{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/01-ranger-les-livres-difficile-de-donner-une-definition-claire-de-cet.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/01-ranger-les-livres-difficile-de-donner-une-definition-claire-de-cet.html", "title": "Recherche sur la nouvelle", "date_published": "2024-04-30T08:43:00Z", "date_modified": "2025-09-30T09:15:14Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Difficile de donner une d\u00e9finition claire de cet endroit o\u00f9 l\u2019on range des livres. Ranger c\u2019est chinois dans le genre chinoiseries. La premi\u00e8re biblioth\u00e8que dans le bureau du p\u00e8re, en faux acajou, de chez France Loisirs. L\u2019odeur du feu de chemin\u00e9e. L\u2019odeur d\u2019Amsterdamer. La collection de pipes ( il lit Simenon) La lampe Napol\u00e9on, le bureau Empire \u00e0 sous-main vert olive. Le facteur, chaque semaine, ou peut-\u00eatre deux fois le mois, livre les colis. Des livres broch\u00e9s, \u00e0 couverture rigide, lettres dor\u00e9es , souvent, grav\u00e9es dans ce qu\u2019il faut sans doute imaginer \u00eatre du cuir. Quelque chose qui fait penser au fer rouge. Il est interdit de toucher aux livres. En \u00f4ter un laisse une b\u00e9ance. Visible imm\u00e9diatement. Donc pas touche.
\nLa biblioth\u00e8que de l\u2019arri\u00e8re grand p\u00e8re qui vit au rez-de-chauss\u00e9e n\u2019est pas visible au tout venant. Elle se trouve dans sa chambre \u00e0 coucher. Limit\u00e9e \u00e0 deux ou trois \u00e9tag\u00e8res seulement. Tout Fran\u00e7ois Copp\u00e9e. Tout Alexandre Dumas. Tout Victor Hugo. Deux gros Bouillet. Ce sont des grands livres en cuir v\u00e9ritable avec des gravures. Ils sont peu pratiques \u00e0 manier. D\u2019ailleurs je ne les manie pas. On me les montre, parfois on en ouvre un sur la table de la cuisine. C\u2019est une op\u00e9ration quasi religieuse. Tourner lentement les pages, lire lentement, regarder lentement. Parfois c\u2019est seulement deux pages et pas plus. Puis on emporte l\u2019objet pour le remiser \u00e0 sa place. Ici la b\u00e9ance est seulement temporaire et vite rebouch\u00e9e.
\nLa biblioth\u00e8que du p\u00e8re de mon p\u00e8re est succincte. Elle tient sur trois \u00e9tag\u00e8res dans un meuble en pin naturel . Ce sont des s\u00e9ries noires, des S.A.S. Et son Darwin : » L\u2019origine des esp\u00e8ces » couverture rigide, us\u00e9e car beaucoup utilis\u00e9e.
\nLa biblioth\u00e8que de la m\u00e8re de mon p\u00e8re est encore plus succincte : Un gros Tout en Un et quelques piles de Nous-Deux, Modes et Travaux, Rustica. Dans Nous-Deux il y a des romans photo en noir et blanc , pas tr\u00e8s passionnant. Sans oublier, bien sur, le catalogue de la Redoute. Le tout tient dans la table de chevet. Le Tout en Un est pr\u00e8s de la lampe , tout le reste est empil\u00e9 sur les \u00e9tag\u00e8res en dessous.
\nLa biblioth\u00e8que de ma m\u00e8re est grosso modo la m\u00eame que celle du p\u00e8re. Elle peut emprunter tous les livres qu\u2019elle veut. Mais elle les range une fois lus \u00e0 leur place. Elle est ordonn\u00e9e. Sur ce point elle est aussi vigilante que le p\u00e8re en mati\u00e8re de b\u00e9ance. Elle a conserv\u00e9 de sa vie d\u2019avant leur rencontre 4 tomes d\u00e9penaill\u00e9s d\u2019U.H Tammsaare roman estonien , genre de saga intitul\u00e9e « La terre des voleurs ». Chose \u00e9tonnante je les ai encore avec moi.
\nJe n\u2019ai jamais eu de biblioth\u00e8que \u00e0 proprement parler s\u2019il s\u2019agit d\u2019un meuble o\u00f9 ranger des livres sur des \u00e9tag\u00e8res avant l\u2019\u00e2ge de 18 ans. Dans la chambre \u00e0 coucher, les livres \u00e9taient empil\u00e9s \u00e0 m\u00eame le sol pr\u00e8s du lit. Et puis parall\u00e8lement j\u2019ai fr\u00e9quent\u00e9 beaucoup de biblioth\u00e8ques publiques. A partir de 8 ans, emprunter des livres me mettait en joie. Poss\u00e9der un livre, l\u2019id\u00e9e m\u2019est venue assez tardivement.
\nA l\u2019\u00e2ge de 18 ans je b\u00e9n\u00e9ficiai soudain d\u2019une occasion me permettant de me dire « j\u2019ai moi aussi une biblioth\u00e8que ». Mais ce n\u2019\u00e9tait probablement une chose que j\u2019avais brigu\u00e9 intens\u00e9ment. Juste des pens\u00e9es fugaces parfois. L\u2019appartement que m\u2019avait propos\u00e9 un de mes oncles \u00e0 la location \u00e9tait petit mais l\u2019espace \u00e9tait exploit\u00e9 d\u2019une mani\u00e8re incroyablement judicieuse. Dans ce qui faisait office de salon, des \u00e9tag\u00e8res avaient \u00e9t\u00e9 construites dans des niches qui devaient \u00eatre \u00e0 l\u2019origine des encadrements de portes menant d\u2019une chambre de bonne \u00e0 l\u2019autre. Il y avait au moins 10 \u00e9tag\u00e8res de disponible. Ce fut l\u2019occasion d\u2019amasser plus que jamais. La plupart du temps des livres de seconde main, lors de promenades sur les quais.
\nA l\u2019\u00e2ge de 20 ans je laissai soudain toute ma biblioth\u00e8que car je n\u2019avais pas assez de place dans mon sac pour la transporter. J\u2019errais de chambre d\u2019h\u00f4tel en chambre d\u2019h\u00f4tel. Les livres que je lisais \u00e0 cette \u00e9poque \u00e9taient emprunt\u00e9es aux diverses biblioth\u00e8ques auxquelles j\u2019\u00e9tais abonn\u00e9.
\n9. Ici il faudrait que je parle sans doute de mon rapport avec les biblioth\u00e8ques publiques. Notamment la biblioth\u00e8que du centre Georges Pompidou. Mais n\u2019allons pas trop vite. Inscrivons Beaubourg sur un post it<\/p>\n
10. En m\u00eame temps je ne peux pas ne pas noter sur un autre post it le nom de R. Et l\u2019appartement de la rue Quincampoix, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Dont les fen\u00eatre donnent sur la fa\u00e7ade de la maison de l\u2019oncle de Moli\u00e8re ? Ce fut la premi\u00e8re fois que je rencontrai quelqu\u2019un qui avait lu tous les livres qu\u2019il poss\u00e9dait. Il en avait des milliers et qui, chose extraordinaire, n\u2019\u00e9taient pas rang\u00e9s dans une biblioth\u00e8que, mais organis\u00e9s par piles un peu partout dans les deux pi\u00e8ces que constituaient son appartement. Il fallait naviguer dans des ruelles \u00e9troites pour parvenir au salon, encombr\u00e9 tout autant, mais on pouvait s\u2019asseoir pour grignoter et boire de petits verres de Payse. N\u00e9anmoins il savait toujours o\u00f9 trouver le livre qu\u2019il cherchait, ce qui peut paraitre extraordinaire, mais ne l\u2019est absolument pas de mon point de vue.<\/p>\n
11. Lire ces pages de Perec sur l\u2019art de ranger les livres m\u2019a fait rire. Je crois qu\u2019il s\u2019en fiche tout autant que R. C\u2019est \u00e0 dire de cet ordre qu\u2019il faudrait suivre pour bien ranger une biblioth\u00e8que. D\u2019o\u00f9 viendrait un tel ordre ? d\u2019un h\u00e9ritage probablement. Quelqu\u2019un te montrerait un ordre qu\u2019il aurait lui m\u00eame h\u00e9rit\u00e9 de quelqu\u2019un d\u2019autre et toi tu ne te poserais pas la moindre question pour emboiter le pas \u00e0 tout ce beau monde. Non, bien s\u00fbr que non. H\u00e9riter d\u2019un ordre c\u2019est h\u00e9riter aussi des dettes comme dans n\u2019importe quelle succession. Et il y a toujours des dettes qu\u2019on l\u2019envisage clairement ou pas.<\/p>\n
12. le fait d\u2019emballer ou de d\u00e9baller des livres s\u2019est peu pr\u00e9sent\u00e9 comme \u00e9v\u00e8nement important dans toute mon existence. J\u2019ai laiss\u00e9 derri\u00e8re moi plusieurs biblioth\u00e8ques, comme j\u2019ai laiss\u00e9 des meubles, de l\u2019\u00e9lectro m\u00e9nager, de la vaisselle et des v\u00eatements. La raison principale que je peux donner \u00e0 cette habitude c\u2019est la certitude d\u2019\u00eatre une sorte de juif errant. C\u2019est ce personnage principalement qui m\u2019aura hant\u00e9 la plus grande partie de ma vie. Maintenant j\u2019ai un peu chang\u00e9, je pr\u00e9f\u00e8re parler de dibbouk. Je suis hant\u00e9 par une \u00e2me errante ce qui ne signifie pas pour autant que je suis moi une \u00e2me errante. Nuance importante.<\/p>\n
13. C\u2019est dommage que je ne sache fabriquer avec du code invisible au public un amas de post-il que je pourrais \u00e9tendre dans l\u2019espace de ce billet de blog. J\u2019ai essay\u00e9 bien s\u00fbr mais une partie du code apparait, car je n\u2019ai pas les droits d\u2019administration tout simplement. Mais je peux tout \u00e0 fait imaginer un plancher avec tous ces morceaux de papier \u00e9pars. D\u2019ailleurs chose \u00e9tonnante, mon bureau actuellement est compl\u00e8tement vide. J\u2019ai ce week-end retir\u00e9 tout ce qu\u2019il y avait dedans pour refaire le parquet. Je suis tomb\u00e9 sur de vieilles planches \u00e0 peine \u00e9quarries. Il y a du changement dans l\u2019air. Et peut-\u00eatre aussi un peu d\u2019organisation \u00e0 venir. C\u2019est un v\u0153u pieux.<\/p>\n
14. comme d\u2019habitude je ne suis pas vraiment s\u00fbr d\u2019avoir saisi le sens exact de la proposition d\u2019\u00e9criture. Comme d\u2019habitude je fais avec.<\/p>\n
15. Cette biblioth\u00e8que familiale regroupant toutes les biblioth\u00e8ques des uns et des autres est d\u00e9sormais chez moi. La plupart des livres sont encore dans des cartons depuis une bonne dizaine d\u2019ann\u00e9es, au grenier. Je ne sais pas si je rouvrirai un jour tous ces cartons. Sans doute pas. Pas plus que je ne me r\u00e9sous \u00e0 m\u2019en d\u00e9barrasser. Ils sont l\u00e0 haut, au dessus de nos t\u00eates mon \u00e9pouse et moi. Comme ce monstre du grenier qui dans mes cauchemars d\u2019enfant d\u00e9valait avec fracas le grand escalier. Parfois l\u2019\u00e9t\u00e9 je monte par l\u2019\u00e9chelle escamotable, je regarde les planches en acajou de cette biblioth\u00e8que que je ne me suis jamais attel\u00e9 \u00e0 reconstruire. J\u2019hume le parfum des livres enferm\u00e9s dans les cartons. \u00e7a me suffit pour me souvenir de tous les membres de cette famille d\u00e9sormais disparus. Un genre de cimeti\u00e8re.<\/p>\n
16. Depuis le jour o\u00f9 j\u2019ai rencontr\u00e9 mon \u00e9pouse j\u2019ai peu \u00e0 peu reconstitu\u00e9 une biblioth\u00e8que. C\u2019est une biblioth\u00e8que qui se trouve dans une pi\u00e8ce d\u00e9di\u00e9e. Tout sur des \u00e9tag\u00e8res mais pas vraiment rang\u00e9. On a m\u00eame fait deux rang\u00e9es par \u00e9tag\u00e8re, ce qui fait que lorsqu\u2019on cherche un livre on est souvent oblig\u00e9 de partir en exploration, d\u2019\u00f4ter dix livres pour en trouver un. Comme Perec le dit \u00e0 juste titre souvent on cherche un livre, et c\u2019est sept qu\u2019on trouve, c\u2019est \u00e9patant.<\/p>\n
17. L\u2019id\u00e9e de la biblioth\u00e8que comme celle du feu qui cr\u00e9pite dans une chemin\u00e9e est un fantasme que j\u2019ai conserv\u00e9 longtemps avant de savoir que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019un fantasme.<\/p>\n
18. L\u2019id\u00e9e de troph\u00e9e comme \u00e0 la chasse me vient aussi quand je vois une biblioth\u00e8que. L\u2019id\u00e9e de poss\u00e9der un livre comme on peut poss\u00e9der un ou une autre aussi. Constituer une biblioth\u00e8que tout seul o\u00f9 je serais le seul \u00e0 lire les livres qu\u2019elle contient m\u2019agace beaucoup quand j\u2019y pense. Cela me renvoie probablement \u00e0 des territoires d\u2019enfance, \u00e0 la notion de propri\u00e9t\u00e9, \u00e0 la notion de savoir comme de propri\u00e9t\u00e9.<\/p>\n
19. Le plaisir de lire un livre provenant d\u2019une biblioth\u00e8que s\u2019accroit en pensant que je ne suis pas le seul \u00e0 le lire. M\u00eame si je ne le dis jamais \u00e0 voix haute, m\u00eame si je ne me le dis pas tr\u00e8s clairement. M\u00eame si cela reste suffisamment confus pour que je ne disserte pas trop l\u00e0-dessus.<\/p>\n
20. La probl\u00e9matique du rangement, des textes, comme des livres. Ainsi celui-ci. Ces notes. J\u2019essaie de comprendre la consigne et d\u00e9j\u00e0 je ne sais que mettre dans le titre \u00e0 part « nouvelles ». Puisque le but est d\u2019empiler les textes les uns sous les autres dans ce billet ( d\u2019apr\u00e8s la d\u00e9mo ). Du coup peut-\u00eatre que tous feront pareil. Nouvelles, nouvelles nouvelles. Dr\u00f4le. Finalement on ne distinguera plus que si l\u2019on fouille. Distinguer n\u2019est pas voir, c\u2019est un peu plus qu\u2019apercevoir. Et je ne parle m\u00eame pas du point de vue. Sur l\u2019ordre chacun semble avoir le sien si l\u2019on y regarde \u00e0 deux fois.<\/p>\n
21. voil\u00e0, plein de papiers jonchent le sol. Et maintenant dans quel ordre les agencer, aucune id\u00e9e. \u00e7a reste ouvert, \u00e7a peut encore changer, \u00e7a peut \u00eatre aussi tout autre. On peut aussi laisser le hasard, le vent entrer dans la pi\u00e8ce, ce serait pas bien diff\u00e9rent.<\/p>\n
22. L\u2019intention serait utile certainement. Une intention mais laquelle ? surement pas pour faire bien. Et l\u2019intention arrive quand ? au d\u00e9part ? au milieu ? \u00e0 la fin ? Peut-\u00eatre n\u2019arrive t\u2019elle pas, il faudrait aussi le pr\u00e9voir. Le fait de ne pas avoir d\u2019intention est-il aussi une intention ? l\u2019intention de n\u2019en avoir aucune ; \u00e7a me rappelle Gide et l\u2019acte gratuit qui ne trouve pas sa gratuit\u00e9 et pour cause.<\/p>\n
23. Si je n\u2019ai pas dit au moins mille fois : il faudrait que je range mes livres et de m\u2019arr\u00eater net sid\u00e9r\u00e9, fascin\u00e9, par le d\u00e9sordre. J\u2019imagine une biblioth\u00e8que akashique ou Borg\u00e8sienne. Tout serait l\u00e0 p\u00eale-m\u00eale et l\u2019embarras du choix. Comment ranger les livres sans d\u00e9passer cette sid\u00e9ration et \u00e9viter Scylla. Filer entre deux, sans courroucer les dieux.<\/p>\n
La biblioth\u00e8que nous cerne presque enti\u00e8rement, trois murs sur quatre couverts de livres. C\u2019est une biblioth\u00e8que France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux coulissants que l\u2019on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur g\u00e9n\u00e9rale est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit r\u00e9ellement de l\u2019acajou qui est un bois pr\u00e9cieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reli\u00e9s ; couvertures rigides, lettres grav\u00e9es sur un genre de simili-cuir.<\/p>\n
Cette attirance et cette r\u00e9pulsion pour les livres destin\u00e9s \u00e0 donner le change remonte \u00e0 loin. Encore que l\u2019effroi arrive plus tard, \u00e0 l\u2019adolescence.<\/p>\n
Comment les livres sont-il rang\u00e9s dans cette biblioth\u00e8que ? Par ordre d\u2019arriv\u00e9e des colis ? Par couleur de couverture ? Par ordre alphab\u00e9tique ? Par genre ? Je ne m\u2019en souviens pas. J\u2019arrive devant cette barri\u00e8re de livres, je vois les couleurs, les tailles, vaguement il me semble en reconna\u00eetre quelques uns, ce dont je me m\u00e9fie car dans la reconstruction de ce souvenir la pr\u00e9cision, le familier sont des dangers.<\/p>\n
L\u2019utilisation du mot barri\u00e8re pour dire que nous serions derri\u00e8re peut-\u00eatre enferm\u00e9s peut-\u00eatre prot\u00e9g\u00e9s par celle-ci ?<\/p>\n
La biblioth\u00e8que nous cerne presque enti\u00e8rement, trois murs sur quatre couverts de livres. C\u2019est une biblioth\u00e8que France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux que l\u2019on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit r\u00e9ellement de l\u2019acajou qui est un bois pr\u00e9cieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reli\u00e9s ; couvertures rigides, lettres grav\u00e9es sur un genre de simili-cuir.<\/p>\n
Confin\u00e9 dans une prison dont les murs sont constitu\u00e9s de livres, une prison de papier, une for\u00eat d\u2019arbres abattus.<\/p>\n
Et faire comme si de rien n\u2019\u00e9tait, mettre un peu d\u2019ordre dans tout cela. Classer, ranger, s\u2019en trouver bien, rassur\u00e9, heureux ?<\/p>\n
A c\u00f4t\u00e9 de cette image presque aussit\u00f4t des alignements dans une grande cour l\u2019hiver, un camp et des milliers d\u2019\u00eatres rang\u00e9s comme des livres, par taille, par race, par genre, par plus ou moins bon \u00e9tat de sant\u00e9.<\/p>\n
A c\u00f4t\u00e9 de \u00e7a des montagnes de lunettes, de dents, de cheveux. Bien rang\u00e9s eux aussi.<\/p>\n
L\u2019id\u00e9e que l\u2019on puisse tenir \u00e0 une biblioth\u00e8que comme « \u00e0 la prunelle de ses yeux » ne me fait plus sourire ainsi que mon cynisme, dans le temps, m\u2019obligeait \u00e0 m\u2019en moquer ; Je peux concevoir cet engouement, et m\u00eame cet amour pour les objets \u00e0 pr\u00e9sent m\u00eame si, quelque chose en moi se refuse encore \u00e0 le partager. Et ce n\u2019est pas par m\u00e9pris, mais parce qu\u2019il est trop tard pour entretenir ce genre d\u2019attachement. Pour y croire sinc\u00e8rement. Avec quel ordre ont-ils \u00e9t\u00e9 aux prises. Je me le demande seulement \u00e0 pr\u00e9sent. Et presque aussit\u00f4t un sentiment mitig\u00e9 li\u00e9 au mot collaborer fait irruption. Ils ont collabor\u00e9 avec un ordre qui de toute \u00e9vidence n\u2019\u00e9tait pas le leur. Ils ont obtemp\u00e9r\u00e9, accept\u00e9 sans broncher l\u2019ordre quel qu\u2019il fut.<\/p>\n
Une fois ceci \u00e9crit mon r\u00e9flexe aussit\u00f4t est de vouloir l\u2019effacer. Et cette r\u00e9sistance de ne pas l\u2019effacer, sa force est \u00e9gale. Voici un immobile. Quelque chose doit se loger dans ce double mouvement. Et de revenir en arri\u00e8re encore et encore dans cette qu\u00eate.<\/p>\n
Qu\u2019on puisse m\u2019avoir cach\u00e9 un secret aussi \u00e9norme durant toutes ces ann\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019\u00e0 la fin, \u00e0 bout de force je puisse penser \u00eatre compl\u00e8tement cingl\u00e9, que je puisse venir m\u00eame \u00e0 penser m\u2019\u00eatre invent\u00e9 un tel secret. A quel prix paie t\u2019on sa protection pour l\u2019avenir, \u00e0 quel prix ce bonheur cette innocence comme s\u2019ils valaient tout l\u2019or du monde, plus que tout l\u2019or du monde ?<\/p>\n
Image inqui\u00e9tante des livres s\u2019alignant sur des \u00e9tag\u00e8res comme des gens emprisonn\u00e9s dans un camp. Image exag\u00e9r\u00e9e pense t\u2019on ? Qu\u2019un ordre soit aboy\u00e9 ou dit \u00e0 voix douce le r\u00e9sultat est le m\u00eame pendant longtemps. L\u2019image d\u2019un livre qui rentre ou sort du rang.<\/p>\n
S\u2019en suivra des alignements de fortune, des \u00e9tag\u00e8res branlantes, des tablettes fix\u00e9es avec des \u00e9querres dans des parois. Peut-\u00eatre des installations proches de celles d\u2019un art contemporain, des totems. Mais, la plupart du temps des empilements pr\u00e8s d\u2019un mur comme des n\u00e9cessit\u00e9s de contrefort, de contrepoids. Et comment penser un ordre dans l\u2019organisation de ces piliers sinon qu\u2019ils tiennent, qu\u2019ils conservent l\u2019\u00e9quilibre, qu\u2019ils ne s\u2019affalent pas syst\u00e9matiquement victime de la pesanteur, de la gravit\u00e9 ; des fois l\u2019ordre est seulement contingence et rien d\u2019autre.<\/p>\n
Le mot bible ; dans biblioth\u00e8que. La Bible arrach\u00e9e au sable, c\u2019est un des titres que j\u2019ai retenu. Mais jamais lu, \u00e0 peine feuillet\u00e9. Le fait que Werner Keller veuille prouver les d\u00e9clarations de l\u2019Ancien Testament. L\u2019aversion pour la preuve. Celle par neuf ou par quatre, de tout temps.<\/p>\n
Le livre est une t\u00eate coup\u00e9e r\u00e9duite que les Jivaro actuels conservent dans d\u2019\u00e9tranges cloisons pour se pr\u00e9server de l\u2019ennui plus que pour apprendre quoi que ce soit de nouveau sur le Dehors.<\/p>\n
La collection de livres, un amas de bouquins, le tr\u00e9sor de l\u2019oncle Picsou dans lequel on le voit plonger t\u00eate la premi\u00e8re. Sourire b\u00e9at, regard en biais, suspicieux.<\/p>\n
