{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/gestes-et-usages.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/gestes-et-usages.html", "title": "Gestes et usages ", "date_published": "2024-03-30T10:01:00Z", "date_modified": "2025-09-30T09:02:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

#01 Ernaux, \u00e0 cause de la couleur<\/h3>\n

A cause de la couleur cette ann\u00e9e l\u00e0— 1975— une couleur chaude entre l\u2019orange la terre de Sienne l\u2019ocre et toutes nuances, tons, valeurs se heurtant, s\u2019\u00e9pousant et se heurtant encore —au froid bleu du ciel, aux reflets de turquoise de la mer vineuse— mais qui ne sont pas plus d\u00e9sormais qu\u2019 une photographie jaunie semblable \u00e0 toutes ces autres photographies servant autrefois de lanceurs, de supports — provenant d\u2019Estonie, mais dans lesquelles un petit bout d\u2019\u00e9tranget\u00e9 scintille sourd comme tout ce qu\u2019on ne peut dire, qui est l\u00e0 et qu\u2019on ne peut pas dire— mais qu\u2019en reste t\u2019il vraiment, \u00e0 part ce que nous voyons encore dans le pr\u00e9sent dans ce pr\u00e9sent m\u00eame o\u00f9 l\u2019on se souvient de cette \u00e9ternit\u00e9 v\u00e9cue. Des gestes, des voix, des odeurs, des joues effleur\u00e9es, des corps \u00e9treints, le go\u00fbt des mets, l\u2019impression laiss\u00e9e par les ambiances travers\u00e9es, celles qui nous traversent que nous traversons. A cause de la couleur alors celle que peut prendre notre adolescence \u00e0 ce moment-l\u00e0 et encore ici, bien apr\u00e8s 1975, et cependant ne pas y sombrer, mais revenir dans la danse, spectateur et danseur, juste un instant, un petit moment pour \u00eatre l\u00e0, cette ann\u00e9e l\u00e0 1975, ce jeune type sur la photographie.<\/p>\n

\u00c0 cause de la couleur des derniers rayons de soleil qui s\u2019infiltrent entre les maisons et les ruelles de Meta di Sorrento pendant que le village s\u2019habille de teintes d\u2019or et de pourpre que les habitants comme anim\u00e9s par une force invisible se m\u00ealent dans les rues que les voix s\u2019\u00e9l\u00e8vent que les rires des enfants rebondissent sur les murs de pierre que les vespa vrombissent dans les pentes et que les marchands annoncent leurs derni\u00e8res offres du jour comme pour rire tandis que les odeurs de la mer, moules huitres, poissons et coquillages se m\u00ealent \u00e0 celle des citronniers se m\u00ealent aux saveurs d\u2019olive de basilic qu\u2019en une trame soudain pr\u00e9sente, enivrante mais qui tremble et s\u2019\u00e9vanouit doucement \u00e0 mesure que l\u2019ombre s\u2019\u00e9tend et que le soir s\u2019abat sur le village —une autre sc\u00e8ne se d\u00e9ploie dans les ruelles ici et l\u00e0 les jeunes se r\u00e9unissent, devant les grilles de la grande b\u00e2tisse, une petite troupe joyeuse et insouciante qui soudain s\u2019\u00e9gaille leurs pas les portent si naturellement vers la boutique du fromager —ce lieu o\u00f9 elle nous m\u00e8ne, cette femme\u2002aux beaux yeux en amande, vers cette lumi\u00e8re dor\u00e9e, ce point de ralliement, une escale apr\u00e8s le\u2002lent et doux tumulte de la journ\u00e9e<\/p>\n

Que les gestes ici ressemblent comme deux gouttes d\u2019eau aux gestes de l\u00e0-bas, on ne le voit pas bien s\u00fbr, l\u2019exotisme nous aveugle, l\u2019excitation du nouveau nous embrume. A moins que ce ne soit encore qu\u2019un principe de la vieillesse de ne plus s\u2019attacher qu\u2019aux ressemblances, au vraisemblable. Une sorte d\u2019abdication dans le semblant ou le semblable.<\/p>\n

mais en attendant, observe tout cela et comment tes yeux s\u2019attardent sur les gestes r\u00e9p\u00e9titifs des femmes des hommes autour de toi, la grand-m\u00e8re dans sa cuisine \u00e9queutant les tomates cerises avec un savoir-faire ant\u00e9diluvien tout comme celui de ces m\u00e8res tressant les cheveux des filles sous les platanes et bien s\u00fbr le mouvement, oscillatoire, rappelant le vent dans les bambous celui de ces types jouant aux bocce sur la place du village —leurs gestes pr\u00e9cis et rythm\u00e9s par le jeu et leurs discussions anim\u00e9es autour d\u2019un verre de limoncello ( clic clac clich\u00e9)\u2002Ne sont-ce pas les m\u00eames gestes que tu vois depuis toujours dans tous les lieux, entre tous les murs, sous tous les toits. Toute ce qui apparait faussement \u00e9trange \u00e0 premi\u00e8re vue avant de sombrer t\u00f4t ou tard dans l\u2019Histoire et son horizon infranchissable de d\u00e9j\u00e0 vu.<\/p>\n

L\u2019avantage sans doute de se tenir l\u00e0, \u00e0 ce moment l\u00e0 , \u00e0 la lisi\u00e8re de l\u2019enfance et de l\u2019\u00e2ge adulte et d\u2019observer ces rituels immuables, ces gestes qui tissent le quotidien, toutes ces actions si simples et pourtant si charg\u00e9es de significations, de liens invisibles qui unissent les gens de Meta di Sorrento entre eux, mais pas seulement, \u00e0 tout ce qui en toi peut encore peut porter le nom d\u2019humanit\u00e9. Te voici un vieux comme disent les jeunes, comme toi tu le disais aussi jadis quand tu \u00e9tais l\u2019un des ces jeunes — les vieux.<\/p>\n

dans la fromagerie peut-\u00eatre \u00e0 cause de lui, le fromager— un homme \u00e0 la stature pas bien imposante, presque malingre, mais au regard\u2002noir et vif et cependant tellement bienveillant\u2002et dont les mains comme des oiseaux arm\u00e9es de plumes tranchantes d\u00e9coupe avec g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 des morceaux de fromage pour nous les offrir— il les pr\u00e9sente au bout du couteau, il les offre comme on offre le plus pr\u00e9cieux, sa candeur, mais sans d\u00e9monstration comme si tout \u00e7a \u00e9tait naturel, normal — ce bout de fromage comme un drapeau, un hymne, dans la nuit tout autour, bien au del\u00e0 de l\u2019\u00e9picerie , la nuit dans laquelle on peut se retrouver quand on songe au pass\u00e9, \u00e0 tous nos morts, tout \u00e7a bizarrement rassembl\u00e9 l\u00e0 dans un simple bout de fromage, dans une ambiance laiteuse et beurr\u00e9e — sourires, \u00e9motions, partage— on en rit avec du fromage plein la bouche on en rigole, on pourrait bien en pleurer mais non on discute, le fromager raconte des histoires prenant comme pr\u00e9texte chaque type de fromage, son origine, son appellation, sa fabrication, des histoires qui semblent faire partie int\u00e9grante de la culture du village et je pense au monde, \u00e0 la plan\u00e8te Terre qui n\u2019est plus si ronde, au derni\u00e8re nouvelle en forme de poire. Et tout \u00e7a \u00e0 cause du gout de la poire m\u00e9lang\u00e9 \u00e0 celui du parmigiano..<\/p>\n

mais qui m\u2019expulse soudain me fait \u00e9prouver encore de fa\u00e7on plus cruelle plus aig\u00fce ma propre \u00e9tranget\u00e9 au sein m\u00eame de toute cette \u00e9tranget\u00e9 m\u00e9diterran\u00e9enne, sans me tromper sur la planque dont l\u2019\u00e9tranget\u00e9 se sert \u00e0 travers des adjectifs.<\/p>\n

du regard suivre\u2002encore durant un instant fugace ce morceau de fromage de la pointe du couteau glissant dans l\u2019air puis disparaitre, englouti entre les l\u00e8vres de cette femme qui nous conduit ici et en \u00e9prouver encore le m\u00eame d\u00e9sir— \u00e0 moins que ce ne soit \u00e2me d\u00e9funte ce fant\u00f4me de d\u00e9sir \u2013 Mais plut\u00f4t et soudain vite—une issue pour s\u2019enfuir. Le d\u00e9sir tr\u00e8s semblable \u00e0 ce moment-l\u00e0 \u00e0 la poudre d\u2019escampette. Prendere la polvere di scampo<\/p>\n

une confusion douce, et ce vieux sentiment retrouv\u00e9 du nouveau du troublant, l\u2019air s\u2019est empli d\u2019\u00e9lectricit\u00e9, le bruit, le rythme des d\u00e9coupes du fromage le couteau heurtant la planche de bois , le bruit du papier froiss\u00e9, des conversations anim\u00e9es, les effluves de fromage affin\u00e9 se m\u00ealent aux ar\u00f4mes du pain frais et du basilic.<\/p>\n

Ensuite nous marcherons longtemps dans les rues en pentes, le silence nous cueillera quand nos hanches se fr\u00f4leront. A cause de la couleur s\u00e9pia du souvenir, \u00e0 cause du fromage qui ici \u00e0 une texture semblable \u00e0 celle de la p\u00e2te sabl\u00e9e sur la langue, et les odeurs d\u2019iode de basilic\u2026mais \u00e7a suffit.<\/p>\n

#02 La barre fixe<\/h3>\n

De l\u2019\u00e2ge de 12 ans \u00e0 15 ans, il est pensionnaire dans le priv\u00e9. L\u2019institution Saint-Stanislas, \u00e0 Osny, pr\u00e8s de Pontoise. Une sorte de ch\u00e2teau avec un grand parc et un petit bief, la Viosne.\u2002Au milieu du parc un bassin circulaire rempli d\u2019eau et, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des installations sportives de plein air. Il regarde les grands \u00e9voluer \u00e0 la barre fixe et \u00e7a lui donne envie de faire pareil. Cette aisance, cette libert\u00e9, contr\u00f4ler ainsi la gravit\u00e9, la pesanteur quelle chance. Mais on comprend vite que ce n\u2019a rien \u00e0 voir avec la chance. Il faut s\u2019entrainer voil\u00e0 tout. Et pendant trois ans, de 12 \u00e0 15 ans pas une seule journ\u00e9e ne passe sans qu\u2019il ne se rende \u00e0 chaque interclasse \u00e0 la barre. Les weekend \u00e9galement, et parfois durant les vacances scolaires, avec une d\u00e9rogation sp\u00e9ciale fournie par le recteur de l\u2019\u00e9tablissement, expliquant \u00e0 ses parents que son comportement patati patata ne permet pas\u2026 bref. Il s\u2019entraine assidument— \u00e7a et p\u00eacher avec des agrafes des \u00e9pinoches dans la Viosne, et puis aussi sortir autant qu\u2019il peut des limites pour aller construire avec deux copains un radeau. On r\u00eave de s\u2019enfuir par tous les moyens. Et maintenant qu\u2019il y repense la barre fixe aussi est un moyen.<\/p>\n

Au d\u00e9but il faut apprendre \u00e0 hisser le poids de son corps \u00e0 la seule force des bras. Rien de simple l\u00e0-dedans, la traction\u2002r\u00e9ussie ne s\u2019improvise pas. Il y a une fa\u00e7on d\u2019agripper la barre en retournant les paumes des mains et qui n\u2019est pas naturelle— \u00e7a ne coule pas de source . De plus, la barre \u00e9tant \u00e0 une certaine hauteur, il faut sauter pour l\u2019attraper. Donc on s\u2019entraine sur deux choses \u00e0 la fois, apprendre \u00e0 bien sauter pour atteindre la barre, puis une fois qu\u2019on la tient hisser le poids du corps d\u2019une fa\u00e7on bizarre au d\u00e9but mais qui devient \u00e9vidente \u00e0 la fin. Il lui faut bien une ann\u00e9e pleine pour parvenir \u00e0 enchainer plusieurs tractions. C\u2019est douloureux, mais on apprend \u00e0 aimer repousser les limites \u00e0 supporter la frustration d\u2019abord, puis la souffrance et m\u00eame \u00e0 la fin \u00e0 l\u2019appr\u00e9cier. Chose qu\u2019il rejette\u2002cat\u00e9goriquement quand il s\u2019agit par exemple de courir autour d\u2019un stade— il trouve cela stupide.<\/p>\n

Au bout d\u2019une ann\u00e9e il parvient \u00e0 enchainer plusieurs tractions \u00e0 la suite, peut-\u00eatre une vingtaine sans exag\u00e9rer. On peut passer \u00e0 l\u2019\u00e9tape suivante. Lever les jambes et effectuer un r\u00e9tablissement pour se retrouver tout en haut avec la barre plaqu\u00e9e sur le ventre. Ici on appelle cette figure l\u2019allemande . Toute une ann\u00e9e encore pour s\u2019approprier l\u2019allemande de fa\u00e7on correcte, c\u2019est \u00e0 dire \u00e9l\u00e9gante. Car on peut bien sur y parvenir, au d\u00e9but par chance, ou par hasard mais \u00e7a n\u2019est qu\u2019un d\u00e9but. Tout est \u00e0 retravailler dans le d\u00e9tail ensuite, la position des pieds, des jambes, effectuer donc cette fichue traction, celle qui, dans l\u2019enchainement g\u00e9n\u00e9ral, produit la bonne impulsion pour continuer avec le mouvement des reins et ainsi lever les jambes, jusqu\u2019\u00e0 se retrouver la t\u00eate en bas, et enfin— victoire : le r\u00e9tablissement final.<\/p>\n

Les anciens finissent par partir et on devient soi-m\u00eame l\u2019ancien apr\u00e8s trois ans. C\u2019est la loi des choses ici comme partout. Le demi soleil est une chose, le grand soleil une autre. Il faut encore beaucoup d\u2019entrainement pour y arriver. Puis aussi, il faut innover un peu, laisser sa trace, un souvenir pour les bleus qui arrivent comme on est arriv\u00e9 l\u00e0 au d\u00e9but bouche b\u00e9e, avec des envies plein les yeux.<\/p>\n

D\u00e9couverte fortuite d\u2019une figure bizarre. On se laisse aller en arri\u00e8re et on n\u2019est plus retenu que par le creux des genoux. Un mouvement de pendule qui emporte le buste \u00e0 l\u2019horizontale c\u00f4t\u00e9 oppos\u00e9 et l\u00e0 on se d\u00e9croche de la barre pour tomber droit comme un i sur le sable. Bouche b\u00e9e les nouveaux. Et peut-\u00eatre qu\u2019avec un peu de chance, deux ou trois ans encore apr\u00e8s on se souviendra de cette figure bizarre invent\u00e9e par le c\u00e9l\u00e8bre B.\u2002On ne dira pas combien de fois il est tomb\u00e9 face contre sol avant d\u2019y parvenir, on ne dira pas non plus ce que lui a cout\u00e9 l\u2019entrainement \u00e0 la barre fixe. On ne garde qu\u2019un vague souvenir dans la r\u00e9tine, un petit \u00e9blouissement, suffisant pour que les choses se perp\u00e9tuent, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elles s\u2019arr\u00eatent, qu\u2019on passe \u00e0 autre chose.<\/p>\n

# 03 Chez le coiffeur<\/h3>\n

Je suis chez le coiffeur, peut-\u00eatre celui qui est \u00e0 l\u2019angle de la rue du Puits sans Tour, assis sur ce dr\u00f4le de fauteuil. Le jeune type, ce n\u2019est pas le patron, mais un nouvel employ\u00e9. Il ne parle pas fran\u00e7ais, il ne sourit pas non plus. Tant mieux. Il appuie sur une p\u00e9dale pour relever le fauteuil, et attrape la tondeuse. Dans le miroir il fait une sorte de mimique en portant sa main libre \u00e0 son visage, m\u2019indiquant la barbe. Je d\u00e9cline d\u2019un mouvement de t\u00eate en regardant dans le miroir son regard qui n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus l\u00e0. Un homme derri\u00e8re est venu avec un tout jeune gar\u00e7on. \u00e7a me rappelle quand j\u2019allais chez Pille avec le grand-p\u00e8re, \u00e0 Vallon. Une petite impasse, pas tr\u00e8s loin de la scierie Carion. Des lauriers formaient une haie. Ici nous sommes loin de tout \u00e7a. La grand rue de P\u00e9age de Roussillon, sinistr\u00e9e par la centre commercial tout \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Des boutiques \u00e0 vendre ou \u00e0 louer. Et, pas moins de cinq coiffeurs. J\u2019ai test\u00e9 celui l\u00e0 il y a trois mois, j\u2019y reviens, ce qui me plait c\u2019est qu\u2019on n\u2019a pas besoin de parler, de sourire, on arrive, on n\u2019attend pas beaucoup, un coup de p\u00e9dale et hop en ressort all\u00e9g\u00e9 d\u2019une tr\u00e8s modique somme, un travail de qualit\u00e9.<\/p>\n

