\u00e7on brouillonne dans une imm\u00e9diatet\u00e9 vaine : ils \u00e9taient tous morts, align\u00e9s sur les rayons de sa biblioth\u00e8que.<\/p>\n

Hier matin, rendu de bonne heure sur le march\u00e9, quelle merveille : des plateaux de l\u00e9gumes \u00e0 1 \u20ac. Je suis revenu avec un sac plein de chou, de poireaux, de navets, de carottes, d\u2019oignons et d\u2019ails. J\u2019ai fait l\u2019emplette d\u2019un gros morceau de poitrine fum\u00e9e afin de confectionner une pot\u00e9e. Elle a cuit tout l\u2019apr\u00e8s-midi et je l\u2019ai mise au four ce matin pour en achever la cuisson \u00e0 l\u2019\u00e9touff\u00e9e.<\/p>", "content_text": " La rage, la col\u00e8re, la violence qui, autrefois, \u00e9taient contenues par un certain nombre d\u2019illusions \u2013 auxquelles on se faisait un devoir de croire passionn\u00e9ment, en usant de mots doux comme \u00ab Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 \u00bb, avant qu\u2019on ne saisisse toute l\u2019\u00e9tendue de l\u2019entourloupe \u2013, sont d\u00e9sormais sorties de leurs gonds. Nous voici revenus au temps des hordes et de la foire d\u2019empoigne, maltrait\u00e9s, tabass\u00e9s, d\u00e9trouss\u00e9s par ceux-l\u00e0 m\u00eame qui \u00e9taient cens\u00e9s nous prot\u00e9ger et assurer le bonheur du pays. \u00c0 moins que cette pr\u00e9tention ne soit encore qu\u2019un pompon r\u00e9calcitrant de chenilles foraines. Que l\u2019on ne se soit fait duper depuis bien plus longtemps qu\u2019on ne l\u2019imagine, au mieux depuis la R\u00e9volution, au pire depuis la chute de l\u2019Empire romain. Sans doute tout ceci n\u2019est-il d\u00fb qu\u2019\u00e0 une simple op\u00e9ration arithm\u00e9tique. Nourrir et loger des esclaves \u00e9tant devenu hors de prix, on inventa la libert\u00e9 \u00e0 bon escient, accompagn\u00e9e d\u2019un coup de pied au cul pour s\u2019en aller qu\u00e9rir logis et ouvrage \u00e0 l\u2019\u00e9cart des villas juch\u00e9es sur les hauteurs qui cernent la ville. Et nous autres, bons et braves bougres, barbares ontologiques d\u2019un pouvoir qui ne saurait exister sans son reflet contraire, nous avons couru, nous courons encore, pire : nous courons en esp\u00e9rant rejoindre le haut de la colline, et sommes \u00e9tonn\u00e9s de n\u2019y trouver personne, que du vide, du rien, du n\u00e9ant. Car nous aussi, donc, avions besoin de ma\u00eetres pour nous vivre esclaves. Ce matin, il s\u2019est \u00e9veill\u00e9 avec cette phrase qui clignotait sans cesse, tel un vieux n\u00e9on gr\u00e9sillant pr\u00e8s de l\u2019araign\u00e9e au plafond : \u00ab Le style est l\u2019homme m\u00eame \u00bb. \u2014 c\u2019est de Buffon, lors de son discours \u00e0 l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise en 1753, souvent attribu\u00e9 \u00e0 tort \u00e0 Boileau \u2014 et tout devint lumineux. Puis la seconde pens\u00e9e qui l\u2019assaillit fut celle d\u2019\u00eatre un homme d\u2019un autre temps ; non pas un anachronisme, mais un homme qui refuse de se relier au temps pr\u00e9sent en b\u00ealant de concert avec lui et en son sein. Il se d\u00e9couvrait soudain une famille, des gens avec qui, par leur style, il pouvait entretenir un commerce sans f\u00e2cherie. Ils ne risquaient pas de le contredire de fa\u00e7on brouillonne dans une imm\u00e9diatet\u00e9 vaine : ils \u00e9taient tous morts, align\u00e9s sur les rayons de sa biblioth\u00e8que. Hier matin, rendu de bonne heure sur le march\u00e9, quelle merveille : des plateaux de l\u00e9gumes \u00e0 1 \u20ac. Je suis revenu avec un sac plein de chou, de poireaux, de navets, de carottes, d\u2019oignons et d\u2019ails. J\u2019ai fait l\u2019emplette d\u2019un gros morceau de poitrine fum\u00e9e afin de confectionner une pot\u00e9e. Elle a cuit tout l\u2019apr\u00e8s-midi et je l\u2019ai mise au four ce matin pour en achever la cuisson \u00e0 l\u2019\u00e9touff\u00e9e. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/recette-potee-au-chou.webp?1762066725", "tags": ["Temporalit\u00e9 et Ruptures", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/01-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/01-novembre-2025.html", "title": "01 novembre 2025", "date_published": "2025-11-01T08:47:47Z", "date_modified": "2025-11-01T08:47:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Hier soir, suis tomb\u00e9 par hasard sur un entretien du blogueur Juan Asensio (Stalker). Pas vraiment un soutien d\u2019Annie Ernaux. Mais touch\u00e9 malgr\u00e9 tout par son attachement \u00e0 une certaine id\u00e9e de la langue.<\/p>\n