L\u2019id\u00e9e de la biblioth\u00e8que proche de celle du cimeti\u00e8re. Les diff\u00e9rences de formats, de mat\u00e9riaux, \u00e9gales \u00e0 celles des s\u00e9pultures, et un regard ironique mais en dessous plut\u00f4t triste, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 sur ces deux id\u00e9es qu\u2019on joint par d\u00e9pit.<\/p>\n
R. me tint un long moment en haleine tout comme Sh\u00e9h\u00e9razade son Sultan, chaque soir extirpant un nouvel ouvrage de son bazar me promettant qu\u2019\u00e0 sa mort j\u2019en h\u00e9riterai. Qu\u2019allais-je donc faire de cette gigantesque amas d\u2019encre et de papier, l\u2019angoisse monte encore rien que de m\u2019en souvenir. Rien. Dans l\u2019impossibilit\u00e9 de choisir une hypoth\u00e8se d\u2019usage, bient\u00f4t je renoncerai \u00e0 R. comme \u00e0 ses livres. Ce qui est \u00e0 rapprocher de l\u2019image du renard prit au pi\u00e8ge qui pr\u00e9f\u00e8re se ronger la patte et s\u2019en aller clopin clopant<\/p>\n
( ou cahin caha )<\/p>\n
L\u2019homme affal\u00e9 dans un canap\u00e9 se tient devant ses livres comme un seigneur prot\u00e9g\u00e9 par ses sbires et je suis toujours ce pauvre h\u00e8re que l\u2019on jette \u00e0 ses pieds pour implorer une justice qui ne vient pas.<\/p>\n
Le fait de d\u00e9sirer un livre et s\u2019emp\u00eacher de le lire. Une sorte de volont\u00e9 d\u2019abstinence provoqu\u00e9e par un indicible malheur, l\u2019obligeait \u00e0 chercher une jouissance singuli\u00e8re pour se rendre singulier. Puis il se mit \u00e0 acheter des livres par dizaines dans une fr\u00e9n\u00e9sie incontr\u00f4lable. Les lisait-il ? non. Il les poss\u00e9dait et \u00e7a lui suffisait pour imiter le plaisir ou le pouvoir, pour effectuer une incartade dans la gabegie d\u2019avoir<\/p>\n
Ce type \u00e9tait tordu. Il imaginait qu\u2019en poss\u00e9dant des livres il acquerrait un poids dans le monde. Quand sa biblioth\u00e8que s\u2019\u00e9croula et l\u2019ensevelit, il eut l\u2019air fin.<\/p>\n
Puisque cette femme de toute \u00e9vidence ne l\u2019aimait plus, il lui laissa ses livres. On se demande encore \u00e0 quelle fin, pour quelles raisons, et comment continua t\u2019il sa vie n\u2019ayant plus le moindre livre \u00e0 sa disposition. Il aurait pu comprendre \u00e0 la premi\u00e8re perte, au premier abandon qu\u2019il ne servirait \u00e0 rien de racheter des livres, de se reconstituer une biblioth\u00e8que. Peut-\u00eatre que la condition dans laquelle il se trouva ne l\u2019emp\u00eacha pas de le faire.<\/p>\n
Jamais un livre lu ne m\u00e9rita \u00e0 ses yeux d\u2019\u00eatre relu. Il y avait tellement d\u2019autres livres \u00e0 lire. Mais, s\u2019il avait su lire, il se serait rendu compte qu\u2019il relisait toujours le m\u00eame livre.<\/p>\n
En mettant le nez dans un vieux livre on peut sentir parfois l\u2019odeur d\u2019un tr\u00e8fle \u00e0 quatre feuilles. Mais c\u2019est une odeur plus d\u00e9sir\u00e9e que v\u00e9ritable, la plupart du temps , en \u00e9tant r\u00e9aliste, on voit bien que les feuilles sont au nombre de trois.<\/p>\n
La biblioth\u00e8que d\u2019Alexandrie est une repr\u00e9sentation r\u00e9duite de la grande biblioth\u00e8que Akashique. Il faut tr\u00e9passer trois fois minimum , comparer les deux objets de ce fantasme de biblioth\u00e8que pour se rendre compte de l\u2019\u00e9tendue vertigineuse et d\u00e9risoire de notre imagination.<\/p>\n
Les nouvelles librairies ( titre \u00e0 mettre de c\u00f4t\u00e9 pour mieux l\u2019observer)
\nJe voulais reprendre cette histoire d\u2019une fa\u00e7on chronologique, retrouver les premi\u00e8res librairies de mon enfance, mais je ne trouvai rien. Quelque chose d\u2019opaque, un capharnaum d\u2019images se m\u00ealait, je voyais des rayons obliques de bandes dessin\u00e9es cotoyant des magasines f\u00e9minins, des fascicules de mots crois\u00e9s, peut-\u00eatre de mots m\u00eal\u00e9s \u00e9galement, encore que je ne soie pas certain que cette discipline exist\u00e2t \u00e0 cette \u00e9poque. ( Apr\u00e8s avoir effectu\u00e9 des recherches il semble que les premiers jeux de mots m\u00eal\u00e9s datent des ann\u00e9es 50, que leur inventeur est un certain Pedro Ocon de Oro) Mais ils arriv\u00e8rent tardivement blablabla<\/p>\n
La librairie des \u00eeles
\nLa librairie des \u00eeles\u2013 ce n\u2019est pas son vrai nom- se situe \u00e0 un jet de pierre du groupe scolaire dont j\u2019ai oubli\u00e9 le nom, dans l\u2019une des rues les plus \u00e9troites de ce quartier autrefois populaire ; au nord de cette ville<\/p>\n
Il faut que je me h\u00e2te d\u2019\u00e9crire le peu de souvenir qui s\u2019efface, se transforme, s\u2019\u00e9vanouit, bient\u00f4t tout n\u2019aura plus que la consistance sibylline du r\u00eave.<\/p>\n
J\u2019aurais voulu commencer par un souvenir biographique, bien s\u00fbr, et donc parler du libraire, qui fut mon ami. J\u2019aurais commenc\u00e9 par d\u00e9crire l\u2019arri\u00e8re boutique, cette petite cuisine o\u00f9 nous buvions du rhum en \u00e9voquant cet \u00e9crivain des \u00eeles qui r\u00e9v\u00e8le la beaut\u00e9 du cr\u00e9ole comme de la langue fran\u00e7aise. Mais \u00e0 l\u2019instant m\u00eame une fen\u00eatre s\u2019est ouverte brutalement sous l\u2019effet du vent, notre r\u00e9gion traverse des temp\u00eates ces derniers jours. Et cet incident m\u2019a soudain sembl\u00e9 surgir de fa\u00e7on opportune pour que j\u2019\u00e9vite toute r\u00e9f\u00e9rence biographique. Parmi toutes les interpr\u00e9tations, j\u2019ai pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 voir l\u00e0 comme un signe me privant de l\u2019autorisation d\u2019user de ce souvenir. Un peu comme on essuie une vitre embu\u00e9e du plat de la main ; j\u2019ai bien senti qu\u2019une image s\u2019effa\u00e7ait laissant la place \u00e0 une autre. Encore que ce ne soit pas vraiment une image \u00e0 proprement parler mais plut\u00f4t un pr\u00e9nom qui surgit : Ad\u00e8le.<\/p>\n
Ad\u00e8le est une antillaise aux yeux verts, la cinquantaine, atteinte par la maladie de lire tout ce qui lui tombe sous la main, une main tr\u00e8s \u00e9l\u00e9gante, comme peuvent l\u2019\u00eatre les colombes de Picasso ou de Matisse.<\/p>\n
Me voici \u00e0 la porte, j\u2019entre dans la librairie des \u00eeles pour acheter un nouveau carnet Clairefontaine, je ne veux surtout pas des reliures \u00e0 spirales que proposent les supermarch\u00e9s, j\u2019aspire ( j\u2019implore) \u00e0 obtenir le prochain carnet disposant d\u2019 une reliure en tissu noir et il faut aussi c\u2019est imp\u00e9ratif, que la couverture soit verte, et tr\u00e8s pr\u00e9cis\u00e9ment du m\u00eame vert que tous les autres carnets que j\u2019ai l\u2019habitude d\u2019utiliser.<\/p>\n
Ce serait un clich\u00e9 \u00e9videmment de dire que dans la librairie flotte une odeur de vanille, ou encore une odeur fruit\u00e9e, ou encore une odeur d\u2019encens, ce serait m\u00eame \u00e9trange que ce soit la marque d\u2019encens Sa\u00ef Baba et pourtant nous ne sommes plus \u00e0 une \u00e9tranget\u00e9 pr\u00e8s. Le fait est que l\u2019odeur soudain est l\u00e0 , une odeur ind\u00e9finissable qui me prend par les sentiments et \u00e0 nouveau je peux entendre le grelot joyeux de la porte d\u2019entr\u00e9e qu\u2019on ouvre pour entrer dans la librairie des \u00eeles.<\/p>\n
Quel \u00e2ge puis-je avoir ? , je ne m\u2019en souviens plus peut-\u00eatre entre vingt et vingt-cinq ans, moins de trente en tous cas ; c\u2019est tellement jeune mon Dieu, et comme je suis exigeant et t\u00eatu ; il me faut ce fameux feutre \u00e0 pointe fine, un FINELINER 0,5 mm de la marque STAEDTLER , car je fais aussi beaucoup de croquis.<\/p>\n
Il n\u2019y a personne dans la librairie \u00e0 cette heure de la journ\u00e9e, je crois qu\u2019il est quinze heures au clocher de l\u2019 \u00e9glise la plus proche ; d\u00e9sol\u00e9 je ne porte pas de montre.<\/p>\n
Ad\u00e8le est assise \u00e0 une table, elle est en train de lire lorsque je fais irruption avec mon obsession de carnet et de feutre ; la voici, elle est d\u00e9sol\u00e9e, elle sourit et ses yeux sont sinc\u00e8rement tristes, pas de carnet Clairefontaine chez elle. Et je m\u2019en serais retourn\u00e9 sans autre si elle ne m\u2019avait soudain retenu pour me demander \u00e0 quoi me sert ce petit carnet.<\/p>\n
— et j\u2019ai le feutre que vous chercher vous alliez l\u2019oublier ?<\/p>\n
question os\u00e9e . Je me demande si moi-m\u00eame j\u2019aurais \u00e9t\u00e9 capable de poser ce genre de question si j\u2019avais eu le bonheur d\u2019\u00eatre libraire et celui de vendre de la papeterie et des livres. Du coup me voici d\u00e9rid\u00e9.<\/p>\n
— Ce doit \u00eatre vraiment chouette d\u2019\u00eatre libraire je lance pendant qu\u2019elle me rend la monnaie et emballe le feutre dans un sac de papier. Je crois que j\u2019ai un peu de mal \u00e0 partir, elle est sympathique et, en jetant un coup d\u2019\u0153il aux tables et aux \u00e9tag\u00e8res je rep\u00e8re pas mal d\u2019auteurs que je ne connais pas. Je ne suis que peu l\u2019actualit\u00e9 litt\u00e9raire. Chaque ann\u00e9e, la multitude de bouquins qu\u2019il faudrait lire absolument m\u2019a toujours plaqu\u00e9 au sol. Et puis de toute fa\u00e7on, je n\u2019ai m\u00eame pas encore fini de lire tous les classiques.<\/p>\n
— vous devriez lire les essais d\u2019Alain Viala qui sortiront en 1993 me dit-elle en souriant.<\/p>\n
— Comment font les gens pour lire tout \u00e7a je demande \u00e0 Ad\u00e8le, en \u00e9ludant la proposition<\/p>\n
— Ils choisissent peut-\u00eatre de devenir libraires me r\u00e9plique t\u2019elle en riant<\/p>\n
Je m\u2019aper\u00e7ois que je fais tout pour faire l\u2019impasse sur la librairie elle-m\u00eame. Allons , un petit effort, elle n\u2019est pas bien grande, quelques tables, quelques \u00e9tag\u00e8res, au sol il y a du linol\u00e9um, et, dans un vase pos\u00e9 sur une console, de magnifiques lilyums blancs. Je me souviens maintenant du rapport exact, comme un accord parfait, du vert des feuilles et du blanc des p\u00e9tales, (\u00e0 noter).<\/p>\n
— J\u2019ai envie d\u2019un th\u00e9, \u00e7a vous dit ? me demande Ad\u00e8le en arrangeant quelques livres sur l\u2019une des tables. Bien que je sois plut\u00f4t caf\u00e9 je dis oui. Elle a l\u2019air de lire dans mes pens\u00e9es.<\/p>\n
— J\u2019ai aussi du caf\u00e9 si vous pr\u00e9f\u00e9rez. On rigole, \u00e7a fait du bien.<\/p>\n
— D\u2019autant que ces derniers temps rare de rigoler j\u2019ajoute.<\/p>\n
Et de nous mettre \u00e0 causer en buvant elle son th\u00e9 moi mon caf\u00e9.<\/p>\n
Je suis rest\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure de la fermeture, nous avons parl\u00e9 des livres qu\u2019Ad\u00e8le aimait, je ne me souviens \u00e9videmment plus des noms des auteurs, des titres non plus, mais ce n\u2019est pas bien grave je crois que ce qui m\u2019a fait le plus plaisir c\u2019\u00e9tait sa chaleur, la passion qu\u2019elle diffusait comme un phare sa lumi\u00e8re en \u00e9voquant tous ces livres, oui c\u2019est cette chaleur et cette passion , cette \u00e9tincelle dans l\u2019obscurit\u00e9 qui m\u2019est reste en m\u00e9moire, ainsi que son rire clair ricochant sur ses yeux, le nom de Chamoiseau et le parfum des lilyums.<\/p>\n
La librairie Chez Gilbert \u00e0 Saint-Michel
\nIl y a tellement de magasins diff\u00e9rents tout autour de la fontaine Saint-Michel, et m\u00eame plus haut sur le boulevard menant \u00e0 Saint-Germain ou vers le Jardin du Luxembourg, que l\u2019id\u00e9e qu\u2019il m\u2019en reste est bien plus proche de celle d\u2019une industrie du livre que d\u2019une librairie.<\/p>\n
Je me souviens aussi des diff\u00e9rences d\u2019espaces d\u2019une exigu\u00eft\u00e9 l\u2019autre, ma pr\u00e9sence flottant dans chacun de ses lieux \u00e0 diff\u00e9rents moments de ma vie. Un espace pour les livres scolaires, universitaires, un autre pour les livres que l\u2019on revend, une planche fix\u00e9e dans l\u2019encadrure d\u2019une porte faisant office de comptoir, afin de pouvoir acheter de nouveaux livres chaque ann\u00e9e. Il r\u00e8gne ici une agitation tranquille, un silence quasi religieux, \u00e0 peine d\u00e9rang\u00e9 par le trafic automobile de la ville \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. Des escaliers \u00e9troits m\u00e8nent \u00e0 des \u00e9tages qui eux-m\u00eames poss\u00e8dent d\u2019autres escaliers menant encore \u00e0 d\u2019autres \u00e9tages. La lumi\u00e8re arrive ici avec effort \u00e0 travers de vitres poussi\u00e9reuses. Les rayonnages se dressent et se confondent avec les murs ; des alignements d\u2019encre et de papier qui montent jusqu\u2019au plafond. Il doit y avoir un syst\u00e8me d\u2019orientation cependant, m\u00eame si j\u2019ai oubli\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s tout de celui-ci au moment o\u00f9 j\u2019\u00e9cris ces lignes. Gilbert ne reprend pas cher du tout les livres \u00e7a je m\u2019en souviens tr\u00e8s bien cependant. On vient ici avec une valise on ressort avec deux billets et encore , quand on a un peu de chance. Je m\u2019aper\u00e7ois que j\u2019ai oubli\u00e9 le mot qui va souvent avec Gilbert- C\u2019est le mot jeune et voil\u00e0 \u00e7a me revient c\u2019est \u00e7a, Gilbert Jeune.<\/p>\n
Les march\u00e9s aux livres d\u2019occasion.
\nll aura \u00e9t\u00e9 rare que j\u2019ach\u00e8te mes livres neufs. J\u2019en suis tout aussi honteux que fier si vraiment vous voulez tout savoir. Honteux car cette propension \u00e0 acheter d\u2019occasion indique une certaine indigence mat\u00e9rielle, fier car ce n\u2019est pas \u00e0 cause de moi que nombre d\u2019arbres, de for\u00eats seront mis \u00e0 sac pour permettre \u00e0 des chalands sans vergogne de se ruer sur les soi-disant p\u00e9pites annuelles que nous exhorteraient \u00e0 d\u00e9vorer les critiques, les \u00e9missions litt\u00e9raires. j\u2019ai beaucoup achet\u00e9 de livres au fil de l\u2019eau, en me promenant sur les quais, en passant devant les boites de bouquinistes. Ce qui ne signifie d\u2019ailleurs pas qu\u2019ils sont toujours si bons march\u00e9s. Parfois il m\u2019est arriv\u00e9 de payer le prix fort pour une ou deux \u00e9ditions originales je l\u2019avoue. Sinon les march\u00e9s aussi offrent de r\u00e9elles possibilit\u00e9s d\u2019acqu\u00e9rir des livres pour de tr\u00e8s modiques sommes. A certain moment de mon existence, je voulais lire des romans de science-fiction, Notamment Jos\u00e9 Luis Farmer et son cycle du Fleuve. Je l\u2019avais plus ou moins cherch\u00e9 dans les librairies sans vraiment le chercher, c\u2019\u00e9tait une sorte de t\u00e2che de fond, et il fallait je crois que le hasard me le fit rencontrer sinon rien. Je ne suis pas du genre non plus \u00e0 commander des livres et \u00e0 patienter quinze jours trois semaines pour les obtenir enfin. Je n\u2019ai commis cette b\u00e9vue qu\u2019une seule fois, et j\u2019avoue qu\u2019en y songeant \u00e0 nouveau j\u2019en reste encore bien honteux. j\u2019avais command\u00e9 deux gros t\u00f4mes que je n\u2019avais pas lus du Journal de Luis Calaferte dans une librairie que je ne suis jamais retourn\u00e9 chercher. J\u2019imagine que si cette librairie exige des arrhes d\u00e9sormais pour les commandes c\u2019est en grande partie de ma faute. ( mea culpa, flagellons-nous dix fois et reprenons notre souffle)<\/p>\n
Donc les march\u00e9s furent mes librairies en grande partie. De la science fiction mais aussi des livres \u00e9rotiques, voire m\u00eame pornographiques. Le genre de livres par exemple qu\u2019on serait bien emb\u00eater de produire \u00e0 la caisse d\u2019une librairie. Encore que le Marquis de Sade fasse partie des classiques bien entendu et que des gens bien sous tout rapport le lisent encore, et, probablement l\u2019ach\u00e8tent dans des librairies, sans doute d\u2019ailleurs d\u00e9sormais des librairies en ligne.<\/p>\n
Presque comme un march\u00e9 normal, le march\u00e9 aux Puces de Vanves, de Montreuil, celui de Clignancourt. Ce sont lors de ballades dominicales la plupart du temps, que j\u2019ai acquis de nombreux livres ici. Notamment ce livre que je lis et relis \u00e0 tout bout de champs Ce gros Cobra \u00e0 la couverture verte et cet autre sur DE Sta\u00ebl dont la majeur partie des illustrations sont souill\u00e9es de t\u00e2ches de peinture \u00e0 l\u2019huile parmi tous ceux qu\u2019il me reste de cette \u00e9poque lointaine d\u00e9sormais.<\/p>\n
Errer dans les librairies
\nEntrer dans une librairie et demander un livre ce n\u2019est pas la m\u00eame chose que d\u2019entrer dans une librairie en n\u2019ayant pas de livre \u00e0 demander. Errer dans les rayons d\u2019une librairie est un plaisir coupable sachant qu\u2019il y a de grandes chances qu\u2019on n\u2019ach\u00e8tera rien. Certains font s\u00fbrement bien pire pour se dessaler, penser \u00e0 cela quand le rouge monte aux joues au front.<\/p>\n
Grands magasins qui font aussi librairies
\nLa naissance des grands magasins qui, parmi tout un tas d\u2019autres denr\u00e9es vendent des livres, convoque des images douloureuses qui convergent pour la plupart vers le mauvais pli de l\u2019anonymat. On devient anonyme comme client, mais les vendeurs aussi sont tellement interchangeables. En quelques mois \u00e0 peine ce ne sont d\u00e9j\u00e0 plus les m\u00eames t\u00eates. Ainsi je suis toujours pris d\u2019une sorte de vertige lorsque je passe les portes coulissantes de la FNAC, rue de la R\u00e9publique \u00e0 Lyon. On ne sait o\u00f9 donner de la t\u00eate car d\u00e8s l\u2019entr\u00e9e la promotion nous assaille imm\u00e9diatement. On en perdrait facilement la t\u00eate, certains la perdent, moi je n\u2019en ai pas les moyens, ou je ne me les donne pas. Mont\u00e9e de l\u2019escalator depuis lequel au fur et \u00e0 mesure que l\u2019on monte on voit l\u2019espace en dessous, la section informatique, t\u00e9l\u00e9phonie, t\u00e9l\u00e9vision, hi-fi, on en a d\u00e9j\u00e0 comme un nouveau tournis avant m\u00eame de parvenir comme propulser t\u00eate en avant dans les derniers jeux vid\u00e9os \u00e0 la mode, les consoles, les game-boy, les prix sont astronomiques et des \u00e9crans diffusent des d\u00e9mos aguicheuses, tandis que des gamins bavent ou vocif\u00e8rent devant des grandes personnes mal \u00e0 l\u2019aise.<\/p>\n
Rayon litt\u00e9rature fran\u00e7aise, litt\u00e9rature \u00e9trang\u00e8re, litt\u00e9rature espagnole, italienne, turque, su\u00e9doise\u2026 Je ne rentre plus \u00e0 la FNAC comme j\u2019ai pu autrefois entrer dans une librairie, l\u2019errance ici est mortif\u00e8re. On en ressort vid\u00e9 de toute sa substance.<\/p>\n
D\u00e9citre
\nChez D\u00e9citre de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la Place Bellecour, on retrouve une ambiance feutr\u00e9e, d\u2019ailleurs il me semble que l\u2019on marche sur de la moquette. Il y a au rayon des nouveaut\u00e9s quelqu\u2019un a prit la peine de cr\u00e9er une note pour chacun des livres expos\u00e9s. On peut passer un bon moment \u00e0 lire ces notes, \u00e0 se faire des id\u00e9es, puis les regarder s\u2019envoler.<\/p>\n
Flammarion
\nChez Flammarion, \u00e0 un autre angle de la place Bellecour, c\u00f4t\u00e9 place Antonin Poncet c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s la m\u00eame atmosph\u00e8re qu\u2019\u00e0 la librairie du Passage, rue de Brest. Mais depuis f\u00e9vrier dernier la librairie ne s\u2019appelle plus Flammarion , 20 employ\u00e9s licenci\u00e9s, il semble que ce fleuron des librairies lyonnaises soit tomb\u00e9e dans l\u2019escarcelle d\u2019un fond d\u2019investissement am\u00e9ricain via le r\u00e9seau des librairies « Chapitres ». Dommage, j\u2019aimais beaucoup prendre l\u2019ascenseur pour monter dans les \u00e9tages, cela me rappelait un immeuble dans lequel j\u2019ai habit\u00e9 enfant, sauf que l\u00e0 tous les appartements \u00e9taient tapiss\u00e9s de livres, on pouvait y rester l\u00e0 aussi tr\u00e8s contemplatif des journ\u00e9es enti\u00e8res sans que personne ne nous adresse la parole, ou ne vienne nous interrompre dans nos r\u00eaveries.<\/p>\n