Je suis chez le coiffeur, peut-\u00eatre celui qui est \u00e0 l\u2019angle de la rue du Puits sans Tour, assis sur ce dr\u00f4le de fauteuil. Le jeune type est aussi r\u00e9serv\u00e9 et silencieux que la toute premi\u00e8re fois le patron de la boutique. Il ne parle pas fran\u00e7ais, sauf pour dire 14 euros, merci. Tant mieux. Il pose le pied sur la p\u00e9dale pour me relever et attrape la tondeuse. Dans le miroir il m\u2019adresse cette sorte de mimique pour me demander si oui ou non la barbe. Je d\u00e9cline d\u2019un mouvement de t\u00eate en cherchant dans le reflet son regard qui n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus l\u00e0. Une femme entre deux \u00e2ges est venue avec un tout jeune gar\u00e7on. \u00e7a me rappelle quand j\u2019allais chez Pille avec la grand-m\u00e8re \u00e0 Vallon. Une petite impasse \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de chez Carion, pas loin de chez monsieur le Maire, Binon. Des b\u00e9gonias dans des pots sur les margelles. Ici bien loin de tout \u00e7a. La grand rue de P\u00e9age de Roussillon, a perdu beaucoup de son lustre de jadis. Le centre commercial pas tr\u00e8s loin, toutes les boutiques \u00e0 vendre ou \u00e0 louer. Et, pas moins de cinq coiffeurs. Apr\u00e8s avoir test\u00e9 celui l\u00e0 je l\u2019ai adopt\u00e9 depuis trois mois. J\u2019y reviens. Ce qui me plait c\u2019est que c\u2019est sans chichi, tr\u00e8s silencieux, on n\u2019attend pas longtemps, un coup de p\u00e9dale et hop—14 euros merci—et c\u2019est impeccable.<\/p>\n

#04 D’un seuil \u00e0 l’autre<\/h3>\n

Cette proposition quatre me tanne. Dix fois que je recommence. Mais rien. C\u2019est d\u00e9solant. La difficult\u00e9 se situe dans l\u2019obstination pavlovienne de ce dialogue int\u00e9rieur \u00e0 s\u2019interposer entre les petites choses et mon regard.. Alors qu\u2019\u00e0 l\u2019origine, c\u2019est tr\u00e8s simple. L\u2019id\u00e9e est simple comme bonjour. Encore que bonjour ne soit pas toujours si simple qu\u2019on le pense. Bref. Le marcheur marche. Depuis le seuil. D\u2019un immeuble. Vers une bouche de m\u00e9tro. Voil\u00e0 le sujet qui pourrait faire 160 pages au bas mot. Mais pourquoi faut-il que l\u2019on supporte le discours int\u00e9rieur d\u2019un narrateur ce faisant. Par quoi le remplacer ce monologue. Peut-\u00eatre judicieux de d\u00e9crire, par le menu, la douleur. Car c\u2019est un angle d\u2019attaque. Le point de vue de la douleur, \u00e7a pose le personnage sans doute. Tr\u00e8s \u00e0 la mode. Alors disons que \u00e7a commence dans les chevilles pour parvenir dans les genoux. Fort \u00e0 faire d\u00e9j\u00e0 dans ce premier temps. On pourrait \u00e9taler sa science par exemple. Nommer chaque muscle de la guibole depuis le tibial ant\u00e9rieur de l\u2019avant-jambe, l\u2019extenseur des orteils, le long extenseur de l\u2019hallux dit commun\u00e9ment Grand Droit, le court extenseur des orteils, etc. Mais non, pas dr\u00f4le. Faudrait au moins que \u00e7a soit dr\u00f4le en tout cas pour moi de l\u2019\u00e9crire. A moins que je ne trouve soudain une ambiance, et tout de suite associ\u00e9 \u00e0 celle-ci un ordre particulier pour en r\u00e9sumer la litanie.\u2002Comme anciennement face \u00e0 la classe. Oui c\u2019est \u00e7a. Devant le tableau noir. En r\u00e9citant. Les mains derri\u00e8re le dos. Avec si possible l\u2019\u00e9p\u00e9e de Damocl\u00e8s du coin et du bonnet d\u2019\u00e2ne— Les muscles de la jambe sont , du pied \u00e0 la cuisse, le tibial ant\u00e9rieur, l\u2019extenseur des orteils, le long extenseur de l\u2019hallux, le court extenseur des orteils, le fibulaire ant\u00e9rieur, le tibial post\u00e9rieur, le long fibulaire, le fibulaire post\u00e9rieur, le triceps sural, le poplit\u00e9 et les muscles plantaires\u2026 Mais peut-\u00eatre suis-je en train de griller les \u00e9tapes. Maintenant que j\u2019y pense, c\u2019est bien trop rapide. Rappelle-toi. Reviens l\u00e0. Assis. Pas bouger. Bon Toutou ! Tu es le narrateur. Tu sors sur le seuil d\u2019un immeuble. Ah ouais. Et il est comment ce foutu seuil. Mettons que nous fussions dans la bonne ville de Paris. (Je n\u2019ai m\u00eame pas cit\u00e9 la ville, quel laisser-aller) Et l\u2019immeuble. Il est comment. Bien s\u00fbr il est de style Haussmannien. Pourquoi pas. Et donc, d\u2019y aller de ce souvenir livresque—la plupart de mes souvenirs ne sont plus que livresques \u00e0 pr\u00e9sent— des caract\u00e9ristiques de l\u2019architecture haussmannienne « Le seuil, ou l\u2019entr\u00e9e principale, d\u2019un immeuble haussmannien est g\u00e9n\u00e9ralement orn\u00e9 de d\u00e9tails architecturaux raffin\u00e9s. Il est souvent sur\u00e9lev\u00e9 par rapport au niveau de la rue, cr\u00e9ant ainsi un sentiment d\u2019\u00e9l\u00e9vation et de grandeur. Des marches en pierre ou en marbre m\u00e8nent \u00e0 une porte d\u2019entr\u00e9e majestueuse encadr\u00e9e par des colonnes \u00e9lanc\u00e9es ou des pilastres richement sculpt\u00e9s. Par contre, impossible de me souvenir o\u00f9 j\u2019ai lu \u00e7a. Mais non d\u00e9cid\u00e9ment, \u00e7a ne va pas. Mais pas du tout. D\u2019abord parce qu\u2019en premier lieu, je voudrais me passer de faire appel \u00e0 un souvenir livresque de seuil haussmannien d\u2019immeuble parisien. Je sais que je suis vieux. Mais je ne suis pas non plus un ancien combattant (merde) . Pas plus qu\u2019une sorte de rat de biblioth\u00e8que. Secundo, il se trouve que c\u2019est certainement de la frime. Un truc super rod\u00e9 depuis des ann\u00e9es. Faire appel \u00e0 la r\u00e9f\u00e9rence je veux dire. Quelles sont vos r\u00e9f\u00e9rences —ma petite bonne bretonne. D\u2019une lecture notamment concernant les\u2002foutues caract\u00e9ristiques d\u2019un seuil d\u2019immeuble haussmannien. Non, d\u00e9cid\u00e9ment. \u00e7a ne va pas du tout. Rien ne va. En fait, il est pr\u00e9f\u00e9rable que je sorte de l\u2019immeuble pour aller voir directement de quelle nature est ce seuil. Sauf que je ne peux pas, je n\u2019y habite plus. J\u2019habite d\u00e9sormais une maison de ville dans un village ravitaill\u00e9 par les corbeaux. Je suis \u00e0 deux doigts de me morfondre je le sens. un, deux, \u00e7a y est je me morfond. D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, je peux tout \u00e0 fait ouvrir la porte de la maison, baisser un peu la t\u00eate, regarder mes pieds, je verrai un seuil. Ce serait suffisant pour commencer. Par contre, il faut que je change de but . La bouche de m\u00e9tro \u00e7a ne va plus. Je ne suis pas Sylvain Tesson, je ne parcours pas des bornes et des bornes pour \u00e9crire un bouquin. Je pourrais peut-\u00eatre me rendre \u00e0 la Gare. tiens. D\u00e9crire le merveilleux village dans lequel j\u2019habite, toutes les boutiques \u00e0 louer ou \u00e0 vendre. La nouvelle agence immobili\u00e8re Plaza qui flambant neuve d\u00e9tonne dans le d\u00e9cor lugubre des fa\u00e7ades noires tout autour. Et puis cette place magnifique— qui ne sert absolument \u00e0 rien du tout , que la municipalit\u00e9 a mis deux ann\u00e9es \u00e0 construire et qui depuis lors cr\u00e9er un bazar prodigieux pour se garer dans le coin, car autrefois c\u2019\u00e9tait un parking. Un tr\u00e8s grand parking. Et puis autrefois aussi c\u2019\u00e9tait l\u00e0 que le march\u00e9, un tr\u00e8s grand march\u00e9 s\u2019installait, deux jours la semaine. Alors que maintenant, juste quelques stands de fringues, de trucs chinois, de bidules inutiles. Enfin, j\u2019anticipe. Je vais toujours bien trop vite. Il faudrait que je m\u2019att\u00e8le \u00e0 d\u00e9crire mon premier pas, tout simplement. Le premier pas pour me rendre depuis ma maison jusqu\u2019\u00e0 la gare. Voil\u00e0. Je recommencerai demain. j\u2019ai encore du temps. La proposition suivante vient le dimanche<\/p>\n

# 05 Une belle journ\u00e9e<\/h3>\n

En tant que pr\u00e9pos\u00e9 de second grade affect\u00e9 \u00e0 la distribution du courrier, comprenez qu\u2019il me soit impensable de fl\u00e2ner. D\u2019ailleurs ce ne serait pas le genre. L\u2019immeuble de la Karapatevou-Compagnie compte environ 25 \u00e9tages , chaque \u00e9tage comprend 10 bureaux, et, dans chaque bureau on peut envisager de tomber r\u00e9gulierement sur cinq postes de travail avec assis sur une chaise, ou un fauteuil, ou encore un tabouret, un ou une individu \u2013 qu\u2019on mettrait un temps fou \u00e0 saluer selon l\u2019usage courant des d\u00e9s\u0153uvr\u00e9s. Embrassades, serrages de mains, courbettes et r\u00e9verences, blague de potaches. Non merci, pas de \u00e7a Lisette ! Aussi, d\u00e8s r\u00e9ception des gros sacs de la Poste \u00e0 potron-minet , j\u2019effectue le tri par \u00e9tage , par bureau , par service et patronyme. Puis, je d\u00e9pose cette manne dans un ordre immuable, petits destinataires en bas, grands au dessus, et vlan, dans mon chariot. Puis je me d\u00e9peche d\u2019aviser le moment o\u00f9 le couloir est vide et d\u2019emprunter, soulag\u00e9, l\u2019ascenseur jusqu\u2019au 25e pour redescendre un \u00e9tage apr\u00e8s l\u2019autre jusqu\u2019en bas. \u00c0 chaque \u00e9tage , comme une bombe je d\u00e9boule, pose le courrier, ne dis ni bonjour ni au revoir, ni rien, tel un souffle de vent, un invisible. Et \u00e7a me va tr\u00e8s bien. Vous pourriez penser qu\u2019\u00e0 l\u2019heure du d\u00e9jeuner je profite du vaste restaurant de l\u2019immeuble. Pas du tout. Le simple f\u00eate d\u2019imaginer m\u2019asseoir \u00e0 une table o\u00f9 des convives sont l\u00e0 r\u00e9unis fourchettes en suspens et \u00e0 qui il faudra parler , \u00e9changer, me donne \u00e0 l\u2019avance le tournis quand ce n\u2019est pas la naus\u00e9e. \u00c0 midi tapant , je sors mon casse-cro\u00fbte et dispara\u00eet \u00e0 l\u2019entresol. Ici sont les archives et on n\u2019y voit jamais personne . De ma poche je sors mon Plutarque « vie des hommes illustres » que je le lis lentement religieusement durant toute une heure en mastiquant soigneusement chaque bouch\u00e9e de mon sandwich. Parfois aussi je m\u2019assooupis. Enfin, quand il est 13 : 45 h je remonte, reprends ma tourn\u00e9e , toujours de la m\u00eame fa\u00e7on ainsi que je le fais tous les jours , cinq jours par semaine, 50 semaines par an sans compter les jours de cong\u00e9s \u00e9videmment. Je pensai \u00e0 toutes ces choses comme cela arrive en plein mouvement r\u00e9p\u00e9titif d\u00fb \u00e0 l\u2019habitude bien ancr\u00e9e quand je m\u2019apercois que soudain, oh ! mais quelle surprise , mon pouce est sur l\u2019index de la secr\u00e9taire-adjointe du d\u00e9partement Recherche et d\u00e9veloppement du quatri\u00e8me. Sous la pulpe un peu moite de mon doigt , refroidit tout \u00e0 coup par le vernis glac\u00e9 l\u2019ongle, de son index \u00e0 elle-sensation tout \u00e0 fait insolite, differente en diable de celle prodigu\u00e9e par la fraicheur habituelle de la porcelaine du bouton de l\u2019ascenseur. Me voici donc \u00e0 sursauter.<\/p>\n

\u2013<\/b><\/span> moi<\/p>\n

\u2013<\/b><\/span> oh oh ! et la dame du coup aussi : \u2013 Hiiiiii !<\/p>\n

puis un blanc : blanc.<\/p>\n

Donc, nous nous excusons platement, surtout moi, pardonnez-moi, quel idiot par ci quel imb\u00e9cile par l\u00e0 -ainsi que les personnes convenables doivent le faire. Et vite vite vite , plus vite que \u00e7a, apr\u00e8s ce malencontreux incident, nous fusons de plus belle vers nos missions respectives. Et ma foi, malgr\u00e9 cela, (ou gr\u00e0ce \u00e0 cela , on ne sait plus) , je crois bien qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une belle journ\u00e9e, une journ\u00e9e presque comme toutes les autres.<\/p>\n

#06 Fa\u00e7on d’aborder le monde par la main<\/h3>\n

suite autobiographique<\/i><\/p>\n

Boulevard Lefebvre, parfois aussi Boulevard Brune, et aussi vers le Parc- Montsouris. Quel \u00e2ge, pas moins de 7 et moins de 10. Durant les vacances, j\u2019allais aider grand-p\u00e8re. On partait avant l\u2019aube, vers des quatre heures du matin, d\u2019abord \u00e0 quelques rues de l\u00e0 dans le 15 \u00e8me chercher la marchandise au frigo, qu\u2019il louait. Puis on chargeait, l\u2019odeur de la viande, du sang dans le petit matin, le poids des cageots, mon \u00e9tonnement chaque ann\u00e9e un peu moins de parvenir \u00e0 les soulever. Ensuite j\u2019allais m\u2019asseoir sur la banquette du J7 et grand-p\u00e8re passait la premi\u00e8re, un grand manche avec une boule noire au bout. Une odeur de sang, de plumes et de poils, de tabac froid, les soubresauts du v\u00e9hicule dans les rues alentours avant d\u2019atteindre le rev\u00eatement lisse des boulevards. On d\u00e9chargeait et \u00e0 7 heures tout \u00e9tait en place pour accueillir les premiers chalands. Souvent des vieilles et des vieux, des solitaires, des retrait\u00e9s, les samedi ou dimanche matin. Les dames avaient des mains parchemin\u00e9es au bout desquelles un grand porte-monnaie, \u00e0 fermoir dor\u00e9 s\u2019ouvrait , elles en extrayait de leurs doigts maigres et noueux des billets et aussi des pi\u00e8ces jaunes pour faire l\u2019appoint. Grand-p\u00e8re tendait alors sa grosse paluche dont chaque phalange \u00e9tait velue, touffue comme d\u2019ailleurs le bout de son nez. Il y r\u00e9coltait la manne empochait l\u2019argent sans oublier l\u2019\u00e9change, le colis qu\u2019il gardait quelques secondes de plus dans l\u2019 autre main, la vie c\u2019est comme \u00e7a mon petit pote, donnant donnant. Dans les ann\u00e9es 70 le bloc de l\u2019Est n\u2019\u00e9tait pas encore tomb\u00e9, on parlait d\u2019otages, de ponts, de brumes et de brouillard, de limousines, d\u2019agents secrets. Jusqu\u2019\u00e0 me demander parfois si grand-p\u00e8re n\u2019en \u00e9tait pas. Et avec ceci toujours le mot pour rire, pour amuser, pour qu\u2019on se souvienne — ma petite ch\u00e9rie, vous ai rajout\u00e9 un peu de mou ou de foie pour votre minou quelques nonos pour vot\u2019 Toutou et comme un petit tr\u00e9sor bien mis en valeur, ces quelques os, ces modestes carcasses et ces charmantes pattes porte- bonheur — N\u2019en donnez pas au chat non, pas de lapin, trop petits les os, dangereux, pour les boyaux. Il y avait aussi les flics qui passaient l\u00e0 par paire \u00e0 pied ou plut\u00f4t non, \u00e0 v\u00e9lo — \u00e7a me revient, un agent sp\u00e9cialement d\u00e9di\u00e9 au contr\u00f4le des march\u00e9s. Des poign\u00e9es de mains s\u2019\u00e9changeaient au dessus des poulets morts, des lapins \u00e9cartel\u00e9s, des \u0153ufs frais, et des papiers, des papiers administratifs passaient ainsi par dessus l\u2019\u00e9tal, coup de tampon par ci, griffe tremblotante par l\u00e0, prouvant, autorisant, indiquant que tout \u00e9tait bien en r\u00e8gle. Et quand celui-l\u00e0 \u00e9tait pass\u00e9, grand-p\u00e8re avait l\u2019air bien soulag\u00e9. Il calait une cigarette entre ses l\u00e8vres , pla\u00e7ait une main en coupe contre le vent, les pluies, les al\u00e9as, les vicissitudes de la vie et battait le briquet, un briquet plaqu\u00e9 or qu\u2019on recharge soi-m\u00eame avec une de ces longues cartouches de gaz. L\u2019odeur du tabac se m\u00ealant \u00e0 l\u2019odeur de la viande, \u00e0 l\u2019odeur des passant, des effluves d\u2019apr\u00e8s rasage, de parfums bon march\u00e9, \u00e0 l\u2019odeur de la rue, des gaz d\u2019\u00e9chappement, et au printemps aussi \u00e0 l\u2019odeur du printemps frais voltigeant dans l\u2019air froid et bleut\u00e9 voguant vers le fait des immeubles, par dessus les immeubles, les balcons, l\u2019odeur de l\u2019azur frais du matin. Je crois finalement que c\u2019\u00e9tait 1969, on venait de dire non \u00e0 De Gaule et cet \u00e9t\u00e9 l\u00e0 un homme marcherait sur la Lune. Enfin, \u00e0 l\u2019automne, les am\u00e9ricains reviendraient du Vietnam. Il y aurait encore des mains avec des mouchoirs qu\u2019on agite, des embrassades, des \u00e9treintes. On se reposerait un peu avant de recommencer encore de plus belle, presque pareil, en faisant croire que tout est diff\u00e9rent.<\/p>\n