De m\u00eame que je peux aussi \u00eatre touch\u00e9 lorsque Louis-Ferdinand C\u00e9line vilipende Proust en le traitant de « prout Proust » — sauf que parfois, ce dernier avoue quand m\u00eame qu\u2019il est un des plus grands \u00e9crivains du si\u00e8cle.<\/p>\n

Ce qui m\u2019am\u00e8ne \u00e0 relire L\u00e9on Bloy, lecture de jeunesse. En reparcourant certains passages, je vois bien l\u2019effort qui porte sur la phrase, sur une certaine id\u00e9e du style avant tout. Et comment ne pas \u00eatre attendri par le moteur de ses hargnes, par ses envol\u00e9es lyriques sur la foi — ce dont je suis h\u00e9las absolument d\u00e9pourvu. J\u2019en serais presque envieux, parfois. M\u00eame si l\u2019objet de cette ferveur, la pr\u00e9cision de l\u2019engouement, exag\u00e9r\u00e9, me laisse toujours quelques doutes.<\/p>\n

Ce que je veux dire, c\u2019est qu\u2019importe au final les id\u00e9es des bonshommes, ce qu\u2019ils pensent vraiment. Ce n\u2019est pas \u00e7a qui compte une fois le temps pass\u00e9 et que l\u2019on se penche sur les textes. C\u2019est m\u00eame amusant parfois, sans sombrer dans l\u2019ironie. Attendrissant, oui, comme peut l\u2019\u00eatre un Hemingway, par exemple.<\/p>\n

Je ne sais pas si je dois classer ce billet dans « autofiction » ou « propos sur l\u2019art ». Peut-\u00eatre que tout ne n\u00e9cessite pas d\u2019\u00eatre class\u00e9.<\/p>\n

Ce qui m\u2019am\u00e8ne aussi \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur ce que j\u2019appelle vraiment « autofiction », et me demander si ce n\u2019est pas une sorte de carapace pu\u00e9rile pour ne pas dire v\u00e9ritablement tout haut, parfois, ce que je pense vraiment.<\/p>\n

Mais, est-ce que je pense vraiment quelque chose par moi-m\u00eame ?<\/p>\n

Question qui reste pour l\u2019instant en suspens.<\/p>", "content_text": " Hier soir, suis tomb\u00e9 par hasard sur un entretien du blogueur Juan Asensio (Stalker). Pas vraiment un soutien d\u2019Annie Ernaux. Mais touch\u00e9 malgr\u00e9 tout par son attachement \u00e0 une certaine id\u00e9e de la langue. De m\u00eame que je peux aussi \u00eatre touch\u00e9 lorsque Louis-Ferdinand C\u00e9line vilipende Proust en le traitant de \u00ab prout Proust \u00bb \u2014 sauf que parfois, ce dernier avoue quand m\u00eame qu\u2019il est un des plus grands \u00e9crivains du si\u00e8cle. Ce qui m\u2019am\u00e8ne \u00e0 relire L\u00e9on Bloy, lecture de jeunesse. En reparcourant certains passages, je vois bien l\u2019effort qui porte sur la phrase, sur une certaine id\u00e9e du style avant tout. Et comment ne pas \u00eatre attendri par le moteur de ses hargnes, par ses envol\u00e9es lyriques sur la foi \u2014 ce dont je suis h\u00e9las absolument d\u00e9pourvu. J\u2019en serais presque envieux, parfois. M\u00eame si l\u2019objet de cette ferveur, la pr\u00e9cision de l\u2019engouement, exag\u00e9r\u00e9, me laisse toujours quelques doutes. Ce que je veux dire, c\u2019est qu\u2019importe au final les id\u00e9es des bonshommes, ce qu\u2019ils pensent vraiment. Ce n\u2019est pas \u00e7a qui compte une fois le temps pass\u00e9 et que l\u2019on se penche sur les textes. C\u2019est m\u00eame amusant parfois, sans sombrer dans l\u2019ironie. Attendrissant, oui, comme peut l\u2019\u00eatre un Hemingway, par exemple. Je ne sais pas si je dois classer ce billet dans \u00ab autofiction \u00bb ou \u00ab propos sur l\u2019art \u00bb. Peut-\u00eatre que tout ne n\u00e9cessite pas d\u2019\u00eatre class\u00e9. Ce qui m\u2019am\u00e8ne aussi \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur ce que j\u2019appelle vraiment \u00ab autofiction \u00bb, et me demander si ce n\u2019est pas une sorte de carapace pu\u00e9rile pour ne pas dire v\u00e9ritablement tout haut, parfois, ce que je pense vraiment. Mais, est-ce que je pense vraiment quelque chose par moi-m\u00eame ? Question qui reste pour l\u2019instant en suspens. ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/leon_bloy_-_dornac.jpg?1761986859", "tags": [] } ] }