Activit\u00e9s \u00e0 faire dans une librairie
\nIl y a aussi cette librairie dont il faudrait que je parle, elle porte le nom d\u2019une galerie d\u2019art parisienne. Elle se situe entre deux villages, pr\u00e8s de chez nous. Le libraire, un grand type sec atrabilaire organise des d\u00e9jeuners ou d\u00eeners litt\u00e9raires. Cela m\u2019a amus\u00e9 durant un temps. Mais c\u2019est encore une occasion pour dire et \u00e9couter \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n\u2019importe quoi. Les grandes tables charg\u00e9s des derniers best sellers \u00e0 la mode sont d\u00e9barrass\u00e9es pour l\u2019occasion et tout le monde s\u2019assoit devant une assiette et un jeu de couverts Parfois un auteur vient se perdre ici pour effectuer une lecture. Il faut voir alors les visages tendus vers elle ou lui, surtout si par bonheur son dernier ouvrage \u00e0 plu. Le plus amusant est d\u2019observer la s\u00e9ance de d\u00e9dicace \u00e0 la fin, et le visage du libraire qui se d\u00e9tend, il lui arrive m\u00eame de sourire en d\u00e9couvrant les dents, comme si l\u2019\u00e9v\u00e9nement l\u2019avait plong\u00e9 dans un bain de jouvence.<\/p>\n
Les nouvelles librairies
\nDepuis que nous vivons ici, dans notre pays de vaches, nous ne nous rendons plus que rarement en ville, et encore moins dans des librairies. Et \u00e7a ne va pas s\u2019arranger puisque nous ne disposons qu\u2019une vignette critaire 3 sur le parebrise de notre vieille Dacia. En janvier prochain il faudra prendre le train pour se rendre \u00e0 Lyon ou \u00e0 Valence. Mais peu importe puisque d\u00e9sormais nous pouvons commander les livres sur internet. Bien s\u00fbr nous n\u2019achetons des ouvrages neufs que pour l\u2019occasion de faire des cadeaux, No\u00ebl, anniversaires en tout genre, car en ce qui me concerne surtout j\u2019ach\u00e8te surtout des livres d\u2019occasion sur Momox, Recyclivre, le Bon coin. Il y a aussi des sites comme celui de la BNF ou encore Gallica pour le cas o\u00f9 j\u2019ai besoin de relire certains passages depuis mon ordinateur ou ma tablette, ce qui m\u2019\u00e9vite d\u2019aller fouiller dans notre biblioth\u00e8que. J\u2019ai r\u00e9cemment d\u00e9couvert aussi des sites pas tr\u00e8s l\u00e9gaux o\u00f9 l\u2019on peut trouver \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce que l\u2019on veut au format PDF ou EPUB que l\u2019application Livre sur l\u2019Ipad permet de lire. D\u2019ailleurs \u00e0 ce sujet, je m\u2019aper\u00e7ois que j\u2019ai pris l\u2019habitude de lire sur \u00e9cran, ce qui m\u2019apparaissait autrefois comme le summum de l\u2019ineptie autrefois tant j\u2019\u00e9tais victime d\u2019un certain f\u00e9tichisme de l\u2019objet livre. A force de t\u00e9l\u00e9charger des PDF et des EPUB il a fallu que je prenne un abonnement pour pouvoir stocker cette masse de livres virtuels sur un Cloud. Ma librairie comme ma biblioth\u00e8que sont donc en quelque sorte dans un nuage comme m<\/p>\n
1. A propos
\nl\u2019id\u00e9e de l\u2019inventaire. Au mot une image. Celui de cette entreprise de pi\u00e8ces d\u00e9tach\u00e9es pour machines-outils. Des japonais d\u2019une amabilit\u00e9 byzantine . Le bruit incessant d\u2019un fenwick errant \u00e0 vive allure d\u2019une all\u00e9e l\u2019autre d\u2019un entrep\u00f4t. Des colis confectionn\u00e9s chaque jour un peu plus vite. Une difficult\u00e9 \u00e0 se souvenir d\u2019emplacement, de l\u2019apparence des pi\u00e8ces \u00e0 faire correspondre \u00e0 un code barre, une ligne de commande, qui s\u2019aplanit de jour en jour. A la fin on y va les yeux ferm\u00e9s.<\/p>\n
Est-ce que l\u2019inventaire a quelque chose \u00e0 voir avec l\u2019invention, c\u2019est la fin des mots qui change. Taire ce que l\u2019on aurait invent\u00e9 \u00e0 un moment de sa vie, dans un lieu invent\u00e9 lui aussi, avec des gens dont on ne peut se faire une id\u00e9e que fictive en utilisant des outils qui ne valent pas mieux.<\/p>\n
Quel discernement suffisamment aiguis\u00e9, et sur lequel on pourrait compter, qui ne nous trahisse pas ?<\/p>\n
Parlons aussi des choses. Une image de livre presque aussit\u00f4t, un titre : Le petit chose. Et c\u2019est comme on disait autrefois « machin chose » ou je l\u2019ai sur le bout de la langue. Les choses sombrent ou surnagent dans le naufrage du temps qui passe,( inexorablement ) Et parfois, dans l\u2019espoir de le ralentir car il passe de plus en plus vite, un vague souvenir de ces choses. En deux mots on r\u00e9invente ce qu\u2019on a d\u00e9j\u00e0 invent\u00e9 dans un but ( est-il louable ou au contraire peu avouable ? ) d\u2019inventorier.<\/p>\n
Quant \u00e0 la perte elle est souvent ( toujours ?) irr\u00e9m\u00e9diable. Est-ce pour cela que l\u2019on voudrait se souvenir de choses perdues comme on remue le couteau dans une plaie ?<\/p>\n
Sinon on peut aussi avoir un brin d\u2019humour et se dire que nous perdons la vie petit \u00e0 petit comme par inadvertance, qu\u2019au moment o\u00f9 la prise de conscience nous arrive vraiment le sursaut serait de s\u2019accrocher \u00e0 un inventaire, mais qui serait loin d\u2019\u00eatre celui dont l\u2019id\u00e9e premi\u00e8re nous vint au moment de penser au mot inventaire. On pourrait emprunter la vieille peau de Michaux, qui est comme une peau d\u2019ours, fabriquer un rond de pierre dans une clairi\u00e8re, faire un feu, et au moment o\u00f9 l\u2019odeur de bois br\u00fbl\u00e9 atteindrait nos narines l\u2019esprit ferait des \u00e9tincelles, on pourrait inventorier tout ce qui ne nous appartint pas, ce qui jamais ne nous aura appartenu, ce qui jamais ne nous appartiendra.<\/p>\n
inventorier alors comme on se jetterait \u00e0 l\u2019eau, dans l\u2019imaginaire.<\/p>\n
Il faut une force (incommensurable ?) pour \u00e9vacuer en premier lieu la tentation d\u2019effectuer un inventaire autobiographique. Car chez moi c\u2019est une sorte de r\u00e9flexe. ( une sale habitude ? ) La raison en est que lorsque j\u2019\u00e9cris, je ne vis pas ma vie, je la r\u00eave ou je la cauchemarde. On croit que c\u2019est autobiographique, mais en fait ce ne sont que des r\u00e9cits oniriques. Et comme je l\u2019ai entendu dire il y a peu, rien de plus p\u00e9nible \u00e0 lire que ce genre de r\u00e9cit.<\/p>\n
Il faut \u00e9crire \u00e0 partir de la mati\u00e8re de ce r\u00eave de ce qu\u2019il d\u00e9clenche au r\u00e9veil, cet \u00e9tat second. Inventorier ces \u00e9tat seconds o\u00f9 l\u2019on perd un peu de cette certitude d\u2019\u00eatre dans un r\u00eave et pas tout \u00e0 fait encore dans un autre.<\/p>\n
A cet instant les choses s\u2019\u00e9clairent ( un peu ) Elles luisent doucement dans une presque obscurit\u00e9. On peut bien retrouver (si \u00e7a nous chante ) tout ce que l\u2019on imagine avoir perdu.<\/p>\n
Ce n\u2019est pas si difficile d\u2019en inscrire quatorze quand on en a aper\u00e7u un ou une. C\u2019est m\u00eame certainement en rapport avec la notion de d\u00e9riv\u00e9e math\u00e9matique, ou encore les fractales.<\/p>\n
2. inventaire de choses perdues.
\nLe dernier des Mohicans : Le Dernier des Mohicans (The Last of the Mohicans) est un roman historique am\u00e9ricain de James Fenimore Cooper, publi\u00e9 pour la premi\u00e8re fois en janvier 1826, notamment par un \u00e9diteur appr\u00e9ci\u00e9 et diffus\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9poque, nomm\u00e9 Carey & Lea. Deuxi\u00e8me des cinq ouvrages composant le cycle des Histoires de Bas-de-Cuir (Leatherstocking), il se situe entre Le Tueur de daims (The Deerslayer) et Le Lac Ontario (The Pathfinder). Le Dernier des Mohicans est une m\u00e9ditation nostalgique sur la disparition des Am\u00e9rindiens, tout en \u00e9tant une annonce de la naissance des \u00c9tats-Unis. Il eut un \u00e9norme retentissement en Europe, d\u00e8s sa publication, comme en avaient les romans contemporains de Walter Scott. Le premier titre des Chouans de Balzac, paru trois ans plus tard, lui fait allusion : Le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1800.
\nPertes humaines durant la Seconde Guerre Mondiale Les statistiques des pertes de la Seconde Guerre mondiale varient, avec des estimations allant de 50 millions \u00e0 plus de 70 millions de morts ce qui en fait le conflit le plus meurtrier de l\u2019histoire de l\u2019humanit\u00e9, mais pas en termes de d\u00e9c\u00e8s par rapport \u00e0 la population mondiale. Les civils ont totalis\u00e9 40 \u00e0 52 millions de morts, dont 13 \u00e0 20 millions de maladie ou de famine du fait de la guerre. Les pertes militaires s\u2019\u00e9valuent entre 22 et 25 millions, dont 5 millions de prisonniers de guerre morts en captivit\u00e9. Les statistiques ne donnent pas le chiffre du nombre des morts apr\u00e8s septembre 1945 (et apr\u00e8s mai 1945 pour l\u2019Europe), sans doute \u00e9lev\u00e9 : un grand nombre de soldats gri\u00e8vement bless\u00e9s d\u00e9c\u00e9d\u00e8rent, ainsi qu\u2019un grand nombre de d\u00e9port\u00e9s rescap\u00e9s, qui moururent des cons\u00e9quences de mauvais traitements, de privations diverses, etc. Du fait du manque de services m\u00e9dicaux et hospitaliers, souvent d\u00e9grad\u00e9s, la mortalit\u00e9 \u00e9tait plus importante qu\u2019avant 1939. Apr\u00e8s 1945, la famine \u00e9tait tr\u00e8s visible en certaines zones de l\u2019URSS, dans les Balkans, et m\u00eame dans l\u2019Europe occidentale, sans oublier l\u2019Asie. Aussi, il ne faut pas n\u00e9gliger les cons\u00e9quences psychologiques, tr\u00e8s importantes, avec un grand nombre de personnes traumatis\u00e9es, souvent pour plusieurs g\u00e9n\u00e9rations.
\nPerte de la m\u00e8re (et du lecteur) , chez Serge Doubrovsky : ( extrait d\u2019article ) Serge Doubrovsky c\u00e8de avec « Le Monstre » de nouveau \u00e0 la tentation autobiographique. Il semble m\u00eame qu\u2019il n\u2019ait pas la ma\u00eetrise de ce choix. Toujours est-il qu\u2019il compte vingt-deux ans de plus que jadis, en 1948. Il est professeur, mari, p\u00e8re et\u2026 orphelin. La question se pose diff\u00e9remment, aujourd\u2019hui : Comment se lib\u00e9rer de soi-m\u00eame, comment s\u2019\u00e9crire, quand il faut simultan\u00e9ment \u00e9crire l\u2019autre. Comment \u00e9crire en m\u00eame temps sa propre biographie et celle de sa m\u00e8re, lui rendre son d\u00fb, sa vie ? Nous touchons l\u00e0, sans doute, \u00e0 l\u2019essentiel de la douloureuse d\u00e9couverte de l\u2019\u00e9crivain lors des ann\u00e9es de psychanalyse : on ne s\u2019appartient pas. M\u00eame quand on est seul dans sa chambre, devant une machine \u00e0 \u00e9crire, et qu\u2019il n\u2019y a personne pour vous voir, on ne s\u2019appartient pas. L\u2019absurde recherche de soi. La r\u00e9v\u00e9lation de l\u2019absurde se fait g\u00e9n\u00e9ralement dans l\u2019angoisse : l\u2019angoisse de la dignit\u00e9 chez Camus, celle de la responsabilit\u00e9 chez Sartre. Celle de ne jamais s\u2019appartenir chez Doubrovsky. Seul subterfuge : se reprendre \u00e0 autrui en se cr\u00e9ant dans un langage, remanier le mat\u00e9riau de sa vie, des autres vies, en remplissant le vide en soi par celui du feuillet. Plus donc encore qu\u2019une « auto-contemplation », l\u2019\u0153uvre est auto-gen\u00e8se dont le point de d\u00e9part pourrait se formuler comme suit : \u00e9tant donn\u00e9 qu\u2019on ne peut pas na\u00eetre seul, s\u2019auto-engendrer, il faut faire parler la m\u00e9moire en la r\u00e9inventant pour soi-m\u00eame. « Le Monstre » est un exc\u00e8s de m\u00e9moire. Une orgie d\u2019\u00e9criture. Ce terrorisme de l\u2019\u00e9criture, de la conscience ex-jectant l\u2019autre, s\u2019inscrit non seulement dans les r\u00e9miniscences des lectures de maints \u00e9crits sartriens (\u00c9rostrate, L\u2019\u00c2ge de raison, L\u2019\u00catre et le N\u00e9ant : tout se passe en-dehors de la conscience) mais aussi dans une p\u00e9riode o\u00f9 l\u2019exp\u00e9rimentation litt\u00e9raire \u00e9tait \u00e0 la mode, les figures de Joyce, de Queneau, de Ionesco, de Beckett donnant une image de l\u2019\u00e9criture comme exp\u00e9rience dans laquelle le lecteur n\u2019\u00e9tait pas n\u00e9cessairement invit\u00e9 \u00e0 entrer de plain-pied.
\nPerte de l\u2019ou\u00efe, la surdit\u00e9 de Beethoven : ( extrait d\u2019article ) C\u2019est \u00e0 partir de la correspondance du compositeur (Brigitte et Jean Massin) que l\u2019on peut retracer l\u2019histoire et l\u2019\u00e9volution de sa surdit\u00e9. Dans une lettre dat\u00e9e du 1er juillet 1801, alors \u00e2g\u00e9 de 31 ans, Beethoven \u00e9voque pour la premi\u00e8re fois son handicap dans une lettre adress\u00e9e \u00e0 son ami le docteur Franz Wegeler : « c\u2019est ainsi que depuis trois ans mon audition s\u2019affaiblit\u2026 au th\u00e9\u00e2tre, je dois me placer tout contre l\u2019orchestre\u2026 je n\u2019entends plus les sons aigus\u2026 j\u2019entends les sons mais ne peux comprendre les mots. A l\u2019inverse, si quelqu\u2019un crie, je ne le supporte pas\u2026 » On y apprend que cette surdit\u00e9 \u00e9volue depuis quelques ann\u00e9es d\u00e9j\u00e0, s\u2019accompagnant d\u2019acouph\u00e8nes permanents et d\u2019hyperacousie douloureuse. Cette baisse de l\u2019audition semble \u00e9voluer d\u2019un seul tenant expliquant l\u2019\u00e9mergence d\u2019un syndrome d\u00e9pressif, signal\u00e9 dans le testament d\u2019Heiligenstadt en octobre 1802, et restreignant progressivement sa vie sociale, d\u2019o\u00f9 son temp\u00e9rament jug\u00e9 solitaire et ombrageux. Il semble que la maladie auditive ait d\u00e9but\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e2ge de 26 ans par des acouph\u00e8nes, suivis de l\u2019apparition d\u2019une surdit\u00e9 deux ans plus tard (1798) pr\u00e9dominant sur les aigus, avec une perte de l\u2019audition \u00e9valu\u00e9e \u00e0 60% en 1801 (un chiffre soumis \u00e0 caution quand on sait que l\u2019invention de l\u2019audiogramme se fera bien plus tard !), pour devenir compl\u00e8te \u00e0 l\u2019\u00e2ge de 46 ans, en 1816, date \u00e0 laquelle il n\u2019entend plus la musique et utilise un cornet acoustique et des cahiers de conversation. En 1808, il donne son dernier concert public.
\nhistoire de Z\u00e9nobie , la perte de Palmyre (r\u00e9cente ) et de l\u2019authenticit\u00e9 de l\u2019ouvrage L\u2019 Historia Augusta : (extrait d\u2019article) : Si l\u2019Histoire Auguste est aujourd\u2019hui reconnue comme largement fictive (certains sp\u00e9cialistes lui donnent m\u00eame le label de « fiction historique »), elle \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9e comme une histoire fiable \u00e0 son \u00e9poque et pendant de nombreux si\u00e8cles par la suite. Le c\u00e9l\u00e8bre historien Edward Gibbon (1737-1794) l\u2019accepta en tant que compte rendu authentique de l\u2019histoire de la Rome antique et s\u2019appuya largement sur elle dans son ouvrage en six volumes intitul\u00e9 Histoire de la d\u00e9cadence et de la chute de l\u2019Empire romain qui, comme l\u2019Histoire Auguste, est largement consid\u00e9r\u00e9 comme inexact de nos jours. Ces deux ouvrages eurent toutefois un impact consid\u00e9rable sur les publics qui les lirent ou les entendirent. Plut\u00f4t que de consid\u00e9rer l\u2019Histoire Auguste comme largement fictive, il serait peut-\u00eatre pr\u00e9f\u00e9rable de l\u2019envisager sous le m\u00eame angle que le genre de la litt\u00e9rature naru de la M\u00e9sopotamie antique. La litt\u00e9rature naru commen\u00e7a \u00e0 appara\u00eetre vers le deuxi\u00e8me mill\u00e9naire avant notre \u00e8re en M\u00e9sopotamie et se caract\u00e9rise par des r\u00e9cits mettant en sc\u00e8ne un personnage bien connu du pass\u00e9 (g\u00e9n\u00e9ralement un roi) en tant que personnage principal d\u2019un r\u00e9cit quasi-historique, qui vante les prouesses militaires du roi, raconte sa vie et son r\u00e8gne ou, plus souvent, utilise le roi pour illustrer la relation appropri\u00e9e entre les \u00eatres humains et les dieux. Le personnage principal (le roi) \u00e9tait toujours un personnage historique r\u00e9el, mais l\u2019histoire \u00e9tait soit fictive, soit orient\u00e9e d\u2019une mani\u00e8re particuli\u00e8re afin d\u2019obtenir l\u2019impression d\u00e9sir\u00e9e.
\nLa perte du t\u00e9l\u00e9phone et de la voix sur le r\u00e9pondeur ( deux fois ) que l\u2019on pourrait traiter d\u2019une fa\u00e7on plus g\u00e9n\u00e9rale ? comme la perte des disquettes, des disques durs, des photographies de vacances.
\nLa perte de dignit\u00e9 ( mille fois avant de savoir qu\u2019on en poss\u00e8de une ) dans le monde du travail, notamment celui des enqu\u00eates par t\u00e9l\u00e9phone.
\nperte d\u2019un appareil photographique Leica M42 dans un train ( irr\u00e9parable) et un suicide quelques temps plus tard.
\nPerte de la volont\u00e9 de ne pas \u00e9crire des choses autobiographiques ( et essayer de se raccrocher aux branches en extirpant le mot autofiction du bout des l\u00e8vres)
\nPerte du souvenir d\u2019un r\u00eave que l\u2019on finit par r\u00e9inventer parce qu\u2019il nous manque trop. Puis on s\u2019aper\u00e7oit que manquer n\u2019est pas le bon mot. C\u2019est tout le contraire, il nous r\u00e9v\u00e8le.
\nPerte soudaine d\u2019orientation au volant d\u2019un v\u00e9hicule. Il se demanda tout \u00e0 coup o\u00f9 il allait, d\u2019o\u00f9 il venait, et durant quelques secondes il s\u2019aper\u00e7ut horrifi\u00e9 qu\u2019il ne s\u2019en souvenait plus. Puis l\u2019impression s\u2019\u00e9vanouit, il en r\u00e9sulte un nostalgie de l\u2019horreur. Et s\u2019il d\u00e9passe cette fichue nostalgie, il d\u00e9couvre que l\u2019horreur est un pansement, ou un r\u00e9flexe, ni plus ni moins.
\nPerte d\u2019\u00e9quilibre. Le peintre regarde son tableau sombrer dans le chaos ( avec effroi ?)
\nPerte de cheveux. Suite \u00e0 un traumatisme, cet adolescent perd ses cheveux, toutes les strat\u00e9gies qu\u2019il s\u2019invente \u00e0 partir de l\u00e0 pour ne pas subir de plein fouet cette singularit\u00e9. R\u00e9f\u00e9rence \u00e0 ce roi mythologique qui s\u2019empoisonne un petit peu tous les jours au cas o\u00f9 il serait un jour victime empoisonnement.
\nPerte des clefs ( \u00e7a irait bien avec la peur d\u2019avoir oubli\u00e9 d\u2019\u00e9teindre le gaz)
\nPerte de la m\u00e9moire d\u2019un lieu o\u00f9 l\u2019on a gar\u00e9 son v\u00e9hicule.
\nPerte osseuse dans l\u2019espace : Le remodelage est un \u00e9l\u00e9ment cl\u00e9 de la compr\u00e9hension de maladies osseuses comme l\u2019ost\u00e9oporose. Il explique \u00e9galement le ph\u00e9nom\u00e8ne de la perte osseuse chez les astronautes dans l\u2019espace. Dans l\u2019espace, les astronautes sont sujets \u00e0 l\u2019ost\u00e9op\u00e9nie du vol spatial. Ce trouble physique peut entra\u00eener chez les astronautes la perte de un \u00e0 deux pour cent de leur masse osseuse en moyenne chaque mois. Cette perte osseuse se produit habituellement dans les jambes, les hanches et la colonne vert\u00e9brale. Il faut compter de trois \u00e0 quatre ans pour que ces os se r\u00e9tablissent apr\u00e8s le retour des astronautes sur Terre.
\n3. Choisir pour \u00e9crire.
\nJ\u2019ai un peu perdu le fil de la proposition ( comme d\u2019habitude) Maintenant il faudrait que je choisisse un de ces items pour \u00e9crire un texte. Ce que je ferai peut-\u00eatre, ou pas. Et en m\u00eame temps je me demande si d\u00e9j\u00e0 ce n\u2019est pas amplement suffisant.<\/p>\n
Sergent ! interroge Camember, et la terre du trou ? — Que vous \u00eates donc plus herm\u00e9fitiquement bouch\u00e9 qu\u2019une bouteille de limonade, sapeur ! Creusez un autre trou ! — C\u2019est vrai ! » approuve Camember.