Grand p\u00e8re avait l\u2019\u0153il pour voir la g\u00e8ne et ne le montrait pas ostensiblement, par \u00e9l\u00e9gance, il ajoutait quelques \u0153ufs de plus, une cuisse, quelques foies, des g\u00e9siers, deux trois cous ou croupions , suivant l\u2019anciennet\u00e9 des chalands et parfois m\u00eame sans. Au bistrot proche avec les copains, Totor notamment le marchand de l\u00e9gumes, il fumait et buvait apr\u00e8s le casse-croute de 10 h le matin. La moiti\u00e9 d\u2019un pain de 4 bourr\u00e9 \u00e0 ras de p\u00e2t\u00e9, salade, omelette fromage, cornichons. On me h\u00e9lait de loin pour venir boire une grenadine, je regardais en l\u2019air, c\u2019\u00e9tait pour la plupart tous des g\u00e9ants. L\u2019argent, les verres, les poign\u00e9es de main. C\u2019\u00e9tait un spectacle continu, genre au cirque les acrobates et funambules. Puis le boulot reprenait, hachoir et billot , emballage des volailles dans du papier glac\u00e9, plusieurs feuilles, on ne comptait pas, ni le sac en plastique, parfois deux, et maint cabas baillaient, s\u2019ouvraient \u00e9bahis et l\u2019on pouvait voir dedans ce que les clientes avaient d\u00e9j\u00e0 d\u00e9pens\u00e9 environ, de carottes de patates, un ou deux brin de c\u00e9leris trois oignons chez Totor en face, qui nous regardait faire les deux mains bien cal\u00e9es sur les hanches avec son tablier de cuir en peau de Dahu il disait. Il voulait me couper les oreilles en pointe chaque dimanche boulevard Brune. Mais comment qu\u2019il aurait pu, impossible vu qu\u2019il n\u2019avait qu\u2019un bras, qu\u2019une main qu\u2019il avait laiss\u00e9 l\u2019autre dans les Aur\u00e8s en Alg\u00e9rie. Mais \u00e7a flanquait tout de m\u00eame bien la trouille, on ne sait plus trop pourquoi quoi \u00e0 partir de l\u00e0, d\u2019avoir les oreilles en pointe ou bien \u00e0 propos de la vie en g\u00e9n\u00e9ral. Des gestes de la main pour dire je te vois je t\u2019ai vu au revoir, de petits gestes dus \u00e0 la cohue au brouhaha du march\u00e9, si on ne gueule pas ici on n\u2019est pas entendu, et parfois on pr\u00e9f\u00e8re cela, en douce en parall\u00e8le, des discours de sourd-muet et qui nous vont tr\u00e8s bien, l\u2019esbrouffe \u00e9tant souvent plus faite pour gagner seulement sa vie qu\u2019autre chose, ici.<\/p>\n

#07 La voie du jet d’eau<\/h3>\n

Je passe l\u2019apr\u00e8s-midi au Jardin du Luxembourg. Quand il ne pleut pas, je pars de Ch\u00e2teau-Rouge \u00e0 pied et j\u2019\u00e9vite le plus possible les grands axes. C\u2019est comme \u00e7a que je parviens, en une petite heure (environ) au bassin, que je tire une chaise verte en fer et que je m\u2019y assois tout en cherchant du regard le jet d\u2019eau au centre du bassin. Avec l\u2019habitude —vous devriez penser que ce n\u2019est qu\u2019une simple habitude— une habitude comme les autres, et m\u00eame une habitude bizarre, ne le sont-elles pas toutes — vous devez bien s\u00fbr penser que tout \u00e7a doit avoir un sens. Sinon ce serait insens\u00e9. C\u2019est insens\u00e9. Vous devriez commencer par l\u00e0. Asseyez-vous donc un instant , regardez le jet d\u2019eau. Vous devez \u00eatre attentif aux divers ondulations du jet d\u2019eau. Stop, arr\u00eatez. Vous ne devriez pas laisser filer votre imagination, en aucun cas il ne s\u2019agit ici de r\u00eaverie. Trop tard, vous vous \u00eates fait avoir. Ce que vous voyez est une danse du ventre, mais c\u2019est une fausse piste, d\u00e9j\u00e0 explor\u00e9e, vous devez vous en \u00e9cartez doucement— c\u2019est insens\u00e9 rappelez-vous. Ecartez donc au loin, encore plus loin, sans brusquerie, ne riez pas non plus, ne m\u00e9prisez pas cette image de danseuse du ventre avec un diamant log\u00e9 dans le nombril. Vous ne devriez pas . Et Plus vite ce sera fait mieux \u00e7a sera. Et revenez, revenez, vous devriez assez vite revenir \u00e0 la question principale, primordiale. Bien s\u00fbr. C\u2019est \u00e9vident. Vous devriez imaginer cette question comme un axe. Pourquoi passer ainsi son apr\u00e8s-midi quand il ne pleut pas \u00e0 contempler ce fichu jet d\u2019eau. Vous ne devriez pas non plus vous acharner \u00e0 vouloir le comprendre comme on tente de r\u00e9soudre une \u00e9quation math\u00e9matique, je veux dire avec cette urgence perp\u00e9tuelle que l\u2019incompr\u00e9hensible, l\u2019effroyable, installent en soi. Il ne s\u2019agit pas d\u2019\u00e9prouver cette trouille. Laissez tomber. Non, laissez vous donc plut\u00f4t filer, vous devriez vous d\u00e9tendre, respirer, une deux, une deux, vous devriez tenter ou t\u00e2cher— sans pour autant vous acharner— de ne penser \u00e0 rien. Voil\u00e0. Ne pensez donc \u00e0 rien du tout. Vous vous y \u00eates presque. \u00e7a y est. Maintenant, vous devez avoir plant\u00e9 votre regard sur le jet d\u2019eau et ne penser \u00e0 strictement rien. Vous ne pensez plus \u00e0 rien. Vous sentez \u00e0 quel point vous aimeriez devenir, \u00e7a suffit. Vous \u00eates ce jet d\u2019eau. Oh mais bien s\u00fbr , vous devez penser que j\u2019exag\u00e8re, vous devez vous dire —ce type est compl\u00e8tement maboul. Pauvre type. Vous devez vous sentir tellement diff\u00e9rent de ce pauvre bougre qui perd son temps \u00e0 observer un jet d\u2019eau toute une apr\u00e8s-midi. Le dos au S\u00e9nat. Et pourtant, ( pardonnez-moi d\u2019insister ) , vous devriez y songer, vous devriez voir que vous faites strictement la m\u00eame chose de votre c\u00f4t\u00e9. Ne le voyez vous donc pas. Vous devriez<\/p>\n

#08 Description d’une trempe<\/h3>\n

On est l\u00e0 \/ toujours l\u00e0\/ il ou elle sont l\u00e0\/ plus l\u00e0 \/ c\u2019est pas la paix \/ c\u2019est pas la guerre \/ c\u2019est autre chose\/ c\u2019est quelqu\u2019un \/ qui ? \/ c\u2019est lui ? c\u2019est elle ? \/ on ne sait jamais \/un coup-ci un coup-l\u00e0\/ cou\u00e7i-cou\u00e7a\/ sans raison \/ un coup oui un coup non \/ ici et l\u00e0\/ viens ici \/ fous le camp \/ le coup peut surgir \/ il surgit toujours \/ de n\u2019importe o\u00f9 \/ on a la trouille\/ au ventre\/ n\u2019importe o\u00f9 \/ n\u2019importe quand \/ pif ! \/ paf ! \/ bam ! \/ la gifle\/ la claque\/ la beigne\/ la bugne\/ la ch\u00e2taigne\/ le ramponneau\/ la baffe\/ la branl\u00e9e\/ l\u2019arrache-c\u0153ur\/ la ceinture\/ le fouet\/ la trempe\/ Il ou elle est l\u00e0\/ De tout son poids \/ pur\u00e9e de pois \/pot aux roses\/ pot pourri \/ p\u00eale-m\u00eale\/ odeur de sueur \/ de fer \/ de peau \/ haleine\/ oignon et ail \/ averse ou giboul\u00e9e de poings\/ il ou elle donne \/ on prend\/ on d\u00e9guste\/ on encaisse\/ on tombe\/ on s\u2019allonge\/ on est tout en bas \/ tout nu \/ au sol \/ on s\u2019\u00e9vanouit \/ plus rien \/ n\u00e9ant \/ nada \/ que tchi \/ z\u00e9ro \/ nul nul nul \/ aille ! \/ ouille ! \/ non dit la dame\/ pas la t\u00eate. Bim ! \/ achev\u00e9.<\/p>\n

On n\u2019est plus l\u00e0\/ tout est noir\/ n\u00e9ant\/ big-bang\/ \u00e7a revient\/ on est l\u00e0\/ encore\/ , de rien \u00e0 quelque chose \/ \u00e0 neuf \/ de nouveau \/ cochon \/ veau \/ dindon \/ caca de chez caca \/ \u00e0 se r\u00e9veiller, \u00e0 ramper, \u00e0 vouloir se r\u00e9veiller\/ sans toujours bien y arriver \/ \u00e0 recommencer\/ ou pas\/ tout au contraire\/ \u00e9cumer de rage\/ \u00e9cumer de triste \/ si triste\/ de la tristesse piper une \u00e9nergie\/ qui d\u00e9borde par les yeux\/ car obstin\u00e9\/ t\u00eatu \/ \u00e0 toujours vouloir regarder \/ toujours vouloir voir\/ la main\/ la main\/ la main \/ manifestement la main \/ avec les doigts, les poils sur les phalanges \/ le rouge du vernis \u00e0 ongle \/ puis le poignet \/ la manche \/ le bras \/ le corps\/ ne pas remonter vers la t\u00eate trop vite \/ le visage\/ les yeux \/ plut\u00f4t voir la toute petite asp\u00e9rit\u00e9 \/ sur le carrelage \/ le mur \/ le plafond\/ se fixer tout entier \u00e0 un tout petit clou qui d\u00e9passe \/ vouloir s\u2019accrocher \u00e0 quelque chose\/ quand m\u00eame\/ ou pas\/ \u00e0 un pied de table \/ chaise \/ une paroi \/ un mur\/ \u00e9chec\/\u00e9chec\/\u00e9chec\/ pim ! \/ pam ! \/ poum ! \/ on manque d\u2019appui \/ ou pas \/ on retrouve le fichu aplomb \/ en invente un \/ au besoin \/ pour se relever\/ vite vite vite encore aller \/ plus vite \/ ton aplomb \/ aller petit soldat de mousse \/ il faut se relever\/ tu ne vas pas rester comme \u00e7a \/ \u00e7a serait bien le pompon \/ le comble\/ tu vas te relever dis \/ tu m\u2019entends \/ Il va se relever ce petit con ? \/ tu m\u2019\u00e9coutes \/ aller fais pas semblant \/ on se rel\u00e8ve\/ \u00e7a y est \/ voil\u00e0 \/ t\u2019es un homme ou pas \/ encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore\/ c\u2019est comme \u00e7a\/ voil\u00e0 \/ enfin \/ on y est \/ on s\u2019est relev\u00e9 \/ bien tout chiffonn\u00e9\/ \u00e0 se d\u00e9plier les muscles\/ les nerfs\/ les veines et veinules\/ \u00e0 num\u00e9roter ses abattis \/ tellement qu\u2019on a mal on n\u2019a plus mal \/ groggy\/ \u00e7a tangue\/ mal au c\u0153ur \/ naus\u00e9es \/ beurk ! beurk ! beurk ! \/ mais quand m\u00eame ouf ! \/ c\u2019est pass\u00e9 \/ grand grand grand soulagement dans la maisonn\u00e9e\/ on s\u2019est bien aimer\/ on a appris \u00e0 vivre \/ hum ! le fabuleux vivre ensemble \/ on en a eu \u00e0 la pelle \u00e0 tarte des tartes \/ c\u2019est comme \u00e7a \/ faut les dresser n\u2019est-ce pas \/ pas de rustine \u00e0 y remettre\/ Vive la R\u00e9publique\/ Vive la France\/ Marche ou cr\u00e8ve.<\/p>\n

#09 Gravure et grattage<\/h3>\n

Le verbe « graphein » en grec qui pourrait se rapprocher phon\u00e9tiquement de graver : la ligne, le dessin d\u2019un mot, une suite iconographique que l\u2019on nommera phrase, l\u2019\u0153il et la main \u00e0 l\u2019\u0153uvre, peut importe le but, noble ou trivial qui eux viennent de la t\u00eate ensuite. On grave pour se souvenir du nombre de moutons, de brebis, pour se souvenir du nom de celui qui est allong\u00e9 dans la tombe ( grave en anglais) On a marqu\u00e9 l\u2019endroit de celle ou celui qui se trouve \u00e0 l\u2019envers du monde, au-del\u00e0. Dans l\u2019 ICI-G\u00eet.<\/p>\n

La plupart du temps, il s\u2019agit de laisser venir quelque chose puis, le voyant passer, l\u2019\u00e9crire, pour se dire je vais peut-\u00eatre ainsi m\u2019en souvenir, ou dire \u00e0 quelqu\u2019un j\u2019ai vu passer quelque chose, c\u2019est peut-\u00eatre un lapin, une tourterelle, deux amoureux, un assassin, une vip\u00e8re cornue, une automobile de luxe, un clown sur un v\u00e9locip\u00e8de, un ministre en tutu rose. Mais cette chose bien qu\u2019on veuille l\u2019attraper, (d\u2019o\u00f9 le geste) le grattage de fox terrier dans la terre meuble du clavier, de la page, de l\u2019id\u00e9e,« \u00e7a se carapate », se cache dans les pages d\u2019un dictionnaire, dans le fait de se rassurer \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 le voir l\u00e0, immobile et « noir sur blanc » . J\u2019ai vu passer un lapin blanc tr\u00e8s affair\u00e9, je lui ai demand\u00e9 l\u2019heure il m\u2019a envoy\u00e9 bouler. Le geste se froisse, se recroqueville dans des mots mono ou duo syllabiques : con connard salaud cr\u00e9tin. De l\u00e0 l\u2019expression lapin cr\u00e9tin, s\u00fbrement.<\/p>\n

Attraper le porte-plume, pas de marque, pas de diff\u00e9rence, on a tous les m\u00eames plus des plumes et ( \u00e9vite le c\u00f4t\u00e9 vieux combattant, Sergent-Major) et de l\u2019encre dans un encrier qui est violette. On trempe la plume dans l\u2019encrier et on fait attention de ne pas t\u00e2cher la feuille lign\u00e9e du cahier. On trace une lettre en tirant la langue et puis pour faire s\u00e9cher on peut utiliser un buvard qui boit comme un trou l\u2019encre comme l\u2019ami Pierrot boit du pinard. On a le droit d\u2019\u00e9crire \u00e0 partir de la ligne rouge \u00e0 gauche. Avant non, c\u2019est une partie r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 la ma\u00eetresse, au ma\u00eetre pour faire des commentaires, mettre une note, on conna\u00eet pas encore les likes \u00e0 ce moment l\u00e0.<\/p>\n

La lettre la plus difficile \u00e0 \u00e9crire \u00e0 la plume est dans doute le<\/p>\n

s<\/h3>\n

chez moi, il manque souvent la barre oblique, la petite pente pour parvenir au sommet du s. Il parait que c\u2019est un lien parental manquant de ne pas mettre d\u2019oblique au s<\/p>\n