\nL\u2019apparence des livres, l\u2019image des livres, leur alignement sage sur les rayons d\u2019une biblioth\u00e8que, d\u2019une librairie, ou, au contraire, l\u2019accumulation de piles directement pos\u00e9es au sol, dans ce qui ressemble \u00e0 un d\u00e9sordre, une anarchie, un chaos, c\u2019est dans l\u2019ensemble tout ce qui me viendrait le plus facilement sans le moindre effort, cette sorte de clich\u00e9 issu d\u2019un d\u00e9corum plut\u00f4t que tout ce qu\u2019ils pourraient encore me dire , ces livres, ou ne pas me dire ;<\/p>\n
Lorsque j\u2019y songe, comme aujourd\u2019hui, je les consid\u00e8re comme des choses, des objets, des \u00e9l\u00e9ments d\u00e9coratifs, un mobilier, parfois chaleureux, parfois d\u00e9mod\u00e9, parfois inutile , encombrant m\u00eame, bref : un \u00e9l\u00e9ment indissociable d\u2019un tout que l\u2019on pourrait nommer « mon int\u00e9rieur ».<\/p>\n
Cependant, en creusant cette image molle , je tombe sur la duret\u00e9 salvatrice d\u2019un hiatus. Entre la chose, l\u2019objet, l\u2019apparence et le contenu. Une paille. Mieux que cela. Car si j\u2019examine tout ces contenus je ne pense pas \u00eatre si surpris qu\u2019en grande partie, ils m\u2019\u00e9chappent. Et que par cette fuite semblable \u00e0 l\u2019air s\u2019\u00e9chappant d\u2019un trou dans une chambre \u00e0 air, tout \u00e7a me laisse dans un \u00e9tat d\u2019abattement encore plus grand. Peut-\u00eatre m\u00eame une bonne vieille d\u00e9prime.<\/p>\n
( tout \u00e7a bien s\u00fbr si j\u2019\u00e9tais du genre \u00e0 vouloir th\u00e9sauriser un savoir, des souvenirs de lecture, une passion pour tel ou tel auteur, ce dont je doute d\u00e9sormais )<\/p>\n
Donc, non, si je consid\u00e8re le pire, ce tr\u00e9sor familial qui me tombe dessus me plaque au sol m\u2019\u00e9touffe , la surprise sans doute encore l\u2019emporte sur mon \u00e9ternel sourire de simplet.<\/p>\n
Fut un long moment o\u00f9 je passe outre l\u2019apparence des choses, o\u00f9 ce qui m\u2019int\u00e9resse n\u2019est pas tant l\u2019apparence de ces objets, que ce qu\u2019ils peuvent ou pourraient m\u2019offrir alors que je caresse m\u00e9caniquement comme un babouin l\u2019espoir de m\u2019augmenter , d\u2019une connaissance, d\u2019une compr\u00e9hension de l\u2019\u00e2me humaine, ( si possible dans ses aspects les plus sombres).<\/p>\n
Les urgences, la pr\u00e9carit\u00e9, les d\u00e9m\u00e9nagements, le peu de place que je peux consacrer \u00e0 ces objets- si pr\u00e9cieux sont-ils \u2013 m\u2019entra\u00eene \u00e0 m\u2019en d\u00e9faire avec l\u2019implacable r\u00e9gularit\u00e9 d\u2019un coucou m\u00e9canique. Au d\u00e9but, avec cette saine r\u00e9pugnance d\u2019un sauvage des ann\u00e9es 80, ( hou hou vive le n\u00e9o lib\u00e9ralisme, \u00e0 bas les murs, bouffez des sushis ! h\u00e9 mais Reagan c\u2019est pas ce type qui jouait dans ce putain de film la fois o\u00f9 j\u2019ai vomis sur les nichons de P. qui lisait le carnet d\u2019or de Doris Lessing ? )<\/p>\n
Pendant ce temps l\u00e0 la dure r\u00e9alit\u00e9 rabote all\u00e8grement mes r\u00eaves de gosse Le genre de clich\u00e9 qu\u2019on nous implante dans les mirettes . Trouve une copine, un travail, reproduis-toi, prend un cr\u00e9dit sur 30 ans sois sage, ne r\u00e9fl\u00e9chis surtout pas trop\u2026<\/p>\n
R\u00e9pugnance que l\u2019on peut \u00e0 loisir retourner comme un gant, d\u2019o\u00f9 sa vertu roborative.<\/p>\n
non, ce qui est dingue c\u2019est que l\u2019on peut tout \u00e0 fait aller jusqu\u2019\u00e0 en \u00e9prouver physiquement la perte, la d\u00e9chirure, l\u2019absence, le manque. Des livres, du d\u00e9corum, d\u2019un amour de jeunesse et de toute la vie factice d\u2019une \u00e9poque. Cependant, il faut bien vivre et l\u2019habitude de la r\u00e9p\u00e9tition, l\u2019usure arrondissant tellement bien les angles. Je prends vite l\u2019 habitude de me s\u00e9parer des livres, sur le m\u00eame rythme que je me s\u00e9pare des quartiers de la ville, de mes jobs d\u2019int\u00e9rim, de mes bistrots favoris, de mes voisins, et bien sur des filles et des femmes.<\/p>\n
Encore que ce n\u2019est pas tout \u00e0 fait exact. A l\u2019\u00e9poque je m\u2019accrochais tout de m\u00eame \u00e0 une poign\u00e9e de bouquins. Voir de Carlos Castaneda, Le grand Meaulnes d\u2019Alain Fournier, Plume d\u2019Henri Michaux, Rebecca de Daphn\u00e9 du Maurier et Bourlinguer de Blaise Cendrars. C\u2019\u00e9tait une sorte de bande. Ma bande. Absolument h\u00e9t\u00e9roclite tout comme les trois quarts de mes pens\u00e9es \u00e0 ce jour.<\/p>\n
Cependant encore, pour \u00eatre honn\u00eate, il existe un lieu semblable au rocher de King Kong sur une \u00eele et auquel je m\u2019imagine toujours devoir acc\u00e9der t\u00f4t ou tard, un lieu in\u00e9luctable o\u00f9 tout me serait redonn\u00e9 o\u00f9 je retrouverai tout le temps perdu et la madeleine, une montagne de livres servant de protection de ch\u00e2teau fort pour m\u2019installer \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur comme seigneur et r\u00e9cup\u00e9rer toute mes billes enfin \u00e0 la fin de la partie de Monopoly.<\/p>\n
La fameuse biblioth\u00e8que.<\/p>\n
et qu\u2019avec les ann\u00e9es mon imaginaire caresse, nourrit, entretient, gave, renforce. C\u2019est la masse de livres amass\u00e9e par la famille et dont on m\u2019averti de bonne heure qu\u2019elle sera un jour lointain mon leg.<\/p>\n
Imaginez une vie enti\u00e8re \u00e0 nourrir ce genre de pens\u00e9e qu\u2019un jour vous serez l\u2019h\u00e9ritier d\u2019un tr\u00e9sor<\/p>\n
tr\u00e9sor qu\u2019\u00e0 force de l\u2019attendre comme tout ce qui porte le nom de tr\u00e9sor vous avez cess\u00e9 de briguer, vous ne le convoitiez plus, vous vous \u00e9tiez \u00e0 grande stupeur d\u00e9barrass\u00e9 de cette id\u00e9e et c\u2019est justement au m\u00eame instant qu\u2019elle vous revient en pleine figure comme un boomerang austral. Stupeur et tremblements, faites bonne figure au sort ainsi.<\/p>\n
L\u2019avalanche se d\u00e9clencha au mois de mars de l\u2019ann\u00e9e 2013, au d\u00e9c\u00e8s de mon p\u00e8re. Il fallait vider la maison. Je crois que je ne connais rien de pire dans la vie que de vider une maison de toute trace humaine famili\u00e8re, \u00e7a vous en flanque un sacr\u00e9 coup \u00e0 la d\u00e9finition du mot. chaque trace d\u00e9clenche une sc\u00e8ne un souvenir. J\u2019ai mis un temps fou \u00e0 vider cette maison. Des mois. Et \u00e0 la fin je crois que je l\u2019ai fait dans un \u00e9tat second, comme si j\u2019\u00e9tais un autre pour m\u2019en sortir.<\/p>\n
L\u2019une des premi\u00e8res choses que j\u2019ai faites dans l\u2019ordre chronologique ce fut d\u2019emballer tous les livres dans des cartons, puis de d\u00e9monter les biblioth\u00e8ques. Il y avait beaucoup de livres policiers, des ouvrages broch\u00e9s traduits depuis cents langues diverses en fran\u00e7ais. A la fin, mon p\u00e8re les achetait de fa\u00e7on compulsive sur internet, sur des plateformes de vente de livres d\u2019occasion. Ils \u00e9taient en bon \u00e9tat, mais chacun pesait son poids car il avait coutume de prendre des formats extraordinaires \u00e9crits en gros caract\u00e8res.<\/p>\n
Je ne me souviens pas du nombre de cartons, mais mes amis oui, ils m\u2019en parlent encore \u00e0 l\u2019occasion. Quand nous d\u00e9m\u00e9nage\u00e2mes d\u2019Oullins pour emm\u00e9nager dans notre nouvelle maison. De la sensation de remplir le tonneau des Dana\u00efdes ou de compter les cheveux d\u2019\u00c9l\u00e9onore. De plus, nous ne voulions pas encombrer les pi\u00e8ces en travaux, et nous d\u00fbmes faire un effort suppl\u00e9mentaire pour tout stocker au grenier dont le seul acc\u00e8s est un escalier escamotable.<\/p>\n
C\u2019est un tr\u00e8s grand grenier, au moins 70 m\u00e8tres carr\u00e9s. Mais une fois tous les cartons entrepos\u00e9s il m\u2019apparut exigu\u00eb. Et je me souviens tr\u00e8s clairement d\u2019avoir song\u00e9 au risque que tout \u00e7a allait finir par m\u2019\u00e9touffer. Mon \u00e9pouse qui est aussi la voix de ma conscience m\u2019avoua que j\u2019aurais beaucoup mieux fait de tout refiler \u00e0 un brocanteur, \u00e0 une biblioth\u00e8que municipale, \u00e0 Emma\u00fcs. Mais quelque chose me retint. Malgr\u00e9 le danger c\u2019est toujours ainsi : je n\u2019h\u00e9site pas \u00e0 me fourrer dans les pires situations incongrues. C\u2019est plus fort que moi voil\u00e0 tout. Et c\u2019est de cette fa\u00e7on tr\u00e8s exactement que je me suis install\u00e9 dans le refus de me d\u00e9faire de ce tr\u00e9sor dont j\u2019\u00e9tais l\u2019unique d\u00e9positaire \u00e0 pr\u00e9sent. Sans doute parce que finalement j\u2019en \u00e9tais le seul d\u00e9positaire.<\/p>\n
Mon fr\u00e8re m\u2019avoua il y a de cela plus de 10 ans d\u00e9sormais qu\u2019il avait s\u00e9lectionn\u00e9 quelques bouquins qui l\u2019int\u00e9ressaient \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Il avait encore les clefs de la maison de mes parents \u00e0 cette \u00e9poque. C\u2019\u00e9tait cette p\u00e9riode o\u00f9 j\u2019effectuais des all\u00e9es retour entre Lyon et Paris pour m\u2019occuper de notre p\u00e8re quand il tomba malade, puis une fois d\u00e9c\u00e9d\u00e9, pour effectuer toutes les d\u00e9marches avec l\u2019entreprise de pompes fun\u00e8bres, l\u2019\u00e9tat civil, les banques, le notaire, puis \u00e0 la fin avec les agents immobiliers, les assurances, et de nouveau le notaire. Je me suis surpris quand il m\u2019avoua son forfait \u00e0 consid\u00e9rer ce forfait comme une trahison sans trop savoir pourquoi. Dans mon esprit il avait entam\u00e9 une chose inentamable. Quelque chose qui devait rester int\u00e8gre. Une int\u00e9grit\u00e9 qui devait me revenir de droit. C\u2019\u00e9tait idiot, ce n\u2019\u00e9tait que quelques livres sans importance. et peut-\u00eatre que ce que consid\u00e9rais comme un d\u00e9lit cristallisa \u00e0 cet instant tout une collection de griefs gard\u00e9s sous silence depuis la nuit des temps. Comme il est banal de le constater dans toutes les familles au moment des enterrements.<\/p>\n
encore au jour d\u2019aujourd\u2019hui, je sens que je suis encore tiraill\u00e9 par le fait de vouloir conserver ces innombrables cartons de bouquins ou bien m\u2019en d\u00e9faire m\u2019en d\u00e9barrasser. Ce qui me retient ? je l\u2019ignore, peut-\u00eatre une sorte de respect pour cette collection amass\u00e9e durant toute une vie par la famille. A moins que ce ne soit ce r\u00f4le auquel je continue \u00e0 vouloir tenir d\u2019\u00eatre en fin de compte le d\u00e9positaire, le gardien de quelque chose qui n\u2019a aucun sens v\u00e9ritable d\u2019\u00eatre gard\u00e9. Cette somme de livres repr\u00e9sente un co\u00fbt sentimental qui n\u2019est absolument pas en ad\u00e9quation avec sa valeur r\u00e9elle sur le march\u00e9 du livre. Plusieurs vies y ont contribu\u00e9 dans ce que je peux imaginer \u00eatre un r\u00eave ou une illusion commune, car j\u2019ai aussi h\u00e9rit\u00e9 des livres de mes a\u00efeux , Des livres \u00e9normes \u00e0 couverture de cuir dont on tourne les pages dans la crainte d\u2019en ab\u00eemer la moindre, dans la peur qu\u2019elles ne tombent en poussi\u00e8re. Parfois j\u2019y pense encore, je sais que je n\u2019aurai probablement ni le temps ni l\u2019envie de lire tous ces livres. Qu\u2019en tant que nomade je ne lis plus que des eBook, des Epub, ce qui me permet de me trimbaler avec mon tr\u00e9sor personnel qui ne p\u00e8se qu\u2019un poids d\u00e9risoire, quelques gigaoctets \u00e0 peine.<\/p>\n
La semaine pass\u00e9e les petits enfants sont venus passer quelques jours de vacances ; J\u2019ai timidement tent\u00e9 de faire lire Jules Verne au plus grand, mais il \u00e9tait bien plus attir\u00e9 par un jeu vid\u00e9o en ligne avec lequel il joue avec ses copains. Je n\u2019ai pas insist\u00e9. Je suis victime de cette aura qui frappa des g\u00e9n\u00e9rations avant moi, l\u2019aura des livres. Je ne me reconnais pas le devoir de la propager plus loin, je crois m\u00eame que j\u2019entretiens avec celle-ci une certaine m\u00e9fiance, quand ce n\u2019est pas une forme de haine. Il me semble que c\u2019est la m\u00eame m\u00e9fiance, la m\u00eame sorte de haine qu\u2019avec ce que le monde est devenu d\u00e9sormais pour moi, cette chose compl\u00e8tement incompr\u00e9hensible, cette chose qui jour apr\u00e8s jour m\u2019\u00e9chappe totalement. Et en m\u00eame temps il y a ce plaisir un peu malsain d\u2019imaginer l\u00e0 haut au dessus de nos t\u00eates, cette masse de papier et d\u2019encore grignot\u00e9e probablement par les souris et les rats du grenier. La nature sauvage et incompr\u00e9hensible elle aussi reprend ses droits. Et \u00e0 la fin ce n\u2019est dans le fond que cela qui reste de toute une vie famille. tout ce qui aura \u00e9t\u00e9 investi d\u2019elle dans ce que rec\u00e8le les pages,de ces milliers de livres, entre ses lignes, reste \u00e0 mon sens compl\u00e8tement inaccessible.<\/p>\n
cependant qu\u2019elle a particip\u00e9 grandement \u00e0 faire de moi un exil\u00e9, un paria. Je ne voulais pas m\u2019attacher de trop aux jaquettes, aux couvertures, aux titres aguicheurs, \u00e0 ce que l\u2019on consid\u00e8re comme de grands auteurs. A toute cette illusion ou cette r\u00e9alit\u00e9 fabriqu\u00e9e de culture comme de savoir. Tout ce qui m\u2019a motiv\u00e9 dans ce long mouvement d\u2019attachement et de rejet c\u2019\u00e9tait d\u2019en apprendre un peu plus sur les m\u00e9andres de l\u2019\u00e2me humaine, ses recoins les plus sombres, ses myst\u00e8res ses gloires futiles autant qu\u2019anonymes. De quel droit en serais-je d\u00e9\u00e7u ?<\/p>\n
Id\u00e9es pour d\u2019autres textes.<\/p>\n
Elle lit Doris Lessing, Elsa Morante ce qui l\u2019installe dans une certaine id\u00e9e d\u2019elle que je nourris justement en ne lisant pas Doris Lessing, Elsa Morante. Je me prive de ces lectures pour ne pas perdre cette id\u00e9e que j\u2019invente d\u2019elle. A la fin la s\u00e9paration advient, mais je ne me suis s\u00e9par\u00e9 que d\u2019une id\u00e9e, est-ce moins douloureux ? quelle id\u00e9e de douleur ai-je encore invent\u00e9e pour ne pas vivre la cours naturel des choses de ce monde ?<\/p>\n
Il m\u2019arrive souvent de prendre un livre au hasard comme il m\u2019est arriv\u00e9 de vivre avec une fille une femme au hasard. Ne me demandez pas la raison profonde de ce genre de comportement, je reste muet l\u00e0-dessus. Ce n\u2019est pas parce que je ne me suis pas pos\u00e9 la question des milliers de fois. J\u2019ai simplement \u00e9cart\u00e9 toutes les r\u00e9ponses possibles pour me maintenir en train.<\/p>\n
tout me convient au bout du compte dans ces livres ces aventures. Je crois que je n\u2019y cherche rien \u00e0 l\u2019avance et donc quand il se passe quelque chose j\u2019en suis surpris. Que ce soit une bonne ou une mauvaise surprise n\u2019a pas d\u2019importance.<\/p>\n
Ce que je cherchais \u00e0 l\u2019avance autrefois \u00e9tait rarement sinon jamais ce que je trouvais \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e. Je me mis donc \u00e0 l\u2019ouvrage de refuser de chercher quoique ce soit \u00e0 l\u2019avance. C\u2019est un vrai travail.<\/p>\n
tout ce que je trouvai soudain dans le moindre livre correspondait \u00e9trangement \u00e0 mon \u00e9tat d\u2019esprit du moment. Je me souviens encore de mes errances dans les all\u00e9es de la biblioth\u00e8que G. Pompidou. bon sang comme c\u2019\u00e9tait une p\u00e9riode difficile. J\u2019\u00e9tais sans dessus dessous. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 ce moment que j\u2019ai d\u00e9couvert les bouquins de Ren\u00e9 Girard notamment Critique dans un souterrain. J\u2019avais du mal \u00e0 lire Dosto\u00efevski avant ce petit livre. Apr\u00e8s cela j\u2019en raffolais et certainement qu\u2019on devait me prendre pour un cingl\u00e9 tellement je pleurais de rire assis dans un coin sur cette moquette qui puait des pieds.<\/p>\n
Cette fille compl\u00e8tement bizarre avec des l\u00e8vres bleues. Une fois en longeant le parc de l\u2019Isle Adam je me souviens encore de cette sensation \u00e9lectrique que l\u2019on \u00e9prouve dans l\u2019\u00e9chine quand quelqu\u2019un vous regarde. Je me retourne, c\u2019\u00e9tait elle , le pire est que je savait au moment m\u00eame que c\u2019\u00e9tait elle. Elle avait un tee shirt sur lequel \u00e9tait inscrit le mot N\u00e9cronomicon. Elle explosa de rire en voyant ma t\u00eate. Je ne savais pas \u00e0 l\u2019\u00e9poque que le N\u00e9cronomicon \u00e9tait un ouvrage invent\u00e9 par Lovecraft. Je croyais \u00e9videmment qu\u2019il s\u2019agissait d\u2019un vrai livre, que cette fille \u00e9tait une sorci\u00e8re et qu\u2019elle poss\u00e9dait bien s\u00fbr ce bouquin.<\/p>\n
Ce livre des ann\u00e9es 70 \u00e9tait culte, il suffisait de lire de titre et on imaginait qu\u2019il \u00e9tait possible de partir sur les routes jusqu\u2019aux indes, que la vie serait \u00e9videmment bien plus cool l\u00e0-bas qu\u2019ici pr\u00e8s de Pontoise o\u00f9 coule l\u2019Oise boueuse et f\u00e9tide. Je l\u2019avais finalement achet\u00e9 pour lire dans le train. Au march\u00e9 des livres d\u2019occasion de L\u2019Isle Adam en 1972. Le trouver m\u2019avait procur\u00e9 la m\u00eame excitation qu\u2019autrefois un Vampirella que je n\u2019avais pas encore lu. J\u2019ai d\u00fb lire une dizaine de fois le premier chap\u00eetre, je m\u2019endormais \u00e0 chaque fois et me mettais \u00e0 r\u00eaver des plages de Goa, de cheveux interminables, de saris color\u00e9s fleurant l\u2019odeur de patchouli. Je ne me souviens plus o\u00f9 je l\u2019ai perdu. Peut-\u00eatre qu\u2019il ne me fut n\u00e9cessaire que pour ces aller retour en train afin de me rendre et revenir de la pension, jusqu\u2019\u00e0 la troisi\u00e8me.<\/p>\n
Je viens de lire une centaine de pages de Un bon jour pour mourir de Jim Harrison. Puis soudain je suis pris d\u2019un doute. Je cherche le titre sur Google, pour conna\u00eetre l\u2019ann\u00e9e de publication du bouquin et je tombe sur le site lisez.com et une myriade de critiques n\u00e9gatives sur cet ouvrage. Ce qui me vient \u00e0 l\u2019esprit \u00e0 cet instant c\u2019est que j\u2019ai certainement encore pris un coup de vieux. Que la plupart des auteurs que j\u2019aime lire et relire n\u2019int\u00e9resse plus un vaste public. Bref, je suis d\u2019un autre monde que celui-ci. Est-ce que je suis mort et j\u2019erre dans les limbes ? bien possible.<\/p>\n
Tr\u00e8s loin dans le souvenir, le livre du Sapeur Camember pos\u00e9 sur une \u00e9tag\u00e8re dans la classe de Madame N. Autour de lui flotte la musique de Pierre et le loup de Sergue\u00ef Prokofiev. Par del\u00e0 les vitres les grands platanes de la cour de r\u00e9cr\u00e9ation dont l\u2019\u00e9corce me fascine autant que les images de strates g\u00e9ologiques de mon manuel de g\u00e9ographie. Le titre r\u00e9el est bien « les fac\u00e9ties du sapeur Camember ». Et cette histoire de trou qui me hante, Camember creuse un trou pour y placer la terre d\u2019un autre trou qu\u2019il a creus\u00e9, mais que faire de la terre d\u00e9blay\u00e9e depuis ce second trou ?<\/p>\n
J’ai tout repris et tout m\u00e9lang\u00e9 les quatre parties pr\u00e9c\u00e9dentes<\/p>\n
Dans la pi\u00e8ce exigu\u00eb qui sera ma biblioth\u00e8que, je sais d\u2019avance que chaque livre que je vais extirper des cartons sera un pilier de ma propre histoire, un recueil de moments encapsul\u00e9s. Comme Walter Benjamin qui, dans son exil, d\u00e9ballait ses livres pour en inventorier les souvenirs, je m\u2019appr\u00eate \u00e0 ranger les miens, non pour les classer, mais pour red\u00e9couvrir le voyage de chaque acquisition.<\/p>\n
Chaque ouvrage est un t\u00e9moin silencieux d\u2019une \u00e9poque, d\u2019un lieu, voire d\u2019un \u00e9tat d\u2019esprit oubli\u00e9. En d\u00e9chirant le ruban adh\u00e9sif des cartons, en \u00e9cartant les pans , j\u2019ai un peu la sensation d\u2019\u00e9carter mon thorax ou ma cervelle : chaque livre \u00e9merge comme une relique de ma propre Grande D\u00e9pression personnelle ou des minces jours de d\u00e9couverte joyeuse. Ce n\u2019est pas simplement ranger, c\u2019est revisiter et parfois r\u00e9\u00e9valuer.<\/p>\n
Je pense \u00e0 Georges Perec qui d\u00e9finissait une biblioth\u00e8que comme un ensemble de livres pour le plaisir quotidien. Mon approche est semblable mais avec une intention plus introspective. Chaque livre est class\u00e9 non par ordre alphab\u00e9tique ou th\u00e9matique, mais selon l\u2019intensit\u00e9 des souvenirs qu\u2019il \u00e9voque, formant ainsi une cartographie de mon pass\u00e9 litt\u00e9raire.<\/p>\n
Certains livres restent des piliers in\u00e9branlables, d\u2019autres, jadis ch\u00e9ris, ont perdu de leur \u00e9clat, t\u00e9moignant du changement de mes perspectives et go\u00fbts. Cet exercice de classement devient un dialogue intime avec moi-m\u00eame, chaque livre me questionnant, « Pourquoi suis-je ici ? Que repr\u00e9sente-je pour toi maintenant ? » « As-tu vu ce que tu es devenu ? »<\/p>\n
\u00c0 l\u2019image de Benjamin, je ne retrouve pas seulement des livres, mais des fragments de moi-m\u00eame \u00e9parpill\u00e9s \u00e0 travers les pages. Le livre sur Baudelaire achet\u00e9 \u00e0 Paris, un roman de science-fiction \u00e9chang\u00e9 avec un ami maintenant lointain, chaque volume porte en lui une histoire qui d\u00e9passe le texte imprim\u00e9.<\/p>\n
Cette r\u00e9organisation est moins une t\u00e2che qu\u2019une c\u00e9r\u00e9monie, un acte de red\u00e9couverte o\u00f9 chaque livre est soigneusement d\u00e9poussi\u00e9r\u00e9, feuillet\u00e9, parfois lu sur place, souvent replac\u00e9 avec une nouvelle compr\u00e9hension de son importance.<\/p>\n
Je m\u2019arr\u00eate, livre en main, souvent perdu dans les m\u00e9andres de la m\u00e9moire. C\u2019est dans ces moments de pause que je ressens le plus profond\u00e9ment le poids de ma biblioth\u00e8que, non en kilogrammes, mais en exp\u00e9riences v\u00e9cues, en \u00e9motions ressenties.<\/p>\n
Je conclue cette session de rangement par une r\u00e9flexion sur ce que ces livres disent de moi, de mon parcours, de mes ruptures et de mes continuit\u00e9s. Comme les strates g\u00e9ologiques raconte les drames, les trag\u00e9dies des sols , ma biblioth\u00e8que raconte une histoire complexe et multiforme, un r\u00e9cit toujours en cours d\u2019\u00e9criture. Chaque livre rang\u00e9 est-il une promesse de retour, je n\u2019en sais rien \u00e0 vrai dire, non en fait je sais que je ne crois plus au mythe de l\u2019\u00e9ternel retour.<\/p>\n
Au c\u0153ur de cette qu\u00eate litt\u00e9raire, chaque librairie visit\u00e9e est deviendrait une pierre angulaire de mon territoire de lecteur, un morceau de la carte de mon monde int\u00e9rieur. Ces espaces, sanctuaires fragiles et tremblotant du savoir et de l\u2019imaginaire, ont fa\u00e7onn\u00e9 ma perception des mots et de leur pouvoir.<\/p>\n
Dans les rues pav\u00e9es d\u2019Angoul\u00eame, je pousse la porte d\u2019une librairie ancienne o\u00f9 l\u2019odeur du papier vieilli se m\u00eale \u00e0 celle du bois cir\u00e9. Les \u00e9tag\u00e8res, hautes et charg\u00e9es, touchent presque le plafond, s\u2019archant sous le poids des classiques et des nouveaut\u00e9s. Ici, j\u2019ai d\u00e9couvert la gravit\u00e9 solennelle des textes de Victor Hugo, dont les mots semblaient r\u00e9sonner dans le silence respectueux de la boutique.<\/p>\n
Puis, \u00e0 Strasbourg, je me retrouve devant une vitrine moderne, \u00e9clair\u00e9e, qui expose des livres d\u2019art et de photographie. La lumi\u00e8re douce et les couleurs vives des couvertures attirent un public \u00e9clectique, des \u00e9tudiants en art aux touristes curieux. C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai achet\u00e9 mon premier recueil de po\u00e8mes, un acte de r\u00e9bellion adolescente contre la prose du quotidien.<\/p>\n
Enfin, \u00e0 Saragosse, je fl\u00e2ne dans une librairie sp\u00e9cialis\u00e9e dans la litt\u00e9rature \u00e9trang\u00e8re. Les murs sont tapiss\u00e9s de romans et de biographies en plusieurs langues, un babel de papier qui invite au voyage. C\u2019est ici que j\u2019ai compris la valeur de la diversit\u00e9 narrative, en feuilletant des \u0153uvres traduites du japonais, de l\u2019h\u00e9breu ou du su\u00e9dois.<\/p>\n
Ces librairies ne sont pas que des lieux de commerce, mais des portails vers des univers insoup\u00e7onn\u00e9s. Chaque visite est une aventure, un pas de plus dans la construction de ma propre histoire litt\u00e9raire. Elles sont des rencontres, des moments de r\u00e9v\u00e9lation qui ont enrichi ma vision du monde et nourri ma passion pour la lecture.<\/p>\n
Vincent Puente, avec ses librairies fictionnelles, nous rappelle combien ces espaces peuvent \u00eatre des th\u00e9\u00e2tres de la m\u00e9moire et de l\u2019imagination. Inspir\u00e9 par ses r\u00e9cits, je me prends \u00e0 r\u00eaver de mes propres librairies, celles qui ont marqu\u00e9 les chapitres de ma vie. Peut-\u00eatre un jour, \u00e0 l\u2019image de Puente, raconterai-je ces lieux avec une touche de fantastique, o\u00f9 chaque livre achet\u00e9 serait une porte entrouverte sur l\u2019infini.<\/p>\n
Cette exploration ne se veut pas une fin en soi, mais une accumulation de mat\u00e9riaux pour des constructions futures. Comme dans un premier jet, je laisse les souvenirs et les sensations se superposer, formant une mosa\u00efque de moments qui, une fois assembl\u00e9s, d\u00e9voileront le portrait de l\u2019\u00e9crivain que je suis devenu.<\/p>\n
Ainsi, je continue ma marche, accumulant les exp\u00e9riences, me pr\u00e9parant \u00e0 les recomposer dans mon \u00e9criture. Chaque librairie visit\u00e9e, chaque livre acquis est un fil rouge dans le tapis complexe de mon histoire qui s\u2019ach\u00e8vera t\u00f4t ou tard. C\u2019est une marche d\u2019approche, certes, mais chaque pas est un pas vers la d\u00e9couverte de moi-m\u00eame en tant que lecteur.<\/p>\n
Dans la solitude de mon espace de lecture, je me penche sur une liste personnelle de neuf choses perdues, inspir\u00e9e par l\u2019\u0153uvre \u00e9patante de Judith Schalansky. Cet inventaire commence non par une simple \u00e9num\u00e9ration, mais comme une exploration de ce que ces pertes signifient pour moi, chacune ouvrant un chapitre de r\u00e9flexion et de narration.<\/p>\n
Le premier \u00e9l\u00e9ment de ma liste est une montre de poche appartenant \u00e0 mon grand-p\u00e8re, disparue dans les m\u00e9andres d\u2019un d\u00e9m\u00e9nagement. Ce n\u2019est pas tant l\u2019objet qui me manque, mais les instants qu\u2019il a mesur\u00e9s, les \u00e9chos de conversations longtemps oubli\u00e9es. Je lance ce r\u00e9cit par une description pr\u00e9cise du tic-tac de cette montre, un son presque oubli\u00e9, mais encore vibrant dans ma m\u00e9moire.<\/p>\n
Le deuxi\u00e8me est une lettre jamais envoy\u00e9e \u00e0 un vieil ami, perdue lors d\u2019une crise de col\u00e8re. Cette feuille de papier, satur\u00e9e d\u2019encre et de regrets, devient le c\u0153ur d\u2019un dialogue imaginaire entre moi et cet ami, o\u00f9 je tente de r\u00e9parer les ponts jamais vraiment bris\u00e9s, mais seulement n\u00e9glig\u00e9s.<\/p>\n
Le troisi\u00e8me \u00e9l\u00e9ment est une photographie de ma premi\u00e8re voiture, une vieille berline avec laquelle j\u2019ai connu des aventures inoubliables. La photo, perdue dans un incendie, repr\u00e9sente plus que du papier br\u00fbl\u00e9 ; elle symbolise la jeunesse \u00e9vanouie. Je me lance dans une narration en mode road-trip, chaque virage de la route \u00e9voquant un souvenir pr\u00e9cis de libert\u00e9 et de d\u00e9couvertes.<\/p>\n
Un vieux livre de cuisine de ma m\u00e8re, us\u00e9 et finalement perdu, occupe la quatri\u00e8me place. Il n\u2019est plus tangible mais persiste dans les parfums de mon enfance. Je narre les recettes comme des formules magiques, chacune capable de ressusciter des moments de bonheur familial.<\/p>\n
Le cinqui\u00e8me est un billet de concert froiss\u00e9, perdu dans la poche d\u2019un manteau vendu. Ce billet revit dans une \u00e9vocation lyrique d\u2019une soir\u00e9e o\u00f9 la musique semblait tout gu\u00e9rir, o\u00f9 chaque note jou\u00e9e r\u00e9sonne encore dans les alc\u00f4ves de mon c\u0153ur.<\/p>\n
Ces fragments de r\u00e9cits, en d\u00e9taillant les objets perdus et les \u00e9motions qu\u2019ils \u00e9veillent, tissent une tapestry narrative personnelle. Chaque histoire est un fil reconnectant le pr\u00e9sent au pass\u00e9, un pass\u00e9 qui, bien que perdu, demeure vivant dans les mots que je pose sur le papier.<\/p>\n
Cette d\u00e9marche, inspir\u00e9e par Schalansky, n\u2019est pas simplement un exercice de style ; elle est une qu\u00eate de sens, un moyen de comprendre comment ces pertes ont fa\u00e7onn\u00e9 l\u2019individu que je suis devenu. Ce ne sont pas seulement des objets disparus, mais des parties de moi, \u00e9clips\u00e9es par le temps, que je cherche \u00e0 retrouver dans le r\u00e9cit.<\/p>\n
La libert\u00e9 narrative offerte par ce format permet une profonde immersion dans chacun de ces moments perdus, rendant chaque r\u00e9cit aussi unique que l\u2019objet ou le souvenir qu\u2019il repr\u00e9sente. C\u2019est un dialogue continu entre le pass\u00e9 et le pr\u00e9sent, entre ce qui \u00e9tait et ce qui reste, une exploration de l\u2019absence comme forme pleine et enti\u00e8re de pr\u00e9sence.<\/p>\n
Dans ce voyage litt\u00e9raire, chaque chapitre clos n\u2019est pas simplement la fin d\u2019une histoire, mais l\u2019invitation \u00e0 en d\u00e9couvrir une nouvelle, \u00e0 ouvrir un autre tiroir de la m\u00e9moire, \u00e0 continuer de tisser le riche tissu de mon propre r\u00e9pertoire de choses perdues.<\/p>\n
Dans cette exploration, je m\u2019immerge dans la mat\u00e9rialit\u00e9 des livres, laissant de c\u00f4t\u00e9 leur contenu textuel pour me concentrer sur leur existence physique. Chaque livre que je choisis est un artefact, charg\u00e9 de souvenirs et de sensations qui transcendent les mots imprim\u00e9s sur ses pages.<\/p>\n
Le premier est un vieux roman de poche, sa couverture \u00e9corn\u00e9e t\u00e9moignant des nombreux voyages dans mon sac \u00e0 dos. Je me souviens de son odeur de papier vieilli, et de la sensation de ses pages fines sous mes doigts, souvent lues sous le doux soleil d\u2019un apr\u00e8s-midi d\u2019\u00e9t\u00e9 au parc. Ce livre n\u2019est pas juste un objet de lecture, mais un compagnon de mes jours de libert\u00e9, son usure parall\u00e8le \u00e0 mes propres exp\u00e9riences.<\/p>\n
Ensuite, un volume reli\u00e9, lourd et imposant, trouv\u00e9 dans une librairie ancienne. Sa couverture rigide, emboss\u00e9e, \u00e9tait froide au toucher, contrastant avec la chaleur de la pi\u00e8ce lambriss\u00e9e o\u00f9 je l\u2019avais d\u00e9couvert. Lire ce livre \u00e9tait une exp\u00e9rience presque c\u00e9r\u00e9monielle, n\u00e9cessitant une table et une lampe de lecture, chaque page tourn\u00e9e avec un respect presque religieux pour sa majest\u00e9.<\/p>\n
Je me tourne vers un manuel scolaire de mon enfance, dont les marges sont jonch\u00e9es de graffitis et de notes \u00e9crites \u00e0 la h\u00e2te. Ce livre, plus qu\u2019un simple outil d\u2019apprentissage, \u00e9tait un t\u00e9moin de mon d\u00e9veloppement intellectuel et cr\u00e9atif. Sa mat\u00e9rialit\u00e9 \u00e9voque des souvenirs de salles de classe bruyantes, de r\u00e9cr\u00e9ations joyeuses, et d\u00e9j\u00e0 mon retrait, mes angoisses face \u00e0 cette joie sauvage.<\/p>\n
Un autre, un recueil de po\u00e9sie, se distingue par son \u00e9l\u00e9gante simplicit\u00e9. Sa couverture souple, d\u2019un bleu profond, invite \u00e0 la contemplation, et je me rappelle l\u2019avoir souvent lu en \u00e9coutant la pluie battre contre les fen\u00eatres de ma chambre. La texture de sa couverture, lisse et fra\u00eeche, contrastait avec la chaleur des mots qu\u2019elle enfermait, chaque po\u00e8me r\u00e9sonnant diff\u00e9remment selon le temps et mon \u00e9tat d\u2019esprit.<\/p>\n
Enfin, un guide de voyage \u00e9corn\u00e9, t\u00e9moin de mon ann\u00e9e sabbatique. Les pages, gondol\u00e9es par l\u2019humidit\u00e9 des tropiques, portaient des taches de boue et des traces de caf\u00e9, chaque marque une carte du p\u00e9riple que j\u2019avais entrepris. Ce livre \u00e9tait plus qu\u2019un guide ; c\u2019\u00e9tait un journal de bord, un compagnon qui avait vu les m\u00eames paysages que moi, subi les m\u00eames intemp\u00e9ries.<\/p>\n
Ces livres, dans leur forme la plus brute, sont des extensions de mes exp\u00e9riences. Ils ne sont pas simplement des conteneurs de texte, mais des objets imbriqu\u00e9s dans le tissu de ma vie, chacun portant les empreintes des lieux et des moments qu\u2019ils ont partag\u00e9s avec moi. En revisitant ces artefacts, je ne revis pas seulement des textes, mais des fragments de temps, des atmosph\u00e8res, des parfums et des textures, tout ce qui constitue le fond sur lequel les mots prennent sens.<\/p>\n
Il reste encore un carton, ce sont les livres que l\u2019on m\u2019a offerts, des cadeaux que bien souvent j\u2019ai d\u00e9daign\u00e9s parce que je jugeai alors qu\u2019il \u00e9taient mal adress\u00e9s. Peut-\u00eatre est-il temps de leur trouver une place et d\u2019en ouvrir quelques uns maintenant que le souvenir semble s\u2019en \u00eatre d\u00e9tach\u00e9.<\/p>", "content_text": "{{{#01 Ranger les livres}}} Difficile de donner une d\u00e9finition claire de cet endroit o\u00f9 l\u2019on range des livres. Ranger c\u2019est chinois dans le genre chinoiseries. La premi\u00e8re biblioth\u00e8que dans le bureau du p\u00e8re, en faux acajou, de chez France Loisirs. L\u2019odeur du feu de chemin\u00e9e. L\u2019odeur d\u2019Amsterdamer. La collection de pipes ( il lit Simenon) La lampe Napol\u00e9on, le bureau Empire \u00e0 sous-main vert olive. Le facteur, chaque semaine, ou peut-\u00eatre deux fois le mois, livre les colis. Des livres broch\u00e9s, \u00e0 couverture rigide, lettres dor\u00e9es , souvent, grav\u00e9es dans ce qu\u2019il faut sans doute imaginer \u00eatre du cuir. Quelque chose qui fait penser au fer rouge. Il est interdit de toucher aux livres. En \u00f4ter un laisse une b\u00e9ance. Visible imm\u00e9diatement. Donc pas touche. La biblioth\u00e8que de l\u2019arri\u00e8re grand p\u00e8re qui vit au rez-de-chauss\u00e9e n\u2019est pas visible au tout venant. Elle se trouve dans sa chambre \u00e0 coucher. Limit\u00e9e \u00e0 deux ou trois \u00e9tag\u00e8res seulement. Tout Fran\u00e7ois Copp\u00e9e. Tout Alexandre Dumas. Tout Victor Hugo. Deux gros Bouillet. Ce sont des grands livres en cuir v\u00e9ritable avec des gravures. Ils sont peu pratiques \u00e0 manier. D\u2019ailleurs je ne les manie pas. On me les montre, parfois on en ouvre un sur la table de la cuisine. C\u2019est une op\u00e9ration quasi religieuse. Tourner lentement les pages, lire lentement, regarder lentement. Parfois c\u2019est seulement deux pages et pas plus. Puis on emporte l\u2019objet pour le remiser \u00e0 sa place. Ici la b\u00e9ance est seulement temporaire et vite rebouch\u00e9e. La biblioth\u00e8que du p\u00e8re de mon p\u00e8re est succincte. Elle tient sur trois \u00e9tag\u00e8res dans un meuble en pin naturel . Ce sont des s\u00e9ries noires, des S.A.S. Et son Darwin : \u00bb L\u2019origine des esp\u00e8ces \u00bb couverture rigide, us\u00e9e car beaucoup utilis\u00e9e. La biblioth\u00e8que de la m\u00e8re de mon p\u00e8re est encore plus succincte: Un gros Tout en Un et quelques piles de Nous-Deux, Modes et Travaux, Rustica. Dans Nous-Deux il y a des romans photo en noir et blanc , pas tr\u00e8s passionnant. Sans oublier, bien sur, le catalogue de la Redoute. Le tout tient dans la table de chevet. Le Tout en Un est pr\u00e8s de la lampe , tout le reste est empil\u00e9 sur les \u00e9tag\u00e8res en dessous. La biblioth\u00e8que de ma m\u00e8re est grosso modo la m\u00eame que celle du p\u00e8re. Elle peut emprunter tous les livres qu\u2019elle veut. Mais elle les range une fois lus \u00e0 leur place. Elle est ordonn\u00e9e. Sur ce point elle est aussi vigilante que le p\u00e8re en mati\u00e8re de b\u00e9ance. Elle a conserv\u00e9 de sa vie d\u2019avant leur rencontre 4 tomes d\u00e9penaill\u00e9s d\u2019U.H Tammsaare roman estonien , genre de saga intitul\u00e9e \u00ab La terre des voleurs \u00bb. Chose \u00e9tonnante je les ai encore avec moi. Je n\u2019ai jamais eu de biblioth\u00e8que \u00e0 proprement parler s\u2019il s\u2019agit d\u2019un meuble o\u00f9 ranger des livres sur des \u00e9tag\u00e8res avant l\u2019\u00e2ge de 18 ans. Dans la chambre \u00e0 coucher, les livres \u00e9taient empil\u00e9s \u00e0 m\u00eame le sol pr\u00e8s du lit. Et puis parall\u00e8lement j\u2019ai fr\u00e9quent\u00e9 beaucoup de biblioth\u00e8ques publiques. A partir de 8 ans, emprunter des livres me mettait en joie. Poss\u00e9der un livre, l\u2019id\u00e9e m\u2019est venue assez tardivement. A l\u2019\u00e2ge de 18 ans je b\u00e9n\u00e9ficiai soudain d\u2019une occasion me permettant de me dire \u00ab j\u2019ai moi aussi une biblioth\u00e8que \u00bb. Mais ce n\u2019\u00e9tait probablement une chose que j\u2019avais brigu\u00e9 intens\u00e9ment. Juste des pens\u00e9es fugaces parfois. L\u2019appartement que m\u2019avait propos\u00e9 un de mes oncles \u00e0 la location \u00e9tait petit mais l\u2019espace \u00e9tait exploit\u00e9 d\u2019une mani\u00e8re incroyablement judicieuse. Dans ce qui faisait office de salon, des \u00e9tag\u00e8res avaient \u00e9t\u00e9 construites dans des niches qui devaient \u00eatre \u00e0 l\u2019origine des encadrements de portes menant d\u2019une chambre de bonne \u00e0 l\u2019autre. Il y avait au moins 10 \u00e9tag\u00e8res de disponible. Ce fut l\u2019occasion d\u2019amasser plus que jamais. La plupart du temps des livres de seconde main, lors de promenades sur les quais. A l\u2019\u00e2ge de 20 ans je laissai soudain toute ma biblioth\u00e8que car je n\u2019avais pas assez de place dans mon sac pour la transporter. J\u2019errais de chambre d\u2019h\u00f4tel en chambre d\u2019h\u00f4tel. Les livres que je lisais \u00e0 cette \u00e9poque \u00e9taient emprunt\u00e9es aux diverses biblioth\u00e8ques auxquelles j\u2019\u00e9tais abonn\u00e9. 9. Ici il faudrait que je parle sans doute de mon rapport avec les biblioth\u00e8ques publiques. Notamment la biblioth\u00e8que du centre Georges Pompidou. Mais n\u2019allons pas trop vite. Inscrivons Beaubourg sur un post it 10. En m\u00eame temps je ne peux pas ne pas noter sur un autre post it le nom de R. Et l\u2019appartement de la rue Quincampoix, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Dont les fen\u00eatre donnent sur la fa\u00e7ade de la maison de l\u2019oncle de Moli\u00e8re ? Ce fut la premi\u00e8re fois que je rencontrai quelqu\u2019un qui avait lu tous les livres qu\u2019il poss\u00e9dait. Il en avait des milliers et qui, chose extraordinaire, n\u2019\u00e9taient pas rang\u00e9s dans une biblioth\u00e8que, mais organis\u00e9s par piles un peu partout dans les deux pi\u00e8ces que constituaient son appartement. Il fallait naviguer dans des ruelles \u00e9troites pour parvenir au salon, encombr\u00e9 tout autant, mais on pouvait s\u2019asseoir pour grignoter et boire de petits verres de Payse. N\u00e9anmoins il savait toujours o\u00f9 trouver le livre qu\u2019il cherchait, ce qui peut paraitre extraordinaire, mais ne l\u2019est absolument pas de mon point de vue. 11. Lire ces pages de Perec sur l\u2019art de ranger les livres m\u2019a fait rire. Je crois qu\u2019il s\u2019en fiche tout autant que R. C\u2019est \u00e0 dire de cet ordre qu\u2019il faudrait suivre pour bien ranger une biblioth\u00e8que. D\u2019o\u00f9 viendrait un tel ordre ? d\u2019un h\u00e9ritage probablement. Quelqu\u2019un te montrerait un ordre qu\u2019il aurait lui m\u00eame h\u00e9rit\u00e9 de quelqu\u2019un d\u2019autre et toi tu ne te poserais pas la moindre question pour emboiter le pas \u00e0 tout ce beau monde. Non, bien s\u00fbr que non. H\u00e9riter d\u2019un ordre c\u2019est h\u00e9riter aussi des dettes comme dans n\u2019importe quelle succession. Et il y a toujours des dettes qu\u2019on l\u2019envisage clairement ou pas. 12. le fait d\u2019emballer ou de d\u00e9baller des livres s\u2019est peu pr\u00e9sent\u00e9 comme \u00e9v\u00e8nement important dans toute mon existence. J\u2019ai laiss\u00e9 derri\u00e8re moi plusieurs biblioth\u00e8ques, comme j\u2019ai laiss\u00e9 des meubles, de l\u2019\u00e9lectro m\u00e9nager, de la vaisselle et des v\u00eatements. La raison principale que je peux donner \u00e0 cette habitude c\u2019est la certitude d\u2019\u00eatre une sorte de juif errant. C\u2019est ce personnage principalement qui m\u2019aura hant\u00e9 la plus grande partie de ma vie. Maintenant j\u2019ai un peu chang\u00e9, je pr\u00e9f\u00e8re parler de dibbouk. Je suis hant\u00e9 par une \u00e2me errante ce qui ne signifie pas pour autant que je suis moi une \u00e2me errante. Nuance importante. 