S ainsi que les hommes vivent<\/h3>

avec tous ces serpents qui<\/h3>

sifflent sur leurs t\u00eates.<\/h4>\n

Il me fallait une Remington absolument. A cause des am\u00e9ricains. Je ne pourrai jamais \u00eatre \u00e9crivain si je n\u2019ai pas une Remington. Il me fallait une Remington. J\u2019en trouvai une par un dimanche pluvieux de l\u2019ann\u00e9e 1990, au march\u00e9 aux puces de la Porte de Vanves. Elle pesait le poids d\u2019un \u00e2ne mort. Je l\u2019emportai vers mon cinqui\u00e8me sans ascenseur. Je la d\u00e9ballai comme on d\u00e9balle une fille, avec pas trop de pr\u00e9caution quand m\u00eame. J\u2019\u00e9tais si press\u00e9. Et heureux ; \u00e7a y \u00e9tait j\u2019\u00e9tais un \u00e9crivain am\u00e9ricain, je poss\u00e9dais enfin ma Remington. Ensemble nous allions beaucoup nous aimer, nous ferions beaucoup d\u2019enfants. Mais en fait c\u2019\u00e9tait m\u00eame pas vrai. Il y avait des touches qui restaient coinc\u00e9es, tout \u00e9tait rouill\u00e9. C\u2019\u00e9tait une vieille machine m\u00e9nopaus\u00e9e et st\u00e9rile. Du coup j\u2019\u00e9crivis des phrases \u00e0 trou, je devins cruciverbiste, fabricant de mots m\u00eal\u00e9s et de puzzles. Le soir je la remisais dans sa boite ma Remington comme on enterre ses morts de la journ\u00e9e. Et le lendemain hop ! tout recommen\u00e7ait. J\u2019aimais sa vieille voix \u00e9raill\u00e9e, son rire de sorci\u00e8re \u00e9dent\u00e9e. Je ne me souviens m\u00eame plus o\u00f9 je l\u2019ai abandonn\u00e9e, dans quel taudis, quelle piaule d\u2019h\u00f4tel dont je n\u2019arrivais pas \u00e0 payer le terme.<\/p>\n

Les petits carnets Clairefontaine donne l\u2019impression d\u2019avoir beaucoup de choses \u00e0 \u00e9crire \u00e0 la terrasse des caf\u00e9s quand il fait beau que les femmes sont belles et que toi t\u2019es moche. Tu ouvres ton petit carnet Clairefontaine au d\u00e9but pour te cacher, puis tu finis par explorer tout le vide qu\u2019il contient. A la fin du \u00e9cris juste la date puis tu h\u00e8les la fille le gar\u00e7on s\u2019il te plait l\u2019addition.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que c\u2019est plus facile dans un parc, assit sur un banc public. Tu sors ton petit carnet Clairefontaine ( reliure en tissu, \u00e7a ne se fait plus ) et petits carreaux attention, ton feutre \u00e0 pointe fine. Tu retombes sur la date du jour et un gamin passe en te regardant comme si tu \u00e9tais une statue. Tu ne bouge pas tu attends que \u00e7a se passe. Tu ne respires m\u00eame pas. Ouf \u00e7a y est tu es redevenu invisible. toi tu vois tout mais personne ne te voit. \u00e7a offre quelques avantages, et presque aucun inconv\u00e9nient. D\u2019ailleurs, qu\u2019est ce que tu attends pour l\u2019\u00e9crire sur ton petit carnet Clairefontaine.<\/p>\n

Des fois sur mon carnet, je n\u2019ai pas d\u2019id\u00e9e, juste des num\u00e9ros de t\u00e9l\u00e9phone que je note quand \u00e7a tombe ( grave ). Ou des adresses de boites d\u2019int\u00e9rim. Cercueils de ma jeunesse dissip\u00e9e. Ou encore la somme que je dois \u00e0 la banque. Des calculs \u00e0 n\u2019en plus finir, Perrette et le pot au lait, bien compliqu\u00e9s. Des serpents qui se mordent la queue. Ou encore je dessine des vieilles femmes qui prom\u00e8nent des petits chiens. Tr\u00e8s excitant. Mais le plus souvent je gribouille, toute une intrications de lignes, un sac de n\u0153uds. Pas conserv\u00e9 grand-chose de tout \u00e7a. C\u2019est que \u00e7a n\u2019en valait pas le coup. Pas la peine de le regretter.<\/p>\n

J\u2019ai essay\u00e9 une fois le fameux stylo plume. Mais pas assez soigneux, ses cartouches se vidaient au fond de mes poches. Et puis pas assez patient non plus pour que la plume se fasse, et une fois faite catastrophe : je l\u2019\u00e9crabouillais quand je l\u2019oubliais dans la poche arri\u00e8re de mes jeans. Crac ! Prends donc le bus avec de l\u2019encre plein les fesses ensuite.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui j\u2019\u00e9cris sur l\u2019\u00e9diteur de wordpress le plus souvent. Mon nouveau blog n\u2019est pas meilleur que le pr\u00e9c\u00e9dent. Le prochain ne sera sans doute pas \u00e7a non plus. Mais je m\u2019en fous. Ecrire c\u2019est comme manger c\u2019est le seul plaisir qu\u2019il nous reste quand tous les autres nous ont abandonn\u00e9. Ce n\u2019est pas de moi, \u00e9videmment, c\u2019est du d\u00e9tourn\u00e9, du Brillat-Savarin. Donc je tape sur un clavier plus silencieusement plus souplement qu\u2019autrefois sur ma Remington. Le geste d\u2019\u00e9crire m\u2019est n\u00e9cessaire, comme d\u2019autres ont besoin de faire un footing, moi j\u2019ai besoin de me d\u00e9gourdir les doigts. Est ce que ce que j\u2019\u00e9cris est litt\u00e9raire, aucune id\u00e9e. Et \u00e0 vrai dire je m\u2019en fous.<\/p>\n

Ado j\u2019aurais voulu moi aussi \u00eatre musicien, je grattais les cordes de cette guitare pour laquelle j\u2019avais su\u00e9 tout un \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que gratter est une chose profond\u00e9ment humaine, \u00e7a ne nous distingue que tr\u00e8s peu du chien ou de la taupe dans le fond. Sauf que nous grattons souvent \u00e0 c\u00f4t\u00e9, dans une irr\u00e9alit\u00e9 extraordinaire des choses absconses, fumeuses, on appelle \u00e7a la culture parfois. On gratte ainsi les choses comme de vieilles croutes aux genoux pour raviver la douleur de peur de devenir fant\u00f4me comme elle devenue fant\u00f4me. On ne peut pas y faire grand chose. C\u2019est comme \u00e7a.<\/p>", "content_text": "{{{#01 Ernaux, \u00e0 cause de la couleur}}} A cause de la couleur cette ann\u00e9e l\u00e0\u2014 1975\u2014 une couleur chaude entre l\u2019orange la terre de Sienne l\u2019ocre et toutes nuances, tons, valeurs se heurtant, s\u2019\u00e9pousant et se heurtant encore \u2014au froid bleu du ciel, aux reflets de turquoise de la mer vineuse\u2014 mais qui ne sont pas plus d\u00e9sormais qu\u2019 une photographie jaunie semblable \u00e0 toutes ces autres photographies servant autrefois de lanceurs, de supports \u2014 provenant d\u2019Estonie, mais dans lesquelles un petit bout d\u2019\u00e9tranget\u00e9 scintille sourd comme tout ce qu\u2019on ne peut dire, qui est l\u00e0 et qu\u2019on ne peut pas dire\u2014 mais qu\u2019en reste t\u2019il vraiment, \u00e0 part ce que nous voyons encore dans le pr\u00e9sent dans ce pr\u00e9sent m\u00eame o\u00f9 l\u2019on se souvient de cette \u00e9ternit\u00e9 v\u00e9cue. Des gestes, des voix, des odeurs, des joues effleur\u00e9es, des corps \u00e9treints, le go\u00fbt des mets, l\u2019impression laiss\u00e9e par les ambiances travers\u00e9es, celles qui nous traversent que nous traversons. A cause de la couleur alors celle que peut prendre notre adolescence \u00e0 ce moment-l\u00e0 et encore ici, bien apr\u00e8s 1975, et cependant ne pas y sombrer, mais revenir dans la danse, spectateur et danseur, juste un instant, un petit moment pour \u00eatre l\u00e0, cette ann\u00e9e l\u00e0 1975, ce jeune type sur la photographie. \u00c0 cause de la couleur des derniers rayons de soleil qui s\u2019infiltrent entre les maisons et les ruelles de Meta di Sorrento pendant que le village s\u2019habille de teintes d\u2019or et de pourpre que les habitants comme anim\u00e9s par une force invisible se m\u00ealent dans les rues que les voix s\u2019\u00e9l\u00e8vent que les rires des enfants rebondissent sur les murs de pierre que les vespa vrombissent dans les pentes et que les marchands annoncent leurs derni\u00e8res offres du jour comme pour rire tandis que les odeurs de la mer, moules huitres, poissons et coquillages se m\u00ealent \u00e0 celle des citronniers se m\u00ealent aux saveurs d\u2019olive de basilic qu\u2019en une trame soudain pr\u00e9sente, enivrante mais qui tremble et s\u2019\u00e9vanouit doucement \u00e0 mesure que l\u2019ombre s\u2019\u00e9tend et que le soir s\u2019abat sur le village \u2014une autre sc\u00e8ne se d\u00e9ploie dans les ruelles ici et l\u00e0 les jeunes se r\u00e9unissent, devant les grilles de la grande b\u00e2tisse, une petite troupe joyeuse et insouciante qui soudain s\u2019\u00e9gaille leurs pas les portent si naturellement vers la boutique du fromager \u2014ce lieu o\u00f9 elle nous m\u00e8ne, cette femme aux beaux yeux en amande, vers cette lumi\u00e8re dor\u00e9e, ce point de ralliement, une escale apr\u00e8s le lent et doux tumulte de la journ\u00e9e Que les gestes ici ressemblent comme deux gouttes d\u2019eau aux gestes de l\u00e0-bas, on ne le voit pas bien s\u00fbr, l\u2019exotisme nous aveugle, l\u2019excitation du nouveau nous embrume. A moins que ce ne soit encore qu\u2019un principe de la vieillesse de ne plus s\u2019attacher qu\u2019aux ressemblances, au vraisemblable. Une sorte d\u2019abdication dans le semblant ou le semblable. mais en attendant, observe tout cela et comment tes yeux s\u2019attardent sur les gestes r\u00e9p\u00e9titifs des femmes des hommes autour de toi, la grand-m\u00e8re dans sa cuisine \u00e9queutant les tomates cerises avec un savoir-faire ant\u00e9diluvien tout comme celui de ces m\u00e8res tressant les cheveux des filles sous les platanes et bien s\u00fbr le mouvement, oscillatoire, rappelant le vent dans les bambous celui de ces types jouant aux bocce sur la place du village \u2014leurs gestes pr\u00e9cis et rythm\u00e9s par le jeu et leurs discussions anim\u00e9es autour d\u2019un verre de limoncello ( clic clac clich\u00e9) Ne sont-ce pas les m\u00eames gestes que tu vois depuis toujours dans tous les lieux, entre tous les murs, sous tous les toits. Toute ce qui apparait faussement \u00e9trange \u00e0 premi\u00e8re vue avant de sombrer t\u00f4t ou tard dans l\u2019Histoire et son horizon infranchissable de d\u00e9j\u00e0 vu. L\u2019avantage sans doute de se tenir l\u00e0, \u00e0 ce moment l\u00e0 , \u00e0 la lisi\u00e8re de l\u2019enfance et de l\u2019\u00e2ge adulte et d\u2019observer ces rituels immuables, ces gestes qui tissent le quotidien, toutes ces actions si simples et pourtant si charg\u00e9es de significations, de liens invisibles qui unissent les gens de Meta di Sorrento entre eux, mais pas seulement, \u00e0 tout ce qui en toi peut encore peut porter le nom d\u2019humanit\u00e9. Te voici un vieux comme disent les jeunes, comme toi tu le disais aussi jadis quand tu \u00e9tais l\u2019un des ces jeunes \u2014 les vieux. dans la fromagerie peut-\u00eatre \u00e0 cause de lui, le fromager\u2014 un homme \u00e0 la stature pas bien imposante, presque malingre, mais au regard noir et vif et cependant tellement bienveillant et dont les mains comme des oiseaux arm\u00e9es de plumes tranchantes d\u00e9coupe avec g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 des morceaux de fromage pour nous les offrir\u2014 il les pr\u00e9sente au bout du couteau, il les offre comme on offre le plus pr\u00e9cieux, sa candeur, mais sans d\u00e9monstration comme si tout \u00e7a \u00e9tait naturel, normal \u2014 ce bout de fromage comme un drapeau, un hymne, dans la nuit tout autour, bien au del\u00e0 de l\u2019\u00e9picerie , la nuit dans laquelle on peut se retrouver quand on songe au pass\u00e9, \u00e0 tous nos morts, tout \u00e7a bizarrement rassembl\u00e9 l\u00e0 dans un simple bout de fromage, dans une ambiance laiteuse et beurr\u00e9e \u2014 sourires, \u00e9motions, partage\u2014 on en rit avec du fromage plein la bouche on en rigole, on pourrait bien en pleurer mais non on discute, le fromager raconte des histoires prenant comme pr\u00e9texte chaque type de fromage, son origine, son appellation, sa fabrication, des histoires qui semblent faire partie int\u00e9grante de la culture du village et je pense au monde, \u00e0 la plan\u00e8te Terre qui n\u2019est plus si ronde, au derni\u00e8re nouvelle en forme de poire. Et tout \u00e7a \u00e0 cause du gout de la poire m\u00e9lang\u00e9 \u00e0 celui du parmigiano.. mais qui m\u2019expulse soudain me fait \u00e9prouver encore de fa\u00e7on plus cruelle plus aig\u00fce ma propre \u00e9tranget\u00e9 au sein m\u00eame de toute cette \u00e9tranget\u00e9 m\u00e9diterran\u00e9enne, sans me tromper sur la planque dont l\u2019\u00e9tranget\u00e9 se sert \u00e0 travers des adjectifs. du regard suivre encore durant un instant fugace ce morceau de fromage de la pointe du couteau glissant dans l\u2019air puis disparaitre, englouti entre les l\u00e8vres de cette femme qui nous conduit ici et en \u00e9prouver encore le m\u00eame d\u00e9sir\u2014 \u00e0 moins que ce ne soit \u00e2me d\u00e9funte ce fant\u00f4me de d\u00e9sir \u2013 Mais plut\u00f4t et soudain vite\u2014une issue pour s\u2019enfuir. Le d\u00e9sir tr\u00e8s semblable \u00e0 ce moment-l\u00e0 \u00e0 la poudre d\u2019escampette. Prendere la polvere di scampo une confusion douce, et ce vieux sentiment retrouv\u00e9 du nouveau du troublant, l\u2019air s\u2019est empli d\u2019\u00e9lectricit\u00e9, le bruit, le rythme des d\u00e9coupes du fromage le couteau heurtant la planche de bois , le bruit du papier froiss\u00e9, des conversations anim\u00e9es, les effluves de fromage affin\u00e9 se m\u00ealent aux ar\u00f4mes du pain frais et du basilic. Ensuite nous marcherons longtemps dans les rues en pentes, le silence nous cueillera quand nos hanches se fr\u00f4leront. A cause de la couleur s\u00e9pia du souvenir, \u00e0 cause du fromage qui ici \u00e0 une texture semblable \u00e0 celle de la p\u00e2te sabl\u00e9e sur la langue, et les odeurs d\u2019iode de basilic\u2026mais \u00e7a suffit. {{{ #02 La barre fixe}}} De l\u2019\u00e2ge de 12 ans \u00e0 15 ans, il est pensionnaire dans le priv\u00e9. L\u2019institution Saint-Stanislas, \u00e0 Osny, pr\u00e8s de Pontoise. Une sorte de ch\u00e2teau avec un grand parc et un petit bief, la Viosne. Au milieu du parc un bassin circulaire rempli d\u2019eau et, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des installations sportives de plein air. Il regarde les grands \u00e9voluer \u00e0 la barre fixe et \u00e7a lui donne envie de faire pareil. Cette aisance, cette libert\u00e9, contr\u00f4ler ainsi la gravit\u00e9, la pesanteur quelle chance. Mais on comprend vite que ce n\u2019a rien \u00e0 voir avec la chance. Il faut s\u2019entrainer voil\u00e0 tout. Et pendant trois ans, de 12 \u00e0 15 ans pas une seule journ\u00e9e ne passe sans qu\u2019il ne se rende \u00e0 chaque interclasse \u00e0 la barre. Les weekend \u00e9galement, et parfois durant les vacances scolaires, avec une d\u00e9rogation sp\u00e9ciale fournie par le recteur de l\u2019\u00e9tablissement, expliquant \u00e0 ses parents que son comportement patati patata ne permet pas\u2026 bref. Il s\u2019entraine assidument\u2014 \u00e7a et p\u00eacher avec des agrafes des \u00e9pinoches dans la Viosne, et puis aussi sortir autant qu\u2019il peut des limites pour aller construire avec deux copains un radeau. On r\u00eave de s\u2019enfuir par tous les moyens. Et maintenant qu\u2019il y repense la barre fixe aussi est un moyen. Au d\u00e9but il faut apprendre \u00e0 hisser le poids de son corps \u00e0 la seule force des bras. Rien de simple l\u00e0-dedans, la traction r\u00e9ussie ne s\u2019improvise pas. Il y a une fa\u00e7on d\u2019agripper la barre en retournant les paumes des mains et qui n\u2019est pas naturelle\u2014 \u00e7a ne coule pas de source . De plus, la barre \u00e9tant \u00e0 une certaine hauteur, il faut sauter pour l\u2019attraper. Donc on s\u2019entraine sur deux choses \u00e0 la fois, apprendre \u00e0 bien sauter pour atteindre la barre, puis une fois qu\u2019on la tient hisser le poids du corps d\u2019une fa\u00e7on bizarre au d\u00e9but mais qui devient \u00e9vidente \u00e0 la fin. Il lui faut bien une ann\u00e9e pleine pour parvenir \u00e0 enchainer plusieurs tractions. C\u2019est douloureux, mais on apprend \u00e0 aimer repousser les limites \u00e0 supporter la frustration d\u2019abord, puis la souffrance et m\u00eame \u00e0 la fin \u00e0 l\u2019appr\u00e9cier. Chose qu\u2019il rejette cat\u00e9goriquement quand il s\u2019agit par exemple de courir autour d\u2019un stade\u2014 il trouve cela stupide. Au bout d\u2019une ann\u00e9e il parvient \u00e0 enchainer plusieurs tractions \u00e0 la suite, peut-\u00eatre une vingtaine sans exag\u00e9rer. On peut passer \u00e0 l\u2019\u00e9tape suivante. Lever les jambes et effectuer un r\u00e9tablissement pour se retrouver tout en haut avec la barre plaqu\u00e9e sur le ventre. Ici on appelle cette figure l\u2019allemande . Toute une ann\u00e9e encore pour s\u2019approprier l\u2019allemande de fa\u00e7on correcte, c\u2019est \u00e0 dire \u00e9l\u00e9gante. Car on peut bien sur y parvenir, au d\u00e9but par chance, ou par hasard mais \u00e7a n\u2019est qu\u2019un d\u00e9but. Tout est \u00e0 retravailler dans le d\u00e9tail ensuite, la position des pieds, des jambes, effectuer donc cette fichue traction, celle qui, dans l\u2019enchainement g\u00e9n\u00e9ral, produit la bonne impulsion pour continuer avec le mouvement des reins et ainsi lever les jambes, jusqu\u2019\u00e0 se retrouver la t\u00eate en bas, et enfin\u2014 victoire : le r\u00e9tablissement final. Les anciens finissent par partir et on devient soi-m\u00eame l\u2019ancien apr\u00e8s trois ans. C\u2019est la loi des choses ici comme partout. Le demi soleil est une chose, le grand soleil une autre. Il faut encore beaucoup d\u2019entrainement pour y arriver. Puis aussi, il faut innover un peu, laisser sa trace, un souvenir pour les bleus qui arrivent comme on est arriv\u00e9 l\u00e0 au d\u00e9but bouche b\u00e9e, avec des envies plein les yeux. D\u00e9couverte fortuite d\u2019une figure bizarre. On se laisse aller en arri\u00e8re et on n\u2019est plus retenu que par le creux des genoux. Un mouvement de pendule qui emporte le buste \u00e0 l\u2019horizontale c\u00f4t\u00e9 oppos\u00e9 et l\u00e0 on se d\u00e9croche de la barre pour tomber droit comme un i sur le sable. Bouche b\u00e9e les nouveaux. Et peut-\u00eatre qu\u2019avec un peu de chance, deux ou trois ans encore apr\u00e8s on se souviendra de cette figure bizarre invent\u00e9e par le c\u00e9l\u00e8bre B. On ne dira pas combien de fois il est tomb\u00e9 face contre sol avant d\u2019y parvenir, on ne dira pas non plus ce que lui a cout\u00e9 l\u2019entrainement \u00e0 la barre fixe. On ne garde qu\u2019un vague souvenir dans la r\u00e9tine, un petit \u00e9blouissement, suffisant pour que les choses se perp\u00e9tuent, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elles s\u2019arr\u00eatent, qu\u2019on passe \u00e0 autre chose. {{{# 03 Chez le coiffeur}}} Je suis chez le coiffeur, peut-\u00eatre celui qui est \u00e0 l\u2019angle de la rue du Puits sans Tour, assis sur ce dr\u00f4le de fauteuil. Le jeune type, ce n\u2019est pas le patron, mais un nouvel employ\u00e9. Il ne parle pas fran\u00e7ais, il ne sourit pas non plus. Tant mieux. Il appuie sur une p\u00e9dale pour relever le fauteuil, et attrape la tondeuse. Dans le miroir il fait une sorte de mimique en portant sa main libre \u00e0 son visage, m\u2019indiquant la barbe. Je d\u00e9cline d\u2019un mouvement de t\u00eate en regardant dans le miroir son regard qui n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus l\u00e0. Un homme derri\u00e8re est venu avec un tout jeune gar\u00e7on. \u00e7a me rappelle quand j\u2019allais chez Pille avec le grand-p\u00e8re, \u00e0 Vallon. Une petite impasse, pas tr\u00e8s loin de la scierie Carion. Des lauriers formaient une haie. Ici nous sommes loin de tout \u00e7a. La grand rue de P\u00e9age de Roussillon, sinistr\u00e9e par la centre commercial tout \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Des boutiques \u00e0 vendre ou \u00e0 louer. Et, pas moins de cinq coiffeurs. J\u2019ai test\u00e9 celui l\u00e0 il y a trois mois, j\u2019y reviens, ce qui me plait c\u2019est qu\u2019on n\u2019a pas besoin de parler, de sourire, on arrive, on n\u2019attend pas beaucoup, un coup de p\u00e9dale et hop en ressort all\u00e9g\u00e9 d\u2019une tr\u00e8s modique somme, un travail de qualit\u00e9. Je suis chez le coiffeur, peut-\u00eatre celui qui est \u00e0 l\u2019angle de la rue du Puits sans Tour, assis sur ce dr\u00f4le de fauteuil. Le jeune type est aussi r\u00e9serv\u00e9 et silencieux que la toute premi\u00e8re fois le patron de la boutique. Il ne parle pas fran\u00e7ais, sauf pour dire 14 euros, merci. Tant mieux. Il pose le pied sur la p\u00e9dale pour me relever et attrape la tondeuse. Dans le miroir il m\u2019adresse cette sorte de mimique pour me demander si oui ou non la barbe. Je d\u00e9cline d\u2019un mouvement de t\u00eate en cherchant dans le reflet son regard qui n\u2019est d\u00e9j\u00e0 plus l\u00e0. Une femme entre deux \u00e2ges est venue avec un tout jeune gar\u00e7on. \u00e7a me rappelle quand j\u2019allais chez Pille avec la grand-m\u00e8re \u00e0 Vallon. Une petite impasse \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de chez Carion, pas loin de chez monsieur le Maire, Binon. Des b\u00e9gonias dans des pots sur les margelles. Ici bien loin de tout \u00e7a. La grand rue de P\u00e9age de Roussillon, a perdu beaucoup de son lustre de jadis. Le centre commercial pas tr\u00e8s loin, toutes les boutiques \u00e0 vendre ou \u00e0 louer. Et, pas moins de cinq coiffeurs. Apr\u00e8s avoir test\u00e9 celui l\u00e0 je l\u2019ai adopt\u00e9 depuis trois mois. J\u2019y reviens. Ce qui me plait c\u2019est que c\u2019est sans chichi, tr\u00e8s silencieux, on