13. C\u2019est dommage que je ne sache fabriquer avec du code invisible au public un amas de post-il que je pourrais \u00e9tendre dans l\u2019espace de ce billet de blog. J\u2019ai essay\u00e9 bien s\u00fbr mais une partie du code apparait, car je n\u2019ai pas les droits d\u2019administration tout simplement. Mais je peux tout \u00e0 fait imaginer un plancher avec tous ces morceaux de papier \u00e9pars. D\u2019ailleurs chose \u00e9tonnante, mon bureau actuellement est compl\u00e8tement vide. J\u2019ai ce week-end retir\u00e9 tout ce qu\u2019il y avait dedans pour refaire le parquet. Je suis tomb\u00e9 sur de vieilles planches \u00e0 peine \u00e9quarries. Il y a du changement dans l\u2019air. Et peut-\u00eatre aussi un peu d\u2019organisation \u00e0 venir. C\u2019est un v\u0153u pieux. 14. comme d\u2019habitude je ne suis pas vraiment s\u00fbr d\u2019avoir saisi le sens exact de la proposition d\u2019\u00e9criture. Comme d\u2019habitude je fais avec. 15. Cette biblioth\u00e8que familiale regroupant toutes les biblioth\u00e8ques des uns et des autres est d\u00e9sormais chez moi. La plupart des livres sont encore dans des cartons depuis une bonne dizaine d\u2019ann\u00e9es, au grenier. Je ne sais pas si je rouvrirai un jour tous ces cartons. Sans doute pas. Pas plus que je ne me r\u00e9sous \u00e0 m\u2019en d\u00e9barrasser. Ils sont l\u00e0 haut, au dessus de nos t\u00eates mon \u00e9pouse et moi. Comme ce monstre du grenier qui dans mes cauchemars d\u2019enfant d\u00e9valait avec fracas le grand escalier. Parfois l\u2019\u00e9t\u00e9 je monte par l\u2019\u00e9chelle escamotable, je regarde les planches en acajou de cette biblioth\u00e8que que je ne me suis jamais attel\u00e9 \u00e0 reconstruire. J\u2019hume le parfum des livres enferm\u00e9s dans les cartons. \u00e7a me suffit pour me souvenir de tous les membres de cette famille d\u00e9sormais disparus. Un genre de cimeti\u00e8re. 16. Depuis le jour o\u00f9 j\u2019ai rencontr\u00e9 mon \u00e9pouse j\u2019ai peu \u00e0 peu reconstitu\u00e9 une biblioth\u00e8que. C\u2019est une biblioth\u00e8que qui se trouve dans une pi\u00e8ce d\u00e9di\u00e9e. Tout sur des \u00e9tag\u00e8res mais pas vraiment rang\u00e9. On a m\u00eame fait deux rang\u00e9es par \u00e9tag\u00e8re, ce qui fait que lorsqu\u2019on cherche un livre on est souvent oblig\u00e9 de partir en exploration, d\u2019\u00f4ter dix livres pour en trouver un. Comme Perec le dit \u00e0 juste titre souvent on cherche un livre, et c\u2019est sept qu\u2019on trouve, c\u2019est \u00e9patant. 17. L\u2019id\u00e9e de la biblioth\u00e8que comme celle du feu qui cr\u00e9pite dans une chemin\u00e9e est un fantasme que j\u2019ai conserv\u00e9 longtemps avant de savoir que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019un fantasme. 18. L\u2019id\u00e9e de troph\u00e9e comme \u00e0 la chasse me vient aussi quand je vois une biblioth\u00e8que. L\u2019id\u00e9e de poss\u00e9der un livre comme on peut poss\u00e9der un ou une autre aussi. Constituer une biblioth\u00e8que tout seul o\u00f9 je serais le seul \u00e0 lire les livres qu\u2019elle contient m\u2019agace beaucoup quand j\u2019y pense. Cela me renvoie probablement \u00e0 des territoires d\u2019enfance, \u00e0 la notion de propri\u00e9t\u00e9, \u00e0 la notion de savoir comme de propri\u00e9t\u00e9. 19. Le plaisir de lire un livre provenant d\u2019une biblioth\u00e8que s\u2019accroit en pensant que je ne suis pas le seul \u00e0 le lire. M\u00eame si je ne le dis jamais \u00e0 voix haute, m\u00eame si je ne me le dis pas tr\u00e8s clairement. M\u00eame si cela reste suffisamment confus pour que je ne disserte pas trop l\u00e0-dessus. 20. La probl\u00e9matique du rangement, des textes, comme des livres. Ainsi celui-ci. Ces notes. J\u2019essaie de comprendre la consigne et d\u00e9j\u00e0 je ne sais que mettre dans le titre \u00e0 part \u00ab nouvelles \u00bb. Puisque le but est d\u2019empiler les textes les uns sous les autres dans ce billet ( d\u2019apr\u00e8s la d\u00e9mo ). Du coup peut-\u00eatre que tous feront pareil. Nouvelles, nouvelles nouvelles. Dr\u00f4le. Finalement on ne distinguera plus que si l\u2019on fouille. Distinguer n\u2019est pas voir, c\u2019est un peu plus qu\u2019apercevoir. Et je ne parle m\u00eame pas du point de vue. Sur l\u2019ordre chacun semble avoir le sien si l\u2019on y regarde \u00e0 deux fois. 21. voil\u00e0, plein de papiers jonchent le sol. Et maintenant dans quel ordre les agencer, aucune id\u00e9e. \u00e7a reste ouvert, \u00e7a peut encore changer, \u00e7a peut \u00eatre aussi tout autre. On peut aussi laisser le hasard, le vent entrer dans la pi\u00e8ce, ce serait pas bien diff\u00e9rent. 22. L\u2019intention serait utile certainement. Une intention mais laquelle ? surement pas pour faire bien. Et l\u2019intention arrive quand ? au d\u00e9part ? au milieu ? \u00e0 la fin ? Peut-\u00eatre n\u2019arrive t\u2019elle pas, il faudrait aussi le pr\u00e9voir. Le fait de ne pas avoir d\u2019intention est-il aussi une intention ? l\u2019intention de n\u2019en avoir aucune; \u00e7a me rappelle Gide et l\u2019acte gratuit qui ne trouve pas sa gratuit\u00e9 et pour cause. 23. Si je n\u2019ai pas dit au moins mille fois : il faudrait que je range mes livres et de m\u2019arr\u00eater net sid\u00e9r\u00e9, fascin\u00e9, par le d\u00e9sordre. J\u2019imagine une biblioth\u00e8que akashique ou Borg\u00e8sienne. Tout serait l\u00e0 p\u00eale-m\u00eale et l\u2019embarras du choix. Comment ranger les livres sans d\u00e9passer cette sid\u00e9ration et \u00e9viter Scylla. Filer entre deux, sans courroucer les dieux. La biblioth\u00e8que nous cerne presque enti\u00e8rement, trois murs sur quatre couverts de livres. C\u2019est une biblioth\u00e8que France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux coulissants que l\u2019on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur g\u00e9n\u00e9rale est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit r\u00e9ellement de l\u2019acajou qui est un bois pr\u00e9cieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reli\u00e9s ; couvertures rigides, lettres grav\u00e9es sur un genre de simili-cuir. Cette attirance et cette r\u00e9pulsion pour les livres destin\u00e9s \u00e0 donner le change remonte \u00e0 loin. Encore que l\u2019effroi arrive plus tard, \u00e0 l\u2019adolescence. Comment les livres sont-il rang\u00e9s dans cette biblioth\u00e8que ? Par ordre d\u2019arriv\u00e9e des colis ? Par couleur de couverture ? Par ordre alphab\u00e9tique ? Par genre ? Je ne m\u2019en souviens pas. J\u2019arrive devant cette barri\u00e8re de livres, je vois les couleurs, les tailles, vaguement il me semble en reconna\u00eetre quelques uns, ce dont je me m\u00e9fie car dans la reconstruction de ce souvenir la pr\u00e9cision, le familier sont des dangers. L\u2019utilisation du mot barri\u00e8re pour dire que nous serions derri\u00e8re peut-\u00eatre enferm\u00e9s peut-\u00eatre prot\u00e9g\u00e9s par celle-ci ? La biblioth\u00e8que nous cerne presque enti\u00e8rement, trois murs sur quatre couverts de livres. C\u2019est une biblioth\u00e8que France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux que l\u2019on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit r\u00e9ellement de l\u2019acajou qui est un bois pr\u00e9cieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reli\u00e9s ; couvertures rigides, lettres grav\u00e9es sur un genre de simili-cuir. Confin\u00e9 dans une prison dont les murs sont constitu\u00e9s de livres, une prison de papier, une for\u00eat d\u2019arbres abattus. Et faire comme si de rien n\u2019\u00e9tait, mettre un peu d\u2019ordre dans tout cela. Classer, ranger, s\u2019en trouver bien, rassur\u00e9, heureux ? A c\u00f4t\u00e9 de cette image presque aussit\u00f4t des alignements dans une grande cour l\u2019hiver, un camp et des milliers d\u2019\u00eatres rang\u00e9s comme des livres, par taille, par race, par genre, par plus ou moins bon \u00e9tat de sant\u00e9. A c\u00f4t\u00e9 de \u00e7a des montagnes de lunettes, de dents, de cheveux. Bien rang\u00e9s eux aussi. L\u2019id\u00e9e que l\u2019on puisse tenir \u00e0 une biblioth\u00e8que comme \u00ab \u00e0 la prunelle de ses yeux \u00bb ne me fait plus sourire ainsi que mon cynisme, dans le temps, m\u2019obligeait \u00e0 m\u2019en moquer ; Je peux concevoir cet engouement, et m\u00eame cet amour pour les objets \u00e0 pr\u00e9sent m\u00eame si, quelque chose en moi se refuse encore \u00e0 le partager. Et ce n\u2019est pas par m\u00e9pris, mais parce qu\u2019il est trop tard pour entretenir ce genre d\u2019attachement. Pour y croire sinc\u00e8rement. Avec quel ordre ont-ils \u00e9t\u00e9 aux prises. Je me le demande seulement \u00e0 pr\u00e9sent. Et presque aussit\u00f4t un sentiment mitig\u00e9 li\u00e9 au mot collaborer fait irruption. Ils ont collabor\u00e9 avec un ordre qui de toute \u00e9vidence n\u2019\u00e9tait pas le leur. Ils ont obtemp\u00e9r\u00e9, accept\u00e9 sans broncher l\u2019ordre quel qu\u2019il fut. Une fois ceci \u00e9crit mon r\u00e9flexe aussit\u00f4t est de vouloir l\u2019effacer. Et cette r\u00e9sistance de ne pas l\u2019effacer, sa force est \u00e9gale. Voici un immobile. Quelque chose doit se loger dans ce double mouvement. Et de revenir en arri\u00e8re encore et encore dans cette qu\u00eate. Qu\u2019on puisse m\u2019avoir cach\u00e9 un secret aussi \u00e9norme durant toutes ces ann\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019\u00e0 la fin, \u00e0 bout de force je puisse penser \u00eatre compl\u00e8tement cingl\u00e9, que je puisse venir m\u00eame \u00e0 penser m\u2019\u00eatre invent\u00e9 un tel secret. A quel prix paie t\u2019on sa protection pour l\u2019avenir, \u00e0 quel prix ce bonheur cette innocence comme s\u2019ils valaient tout l\u2019or du monde, plus que tout l\u2019or du monde ? Image inqui\u00e9tante des livres s\u2019alignant sur des \u00e9tag\u00e8res comme des gens emprisonn\u00e9s dans un camp. Image exag\u00e9r\u00e9e pense t\u2019on ? Qu\u2019un ordre soit aboy\u00e9 ou dit \u00e0 voix douce le r\u00e9sultat est le m\u00eame pendant longtemps. L\u2019image d\u2019un livre qui rentre ou sort du rang. S\u2019en suivra des alignements de fortune, des \u00e9tag\u00e8res branlantes, des tablettes fix\u00e9es avec des \u00e9querres dans des parois. Peut-\u00eatre des installations proches de celles d\u2019un art contemporain, des totems. Mais, la plupart du temps des empilements pr\u00e8s d\u2019un mur comme des n\u00e9cessit\u00e9s de contrefort, de contrepoids. Et comment penser un ordre dans l\u2019organisation de ces piliers sinon qu\u2019ils tiennent, qu\u2019ils conservent l\u2019\u00e9quilibre, qu\u2019ils ne s\u2019affalent pas syst\u00e9matiquement victime de la pesanteur, de la gravit\u00e9; des fois l\u2019ordre est seulement contingence et rien d\u2019autre. Le mot bible; dans biblioth\u00e8que. La Bible arrach\u00e9e au sable, c\u2019est un des titres que j\u2019ai retenu. Mais jamais lu, \u00e0 peine feuillet\u00e9. Le fait que Werner Keller veuille prouver les d\u00e9clarations de l\u2019Ancien Testament. L\u2019aversion pour la preuve. Celle par neuf ou par quatre, de tout temps. Le livre est une t\u00eate coup\u00e9e r\u00e9duite que les Jivaro actuels conservent dans d\u2019\u00e9tranges cloisons pour se pr\u00e9server de l\u2019ennui plus que pour apprendre quoi que ce soit de nouveau sur le Dehors. La collection de livres, un amas de bouquins, le tr\u00e9sor de l\u2019oncle Picsou dans lequel on le voit plonger t\u00eate la premi\u00e8re. Sourire b\u00e9at, regard en biais, suspicieux. L\u2019id\u00e9e de la biblioth\u00e8que proche de celle du cimeti\u00e8re. Les diff\u00e9rences de formats, de mat\u00e9riaux, \u00e9gales \u00e0 celles des s\u00e9pultures, et un regard ironique mais en dessous plut\u00f4t triste, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 sur ces deux id\u00e9es qu\u2019on joint par d\u00e9pit. R. me tint un long moment en haleine tout comme Sh\u00e9h\u00e9razade son Sultan, chaque soir extirpant un nouvel ouvrage de son bazar me promettant qu\u2019\u00e0 sa mort j\u2019en h\u00e9riterai. Qu\u2019allais-je donc faire de cette gigantesque amas d\u2019encre et de papier, l\u2019angoisse monte encore rien que de m\u2019en souvenir. Rien. Dans l\u2019impossibilit\u00e9 de choisir une hypoth\u00e8se d\u2019usage, bient\u00f4t je renoncerai \u00e0 R. comme \u00e0 ses livres. Ce qui est \u00e0 rapprocher de l\u2019image du renard prit au pi\u00e8ge qui pr\u00e9f\u00e8re se ronger la patte et s\u2019en aller clopin clopant ( ou cahin caha ) L\u2019homme affal\u00e9 dans un canap\u00e9 se tient devant ses livres comme un seigneur prot\u00e9g\u00e9 par ses sbires et je suis toujours ce pauvre h\u00e8re que l\u2019on jette \u00e0 ses pieds pour implorer une justice qui ne vient pas. Le fait de d\u00e9sirer un livre et s\u2019emp\u00eacher de le lire. Une sorte de volont\u00e9 d\u2019abstinence provoqu\u00e9e par un indicible malheur, l\u2019obligeait \u00e0 chercher une jouissance singuli\u00e8re pour se rendre singulier. Puis il se mit \u00e0 acheter des livres par dizaines dans une fr\u00e9n\u00e9sie incontr\u00f4lable. Les lisait-il ? non. Il les poss\u00e9dait et \u00e7a lui suffisait pour imiter le plaisir ou le pouvoir, pour effectuer une incartade dans la gabegie d\u2019avoir Ce type \u00e9tait tordu. Il imaginait qu\u2019en poss\u00e9dant des livres il acquerrait un poids dans le monde. Quand sa biblioth\u00e8que s\u2019\u00e9croula et l\u2019ensevelit, il eut l\u2019air fin. Puisque cette femme de toute \u00e9vidence ne l\u2019aimait plus, il lui laissa ses livres. On se demande encore \u00e0 quelle fin, pour quelles raisons, et comment continua t\u2019il sa vie n\u2019ayant plus le moindre livre \u00e0 sa disposition. Il aurait pu comprendre \u00e0 la premi\u00e8re perte, au premier abandon qu\u2019il ne servirait \u00e0 rien de racheter des livres, de se reconstituer une biblioth\u00e8que. Peut-\u00eatre que la condition dans laquelle il se trouva ne l\u2019emp\u00eacha pas de le faire. Jamais un livre lu ne m\u00e9rita \u00e0 ses yeux d\u2019\u00eatre relu. Il y avait tellement d\u2019autres livres \u00e0 lire. Mais, s\u2019il avait su lire, il se serait rendu compte qu\u2019il relisait toujours le m\u00eame livre. En mettant le nez dans un vieux livre on peut sentir parfois l\u2019odeur d\u2019un tr\u00e8fle \u00e0 quatre feuilles. Mais c\u2019est une odeur plus d\u00e9sir\u00e9e que v\u00e9ritable, la plupart du temps , en \u00e9tant r\u00e9aliste, on voit bien que les feuilles sont au nombre de trois. La biblioth\u00e8que d\u2019Alexandrie est une repr\u00e9sentation r\u00e9duite de la grande biblioth\u00e8que Akashique. Il faut tr\u00e9passer trois fois minimum , comparer les deux objets de ce fantasme de biblioth\u00e8que pour se rendre compte de l\u2019\u00e9tendue vertigineuse et d\u00e9risoire de notre imagination. {{{#02-Histoire de mes librairies}}} Les nouvelles librairies ( titre \u00e0 mettre de c\u00f4t\u00e9 pour mieux l\u2019observer) Je voulais reprendre cette histoire d\u2019une fa\u00e7on chronologique, retrouver les premi\u00e8res librairies de mon enfance, mais je ne trouvai rien. Quelque chose d\u2019opaque, un capharnaum d\u2019images se m\u00ealait, je voyais des rayons obliques de bandes dessin\u00e9es cotoyant des magasines f\u00e9minins, des fascicules de mots crois\u00e9s, peut-\u00eatre de mots m\u00eal\u00e9s \u00e9galement, encore que je ne soie pas certain que cette discipline exist\u00e2t \u00e0 cette \u00e9poque. ( Apr\u00e8s avoir effectu\u00e9 des recherches il semble que les premiers jeux de mots m\u00eal\u00e9s datent des ann\u00e9es 50, que leur inventeur est un certain Pedro Ocon de Oro) Mais ils arriv\u00e8rent tardivement blablabla La librairie des \u00eeles La librairie des \u00eeles\u2013 ce n\u2019est pas son vrai nom- se situe \u00e0 un jet de pierre du groupe scolaire dont j\u2019ai oubli\u00e9 le nom, dans l\u2019une des rues les plus \u00e9troites de ce quartier autrefois populaire; au nord de cette ville Il faut que je me h\u00e2te d\u2019\u00e9crire le peu de souvenir qui s\u2019efface, se transforme, s\u2019\u00e9vanouit, bient\u00f4t tout n\u2019aura plus que la consistance sibylline du r\u00eave. J\u2019aurais voulu commencer par un souvenir biographique, bien s\u00fbr, et donc parler du libraire, qui fut mon ami. J\u2019aurais commenc\u00e9 par d\u00e9crire l\u2019arri\u00e8re boutique, cette petite cuisine o\u00f9 nous buvions du rhum en \u00e9voquant cet \u00e9crivain des \u00eeles qui r\u00e9v\u00e8le la beaut\u00e9 du cr\u00e9ole comme de la langue fran\u00e7aise. Mais \u00e0 l\u2019instant m\u00eame une fen\u00eatre s\u2019est ouverte brutalement sous l\u2019effet du vent, notre r\u00e9gion traverse des temp\u00eates ces derniers jours. Et cet incident m\u2019a soudain sembl\u00e9 surgir de fa\u00e7on opportune pour que j\u2019\u00e9vite toute r\u00e9f\u00e9rence biographique. Parmi toutes les interpr\u00e9tations, j\u2019ai pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 voir l\u00e0 comme un signe me privant de l\u2019autorisation d\u2019user de ce souvenir. Un peu comme on essuie une vitre embu\u00e9e du plat de la main; j\u2019ai bien senti qu\u2019une image s\u2019effa\u00e7ait laissant la place \u00e0 une autre. Encore que ce ne soit pas vraiment une image \u00e0 proprement parler mais plut\u00f4t un pr\u00e9nom qui surgit : Ad\u00e8le. Ad\u00e8le est une antillaise aux yeux verts, la cinquantaine, atteinte par la maladie de lire tout ce qui lui tombe sous la main, une main tr\u00e8s \u00e9l\u00e9gante, comme peuvent l\u2019\u00eatre les colombes de Picasso ou de Matisse. Me voici \u00e0 la porte, j\u2019entre dans la librairie des \u00eeles pour acheter un nouveau carnet Clairefontaine, je ne veux surtout pas des reliures \u00e0 spirales que proposent les supermarch\u00e9s, j\u2019aspire ( j\u2019implore) \u00e0 obtenir le prochain carnet disposant d\u2019 une reliure en tissu noir et il faut aussi c\u2019est imp\u00e9ratif, que la couverture soit verte, et tr\u00e8s pr\u00e9cis\u00e9ment du m\u00eame vert que tous les autres carnets que j\u2019ai l\u2019habitude d\u2019utiliser. Ce serait un clich\u00e9 \u00e9videmment de dire que dans la librairie flotte une odeur de vanille, ou encore une odeur fruit\u00e9e, ou encore une odeur d\u2019encens, ce serait m\u00eame \u00e9trange que ce soit la marque d\u2019encens Sa\u00ef Baba et pourtant nous ne sommes plus \u00e0 une \u00e9tranget\u00e9 pr\u00e8s. Le fait est que l\u2019odeur soudain est l\u00e0 , une odeur ind\u00e9finissable qui me prend par les sentiments et \u00e0 nouveau je peux entendre le grelot joyeux de la porte d\u2019entr\u00e9e qu\u2019on ouvre pour entrer dans la librairie des \u00eeles. Quel \u00e2ge puis-je avoir ? , je ne m\u2019en souviens plus peut-\u00eatre entre vingt et vingt-cinq ans, moins de trente en tous cas ; c\u2019est tellement jeune mon Dieu, et comme je suis exigeant et t\u00eatu ; il me faut ce fameux feutre \u00e0 pointe fine, un FINELINER 0,5 mm de la marque STAEDTLER , car je fais aussi beaucoup de croquis. Il n\u2019y a personne dans la librairie \u00e0 cette heure de la journ\u00e9e, je crois qu\u2019il est quinze heures au clocher de l\u2019 \u00e9glise la plus proche; d\u00e9sol\u00e9 je ne porte pas de montre. Ad\u00e8le est assise \u00e0 une table, elle est en train de lire lorsque je fais irruption avec mon obsession de carnet et de feutre; la voici, elle est d\u00e9sol\u00e9e, elle sourit et ses yeux sont sinc\u00e8rement tristes, pas de carnet Clairefontaine chez elle. Et je m\u2019en serais retourn\u00e9 sans autre si elle ne m\u2019avait soudain retenu pour me demander \u00e0 quoi me sert ce petit carnet. \u2014 et j\u2019ai le feutre que vous chercher vous alliez l\u2019oublier ? question os\u00e9e . Je me demande si moi-m\u00eame j\u2019aurais \u00e9t\u00e9 capable de poser ce genre de question si j\u2019avais eu le bonheur d\u2019\u00eatre libraire et celui de vendre de la papeterie et des livres. Du coup me voici d\u00e9rid\u00e9. \u2014 Ce doit \u00eatre vraiment chouette d\u2019\u00eatre libraire je lance pendant qu\u2019elle me rend la monnaie et emballe le feutre dans un sac de papier. Je crois que j\u2019ai un peu de mal \u00e0 partir, elle est sympathique et, en jetant un coup d\u2019\u0153il aux tables et aux \u00e9tag\u00e8res je rep\u00e8re pas mal d\u2019auteurs que je ne connais pas. Je ne suis que peu l\u2019actualit\u00e9 litt\u00e9raire. Chaque ann\u00e9e, la multitude de bouquins qu\u2019il faudrait lire absolument m\u2019a toujours plaqu\u00e9 au sol. Et puis de toute fa\u00e7on, je n\u2019ai m\u00eame pas encore fini de lire tous les classiques. \u2014 vous devriez lire les essais d\u2019Alain Viala qui sortiront en 1993 me dit-elle en souriant. \u2014 Comment font les gens pour lire tout \u00e7a je demande \u00e0 Ad\u00e8le, en \u00e9ludant la proposition \u2014 Ils choisissent peut-\u00eatre de devenir libraires me r\u00e9plique t\u2019elle en riant Je m\u2019aper\u00e7ois que je fais tout pour faire l\u2019impasse sur la librairie elle-m\u00eame. Allons , un petit effort, elle n\u2019est pas bien grande, quelques tables, quelques \u00e9tag\u00e8res, au sol il y a du linol\u00e9um, et, dans un vase pos\u00e9 sur une console, de magnifiques lilyums blancs. Je me souviens maintenant du rapport exact, comme un accord parfait, du vert des feuilles et du blanc des p\u00e9tales, (\u00e0 noter). \u2014 J\u2019ai envie d\u2019un th\u00e9, \u00e7a vous dit ? me demande Ad\u00e8le en arrangeant quelques livres sur l\u2019une des tables. Bien que je sois plut\u00f4t caf\u00e9 je dis oui. Elle a l\u2019air de lire dans mes pens\u00e9es. \u2014 J\u2019ai aussi du caf\u00e9 si vous pr\u00e9f\u00e9rez. On rigole, \u00e7a fait du bien. \u2014 D\u2019autant que ces derniers temps rare de rigoler j\u2019ajoute. Et de nous mettre \u00e0 causer en buvant elle son th\u00e9 moi mon caf\u00e9. Je suis rest\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019heure de la fermeture, nous avons parl\u00e9 des livres qu\u2019Ad\u00e8le aimait, je ne me souviens \u00e9videmment plus des noms des auteurs, des titres non plus, mais ce n\u2019est pas bien grave je crois que ce qui m\u2019a fait le plus plaisir c\u2019\u00e9tait sa chaleur, la passion qu\u2019elle diffusait comme un phare sa lumi\u00e8re en \u00e9voquant tous ces livres, oui c\u2019est cette chaleur et cette passion , cette \u00e9tincelle dans l\u2019obscurit\u00e9 qui m\u2019est reste en m\u00e9moire, ainsi que son rire clair ricochant sur ses yeux, le nom de Chamoiseau et le parfum des lilyums. La librairie Chez Gilbert \u00e0 Saint-Michel Il y a tellement de magasins diff\u00e9rents tout autour de la fontaine Saint-Michel, et m\u00eame plus haut sur le boulevard menant \u00e0 Saint-Germain ou vers le Jardin du Luxembourg, que l\u2019id\u00e9e qu\u2019il m\u2019en reste est bien plus proche de celle d\u2019une industrie du livre que d\u2019une librairie. Je me souviens aussi des diff\u00e9rences d\u2019espaces d\u2019une exigu\u00eft\u00e9 l\u2019autre, ma pr\u00e9sence flottant dans chacun de ses lieux \u00e0 diff\u00e9rents moments de ma vie. Un espace pour les livres scolaires, universitaires, un autre pour les livres que l\u2019on revend, une planche fix\u00e9e dans l\u2019encadrure d\u2019une porte faisant office de comptoir, afin de pouvoir acheter de nouveaux livres chaque ann\u00e9e. Il r\u00e8gne ici une agitation tranquille, un silence quasi religieux, \u00e0 peine d\u00e9rang\u00e9 par le trafic automobile de la ville \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. Des escaliers \u00e9troits m\u00e8nent \u00e0 des \u00e9tages qui eux-m\u00eames poss\u00e8dent d\u2019autres escaliers menant encore \u00e0 d\u2019autres \u00e9tages. La lumi\u00e8re arrive ici avec effort \u00e0 travers de vitres poussi\u00e9reuses. Les rayonnages se dressent et se confondent avec les murs; des alignements d\u2019encre et de papier qui montent jusqu\u2019au plafond. Il doit y avoir un syst\u00e8me d\u2019orientation cependant, m\u00eame si j\u2019ai oubli\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s tout de celui-ci au moment o\u00f9 j\u2019\u00e9cris ces lignes. Gilbert ne reprend pas cher du tout les livres \u00e7a je m\u2019en souviens tr\u00e8s bien cependant. On vient ici avec une valise on ressort avec deux billets et encore , quand on a un peu de chance. Je m\u2019aper\u00e7ois que j\u2019ai oubli\u00e9 le mot qui va souvent avec Gilbert- C\u2019est le mot jeune et voil\u00e0 \u00e7a me revient c\u2019est \u00e7a, Gilbert Jeune. Les march\u00e9s aux livres d\u2019occasion. ll aura \u00e9t\u00e9 rare que j\u2019ach\u00e8te mes livres neufs. J\u2019en suis tout aussi honteux que fier si vraiment vous voulez tout savoir. Honteux car cette propension \u00e0 acheter d\u2019occasion indique une certaine indigence mat\u00e9rielle, fier car ce n\u2019est pas \u00e0 cause de moi que nombre d\u2019arbres, de for\u00eats seront mis \u00e0 sac pour permettre \u00e0 des chalands sans vergogne de se ruer sur les soi-disant p\u00e9pites annuelles que nous exhorteraient \u00e0 d\u00e9vorer les critiques, les \u00e9missions litt\u00e9raires. j\u2019ai beaucoup achet\u00e9 de livres au fil de l\u2019eau, en me promenant sur les quais, en passant devant les boites de bouquinistes. Ce qui ne signifie d\u2019ailleurs pas qu\u2019ils sont toujours si bons march\u00e9s. Parfois il m\u2019est arriv\u00e9 de payer le prix fort pour une ou deux \u00e9ditions originales je l\u2019avoue. Sinon les march\u00e9s aussi offrent de r\u00e9elles possibilit\u00e9s d\u2019acqu\u00e9rir des livres pour de tr\u00e8s modiques sommes. A certain moment de mon existence, je voulais lire des romans de science-fiction, Notamment Jos\u00e9 Luis Farmer et son cycle du Fleuve. Je l\u2019avais plus ou moins cherch\u00e9 dans les librairies sans vraiment le chercher, c\u2019\u00e9tait une sorte de t\u00e2che de fond, et il fallait je crois que le hasard me le fit rencontrer sinon rien. Je ne suis pas du genre non plus \u00e0 commander des livres et \u00e0 patienter quinze jours trois semaines pour les obtenir enfin. Je n\u2019ai commis cette b\u00e9vue qu\u2019une seule fois, et j\u2019avoue qu\u2019en y songeant \u00e0 nouveau j\u2019en reste encore bien honteux. j\u2019avais command\u00e9 deux gros t\u00f4mes que je n\u2019avais pas lus du Journal de Luis Calaferte dans une librairie que je ne suis jamais retourn\u00e9 chercher. J\u2019imagine que si cette librairie exige des arrhes d\u00e9sormais pour les commandes c\u2019est en grande partie de ma faute. ( mea culpa, flagellons-nous dix fois et reprenons notre souffle) Donc les march\u00e9s furent mes librairies en grande partie. De la science fiction mais aussi des livres \u00e9rotiques, voire m\u00eame pornographiques. Le genre de livres par exemple qu\u2019on serait bien emb\u00eater de produire \u00e0 la caisse d\u2019une librairie. Encore que le Marquis de Sade fasse partie des classiques bien entendu et que des gens bien sous tout rapport le lisent encore, et, probablement l\u2019ach\u00e8tent dans des librairies, sans doute d\u2019ailleurs d\u00e9sormais des librairies en ligne. Presque comme un march\u00e9 normal, le march\u00e9 aux Puces de Vanves, de Montreuil, celui de Clignancourt. Ce sont lors de ballades dominicales la plupart du temps, que j\u2019ai acquis de nombreux livres ici. Notamment ce livre que je lis et relis \u00e0 tout bout de champs Ce gros Cobra \u00e0 la couverture verte et cet autre sur DE Sta\u00ebl dont la majeur partie des illustrations sont souill\u00e9es de t\u00e2ches de peinture \u00e0 l\u2019huile parmi tous ceux qu\u2019il me reste de cette \u00e9poque lointaine d\u00e9sormais. Errer dans les librairies Entrer dans une librairie et demander un livre ce n\u2019est pas la m\u00eame chose que d\u2019entrer dans une librairie en n\u2019ayant pas de livre \u00e0 demander. Errer dans les rayons d\u2019une librairie est un plaisir coupable sachant qu\u2019il y a de grandes chances qu\u2019on n\u2019ach\u00e8tera rien. Certains font s\u00fbrement bien pire pour se dessaler, penser \u00e0 cela quand le rouge monte aux joues au front. Grands magasins qui font aussi librairies La naissance des grands magasins qui, parmi tout un tas d\u2019autres denr\u00e9es vendent des livres, convoque des images douloureuses qui convergent pour la plupart vers le mauvais pli de l\u2019anonymat. On devient anonyme comme client, mais les vendeurs aussi sont tellement interchangeables. En quelques mois \u00e0 peine ce ne sont d\u00e9j\u00e0 plus les m\u00eames t\u00eates. Ainsi je suis toujours pris d\u2019une sorte de vertige lorsque je passe les portes coulissantes de la FNAC, rue de la R\u00e9publique \u00e0 Lyon. On ne sait o\u00f9 donner de la t\u00eate car d\u00e8s l\u2019entr\u00e9e la promotion nous assaille imm\u00e9diatement. On en perdrait facilement la t\u00eate, certains la perdent, moi je n\u2019en ai pas les moyens, ou je ne me les donne pas. Mont\u00e9e de l\u2019escalator depuis lequel au fur et \u00e0 mesure que l\u2019on monte on voit l\u2019espace en dessous, la section informatique, t\u00e9l\u00e9phonie, t\u00e9l\u00e9vision, hi-fi, on en a d\u00e9j\u00e0 comme un nouveau tournis avant m\u00eame de parvenir comme propulser t\u00eate en avant dans les derniers jeux vid\u00e9os \u00e0 la mode, les consoles, les game-boy, les prix sont astronomiques et des \u00e9crans diffusent des d\u00e9mos aguicheuses, tandis que des gamins bavent ou vocif\u00e8rent devant des grandes personnes mal \u00e0 l\u2019aise. Rayon litt\u00e9rature fran\u00e7aise, litt\u00e9rature \u00e9trang\u00e8re, litt\u00e9rature espagnole, italienne, turque, su\u00e9doise\u2026 Je ne rentre plus \u00e0 la FNAC comme j\u2019ai pu autrefois entrer dans une librairie, l\u2019errance ici est mortif\u00e8re. On en ressort vid\u00e9 de toute sa substance. D\u00e9citre Chez D\u00e9citre de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la Place Bellecour, on retrouve une ambiance feutr\u00e9e, d\u2019ailleurs il me semble que l\u2019on marche sur de la moquette. Il y a au rayon des nouveaut\u00e9s quelqu\u2019un a prit la peine de cr\u00e9er une note pour chacun des livres expos\u00e9s. On peut passer un bon moment \u00e0 lire ces notes, \u00e0 se faire des id\u00e9es, puis les regarder s\u2019envoler. Flammarion Chez Flammarion, \u00e0 un autre angle de la place Bellecour, c\u00f4t\u00e9 place Antonin Poncet c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s la m\u00eame atmosph\u00e8re qu\u2019\u00e0 la librairie du Passage, rue de Brest. Mais depuis f\u00e9vrier dernier la librairie ne s\u2019appelle plus Flammarion , 20 employ\u00e9s licenci\u00e9s, il semble que ce fleuron des librairies lyonnaises soit tomb\u00e9e dans l\u2019escarcelle d\u2019un fond d\u2019investissement am\u00e9ricain via le r\u00e9seau des librairies \u00ab Chapitres \u00bb. Dommage, j\u2019aimais beaucoup prendre l\u2019ascenseur pour monter dans les \u00e9tages, cela me rappelait un immeuble dans lequel j\u2019ai habit\u00e9 enfant, sauf que l\u00e0 tous les appartements \u00e9taient tapiss\u00e9s de livres, on pouvait y rester l\u00e0 aussi tr\u00e8s contemplatif des journ\u00e9es enti\u00e8res sans que personne ne nous adresse la parole, ou ne vienne nous interrompre dans nos r\u00eaveries. Activit\u00e9s \u00e0 faire dans une librairie Il y a aussi cette librairie dont il faudrait que je parle, elle porte le nom d\u2019une galerie d\u2019art parisienne. Elle se situe entre deux villages, pr\u00e8s de chez nous. Le libraire, un grand type sec atrabilaire organise des d\u00e9jeuners ou d\u00eeners litt\u00e9raires. Cela m\u2019a amus\u00e9 durant un temps. Mais c\u2019est encore une occasion pour dire et \u00e9couter \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n\u2019importe quoi. Les grandes tables charg\u00e9s des derniers best sellers \u00e0 la mode sont d\u00e9barrass\u00e9es pour l\u2019occasion et tout le monde s\u2019assoit devant une assiette et un jeu de couverts Parfois un auteur vient se perdre ici pour effectuer une lecture. Il faut voir alors les visages tendus vers elle ou lui, surtout si par bonheur son dernier ouvrage \u00e0 plu. Le plus amusant est d\u2019observer la s\u00e9ance de d\u00e9dicace \u00e0 la fin, et le visage du libraire qui se d\u00e9tend, il lui arrive m\u00eame de sourire en d\u00e9couvrant les dents, comme si l\u2019\u00e9v\u00e9nement l\u2019avait plong\u00e9 dans un bain de jouvence. Les nouvelles librairies Depuis que nous vivons ici, dans notre pays de vaches, nous ne nous rendons plus que rarement en ville, et encore moins dans des librairies. Et \u00e7a ne va pas s\u2019arranger puisque nous ne disposons qu\u2019une vignette critaire 3 sur le parebrise de notre vieille Dacia. En janvier prochain il faudra prendre le train pour se rendre \u00e0 Lyon ou \u00e0 Valence. Mais peu importe puisque d\u00e9sormais nous pouvons commander les livres sur internet. Bien s\u00fbr nous n\u2019achetons des ouvrages neufs que pour l\u2019occasion de faire des cadeaux, No\u00ebl, anniversaires en tout genre, car en ce qui me concerne surtout j\u2019ach\u00e8te surtout des livres d\u2019occasion sur Momox, Recyclivre, le Bon coin. Il y a aussi des sites comme celui de la BNF ou encore Gallica pour le cas o\u00f9 j\u2019ai besoin de relire certains passages depuis mon ordinateur ou ma tablette, ce qui m\u2019\u00e9vite d\u2019aller fouiller dans notre biblioth\u00e8que. J\u2019ai r\u00e9cemment d\u00e9couvert aussi des sites pas tr\u00e8s l\u00e9gaux o\u00f9 l\u2019on peut trouver \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce que l\u2019on veut au format PDF ou EPUB que l\u2019application Livre sur l\u2019Ipad permet de lire. D\u2019ailleurs \u00e0 ce sujet, je m\u2019aper\u00e7ois que j\u2019ai pris l\u2019habitude de lire sur \u00e9cran, ce qui m\u2019apparaissait autrefois comme le summum de l\u2019ineptie autrefois tant j\u2019\u00e9tais victime d\u2019un certain f\u00e9tichisme de l\u2019objet livre. A force de t\u00e9l\u00e9charger des PDF et des EPUB il a fallu que je prenne un abonnement pour pouvoir stocker cette masse de livres virtuels sur un Cloud. Ma librairie comme ma biblioth\u00e8que sont donc en quelque sorte dans un nuage comme m {{{#03 inventaire des choses perdues}}} 1. A propos l\u2019id\u00e9e de l\u2019inventaire. Au mot une image. Celui de cette entreprise de pi\u00e8ces d\u00e9tach\u00e9es pour machines-outils. Des japonais d\u2019une amabilit\u00e9 byzantine . Le bruit incessant d\u2019un fenwick errant \u00e0 vive allure d\u2019une all\u00e9e l\u2019autre d\u2019un entrep\u00f4t. Des colis confectionn\u00e9s chaque jour un peu plus vite. Une difficult\u00e9 \u00e0 se souvenir d\u2019emplacement, de l\u2019apparence des pi\u00e8ces \u00e0 faire correspondre \u00e0 un code barre, une ligne de commande, qui s\u2019aplanit de jour en jour. A la fin on y va les yeux ferm\u00e9s. Est-ce que l\u2019inventaire a quelque chose \u00e0 voir avec l\u2019invention, c\u2019est la fin des mots qui change. Taire ce que l\u2019on aurait invent\u00e9 \u00e0 un moment de sa vie, dans un lieu invent\u00e9 lui aussi, avec des gens dont on ne peut se faire une id\u00e9e que fictive en utilisant des outils qui ne valent pas mieux. Quel discernement suffisamment aiguis\u00e9, et sur lequel on pourrait compter, qui ne nous trahisse pas ? Parlons aussi des choses. Une image de livre presque aussit\u00f4t, un titre : Le petit chose. Et c\u2019est comme on disait autrefois \u00ab machin chose \u00bb ou je l\u2019ai sur le bout de la langue. Les choses sombrent ou surnagent dans le naufrage du temps qui passe,( inexorablement ) Et parfois, dans l\u2019espoir de le ralentir car il passe de plus en plus vite, un vague souvenir de ces choses. En deux mots on r\u00e9invente ce qu\u2019on a d\u00e9j\u00e0 invent\u00e9 dans un but ( est-il louable ou au contraire peu avouable ? ) d\u2019inventorier. Quant \u00e0 la perte elle est souvent ( toujours ?) irr\u00e9m\u00e9diable. Est-ce pour cela que l\u2019on voudrait se souvenir de choses perdues comme on remue le couteau dans une plaie ? Sinon on peut aussi avoir un brin d\u2019humour et se dire que nous perdons la vie petit \u00e0 petit comme par inadvertance, qu\u2019au moment o\u00f9 la prise de conscience nous arrive vraiment le sursaut serait de s\u2019accrocher \u00e0 un inventaire, mais qui serait loin d\u2019\u00eatre celui dont l\u2019id\u00e9e premi\u00e8re nous vint au moment de penser au mot inventaire. On pourrait emprunter la vieille peau de Michaux, qui est comme une peau d\u2019ours, fabriquer un rond de pierre dans une clairi\u00e8re, faire un feu, et au moment o\u00f9 l\u2019odeur de bois br\u00fbl\u00e9 atteindrait nos narines l\u2019esprit ferait des \u00e9tincelles, on pourrait inventorier tout ce qui ne nous appartint pas, ce qui jamais ne nous aura appartenu, ce qui jamais ne nous appartiendra. inventorier alors comme on se jetterait \u00e0 l\u2019eau, dans l\u2019imaginaire. Il faut une force (incommensurable ?) pour \u00e9vacuer en premier lieu la tentation d\u2019effectuer un inventaire autobiographique. Car chez moi c\u2019est une sorte de r\u00e9flexe. ( une sale habitude ? ) La raison en est que lorsque j\u2019\u00e9cris, je ne vis pas ma vie, je la r\u00eave ou je la cauchemarde. On croit que c\u2019est autobiographique, mais en fait ce ne sont que des r\u00e9cits oniriques. Et comme je l\u2019ai entendu dire il y a peu, rien de plus p\u00e9nible \u00e0 lire que ce genre de r\u00e9cit. Il faut \u00e9crire \u00e0 partir de la mati\u00e8re de ce r\u00eave de ce qu\u2019il d\u00e9clenche au r\u00e9veil, cet \u00e9tat second. Inventorier ces \u00e9tat seconds o\u00f9 l\u2019on perd un peu de cette certitude d\u2019\u00eatre dans un r\u00eave et pas tout \u00e0 fait encore dans un autre. A cet instant les choses s\u2019\u00e9clairent ( un peu ) Elles luisent doucement dans une presque obscurit\u00e9. On peut bien retrouver (si \u00e7a nous chante ) tout ce que l\u2019on imagine avoir perdu. Ce n\u2019est pas si difficile d\u2019en inscrire quatorze quand on en a aper\u00e7u un ou une. C\u2019est m\u00eame certainement en rapport avec la notion de d\u00e9riv\u00e9e math\u00e9matique, ou encore les fractales. 