n\u2019attend pas longtemps, un coup de p\u00e9dale et hop\u201414 euros merci\u2014et c\u2019est impeccable. {{{#04 D'un seuil \u00e0 l'autre}}} Cette proposition quatre me tanne. Dix fois que je recommence. Mais rien. C\u2019est d\u00e9solant. La difficult\u00e9 se situe dans l\u2019obstination pavlovienne de ce dialogue int\u00e9rieur \u00e0 s\u2019interposer entre les petites choses et mon regard.. Alors qu\u2019\u00e0 l\u2019origine, c\u2019est tr\u00e8s simple. L\u2019id\u00e9e est simple comme bonjour. Encore que bonjour ne soit pas toujours si simple qu\u2019on le pense. Bref. Le marcheur marche. Depuis le seuil. D\u2019un immeuble. Vers une bouche de m\u00e9tro. Voil\u00e0 le sujet qui pourrait faire 160 pages au bas mot. Mais pourquoi faut-il que l\u2019on supporte le discours int\u00e9rieur d\u2019un narrateur ce faisant. Par quoi le remplacer ce monologue. Peut-\u00eatre judicieux de d\u00e9crire, par le menu, la douleur. Car c\u2019est un angle d\u2019attaque. Le point de vue de la douleur, \u00e7a pose le personnage sans doute. Tr\u00e8s \u00e0 la mode. Alors disons que \u00e7a commence dans les chevilles pour parvenir dans les genoux. Fort \u00e0 faire d\u00e9j\u00e0 dans ce premier temps. On pourrait \u00e9taler sa science par exemple. Nommer chaque muscle de la guibole depuis le tibial ant\u00e9rieur de l\u2019avant-jambe, l\u2019extenseur des orteils, le long extenseur de l\u2019hallux dit commun\u00e9ment Grand Droit, le court extenseur des orteils, etc. Mais non, pas dr\u00f4le. Faudrait au moins que \u00e7a soit dr\u00f4le en tout cas pour moi de l\u2019\u00e9crire. A moins que je ne trouve soudain une ambiance, et tout de suite associ\u00e9 \u00e0 celle-ci un ordre particulier pour en r\u00e9sumer la litanie. Comme anciennement face \u00e0 la classe. Oui c\u2019est \u00e7a. Devant le tableau noir. En r\u00e9citant. Les mains derri\u00e8re le dos. Avec si possible l\u2019\u00e9p\u00e9e de Damocl\u00e8s du coin et du bonnet d\u2019\u00e2ne\u2014 Les muscles de la jambe sont , du pied \u00e0 la cuisse, le tibial ant\u00e9rieur, l\u2019extenseur des orteils, le long extenseur de l\u2019hallux, le court extenseur des orteils, le fibulaire ant\u00e9rieur, le tibial post\u00e9rieur, le long fibulaire, le fibulaire post\u00e9rieur, le triceps sural, le poplit\u00e9 et les muscles plantaires\u2026 Mais peut-\u00eatre suis-je en train de griller les \u00e9tapes. Maintenant que j\u2019y pense, c\u2019est bien trop rapide. Rappelle-toi. Reviens l\u00e0. Assis. Pas bouger. Bon Toutou ! Tu es le narrateur. Tu sors sur le seuil d\u2019un immeuble. Ah ouais. Et il est comment ce foutu seuil. Mettons que nous fussions dans la bonne ville de Paris. (Je n\u2019ai m\u00eame pas cit\u00e9 la ville, quel laisser-aller) Et l\u2019immeuble. Il est comment. Bien s\u00fbr il est de style Haussmannien. Pourquoi pas. Et donc, d\u2019y aller de ce souvenir livresque\u2014la plupart de mes souvenirs ne sont plus que livresques \u00e0 pr\u00e9sent\u2014 des caract\u00e9ristiques de l\u2019architecture haussmannienne \u00ab Le seuil, ou l\u2019entr\u00e9e principale, d\u2019un immeuble haussmannien est g\u00e9n\u00e9ralement orn\u00e9 de d\u00e9tails architecturaux raffin\u00e9s. Il est souvent sur\u00e9lev\u00e9 par rapport au niveau de la rue, cr\u00e9ant ainsi un sentiment d\u2019\u00e9l\u00e9vation et de grandeur. Des marches en pierre ou en marbre m\u00e8nent \u00e0 une porte d\u2019entr\u00e9e majestueuse encadr\u00e9e par des colonnes \u00e9lanc\u00e9es ou des pilastres richement sculpt\u00e9s. Par contre, impossible de me souvenir o\u00f9 j\u2019ai lu \u00e7a. Mais non d\u00e9cid\u00e9ment, \u00e7a ne va pas. Mais pas du tout. D\u2019abord parce qu\u2019en premier lieu, je voudrais me passer de faire appel \u00e0 un souvenir livresque de seuil haussmannien d\u2019immeuble parisien. Je sais que je suis vieux. Mais je ne suis pas non plus un ancien combattant (merde) . Pas plus qu\u2019une sorte de rat de biblioth\u00e8que. Secundo, il se trouve que c\u2019est certainement de la frime. Un truc super rod\u00e9 depuis des ann\u00e9es. Faire appel \u00e0 la r\u00e9f\u00e9rence je veux dire. Quelles sont vos r\u00e9f\u00e9rences \u2014ma petite bonne bretonne. D\u2019une lecture notamment concernant les foutues caract\u00e9ristiques d\u2019un seuil d\u2019immeuble haussmannien. Non, d\u00e9cid\u00e9ment. \u00e7a ne va pas du tout. Rien ne va. En fait, il est pr\u00e9f\u00e9rable que je sorte de l\u2019immeuble pour aller voir directement de quelle nature est ce seuil. Sauf que je ne peux pas, je n\u2019y habite plus. J\u2019habite d\u00e9sormais une maison de ville dans un village ravitaill\u00e9 par les corbeaux. Je suis \u00e0 deux doigts de me morfondre je le sens. un, deux, \u00e7a y est je me morfond. D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, je peux tout \u00e0 fait ouvrir la porte de la maison, baisser un peu la t\u00eate, regarder mes pieds, je verrai un seuil. Ce serait suffisant pour commencer. Par contre, il faut que je change de but . La bouche de m\u00e9tro \u00e7a ne va plus. Je ne suis pas Sylvain Tesson, je ne parcours pas des bornes et des bornes pour \u00e9crire un bouquin. Je pourrais peut-\u00eatre me rendre \u00e0 la Gare. tiens. D\u00e9crire le merveilleux village dans lequel j\u2019habite, toutes les boutiques \u00e0 louer ou \u00e0 vendre. La nouvelle agence immobili\u00e8re Plaza qui flambant neuve d\u00e9tonne dans le d\u00e9cor lugubre des fa\u00e7ades noires tout autour. Et puis cette place magnifique\u2014 qui ne sert absolument \u00e0 rien du tout , que la municipalit\u00e9 a mis deux ann\u00e9es \u00e0 construire et qui depuis lors cr\u00e9er un bazar prodigieux pour se garer dans le coin, car autrefois c\u2019\u00e9tait un parking. Un tr\u00e8s grand parking. Et puis autrefois aussi c\u2019\u00e9tait l\u00e0 que le march\u00e9, un tr\u00e8s grand march\u00e9 s\u2019installait, deux jours la semaine. Alors que maintenant, juste quelques stands de fringues, de trucs chinois, de bidules inutiles. Enfin, j\u2019anticipe. Je vais toujours bien trop vite. Il faudrait que je m\u2019att\u00e8le \u00e0 d\u00e9crire mon premier pas, tout simplement. Le premier pas pour me rendre depuis ma maison jusqu\u2019\u00e0 la gare. Voil\u00e0. Je recommencerai demain. j\u2019ai encore du temps. La proposition suivante vient le dimanche {{{# 05 Une belle journ\u00e9e}}} En tant que pr\u00e9pos\u00e9 de second grade affect\u00e9 \u00e0 la distribution du courrier, comprenez qu\u2019il me soit impensable de fl\u00e2ner. D\u2019ailleurs ce ne serait pas le genre. L\u2019immeuble de la Karapatevou-Compagnie compte environ 25 \u00e9tages , chaque \u00e9tage comprend 10 bureaux, et, dans chaque bureau on peut envisager de tomber r\u00e9gulierement sur cinq postes de travail avec assis sur une chaise, ou un fauteuil, ou encore un tabouret, un ou une individu \u2013 qu\u2019on mettrait un temps fou \u00e0 saluer selon l\u2019usage courant des d\u00e9s\u0153uvr\u00e9s. Embrassades, serrages de mains, courbettes et r\u00e9verences, blague de potaches. Non merci, pas de \u00e7a Lisette ! Aussi, d\u00e8s r\u00e9ception des gros sacs de la Poste \u00e0 potron-minet , j\u2019effectue le tri par \u00e9tage , par bureau , par service et patronyme. Puis, je d\u00e9pose cette manne dans un ordre immuable, petits destinataires en bas, grands au dessus, et vlan, dans mon chariot. Puis je me d\u00e9peche d\u2019aviser le moment o\u00f9 le couloir est vide et d\u2019emprunter, soulag\u00e9, l\u2019ascenseur jusqu\u2019au 25e pour redescendre un \u00e9tage apr\u00e8s l\u2019autre jusqu\u2019en bas. \u00c0 chaque \u00e9tage , comme une bombe je d\u00e9boule, pose le courrier, ne dis ni bonjour ni au revoir, ni rien, tel un souffle de vent, un invisible. Et \u00e7a me va tr\u00e8s bien. Vous pourriez penser qu\u2019\u00e0 l\u2019heure du d\u00e9jeuner je profite du vaste restaurant de l\u2019immeuble. Pas du tout. Le simple f\u00eate d\u2019imaginer m\u2019asseoir \u00e0 une table o\u00f9 des convives sont l\u00e0 r\u00e9unis fourchettes en suspens et \u00e0 qui il faudra parler , \u00e9changer, me donne \u00e0 l\u2019avance le tournis quand ce n\u2019est pas la naus\u00e9e. \u00c0 midi tapant , je sors mon casse-cro\u00fbte et dispara\u00eet \u00e0 l\u2019entresol. Ici sont les archives et on n\u2019y voit jamais personne . De ma poche je sors mon Plutarque \u00ab vie des hommes illustres \u00bb que je le lis lentement religieusement durant toute une heure en mastiquant soigneusement chaque bouch\u00e9e de mon sandwich. Parfois aussi je m\u2019assooupis. Enfin, quand il est 13 : 45 h je remonte, reprends ma tourn\u00e9e , toujours de la m\u00eame fa\u00e7on ainsi que je le fais tous les jours , cinq jours par semaine, 50 semaines par an sans compter les jours de cong\u00e9s \u00e9videmment. Je pensai \u00e0 toutes ces choses comme cela arrive en plein mouvement r\u00e9p\u00e9titif d\u00fb \u00e0 l\u2019habitude bien ancr\u00e9e quand je m\u2019apercois que soudain, oh ! mais quelle surprise , mon pouce est sur l\u2019index de la secr\u00e9taire-adjointe du d\u00e9partement Recherche et d\u00e9veloppement du quatri\u00e8me. Sous la pulpe un peu moite de mon doigt , refroidit tout \u00e0 coup par le vernis glac\u00e9 l\u2019ongle, de son index \u00e0 elle-sensation tout \u00e0 fait insolite, differente en diable de celle prodigu\u00e9e par la fraicheur habituelle de la porcelaine du bouton de l\u2019ascenseur. Me voici donc \u00e0 sursauter. -moi -oh oh ! et la dame du coup aussi : \u2013 Hiiiiii! puis un blanc : blanc. Donc, nous nous excusons platement, surtout moi, pardonnez-moi, quel idiot par ci quel imb\u00e9cile par l\u00e0 -ainsi que les personnes convenables doivent le faire. Et vite vite vite , plus vite que \u00e7a, apr\u00e8s ce malencontreux incident, nous fusons de plus belle vers nos missions respectives. Et ma foi, malgr\u00e9 cela, (ou gr\u00e0ce \u00e0 cela , on ne sait plus) , je crois bien qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une belle journ\u00e9e, une journ\u00e9e presque comme toutes les autres. {{{#06 Fa\u00e7on d'aborder le monde par la main}}} {suite autobiographique} Boulevard Lefebvre, parfois aussi Boulevard Brune, et aussi vers le Parc- Montsouris. Quel \u00e2ge, pas moins de 7 et moins de 10. Durant les vacances, j\u2019allais aider grand-p\u00e8re. On partait avant l\u2019aube, vers des quatre heures du matin, d\u2019abord \u00e0 quelques rues de l\u00e0 dans le 15 \u00e8me chercher la marchandise au frigo, qu\u2019il louait. Puis on chargeait, l\u2019odeur de la viande, du sang dans le petit matin, le poids des cageots, mon \u00e9tonnement chaque ann\u00e9e un peu moins de parvenir \u00e0 les soulever. Ensuite j\u2019allais m\u2019asseoir sur la banquette du J7 et grand-p\u00e8re passait la premi\u00e8re, un grand manche avec une boule noire au bout. Une odeur de sang, de plumes et de poils, de tabac froid, les soubresauts du v\u00e9hicule dans les rues alentours avant d\u2019atteindre le rev\u00eatement lisse des boulevards. On d\u00e9chargeait et \u00e0 7 heures tout \u00e9tait en place pour accueillir les premiers chalands. Souvent des vieilles et des vieux, des solitaires, des retrait\u00e9s, les samedi ou dimanche matin. Les dames avaient des mains parchemin\u00e9es au bout desquelles un grand porte-monnaie, \u00e0 fermoir dor\u00e9 s\u2019ouvrait , elles en extrayait de leurs doigts maigres et noueux des billets et aussi des pi\u00e8ces jaunes pour faire l\u2019appoint. Grand-p\u00e8re tendait alors sa grosse paluche dont chaque phalange \u00e9tait velue, touffue comme d\u2019ailleurs le bout de son nez. Il y r\u00e9coltait la manne empochait l\u2019argent sans oublier l\u2019\u00e9change, le colis qu\u2019il gardait quelques secondes de plus dans l\u2019 autre main, la vie c\u2019est comme \u00e7a mon petit pote, donnant donnant. Dans les ann\u00e9es 70 le bloc de l\u2019Est n\u2019\u00e9tait pas encore tomb\u00e9, on parlait d\u2019otages, de ponts, de brumes et de brouillard, de limousines, d\u2019agents secrets. Jusqu\u2019\u00e0 me demander parfois si grand-p\u00e8re n\u2019en \u00e9tait pas. Et avec ceci toujours le mot pour rire, pour amuser, pour qu\u2019on se souvienne \u2014 ma petite ch\u00e9rie, vous ai rajout\u00e9 un peu de mou ou de foie pour votre minou quelques nonos pour vot\u2019 Toutou et comme un petit tr\u00e9sor bien mis en valeur, ces quelques os, ces modestes carcasses et ces charmantes pattes porte- bonheur \u2014 N\u2019en donnez pas au chat non, pas de lapin, trop petits les os, dangereux, pour les boyaux. Il y avait aussi les flics qui passaient l\u00e0 par paire \u00e0 pied ou plut\u00f4t non, \u00e0 v\u00e9lo \u2014 \u00e7a me revient, un agent sp\u00e9cialement d\u00e9di\u00e9 au contr\u00f4le des march\u00e9s. Des poign\u00e9es de mains s\u2019\u00e9changeaient au dessus des poulets morts, des lapins \u00e9cartel\u00e9s, des \u0153ufs frais, et des papiers, des papiers administratifs passaient ainsi par dessus l\u2019\u00e9tal, coup de tampon par ci, griffe tremblotante par l\u00e0, prouvant, autorisant, indiquant que tout \u00e9tait bien en r\u00e8gle. Et quand celui-l\u00e0 \u00e9tait pass\u00e9, grand-p\u00e8re avait l\u2019air bien soulag\u00e9. Il calait une cigarette entre ses l\u00e8vres , pla\u00e7ait une main en coupe contre le vent, les pluies, les al\u00e9as, les vicissitudes de la vie et battait le briquet, un briquet plaqu\u00e9 or qu\u2019on recharge soi-m\u00eame avec une de ces longues cartouches de gaz. L\u2019odeur du tabac se m\u00ealant \u00e0 l\u2019odeur de la viande, \u00e0 l\u2019odeur des passant, des effluves d\u2019apr\u00e8s rasage, de parfums bon march\u00e9, \u00e0 l\u2019odeur de la rue, des gaz d\u2019\u00e9chappement, et au printemps aussi \u00e0 l\u2019odeur du printemps frais voltigeant dans l\u2019air froid et bleut\u00e9 voguant vers le fait des immeubles, par dessus les immeubles, les balcons, l\u2019odeur de l\u2019azur frais du matin. Je crois finalement que c\u2019\u00e9tait 1969, on venait de dire non \u00e0 De Gaule et cet \u00e9t\u00e9 l\u00e0 un homme marcherait sur la Lune. Enfin, \u00e0 l\u2019automne, les am\u00e9ricains reviendraient du Vietnam. Il y aurait encore des mains avec des mouchoirs qu\u2019on agite, des embrassades, des \u00e9treintes. On se reposerait un peu avant de recommencer encore de plus belle, presque pareil, en faisant croire que tout est diff\u00e9rent. Grand p\u00e8re avait l\u2019\u0153il pour voir la g\u00e8ne et ne le montrait pas ostensiblement, par \u00e9l\u00e9gance, il ajoutait quelques \u0153ufs de plus, une cuisse, quelques foies, des g\u00e9siers, deux trois cous ou croupions , suivant l\u2019anciennet\u00e9 des chalands et parfois m\u00eame sans. Au bistrot proche avec les copains, Totor notamment le marchand de l\u00e9gumes, il fumait et buvait apr\u00e8s le casse-croute de 10 h le matin. La moiti\u00e9 d\u2019un pain de 4 bourr\u00e9 \u00e0 ras de p\u00e2t\u00e9, salade, omelette fromage, cornichons. On me h\u00e9lait de loin pour venir boire une grenadine, je regardais en l\u2019air, c\u2019\u00e9tait pour la plupart tous des g\u00e9ants. L\u2019argent, les verres, les poign\u00e9es de main. C\u2019\u00e9tait un spectacle continu, genre au cirque les acrobates et funambules. Puis le boulot reprenait, hachoir et billot , emballage des volailles dans du papier glac\u00e9, plusieurs feuilles, on ne comptait pas, ni le sac en plastique, parfois deux, et maint cabas baillaient, s\u2019ouvraient \u00e9bahis et l\u2019on pouvait voir dedans ce que les clientes avaient d\u00e9j\u00e0 d\u00e9pens\u00e9 environ, de carottes de patates, un ou deux brin de c\u00e9leris trois oignons chez Totor en face, qui nous regardait faire les deux mains bien cal\u00e9es sur les hanches avec son tablier de cuir en peau de Dahu il disait. Il voulait me couper les oreilles en pointe chaque dimanche boulevard Brune. Mais comment qu\u2019il aurait pu, impossible vu qu\u2019il n\u2019avait qu\u2019un bras, qu\u2019une main qu\u2019il avait laiss\u00e9 l\u2019autre dans les Aur\u00e8s en Alg\u00e9rie. Mais \u00e7a flanquait tout de m\u00eame bien la trouille, on ne sait plus trop pourquoi quoi \u00e0 partir de l\u00e0, d\u2019avoir les oreilles en pointe ou bien \u00e0 propos de la vie en g\u00e9n\u00e9ral. Des gestes de la main pour dire je te vois je t\u2019ai vu au revoir, de petits gestes dus \u00e0 la cohue au brouhaha du march\u00e9, si on ne gueule pas ici on n\u2019est pas entendu, et parfois on pr\u00e9f\u00e8re cela, en douce en parall\u00e8le, des discours de sourd-muet et qui nous vont tr\u00e8s bien, l\u2019esbrouffe \u00e9tant souvent plus faite pour gagner seulement sa vie qu\u2019autre chose, ici. {{{#07 La voie du jet d'eau}}} Je passe l\u2019apr\u00e8s-midi au Jardin du Luxembourg. Quand il ne pleut pas, je pars de Ch\u00e2teau-Rouge \u00e0 pied et j\u2019\u00e9vite le plus possible les grands axes. C\u2019est comme \u00e7a que je parviens, en une petite heure (environ) au bassin, que je tire une chaise verte en fer et que je m\u2019y assois tout en cherchant du regard le jet d\u2019eau au centre du bassin. Avec l\u2019habitude \u2014vous devriez penser que ce n\u2019est qu\u2019une simple habitude\u2014 une habitude comme les autres, et m\u00eame une habitude bizarre, ne le sont-elles pas toutes \u2014 vous devez bien s\u00fbr penser que tout \u00e7a doit avoir un sens. Sinon ce serait insens\u00e9. C\u2019est insens\u00e9. Vous devriez commencer par l\u00e0. Asseyez-vous donc un instant , regardez le jet d\u2019eau. Vous devez \u00eatre attentif aux divers ondulations du jet d\u2019eau. Stop, arr\u00eatez. Vous ne devriez pas laisser filer votre imagination, en aucun cas il ne s\u2019agit ici de r\u00eaverie. Trop tard, vous vous \u00eates fait avoir. Ce que vous voyez est une danse du ventre, mais c\u2019est une fausse piste, d\u00e9j\u00e0 explor\u00e9e, vous devez vous en \u00e9cartez doucement\u2014 c\u2019est insens\u00e9 rappelez-vous. Ecartez donc au loin, encore plus loin, sans brusquerie, ne riez pas non plus, ne m\u00e9prisez pas cette image de danseuse du ventre avec un diamant log\u00e9 dans le nombril. Vous ne devriez pas . Et Plus vite ce sera fait mieux \u00e7a sera. Et revenez, revenez, vous devriez assez vite revenir \u00e0 la question principale, primordiale. Bien s\u00fbr. C\u2019est \u00e9vident. Vous devriez imaginer cette question comme un axe. Pourquoi passer ainsi son apr\u00e8s-midi quand il ne pleut pas \u00e0 contempler ce fichu jet d\u2019eau. Vous ne devriez pas non plus vous acharner \u00e0 vouloir le comprendre comme on tente de r\u00e9soudre une \u00e9quation math\u00e9matique, je veux dire avec cette urgence perp\u00e9tuelle que l\u2019incompr\u00e9hensible, l\u2019effroyable, installent en soi. Il ne s\u2019agit pas d\u2019\u00e9prouver cette trouille. Laissez tomber. Non, laissez vous donc plut\u00f4t filer, vous devriez vous d\u00e9tendre, respirer, une deux, une deux, vous devriez tenter ou t\u00e2cher\u2014 sans pour autant vous acharner\u2014 de ne penser \u00e0 rien. Voil\u00e0. Ne pensez donc \u00e0 rien du tout. Vous vous y \u00eates presque. \u00e7a y est. Maintenant, vous devez avoir plant\u00e9 votre regard sur le jet d\u2019eau et ne penser \u00e0 strictement rien. Vous ne pensez plus \u00e0 rien. Vous sentez \u00e0 quel point vous aimeriez devenir, \u00e7a suffit. Vous \u00eates ce jet d\u2019eau. Oh mais bien s\u00fbr , vous devez penser que j\u2019exag\u00e8re, vous devez vous dire \u2014ce type est compl\u00e8tement maboul. Pauvre type. Vous devez vous sentir tellement diff\u00e9rent de ce pauvre bougre qui perd son temps \u00e0 observer un jet d\u2019eau toute une apr\u00e8s-midi. Le dos au S\u00e9nat. Et pourtant, ( pardonnez-moi d\u2019insister ) , vous devriez y songer, vous devriez voir que vous faites strictement la m\u00eame chose de votre c\u00f4t\u00e9. Ne le voyez vous donc pas. Vous devriez {{{#08 Description d'une trempe}}} On est l\u00e0 \/ toujours l\u00e0\/ il ou elle sont l\u00e0\/ plus l\u00e0 \/ c\u2019est pas la paix \/ c\u2019est pas la guerre \/ c\u2019est autre chose\/ c\u2019est quelqu\u2019un \/ qui ? \/ c\u2019est lui ? c\u2019est elle ? \/ on ne sait jamais \/un coup-ci un coup-l\u00e0\/ cou\u00e7i-cou\u00e7a\/ sans raison \/ un coup oui un coup non \/ ici et l\u00e0\/ viens ici \/ fous le camp \/ le coup peut surgir \/ il surgit toujours \/ de n\u2019importe o\u00f9 \/ on a la trouille\/ au ventre\/ n\u2019importe o\u00f9 \/ n\u2019importe quand \/ pif ! \/ paf ! \/ bam ! \/ la gifle\/ la claque\/ la beigne\/ la bugne\/ la ch\u00e2taigne\/ le ramponneau\/ la baffe\/ la branl\u00e9e\/ l\u2019arrache-c\u0153ur\/ la ceinture\/ le fouet\/ la trempe\/ Il ou elle est l\u00e0\/ De tout son poids \/ pur\u00e9e de pois \/pot aux roses\/ pot pourri \/ p\u00eale-m\u00eale\/ odeur de sueur \/ de fer \/ de peau \/ haleine\/ oignon et ail \/ averse ou giboul\u00e9e de poings\/ il ou elle donne \/ on prend\/ on d\u00e9guste\/ on encaisse\/ on tombe\/ on s\u2019allonge\/ on est tout en bas \/ tout nu \/ au sol \/ on s\u2019\u00e9vanouit \/ plus rien \/ n\u00e9ant \/ nada \/ que tchi \/ z\u00e9ro \/ nul nul nul \/ aille ! \/ ouille ! \/ non dit la dame\/ pas la t\u00eate. Bim ! \/ achev\u00e9. On n\u2019est plus l\u00e0\/ tout est noir\/ n\u00e9ant\/ big-bang\/ \u00e7a revient\/ on est l\u00e0\/ encore\/ , de rien \u00e0 quelque chose \/ \u00e0 neuf \/ de nouveau \/ cochon \/ veau \/ dindon \/ caca de chez caca \/ \u00e0 se r\u00e9veiller, \u00e0 ramper, \u00e0 vouloir se r\u00e9veiller\/ sans toujours bien y arriver \/ \u00e0 recommencer\/ ou pas\/ tout au contraire\/ \u00e9cumer de rage\/ \u00e9cumer de triste \/ si triste\/ de la tristesse piper une \u00e9nergie\/ qui d\u00e9borde par les yeux\/ car obstin\u00e9\/ t\u00eatu \/ \u00e0 toujours vouloir regarder \/ toujours vouloir voir\/ la main\/ la main\/ la main \/ manifestement la main \/ avec les doigts, les poils sur les phalanges \/ le rouge du vernis \u00e0 ongle \/ puis le poignet \/ la manche \/ le bras \/ le corps\/ ne pas remonter vers la t\u00eate trop vite \/ le visage\/ les yeux \/ plut\u00f4t voir la toute petite asp\u00e9rit\u00e9 \/ sur le carrelage \/ le mur \/ le plafond\/ se fixer tout entier \u00e0 un tout petit clou qui d\u00e9passe \/ vouloir s\u2019accrocher \u00e0 quelque chose\/ quand m\u00eame\/ ou pas\/ \u00e0 un pied de table \/ chaise \/ une paroi \/ un mur\/ \u00e9chec\/\u00e9chec\/\u00e9chec\/ pim ! \/ pam ! \/ poum ! \/ on manque d\u2019appui \/ ou pas \/ on retrouve le fichu aplomb \/ en invente un \/ au besoin \/ pour se relever\/ vite vite vite encore aller \/ plus vite \/ ton aplomb \/ aller petit soldat de mousse \/ il faut se relever\/ tu ne vas pas rester comme \u00e7a \/ \u00e7a serait bien le pompon \/ le comble\/ tu vas te relever dis \/ tu m\u2019entends \/ Il va se relever ce petit con ? \/ tu m\u2019\u00e9coutes \/ aller fais pas semblant \/ on se rel\u00e8ve\/ \u00e7a y est \/ voil\u00e0 \/ t\u2019es un homme ou pas \/ encore et encore et encore et encore et encore et encore et encore\/ c\u2019est comme \u00e7a\/ voil\u00e0 \/ enfin \/ on y est \/ on s\u2019est relev\u00e9 \/ bien tout chiffonn\u00e9\/ \u00e0 se d\u00e9plier les muscles\/ les nerfs\/ les veines et veinules\/ \u00e0 num\u00e9roter ses abattis \/ tellement qu\u2019on a mal on n\u2019a plus mal \/ groggy\/ \u00e7a tangue\/ mal au c\u0153ur \/ naus\u00e9es \/ beurk ! beurk ! beurk ! \/ mais quand m\u00eame ouf ! \/ c\u2019est pass\u00e9 \/ grand grand grand soulagement dans la maisonn\u00e9e\/ on s\u2019est bien aimer\/ on a appris \u00e0 vivre \/ hum ! le fabuleux vivre ensemble \/ on en a eu \u00e0 la pelle \u00e0 tarte des tartes \/ c\u2019est comme \u00e7a \/ faut les dresser n\u2019est-ce pas \/ pas de rustine \u00e0 y remettre\/ Vive la R\u00e9publique\/ Vive la France\/ Marche ou cr\u00e8ve. {{{#09 Gravure et grattage}}} Le verbe \u00abgraphein\u00bb en grec qui pourrait se rapprocher phon\u00e9tiquement de graver : la ligne, le dessin d\u2019un mot, une suite iconographique que l\u2019on nommera phrase, l\u2019\u0153il et la main \u00e0 l\u2019\u0153uvre, peut importe le but, noble ou trivial qui eux viennent de la t\u00eate ensuite. On grave pour se souvenir du nombre de moutons, de brebis, pour se souvenir du nom de celui qui est allong\u00e9 dans la tombe ( grave en anglais) On a marqu\u00e9 l\u2019endroit de celle ou celui qui se trouve \u00e0 l\u2019envers du monde, au-del\u00e0. Dans l\u2019 ICI-G\u00eet. La plupart du temps, il s\u2019agit de laisser venir quelque chose puis, le voyant passer, l\u2019\u00e9crire, pour se dire je vais peut-\u00eatre ainsi m\u2019en souvenir, ou dire \u00e0 quelqu\u2019un j\u2019ai vu passer quelque chose, c\u2019est peut-\u00eatre un lapin, une tourterelle, deux amoureux, un assassin, une vip\u00e8re cornue, une automobile de luxe, un clown sur un v\u00e9locip\u00e8de, un ministre en tutu rose. Mais cette chose bien qu\u2019on veuille l\u2019attraper, (d\u2019o\u00f9 le geste) le grattage de fox terrier dans la terre meuble du clavier, de la page, de l\u2019id\u00e9e,\u00ab \u00e7a se carapate \u00bb, se cache dans les pages d\u2019un dictionnaire, dans le fait de se rassurer \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 le voir l\u00e0, immobile et \u00ab noir sur blanc\u00bb . J\u2019ai vu passer un lapin blanc tr\u00e8s affair\u00e9, je lui ai demand\u00e9 l\u2019heure il m\u2019a envoy\u00e9 bouler. Le geste se froisse, se recroqueville dans des mots mono ou duo syllabiques : con connard salaud cr\u00e9tin. De l\u00e0 l\u2019expression lapin cr\u00e9tin, s\u00fbrement. Attraper le porte-plume, pas de marque, pas de diff\u00e9rence, on a tous les m\u00eames plus des plumes et ( \u00e9vite le c\u00f4t\u00e9 vieux combattant, Sergent-Major) et de l\u2019encre dans un encrier qui est violette. On trempe la plume dans l\u2019encrier et on fait attention de ne pas t\u00e2cher la feuille lign\u00e9e du cahier. On trace une lettre en tirant la langue et puis pour faire s\u00e9cher on peut utiliser un buvard qui boit comme un trou l\u2019encre comme l\u2019ami Pierrot boit du pinard. On a le droit d\u2019\u00e9crire \u00e0 partir de la ligne rouge \u00e0 gauche. Avant non, c\u2019est une partie r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 la ma\u00eetresse, au ma\u00eetre pour faire des commentaires, mettre une note, on conna\u00eet pas encore les likes \u00e0 ce moment l\u00e0. La lettre la plus difficile \u00e0 \u00e9crire \u00e0 la plume est dans doute le {{{s}}} chez moi, il manque souvent la barre oblique, la petite pente pour parvenir au sommet du s. Il parait que c\u2019est un lien parental manquant de ne pas mettre d\u2019oblique au s {{{S ainsi que les hommes vivent}}} {{{avec tous ces serpents qui}}} {{{** sifflent sur leurs t\u00eates.}}} Il me fallait une Remington absolument. A cause des am\u00e9ricains. Je ne pourrai jamais \u00eatre \u00e9crivain si je n\u2019ai pas une Remington. Il me fallait une Remington. J\u2019en trouvai une par un dimanche pluvieux de l\u2019ann\u00e9e 1990, au march\u00e9 aux puces de la Porte de Vanves. Elle pesait le poids d\u2019un \u00e2ne mort. Je l\u2019emportai vers mon cinqui\u00e8me sans ascenseur. Je la d\u00e9ballai comme on d\u00e9balle une fille, avec pas trop de pr\u00e9caution quand m\u00eame. J\u2019\u00e9tais si press\u00e9. Et heureux; \u00e7a y \u00e9tait j\u2019\u00e9tais un \u00e9crivain am\u00e9ricain, je poss\u00e9dais enfin ma Remington. Ensemble nous allions beaucoup nous aimer, nous ferions beaucoup d\u2019enfants. Mais en fait c\u2019\u00e9tait m\u00eame pas vrai. Il y avait des touches qui restaient coinc\u00e9es, tout \u00e9tait rouill\u00e9. C\u2019\u00e9tait une vieille machine m\u00e9nopaus\u00e9e et st\u00e9rile. Du coup j\u2019\u00e9crivis des phrases \u00e0 trou, je devins cruciverbiste, fabricant de mots m\u00eal\u00e9s et de puzzles. Le soir je la remisais dans sa boite ma Remington comme on enterre ses morts de la journ\u00e9e. Et le lendemain hop ! tout recommen\u00e7ait. J\u2019aimais sa vieille voix \u00e9raill\u00e9e, son rire de sorci\u00e8re \u00e9dent\u00e9e. Je ne me souviens m\u00eame plus o\u00f9 je l\u2019ai abandonn\u00e9e, dans quel taudis, quelle piaule d\u2019h\u00f4tel dont je n\u2019arrivais pas \u00e0 payer le terme. Les petits carnets Clairefontaine donne l\u2019impression d\u2019avoir beaucoup de choses \u00e0 \u00e9crire \u00e0 la terrasse des caf\u00e9s quand il fait beau que les femmes sont belles et que toi t\u2019es moche. Tu ouvres ton petit carnet Clairefontaine au d\u00e9but pour te cacher, puis tu finis par explorer tout le vide qu\u2019il contient. A la fin du \u00e9cris juste la date puis tu h\u00e8les la fille le gar\u00e7on s\u2019il te plait l\u2019addition. Peut-\u00eatre que c\u2019est plus facile dans un parc, assit sur un banc public. Tu sors ton petit carnet Clairefontaine ( reliure en tissu, \u00e7a ne se fait plus ) et petits carreaux attention, ton feutre \u00e0 pointe fine. Tu retombes sur la date du jour et un gamin passe en te regardant comme si tu \u00e9tais une statue. Tu ne bouge pas tu attends que \u00e7a se passe. Tu ne respires m\u00eame pas. Ouf \u00e7a y est tu es redevenu invisible. toi tu vois tout mais personne ne te voit. \u00e7a offre quelques avantages, et presque aucun inconv\u00e9nient. D\u2019ailleurs, qu\u2019est ce que tu attends pour l\u2019\u00e9crire sur ton petit carnet Clairefontaine. Des fois sur mon carnet, je n\u2019ai pas d\u2019id\u00e9e, juste des num\u00e9ros de t\u00e9l\u00e9phone que je note quand \u00e7a tombe ( grave ). Ou des adresses de boites d\u2019int\u00e9rim. Cercueils de ma jeunesse dissip\u00e9e. Ou encore la somme que je dois \u00e0 la banque. Des calculs \u00e0 n\u2019en plus finir, Perrette et le pot au lait, bien compliqu\u00e9s. Des serpents qui se mordent la queue. Ou encore je dessine des vieilles femmes qui prom\u00e8nent des petits chiens. Tr\u00e8s excitant. Mais le plus souvent je gribouille, toute une intrications de lignes, un sac de n\u0153uds. Pas conserv\u00e9 grand-chose de tout \u00e7a. C\u2019est que \u00e7a n\u2019en valait pas le coup. Pas la peine de le regretter. J\u2019ai essay\u00e9 une fois le fameux stylo plume. Mais pas assez soigneux, ses cartouches se vidaient au fond de mes poches. Et puis pas assez patient non plus pour que la plume se fasse, et une fois faite catastrophe: je l\u2019\u00e9crabouillais quand je l\u2019oubliais dans la poche arri\u00e8re de mes jeans. Crac ! Prends donc le bus avec de l\u2019encre plein les fesses ensuite. Aujourd\u2019hui j\u2019\u00e9cris sur l\u2019\u00e9diteur de wordpress le plus souvent. Mon nouveau blog n\u2019est pas meilleur que le pr\u00e9c\u00e9dent. Le prochain ne sera sans doute pas \u00e7a non plus. Mais je m\u2019en fous. Ecrire c\u2019est comme manger c\u2019est le seul plaisir qu\u2019il nous reste quand tous les autres nous ont abandonn\u00e9. Ce n\u2019est pas de moi, \u00e9videmment, c\u2019est du d\u00e9tourn\u00e9, du Brillat-Savarin. Donc je tape sur un clavier plus silencieusement plus souplement qu\u2019autrefois sur ma Remington. Le geste d\u2019\u00e9crire m\u2019est n\u00e9cessaire, comme d\u2019autres ont besoin de faire un footing, moi j\u2019ai besoin de me d\u00e9gourdir les doigts. Est ce que ce que j\u2019\u00e9cris est litt\u00e9raire, aucune id\u00e9e. Et \u00e0 vrai dire je m\u2019en fous. Ado j\u2019aurais voulu moi aussi \u00eatre musicien, je grattais les cordes de cette guitare pour laquelle j\u2019avais su\u00e9 tout un \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que gratter est une chose profond\u00e9ment humaine, \u00e7a ne nous distingue que tr\u00e8s peu du chien ou de la taupe dans le fond. Sauf que nous grattons souvent \u00e0 c\u00f4t\u00e9, dans une irr\u00e9alit\u00e9 extraordinaire des choses absconses, fumeuses, on appelle \u00e7a la culture parfois. On gratte ainsi les choses comme de vieilles croutes aux genoux pour raviver la douleur de peur de devenir fant\u00f4me comme elle devenue fant\u00f4me. On ne peut pas y faire grand chose. C\u2019est comme \u00e7a. ", "image": "", "tags": ["Ateliers d'\u00e9criture"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/Je-ne-me-sens-pas-tranquille-1668.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/Je-ne-me-sens-pas-tranquille-1668.html", "title": "Je ne me sens pas tranquille", "date_published": "2022-06-25T16:20:09Z", "date_modified": "2025-11-02T20:23:19Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Ce texte fait partie d\u2019une recherche que j\u2019effectue sur les \u00e9crits de Christophe Tarkos dans le cadre d\u2019un atelier d\u2019\u00e9criture anim\u00e9 par Fran\u00e7ois Bon. Il est volontairement sans ponctuation et il s\u2019agit d\u2019une fiction. Je suis parti de l\u2019expression « je ne suis pas tranquille » que l\u2019auteur utilise pour introduire un texte destin\u00e9 \u00e0 une voix, \u00e0 la chanteuse Fran\u00e7oise Atlan ce texte a pour titre « oratorio »<\/p>\n

Je ne me sens pas tranquille la goutti\u00e8re pousse un cri de m\u00e9tal quand la branche de l\u2019olivier en pot frotte sur la goutti\u00e8re par intermittence je ne me sens pas tranquille quand la musique dont le volume est excessif p\u00e9n\u00e8tre ici dans la cour une musique que je n\u2019ai pas choisi ni d\u2019entendre ni d\u2019\u00e9couter une musique que les voisins m\u2019imposent en plus du vagissement de leur b\u00e9b\u00e9 en plus de ses cris de ses rires de ses pleurs et de leurs cris \u00e0 eux un couple de voisins dans la trentaine qui ne cesse de s\u2019engueuler copieusement et je me dis que je ne peux pas me sentir tranquille comme je le voudrais comme je le souhaiterais comme j\u2019en r\u00eave quand tous ces bruits cette musique de merde ces cris ces rires s\u2019engouffrent ici dans la cour sans que je ne puisse rien y faire qui me rendent impuissant d\u2019agir en quoi que ce soit de logique de sens\u00e9 de raisonnablement humain et puis il fait chaud tr\u00e8s chaud c\u2019est \u00e9touffant et le vent qui s\u2019engouffre ici dans la cour par intermittence ne me rend pas tranquille non plus j\u2019imagine j\u2019essaie de m\u2019habituer \u00e0 tout \u00e7a mais \u00e7a demande un effort, un effort r\u00e9p\u00e9t\u00e9 fatiguant \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter surtout qu\u2019un tel effort ne change rien un tel effort ne me rendra pas plus tranquille je l\u2019entrevois d\u00e9j\u00e0 il fait si chaud et l\u00e0 sensation d\u2019\u00e9touffement s\u2019intensifie au fur et \u00e0 mesure que j\u2019y pense elle aussi et comme pour insister encore un peu plus les voisins ont mont\u00e9 d\u2019un cran suppl\u00e9mentaire la musique maintenant je crois que c\u2019est du rap des choses que l\u2019on dirait crach\u00e9es par saccades par des voix barbares \u00e0 tonalit\u00e9 basses et rageuses arrogantes d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9es sans doute avec une telle violence j\u2019imagine que c\u2019est violent et pas uniquement une \u00e9nergie d\u00e9ploy\u00e9e comme \u00e7a pour rien c\u2019est une musique qui a comme but d\u2019agresser quelque chose chez les gens une musique qui veut s\u2019en prendre violemment \u00e0 quelqu\u2019un et quelqu\u2019un et \u00e7a ne me rend pas tranquille quand je me rends compte que c\u2019est moi ce quelqu\u2019un c\u2019est du rap je crois c\u2019est fort mais pas encore assez distinct suffisamment pour \u00e9couter les paroles on ne peut que les subir ainsi comme des sons des bribes de paroles violentes et insens\u00e9es on devine tout \u00e7a et \u00e7a se m\u00e9lange avec les cris de la m\u00e8re sur l\u2019enfant les cris du p\u00e8re sur la m\u00e8re qui crie sur l\u2019enfant et les rires ou les pleurs de l\u2019enfant au demeurant ce n\u2019est peut-\u00eatre pas un b\u00e9b\u00e9 comme je le croyais je perds mes rep\u00e8res en ce moment je ne me sens pas tranquille et la branche de l\u2019olivier par intermittence fait \u00e0 nouveau grincer le m\u00e9tal de la goutti\u00e8re cette musique qu\u2019on m\u2019impose je n\u2019ai pas de mot qui me vienne que celui d\u2019injustice c\u2019est une injustice mais je ne peux rien y faire je la subis et je fais des efforts pour m\u2019y habituer mais elle me d\u00e9range et \u00e7a ne me rend pas tranquille \u00e7a me mets m\u00eame en col\u00e8re \u00e0 me laisser \u00e0 cette facilit\u00e9 de la col\u00e8re \u00e0 la faiblesse d\u2019avoir \u00e0 la subir cette musique de merde que je n\u2019ai pas choisie d\u2019\u00e9couter c\u2019est comme si le voisin te chiait sur la gueule merde avec sa musique de merde et \u00e7a ne te rend pas tranquille bien s\u00fbr de penser ce genre de chose j\u2019imagine qu\u2019il s\u2019en fout des autres pas de moi seulement mais de tous les autres voisins du quartier et je ne sais pas si lui le voisin est si tranquille que \u00e7a s\u00fbrement pas j\u2019essaie d\u2019imaginer s\u2019il peut vraiment se sentir tranquille d\u2019emmerder comme \u00e7a le monde tout autour de lui je ne sais pas s\u2019il en est conscient ou pas s\u2019il le fait expr\u00e8s ou s\u2019il s\u2019en fout royalement voil\u00e0 il est comme un roi qui d\u00e9cide arbitrairement de tourner le bouton du volume et sa putain de musique prend le pas domine sur toutes les pens\u00e9es les miennes et sans doute aussi celles de tous les voisins du quartier mais personne ne dit rien tout le monde se tait il fait si chaud c\u2019est \u00e9touffant et toutes les pens\u00e9es en tous cas que je pourrais avoir si j\u2019\u00e9tais l\u00e0 tranquillement assis dans la cour le voisin n\u2019a pas de cour il ne sait pas ce que c\u2019est d\u2019\u00eatre assis dans une cour comme celle-ci le voisin ne sait pas o\u00f9 ne veut pas savoir ce que \u00e7a peut \u00eatre d\u2019avoir une cour et de vouloir s\u2019y asseoir pour penser \u00e0 tout un tas de choses tranquillement et se sentir soudain intranquille \u00e0 cause d\u2019un con qui ne conna\u00eet pas plus le respect que les limites il s\u2019en fout il ne veut rien savoir il ne peut pas non plus imaginer qu\u2019une branche d\u2019olivier dans un pot \u00e0 l\u2019angle de cette cour frotte par intermittence contre la goutti\u00e8re du b\u00e2timent qui cerne cette cour et que \u00e7a produit un bruit que l\u2019on conna\u00eet m\u00eame si c\u2019est un peu aga\u00e7ant ce n\u2019est pas la m\u00eame chose tout \u00e0 fait on peut agir sur ce bruit en d\u00e9cidant un jour de couper la branche par exemple tout le monde a des probl\u00e8mes qu\u2019il d\u00e9cide de r\u00e9soudre comme il peut ou pourra ce que je ne me r\u00e9sous pas \u00e0 faire parce que finalement je crois que je me suis habitu\u00e9 \u00e0 ce bruit particulier d\u00e9sormais ce crissement m\u00e9tallique que produit le contact de la branche de cet arbre sur le rebord m\u00e9tallique de la goutti\u00e8re Il y a un petit carillon m\u00e9tallique que nous avons accroch\u00e9 \u00e0 l\u2019une des branches de l\u2019olivier en pot et quand le vent s\u2019engouffre dans la cour qu\u2019il produit un entrechoquement des petits tubes m\u00e9talliques de longueurs et de sections diff\u00e9rentes il en r\u00e9sulte un tintement sonore tr\u00e8s agr\u00e9able \u00e0 \u00e9couter si on y fait un tant soi peu attention le tintement agr\u00e9able contraste avec le grincement m\u00e9tallique cela cr\u00e9er un \u00e9quilibre on pourrait penser \u00e0 une histoire de vases communicants ou encore une sorte de r\u00e9tribution qu\u2019offre parfois ce son agr\u00e9able pour avoir pr\u00eate autant &\u00b4attention au d\u00e9sagr\u00e9able \u00e0 ce crissement m\u00e9tallique qui me surprend au moment o\u00f9 doucement je m\u2019enfonce dans la r\u00eaverie et m\u2019en extrait brusquement \u00e0 chaque fois mais est-ce ce toutes ces choses que je per\u00e7ois ainsi et qui ne me rendent pas tranquille est-ce que c\u2019est vraiment \u00e7a n\u2019est-ce pas comme si je leur avais d\u00e9l\u00e9gu\u00e9es ce que j\u2019appelle la tranquillit\u00e9 est ce que ces choses sont responsables de mon Intranquillit\u00e9 d\u2019un moment o\u00f9 bien est ce que j\u2019en profite par facilit\u00e9 par l\u00e2chet\u00e9 aussi pour leur attribuer la responsabilit\u00e9 que moi je ne parviens pas \u00e0 prendre pour retrouver cette tranquillit\u00e9 est ce que \u00e7a ne m\u2019arrange pas de venir m\u2019asseoir dans cette cour et de passer ainsi un moment plus ou moins long \u00e0 me plaindre de quelque chose d\u2019une absence de quelque chose que je veux nommer la tranquillit\u00e9 et qui n\u2019est peut \u00eatre qu\u2019un mot que j\u2019attrape comme \u00e7a par r\u00e9flexe par facilit\u00e9 par l\u00e2chet\u00e9 pour ne pas avoir \u00e0 prendre une responsabilit\u00e9 et maintenant je me sens b\u00eate et un peu coupable aussi de ne pas me sentir tranquille et maintenant les voisins ont ferm\u00e9 leur fen\u00eatre je n\u2019entends plus leur musique de merde c\u2019est termin\u00e9 ainsi que tous les cris les rires de l\u2019enfant et maintenant le vent est tomb\u00e9 il n\u2019y a presque plus de bruit alors comment je vais faire pour continuer \u00e0 le sentir intranquille il faut que j\u2019aille chercher encore plus loin des bruits susceptibles de devenir responsables de cet agacement je vais les chercher au del\u00e0 du p\u00e2t\u00e9 de maisons au del\u00e0 du parking qui se trouve apr\u00e8s le p\u00e2t\u00e9 de maison sur la route nationale sur cette d\u00e9viation de la RN7 sur laquelle des voitures passent acc\u00e9l\u00e8rent freinent klaxonnent acc\u00e9l\u00e8rent freinent klaxonnent \u00e0 cause du feu rouge qui se trouve juste sur la gauche avant d\u2019emprunter la petite rue en sens unique passant devant le parking sans respecter la moindre limitation de vitesse tout le monde s\u2019en fout un jour il y aura un accident toutes les voitures foncent dans cette rue devant le parking et le p\u00e2t\u00e9 de maisons puis devant la maison o\u00f9 finalement j\u2019habite nous habitons une maison avec un ext\u00e9rieur une petite cour que l\u2019on pourrait trouver tranquille \u00e0 premi\u00e8re vue c\u2019est ce que tout un tas de gens qui viennent ici nous disent qu\u2019elle petite cour agr\u00e9able vous devez \u00eatre bien tranquilles et j\u2019entends d\u00e9sormais des voitures auxquelles je ne faisais pas attention tout \u00e0 l\u2019heure quand mon attention se portait uniquement sur cette musique de merde des voisins qui d\u00e9sormais ont ferm\u00e9 leur fen\u00eatre quand je faisais attention aux cris de l\u2019enfant et que j\u2019en profitais pour r\u00e2ler int\u00e9rieurement en me disant que \u00e7a me d\u00e9rangeait ces cris ces rires de l\u2019enfant des voisins qui se foutent royalement des gens du quartier tout autour qui vivent \u00e0 trois avec un chat que j\u2019aper\u00e7ois de temps en temps \u00e0 la fen\u00eatre un chat noir une fen\u00eatre pas tr\u00e8s grande et que j\u2019imagine \u00eatre la fen\u00eatre de leur cuisine dans leur petit appartement sans ext\u00e9rieur<\/p>", "content_text": "Ce texte fait partie d\u2019une recherche que j\u2019effectue sur les \u00e9crits de Christophe Tarkos dans le cadre d\u2019un atelier d\u2019\u00e9criture anim\u00e9 par Fran\u00e7ois Bon. Il est volontairement sans ponctuation et il s\u2019agit d\u2019une fiction. Je suis parti de l\u2019expression \u00ab je ne suis pas tranquille \u00bb que l\u2019auteur utilise pour introduire un texte destin\u00e9 \u00e0 une voix, \u00e0 la chanteuse Fran\u00e7oise Atlan ce texte a pour titre \u00ab oratorio \u00bb \n\nJe ne me sens pas tranquille la goutti\u00e8re pousse un cri de m\u00e9tal quand la branche de l\u2019olivier en pot frotte sur la goutti\u00e8re par intermittence je ne me sens pas tranquille quand la musique dont le volume est excessif p\u00e9n\u00e8tre ici dans la cour une musique que je n\u2019ai pas choisi ni d\u2019entendre ni d\u2019\u00e9couter une musique que les voisins m\u2019imposent en plus du vagissement de leur b\u00e9b\u00e9 en plus de ses cris de ses rires de ses pleurs et de leurs cris \u00e0 eux un couple de voisins dans la trentaine qui ne cesse de s\u2019engueuler copieusement et je me dis que je ne peux pas me sentir tranquille comme je le voudrais comme je le souhaiterais comme j\u2019en r\u00eave quand tous ces bruits cette musique de merde ces cris ces rires s\u2019engouffrent ici dans la cour sans que je ne puisse rien y faire qui me rendent impuissant d\u2019agir en quoi que ce soit de logique de sens\u00e9 de raisonnablement humain et puis il fait chaud tr\u00e8s chaud c\u2019est \u00e9touffant et le vent qui s\u2019engouffre ici dans la cour par intermittence ne me rend pas tranquille non plus j\u2019imagine j\u2019essaie de m\u2019habituer \u00e0 tout \u00e7a mais \u00e7a demande un effort, un effort r\u00e9p\u00e9t\u00e9 fatiguant \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter surtout qu\u2019un tel effort ne change rien un tel effort ne me rendra pas plus tranquille je l\u2019entrevois d\u00e9j\u00e0 il fait si chaud et l\u00e0 sensation d\u2019\u00e9touffement s\u2019intensifie au fur et \u00e0 mesure que j\u2019y pense elle aussi et comme pour insister encore un peu plus les voisins ont mont\u00e9 d\u2019un cran suppl\u00e9mentaire la musique maintenant je crois que c\u2019est du rap des choses que l\u2019on dirait crach\u00e9es par saccades par des voix barbares \u00e0 tonalit\u00e9 basses et rageuses arrogantes d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9es sans doute avec une telle violence j\u2019imagine que c\u2019est violent et pas uniquement une \u00e9nergie d\u00e9ploy\u00e9e comme \u00e7a pour rien c\u2019est une musique qui a comme but d\u2019agresser quelque chose chez les gens une musique qui veut s\u2019en prendre violemment \u00e0 quelqu\u2019un et quelqu\u2019un et \u00e7a ne me rend pas tranquille quand je me rends compte que c\u2019est moi ce quelqu\u2019un c\u2019est du rap je crois c\u2019est fort mais pas encore assez distinct suffisamment pour \u00e9couter les paroles on ne peut que les subir ainsi comme des sons des bribes de paroles violentes et insens\u00e9es on devine tout \u00e7a et \u00e7a se m\u00e9lange avec les cris de la m\u00e8re sur l\u2019enfant les cris du p\u00e8re sur la m\u00e8re qui crie sur l\u2019enfant et les rires ou les pleurs de l\u2019enfant au demeurant ce n\u2019est peut-\u00eatre pas un b\u00e9b\u00e9 comme je le croyais je perds mes rep\u00e8res en ce moment je ne me sens pas tranquille et la branche de l\u2019olivier par intermittence fait \u00e0 nouveau grincer le m\u00e9tal de la goutti\u00e8re cette musique qu\u2019on m\u2019impose je n\u2019ai pas de mot qui me vienne que celui d\u2019injustice c\u2019est une injustice mais je ne peux rien y faire je la subis et je fais des efforts pour m\u2019y habituer mais elle me d\u00e9range et \u00e7a ne me rend pas tranquille \u00e7a me mets m\u00eame en col\u00e8re \u00e0 me laisser \u00e0 cette facilit\u00e9 de la col\u00e8re \u00e0 la faiblesse d\u2019avoir \u00e0 la subir cette musique de merde que je n\u2019ai pas choisie d\u2019\u00e9couter c\u2019est comme si le voisin te chiait sur la gueule merde avec sa musique de merde et \u00e7a ne te rend pas tranquille bien s\u00fbr de penser ce genre de chose j\u2019imagine qu\u2019il s\u2019en fout des autres pas de moi seulement mais de tous les autres voisins du quartier et je ne sais pas si lui le voisin est si tranquille que \u00e7a s\u00fbrement pas j\u2019essaie d\u2019imaginer s\u2019il peut vraiment se sentir tranquille d\u2019emmerder comme \u00e7a le monde tout autour de lui je ne sais pas s\u2019il en est conscient ou pas s\u2019il le fait expr\u00e8s ou s\u2019il s\u2019en fout royalement voil\u00e0 il est comme un roi qui d\u00e9cide arbitrairement de tourner le bouton du volume et sa putain de musique prend le pas domine sur toutes les pens\u00e9es les miennes et sans doute aussi celles de tous les voisins du quartier mais personne ne dit rien tout le monde se tait il fait si chaud c\u2019est \u00e9touffant et toutes les pens\u00e9es en tous cas que je pourrais avoir si j\u2019\u00e9tais l\u00e0 tranquillement assis dans la cour le voisin n\u2019a pas de cour il ne sait pas ce que c\u2019est d\u2019\u00eatre assis dans une cour comme celle-ci le voisin ne sait pas o\u00f9 ne veut pas savoir ce que \u00e7a peut \u00eatre d\u2019avoir une cour et de vouloir s\u2019y asseoir pour penser \u00e0 tout un tas de choses tranquillement et se sentir soudain intranquille \u00e0 cause d\u2019un con qui ne conna\u00eet pas plus le respect que les limites il s\u2019en fout il ne veut rien savoir il ne peut pas non plus imaginer qu\u2019une branche d\u2019olivier dans un pot \u00e0 l\u2019angle de cette cour frotte par intermittence contre la goutti\u00e8re du b\u00e2timent qui cerne cette cour et que \u00e7a produit un bruit que l\u2019on conna\u00eet m\u00eame si c\u2019est un peu aga\u00e7ant ce n\u2019est pas la m\u00eame chose tout \u00e0 fait on peut agir sur ce bruit en d\u00e9cidant un jour de couper la branche par exemple tout le monde a des probl\u00e8mes qu\u2019il d\u00e9cide de r\u00e9soudre comme il peut ou pourra ce que je ne me r\u00e9sous pas \u00e0 faire parce que finalement je crois que je me suis habitu\u00e9 \u00e0 ce bruit particulier d\u00e9sormais ce crissement m\u00e9tallique que produit le contact de la branche de cet arbre sur le rebord m\u00e9tallique de la goutti\u00e8re Il y a un petit carillon m\u00e9tallique que nous avons accroch\u00e9 \u00e0 l\u2019une des branches de l\u2019olivier en pot et quand le vent s\u2019engouffre dans la cour qu\u2019il produit un entrechoquement des petits tubes m\u00e9talliques de longueurs et de sections diff\u00e9rentes il en r\u00e9sulte un tintement sonore tr\u00e8s agr\u00e9able \u00e0 \u00e9couter si on y fait un tant soi peu attention le tintement agr\u00e9able contraste avec le grincement m\u00e9tallique cela cr\u00e9er un \u00e9quilibre on pourrait penser \u00e0 une histoire de vases communicants ou encore une sorte de r\u00e9tribution qu\u2019offre parfois ce son agr\u00e9able pour avoir pr\u00eate autant &\u00b4attention au d\u00e9sagr\u00e9able \u00e0 ce crissement m\u00e9tallique qui me surprend au moment o\u00f9 doucement je m\u2019enfonce dans la r\u00eaverie et m\u2019en extrait brusquement \u00e0 chaque fois mais est-ce ce toutes ces choses que je per\u00e7ois ainsi et qui ne me rendent pas tranquille est-ce que c\u2019est vraiment \u00e7a n\u2019est-ce pas comme si je leur avais d\u00e9l\u00e9gu\u00e9es ce que j\u2019appelle la tranquillit\u00e9 est ce que ces choses sont responsables de mon Intranquillit\u00e9 d\u2019un moment o\u00f9 bien est ce que j\u2019en profite par facilit\u00e9 par l\u00e2chet\u00e9 aussi pour leur attribuer la responsabilit\u00e9 que moi je ne parviens pas \u00e0 prendre pour retrouver cette tranquillit\u00e9 est ce que \u00e7a ne m\u2019arrange pas de venir m\u2019asseoir dans cette cour et de passer ainsi un moment plus ou moins long \u00e0 me plaindre de quelque chose d\u2019une absence de quelque chose que je veux nommer la tranquillit\u00e9 et qui n\u2019est peut \u00eatre qu\u2019un mot que j\u2019attrape comme \u00e7a par r\u00e9flexe par facilit\u00e9 par l\u00e2chet\u00e9 pour ne pas avoir \u00e0 prendre une responsabilit\u00e9 et maintenant je me sens b\u00eate et un peu coupable aussi de ne pas me sentir tranquille et maintenant les voisins ont ferm\u00e9 leur fen\u00eatre je n\u2019entends plus leur musique de merde c\u2019est termin\u00e9 ainsi que tous les cris les rires de l\u2019enfant et maintenant le vent est tomb\u00e9 il n\u2019y a presque plus de bruit alors comment je vais faire pour continuer \u00e0 le sentir intranquille il faut que j\u2019aille chercher encore plus loin des bruits susceptibles de devenir responsables de cet agacement je vais les chercher au del\u00e0 du p\u00e2t\u00e9 de maisons au del\u00e0 du parking qui se trouve apr\u00e8s le p\u00e2t\u00e9 de maison sur la route nationale sur cette d\u00e9viation de la RN7 sur laquelle des voitures passent acc\u00e9l\u00e8rent freinent klaxonnent acc\u00e9l\u00e8rent freinent klaxonnent \u00e0 cause du feu rouge qui se trouve juste sur la gauche avant d\u2019emprunter la petite rue en sens unique passant devant le parking sans respecter la moindre limitation de vitesse tout le monde s\u2019en fout un jour il y aura un accident toutes les voitures foncent dans cette rue devant le parking et le p\u00e2t\u00e9 de maisons puis devant la maison o\u00f9 finalement j\u2019habite nous habitons une maison avec un ext\u00e9rieur une petite cour que l\u2019on pourrait trouver tranquille \u00e0 premi\u00e8re vue c\u2019est ce que tout un tas de gens qui viennent ici nous disent qu\u2019elle petite cour agr\u00e9able vous devez \u00eatre bien tranquilles et j\u2019entends d\u00e9sormais des voitures auxquelles je ne faisais pas attention tout \u00e0 l\u2019heure quand mon attention se portait uniquement sur cette musique de merde des voisins qui d\u00e9sormais ont ferm\u00e9 leur fen\u00eatre quand je faisais attention aux cris de l\u2019enfant et que j\u2019en profitais pour r\u00e2ler int\u00e9rieurement en me disant que \u00e7a me d\u00e9rangeait ces cris ces rires de l\u2019enfant des voisins qui se foutent royalement des gens du quartier tout autour qui vivent \u00e0 trois avec un chat que j\u2019aper\u00e7ois de temps en temps \u00e0 la fen\u00eatre un chat noir une fen\u00eatre pas tr\u00e8s grande et que j\u2019imagine \u00eatre la fen\u00eatre de leur cuisine dans leur petit appartement sans ext\u00e9rieur", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/unnamed-2.jpg?1762114917", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ] }