2. inventaire de choses perdues. Le dernier des Mohicans : Le Dernier des Mohicans (The Last of the Mohicans) est un roman historique am\u00e9ricain de James Fenimore Cooper, publi\u00e9 pour la premi\u00e8re fois en janvier 1826, notamment par un \u00e9diteur appr\u00e9ci\u00e9 et diffus\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9poque, nomm\u00e9 Carey & Lea. Deuxi\u00e8me des cinq ouvrages composant le cycle des Histoires de Bas-de-Cuir (Leatherstocking), il se situe entre Le Tueur de daims (The Deerslayer) et Le Lac Ontario (The Pathfinder). Le Dernier des Mohicans est une m\u00e9ditation nostalgique sur la disparition des Am\u00e9rindiens, tout en \u00e9tant une annonce de la naissance des \u00c9tats-Unis. Il eut un \u00e9norme retentissement en Europe, d\u00e8s sa publication, comme en avaient les romans contemporains de Walter Scott. Le premier titre des Chouans de Balzac, paru trois ans plus tard, lui fait allusion : Le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1800. Pertes humaines durant la Seconde Guerre Mondiale Les statistiques des pertes de la Seconde Guerre mondiale varient, avec des estimations allant de 50 millions \u00e0 plus de 70 millions de morts ce qui en fait le conflit le plus meurtrier de l\u2019histoire de l\u2019humanit\u00e9, mais pas en termes de d\u00e9c\u00e8s par rapport \u00e0 la population mondiale. Les civils ont totalis\u00e9 40 \u00e0 52 millions de morts, dont 13 \u00e0 20 millions de maladie ou de famine du fait de la guerre. Les pertes militaires s\u2019\u00e9valuent entre 22 et 25 millions, dont 5 millions de prisonniers de guerre morts en captivit\u00e9. Les statistiques ne donnent pas le chiffre du nombre des morts apr\u00e8s septembre 1945 (et apr\u00e8s mai 1945 pour l\u2019Europe), sans doute \u00e9lev\u00e9 : un grand nombre de soldats gri\u00e8vement bless\u00e9s d\u00e9c\u00e9d\u00e8rent, ainsi qu\u2019un grand nombre de d\u00e9port\u00e9s rescap\u00e9s, qui moururent des cons\u00e9quences de mauvais traitements, de privations diverses, etc. Du fait du manque de services m\u00e9dicaux et hospitaliers, souvent d\u00e9grad\u00e9s, la mortalit\u00e9 \u00e9tait plus importante qu\u2019avant 1939. Apr\u00e8s 1945, la famine \u00e9tait tr\u00e8s visible en certaines zones de l\u2019URSS, dans les Balkans, et m\u00eame dans l\u2019Europe occidentale, sans oublier l\u2019Asie. Aussi, il ne faut pas n\u00e9gliger les cons\u00e9quences psychologiques, tr\u00e8s importantes, avec un grand nombre de personnes traumatis\u00e9es, souvent pour plusieurs g\u00e9n\u00e9rations. Perte de la m\u00e8re (et du lecteur) , chez Serge Doubrovsky : ( extrait d\u2019article ) Serge Doubrovsky c\u00e8de avec \u00ab Le Monstre \u00bb de nouveau \u00e0 la tentation autobiographique. Il semble m\u00eame qu\u2019il n\u2019ait pas la ma\u00eetrise de ce choix. Toujours est-il qu\u2019il compte vingt-deux ans de plus que jadis, en 1948. Il est professeur, mari, p\u00e8re et\u2026 orphelin. La question se pose diff\u00e9remment, aujourd\u2019hui : Comment se lib\u00e9rer de soi-m\u00eame, comment s\u2019\u00e9crire, quand il faut simultan\u00e9ment \u00e9crire l\u2019autre. Comment \u00e9crire en m\u00eame temps sa propre biographie et celle de sa m\u00e8re, lui rendre son d\u00fb, sa vie ? Nous touchons l\u00e0, sans doute, \u00e0 l\u2019essentiel de la douloureuse d\u00e9couverte de l\u2019\u00e9crivain lors des ann\u00e9es de psychanalyse : on ne s\u2019appartient pas. M\u00eame quand on est seul dans sa chambre, devant une machine \u00e0 \u00e9crire, et qu\u2019il n\u2019y a personne pour vous voir, on ne s\u2019appartient pas. L\u2019absurde recherche de soi. La r\u00e9v\u00e9lation de l\u2019absurde se fait g\u00e9n\u00e9ralement dans l\u2019angoisse : l\u2019angoisse de la dignit\u00e9 chez Camus, celle de la responsabilit\u00e9 chez Sartre. Celle de ne jamais s\u2019appartenir chez Doubrovsky. Seul subterfuge : se reprendre \u00e0 autrui en se cr\u00e9ant dans un langage, remanier le mat\u00e9riau de sa vie, des autres vies, en remplissant le vide en soi par celui du feuillet. Plus donc encore qu\u2019une \u00ab auto-contemplation \u00bb, l\u2019\u0153uvre est auto-gen\u00e8se dont le point de d\u00e9part pourrait se formuler comme suit : \u00e9tant donn\u00e9 qu\u2019on ne peut pas na\u00eetre seul, s\u2019auto-engendrer, il faut faire parler la m\u00e9moire en la r\u00e9inventant pour soi-m\u00eame. \u00ab Le Monstre \u00bb est un exc\u00e8s de m\u00e9moire. Une orgie d\u2019\u00e9criture. Ce terrorisme de l\u2019\u00e9criture, de la conscience ex-jectant l\u2019autre, s\u2019inscrit non seulement dans les r\u00e9miniscences des lectures de maints \u00e9crits sartriens (\u00c9rostrate, L\u2019\u00c2ge de raison, L\u2019\u00catre et le N\u00e9ant : tout se passe en-dehors de la conscience) mais aussi dans une p\u00e9riode o\u00f9 l\u2019exp\u00e9rimentation litt\u00e9raire \u00e9tait \u00e0 la mode, les figures de Joyce, de Queneau, de Ionesco, de Beckett donnant une image de l\u2019\u00e9criture comme exp\u00e9rience dans laquelle le lecteur n\u2019\u00e9tait pas n\u00e9cessairement invit\u00e9 \u00e0 entrer de plain-pied. Perte de l\u2019ou\u00efe, la surdit\u00e9 de Beethoven : ( extrait d\u2019article ) C\u2019est \u00e0 partir de la correspondance du compositeur (Brigitte et Jean Massin) que l\u2019on peut retracer l\u2019histoire et l\u2019\u00e9volution de sa surdit\u00e9. Dans une lettre dat\u00e9e du 1er juillet 1801, alors \u00e2g\u00e9 de 31 ans, Beethoven \u00e9voque pour la premi\u00e8re fois son handicap dans une lettre adress\u00e9e \u00e0 son ami le docteur Franz Wegeler : \u00ab c\u2019est ainsi que depuis trois ans mon audition s\u2019affaiblit\u2026 au th\u00e9\u00e2tre, je dois me placer tout contre l\u2019orchestre\u2026 je n\u2019entends plus les sons aigus\u2026 j\u2019entends les sons mais ne peux comprendre les mots. A l\u2019inverse, si quelqu\u2019un crie, je ne le supporte pas\u2026\u00bb On y apprend que cette surdit\u00e9 \u00e9volue depuis quelques ann\u00e9es d\u00e9j\u00e0, s\u2019accompagnant d\u2019acouph\u00e8nes permanents et d\u2019hyperacousie douloureuse. Cette baisse de l\u2019audition semble \u00e9voluer d\u2019un seul tenant expliquant l\u2019\u00e9mergence d\u2019un syndrome d\u00e9pressif, signal\u00e9 dans le testament d\u2019Heiligenstadt en octobre 1802, et restreignant progressivement sa vie sociale, d\u2019o\u00f9 son temp\u00e9rament jug\u00e9 solitaire et ombrageux. Il semble que la maladie auditive ait d\u00e9but\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e2ge de 26 ans par des acouph\u00e8nes, suivis de l\u2019apparition d\u2019une surdit\u00e9 deux ans plus tard (1798) pr\u00e9dominant sur les aigus, avec une perte de l\u2019audition \u00e9valu\u00e9e \u00e0 60% en 1801 (un chiffre soumis \u00e0 caution quand on sait que l\u2019invention de l\u2019audiogramme se fera bien plus tard !), pour devenir compl\u00e8te \u00e0 l\u2019\u00e2ge de 46 ans, en 1816, date \u00e0 laquelle il n\u2019entend plus la musique et utilise un cornet acoustique et des cahiers de conversation. En 1808, il donne son dernier concert public. histoire de Z\u00e9nobie , la perte de Palmyre (r\u00e9cente ) et de l\u2019authenticit\u00e9 de l\u2019ouvrage L\u2019 Historia Augusta: (extrait d\u2019article) : Si l\u2019Histoire Auguste est aujourd\u2019hui reconnue comme largement fictive (certains sp\u00e9cialistes lui donnent m\u00eame le label de \u00ab fiction historique \u00bb), elle \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9e comme une histoire fiable \u00e0 son \u00e9poque et pendant de nombreux si\u00e8cles par la suite. Le c\u00e9l\u00e8bre historien Edward Gibbon (1737-1794) l\u2019accepta en tant que compte rendu authentique de l\u2019histoire de la Rome antique et s\u2019appuya largement sur elle dans son ouvrage en six volumes intitul\u00e9 Histoire de la d\u00e9cadence et de la chute de l\u2019Empire romain qui, comme l\u2019Histoire Auguste, est largement consid\u00e9r\u00e9 comme inexact de nos jours. Ces deux ouvrages eurent toutefois un impact consid\u00e9rable sur les publics qui les lirent ou les entendirent. Plut\u00f4t que de consid\u00e9rer l\u2019Histoire Auguste comme largement fictive, il serait peut-\u00eatre pr\u00e9f\u00e9rable de l\u2019envisager sous le m\u00eame angle que le genre de la litt\u00e9rature naru de la M\u00e9sopotamie antique. La litt\u00e9rature naru commen\u00e7a \u00e0 appara\u00eetre vers le deuxi\u00e8me mill\u00e9naire avant notre \u00e8re en M\u00e9sopotamie et se caract\u00e9rise par des r\u00e9cits mettant en sc\u00e8ne un personnage bien connu du pass\u00e9 (g\u00e9n\u00e9ralement un roi) en tant que personnage principal d\u2019un r\u00e9cit quasi-historique, qui vante les prouesses militaires du roi, raconte sa vie et son r\u00e8gne ou, plus souvent, utilise le roi pour illustrer la relation appropri\u00e9e entre les \u00eatres humains et les dieux. Le personnage principal (le roi) \u00e9tait toujours un personnage historique r\u00e9el, mais l\u2019histoire \u00e9tait soit fictive, soit orient\u00e9e d\u2019une mani\u00e8re particuli\u00e8re afin d\u2019obtenir l\u2019impression d\u00e9sir\u00e9e. La perte du t\u00e9l\u00e9phone et de la voix sur le r\u00e9pondeur ( deux fois ) que l\u2019on pourrait traiter d\u2019une fa\u00e7on plus g\u00e9n\u00e9rale ? comme la perte des disquettes, des disques durs, des photographies de vacances. La perte de dignit\u00e9 ( mille fois avant de savoir qu\u2019on en poss\u00e8de une ) dans le monde du travail, notamment celui des enqu\u00eates par t\u00e9l\u00e9phone. perte d\u2019un appareil photographique Leica M42 dans un train ( irr\u00e9parable) et un suicide quelques temps plus tard. Perte de la volont\u00e9 de ne pas \u00e9crire des choses autobiographiques ( et essayer de se raccrocher aux branches en extirpant le mot autofiction du bout des l\u00e8vres) Perte du souvenir d\u2019un r\u00eave que l\u2019on finit par r\u00e9inventer parce qu\u2019il nous manque trop. Puis on s\u2019aper\u00e7oit que manquer n\u2019est pas le bon mot. C\u2019est tout le contraire, il nous r\u00e9v\u00e8le. Perte soudaine d\u2019orientation au volant d\u2019un v\u00e9hicule. Il se demanda tout \u00e0 coup o\u00f9 il allait, d\u2019o\u00f9 il venait, et durant quelques secondes il s\u2019aper\u00e7ut horrifi\u00e9 qu\u2019il ne s\u2019en souvenait plus. Puis l\u2019impression s\u2019\u00e9vanouit, il en r\u00e9sulte un nostalgie de l\u2019horreur. Et s\u2019il d\u00e9passe cette fichue nostalgie, il d\u00e9couvre que l\u2019horreur est un pansement, ou un r\u00e9flexe, ni plus ni moins. Perte d\u2019\u00e9quilibre. Le peintre regarde son tableau sombrer dans le chaos ( avec effroi ?) Perte de cheveux. Suite \u00e0 un traumatisme, cet adolescent perd ses cheveux, toutes les strat\u00e9gies qu\u2019il s\u2019invente \u00e0 partir de l\u00e0 pour ne pas subir de plein fouet cette singularit\u00e9. R\u00e9f\u00e9rence \u00e0 ce roi mythologique qui s\u2019empoisonne un petit peu tous les jours au cas o\u00f9 il serait un jour victime empoisonnement. Perte des clefs ( \u00e7a irait bien avec la peur d\u2019avoir oubli\u00e9 d\u2019\u00e9teindre le gaz) Perte de la m\u00e9moire d\u2019un lieu o\u00f9 l\u2019on a gar\u00e9 son v\u00e9hicule. Perte osseuse dans l\u2019espace : Le remodelage est un \u00e9l\u00e9ment cl\u00e9 de la compr\u00e9hension de maladies osseuses comme l\u2019ost\u00e9oporose. Il explique \u00e9galement le ph\u00e9nom\u00e8ne de la perte osseuse chez les astronautes dans l\u2019espace. Dans l\u2019espace, les astronautes sont sujets \u00e0 l\u2019ost\u00e9op\u00e9nie du vol spatial. Ce trouble physique peut entra\u00eener chez les astronautes la perte de un \u00e0 deux pour cent de leur masse osseuse en moyenne chaque mois. Cette perte osseuse se produit habituellement dans les jambes, les hanches et la colonne vert\u00e9brale. Il faut compter de trois \u00e0 quatre ans pour que ces os se r\u00e9tablissent apr\u00e8s le retour des astronautes sur Terre. 3. Choisir pour \u00e9crire. J\u2019ai un peu perdu le fil de la proposition ( comme d\u2019habitude) Maintenant il faudrait que je choisisse un de ces items pour \u00e9crire un texte. Ce que je ferai peut-\u00eatre, ou pas. Et en m\u00eame temps je me demande si d\u00e9j\u00e0 ce n\u2019est pas amplement suffisant. {{{# 04 Les livres moins ce qu\u2019ils disent}}} Sergent ! interroge Camember, et la terre du trou ? \u2014 Que vous \u00eates donc plus herm\u00e9fitiquement bouch\u00e9 qu\u2019une bouteille de limonade, sapeur ! Creusez un autre trou ! \u2014 C\u2019est vrai ! \u00bb approuve Camember. L\u2019apparence des livres, l\u2019image des livres, leur alignement sage sur les rayons d\u2019une biblioth\u00e8que, d\u2019une librairie, ou, au contraire, l\u2019accumulation de piles directement pos\u00e9es au sol, dans ce qui ressemble \u00e0 un d\u00e9sordre, une anarchie, un chaos, c\u2019est dans l\u2019ensemble tout ce qui me viendrait le plus facilement sans le moindre effort, cette sorte de clich\u00e9 issu d\u2019un d\u00e9corum plut\u00f4t que tout ce qu\u2019ils pourraient encore me dire , ces livres, ou ne pas me dire; Lorsque j\u2019y songe, comme aujourd\u2019hui, je les consid\u00e8re comme des choses, des objets, des \u00e9l\u00e9ments d\u00e9coratifs, un mobilier, parfois chaleureux, parfois d\u00e9mod\u00e9, parfois inutile , encombrant m\u00eame, bref : un \u00e9l\u00e9ment indissociable d\u2019un tout que l\u2019on pourrait nommer \u00ab mon int\u00e9rieur \u00bb. Cependant, en creusant cette image molle , je tombe sur la duret\u00e9 salvatrice d\u2019un hiatus. Entre la chose, l\u2019objet, l\u2019apparence et le contenu. Une paille. Mieux que cela. Car si j\u2019examine tout ces contenus je ne pense pas \u00eatre si surpris qu\u2019en grande partie, ils m\u2019\u00e9chappent. Et que par cette fuite semblable \u00e0 l\u2019air s\u2019\u00e9chappant d\u2019un trou dans une chambre \u00e0 air, tout \u00e7a me laisse dans un \u00e9tat d\u2019abattement encore plus grand. Peut-\u00eatre m\u00eame une bonne vieille d\u00e9prime. ( tout \u00e7a bien s\u00fbr si j\u2019\u00e9tais du genre \u00e0 vouloir th\u00e9sauriser un savoir, des souvenirs de lecture, une passion pour tel ou tel auteur, ce dont je doute d\u00e9sormais ) Donc, non, si je consid\u00e8re le pire, ce tr\u00e9sor familial qui me tombe dessus me plaque au sol m\u2019\u00e9touffe , la surprise sans doute encore l\u2019emporte sur mon \u00e9ternel sourire de simplet. Fut un long moment o\u00f9 je passe outre l\u2019apparence des choses, o\u00f9 ce qui m\u2019int\u00e9resse n\u2019est pas tant l\u2019apparence de ces objets, que ce qu\u2019ils peuvent ou pourraient m\u2019offrir alors que je caresse m\u00e9caniquement comme un babouin l\u2019espoir de m\u2019augmenter , d\u2019une connaissance, d\u2019une compr\u00e9hension de l\u2019\u00e2me humaine, ( si possible dans ses aspects les plus sombres). Les urgences, la pr\u00e9carit\u00e9, les d\u00e9m\u00e9nagements, le peu de place que je peux consacrer \u00e0 ces objets- si pr\u00e9cieux sont-ils \u2013 m\u2019entra\u00eene \u00e0 m\u2019en d\u00e9faire avec l\u2019implacable r\u00e9gularit\u00e9 d\u2019un coucou m\u00e9canique. Au d\u00e9but, avec cette saine r\u00e9pugnance d\u2019un sauvage des ann\u00e9es 80, ( hou hou vive le n\u00e9o lib\u00e9ralisme, \u00e0 bas les murs, bouffez des sushis ! h\u00e9 mais Reagan c\u2019est pas ce type qui jouait dans ce putain de film la fois o\u00f9 j\u2019ai vomis sur les nichons de P. qui lisait le carnet d\u2019or de Doris Lessing ? ) Pendant ce temps l\u00e0 la dure r\u00e9alit\u00e9 rabote all\u00e8grement mes r\u00eaves de gosse Le genre de clich\u00e9 qu\u2019on nous implante dans les mirettes . Trouve une copine, un travail, reproduis-toi, prend un cr\u00e9dit sur 30 ans sois sage, ne r\u00e9fl\u00e9chis surtout pas trop\u2026 R\u00e9pugnance que l\u2019on peut \u00e0 loisir retourner comme un gant, d\u2019o\u00f9 sa vertu roborative. non, ce qui est dingue c\u2019est que l\u2019on peut tout \u00e0 fait aller jusqu\u2019\u00e0 en \u00e9prouver physiquement la perte, la d\u00e9chirure, l\u2019absence, le manque. Des livres, du d\u00e9corum, d\u2019un amour de jeunesse et de toute la vie factice d\u2019une \u00e9poque. Cependant, il faut bien vivre et l\u2019habitude de la r\u00e9p\u00e9tition, l\u2019usure arrondissant tellement bien les angles. Je prends vite l\u2019 habitude de me s\u00e9parer des livres, sur le m\u00eame rythme que je me s\u00e9pare des quartiers de la ville, de mes jobs d\u2019int\u00e9rim, de mes bistrots favoris, de mes voisins, et bien sur des filles et des femmes. Encore que ce n\u2019est pas tout \u00e0 fait exact. A l\u2019\u00e9poque je m\u2019accrochais tout de m\u00eame \u00e0 une poign\u00e9e de bouquins. Voir de Carlos Castaneda, Le grand Meaulnes d\u2019Alain Fournier, Plume d\u2019Henri Michaux, Rebecca de Daphn\u00e9 du Maurier et Bourlinguer de Blaise Cendrars. C\u2019\u00e9tait une sorte de bande. Ma bande. Absolument h\u00e9t\u00e9roclite tout comme les trois quarts de mes pens\u00e9es \u00e0 ce jour. Cependant encore, pour \u00eatre honn\u00eate, il existe un lieu semblable au rocher de King Kong sur une \u00eele et auquel je m\u2019imagine toujours devoir acc\u00e9der t\u00f4t ou tard, un lieu in\u00e9luctable o\u00f9 tout me serait redonn\u00e9 o\u00f9 je retrouverai tout le temps perdu et la madeleine, une montagne de livres servant de protection de ch\u00e2teau fort pour m\u2019installer \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur comme seigneur et r\u00e9cup\u00e9rer toute mes billes enfin \u00e0 la fin de la partie de Monopoly. La fameuse biblioth\u00e8que. et qu\u2019avec les ann\u00e9es mon imaginaire caresse, nourrit, entretient, gave, renforce. C\u2019est la masse de livres amass\u00e9e par la famille et dont on m\u2019averti de bonne heure qu\u2019elle sera un jour lointain mon leg. Imaginez une vie enti\u00e8re \u00e0 nourrir ce genre de pens\u00e9e qu\u2019un jour vous serez l\u2019h\u00e9ritier d\u2019un tr\u00e9sor tr\u00e9sor qu\u2019\u00e0 force de l\u2019attendre comme tout ce qui porte le nom de tr\u00e9sor vous avez cess\u00e9 de briguer, vous ne le convoitiez plus, vous vous \u00e9tiez \u00e0 grande stupeur d\u00e9barrass\u00e9 de cette id\u00e9e et c\u2019est justement au m\u00eame instant qu\u2019elle vous revient en pleine figure comme un boomerang austral. Stupeur et tremblements, faites bonne figure au sort ainsi. L\u2019avalanche se d\u00e9clencha au mois de mars de l\u2019ann\u00e9e 2013, au d\u00e9c\u00e8s de mon p\u00e8re. Il fallait vider la maison. Je crois que je ne connais rien de pire dans la vie que de vider une maison de toute trace humaine famili\u00e8re, \u00e7a vous en flanque un sacr\u00e9 coup \u00e0 la d\u00e9finition du mot. chaque trace d\u00e9clenche une sc\u00e8ne un souvenir. J\u2019ai mis un temps fou \u00e0 vider cette maison. Des mois. Et \u00e0 la fin je crois que je l\u2019ai fait dans un \u00e9tat second, comme si j\u2019\u00e9tais un autre pour m\u2019en sortir. L\u2019une des premi\u00e8res choses que j\u2019ai faites dans l\u2019ordre chronologique ce fut d\u2019emballer tous les livres dans des cartons, puis de d\u00e9monter les biblioth\u00e8ques. Il y avait beaucoup de livres policiers, des ouvrages broch\u00e9s traduits depuis cents langues diverses en fran\u00e7ais. A la fin, mon p\u00e8re les achetait de fa\u00e7on compulsive sur internet, sur des plateformes de vente de livres d\u2019occasion. Ils \u00e9taient en bon \u00e9tat, mais chacun pesait son poids car il avait coutume de prendre des formats extraordinaires \u00e9crits en gros caract\u00e8res. Je ne me souviens pas du nombre de cartons, mais mes amis oui, ils m\u2019en parlent encore \u00e0 l\u2019occasion. Quand nous d\u00e9m\u00e9nage\u00e2mes d\u2019Oullins pour emm\u00e9nager dans notre nouvelle maison. De la sensation de remplir le tonneau des Dana\u00efdes ou de compter les cheveux d\u2019\u00c9l\u00e9onore. De plus, nous ne voulions pas encombrer les pi\u00e8ces en travaux, et nous d\u00fbmes faire un effort suppl\u00e9mentaire pour tout stocker au grenier dont le seul acc\u00e8s est un escalier escamotable. C\u2019est un tr\u00e8s grand grenier, au moins 70 m\u00e8tres carr\u00e9s. Mais une fois tous les cartons entrepos\u00e9s il m\u2019apparut exigu\u00eb. Et je me souviens tr\u00e8s clairement d\u2019avoir song\u00e9 au risque que tout \u00e7a allait finir par m\u2019\u00e9touffer. Mon \u00e9pouse qui est aussi la voix de ma conscience m\u2019avoua que j\u2019aurais beaucoup mieux fait de tout refiler \u00e0 un brocanteur, \u00e0 une biblioth\u00e8que municipale, \u00e0 Emma\u00fcs. Mais quelque chose me retint. Malgr\u00e9 le danger c\u2019est toujours ainsi : je n\u2019h\u00e9site pas \u00e0 me fourrer dans les pires situations incongrues. C\u2019est plus fort que moi voil\u00e0 tout. Et c\u2019est de cette fa\u00e7on tr\u00e8s exactement que je me suis install\u00e9 dans le refus de me d\u00e9faire de ce tr\u00e9sor dont j\u2019\u00e9tais l\u2019unique d\u00e9positaire \u00e0 pr\u00e9sent. Sans doute parce que finalement j\u2019en \u00e9tais le seul d\u00e9positaire. Mon fr\u00e8re m\u2019avoua il y a de cela plus de 10 ans d\u00e9sormais qu\u2019il avait s\u00e9lectionn\u00e9 quelques bouquins qui l\u2019int\u00e9ressaient \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Il avait encore les clefs de la maison de mes parents \u00e0 cette \u00e9poque. C\u2019\u00e9tait cette p\u00e9riode o\u00f9 j\u2019effectuais des all\u00e9es retour entre Lyon et Paris pour m\u2019occuper de notre p\u00e8re quand il tomba malade, puis une fois d\u00e9c\u00e9d\u00e9, pour effectuer toutes les d\u00e9marches avec l\u2019entreprise de pompes fun\u00e8bres, l\u2019\u00e9tat civil, les banques, le notaire, puis \u00e0 la fin avec les agents immobiliers, les assurances, et de nouveau le notaire. Je me suis surpris quand il m\u2019avoua son forfait \u00e0 consid\u00e9rer ce forfait comme une trahison sans trop savoir pourquoi. Dans mon esprit il avait entam\u00e9 une chose inentamable. Quelque chose qui devait rester int\u00e8gre. Une int\u00e9grit\u00e9 qui devait me revenir de droit. C\u2019\u00e9tait idiot, ce n\u2019\u00e9tait que quelques livres sans importance. et peut-\u00eatre que ce que consid\u00e9rais comme un d\u00e9lit cristallisa \u00e0 cet instant tout une collection de griefs gard\u00e9s sous silence depuis la nuit des temps. Comme il est banal de le constater dans toutes les familles au moment des enterrements. encore au jour d\u2019aujourd\u2019hui, je sens que je suis encore tiraill\u00e9 par le fait de vouloir conserver ces innombrables cartons de bouquins ou bien m\u2019en d\u00e9faire m\u2019en d\u00e9barrasser. Ce qui me retient ? je l\u2019ignore, peut-\u00eatre une sorte de respect pour cette collection amass\u00e9e durant toute une vie par la famille. A moins que ce ne soit ce r\u00f4le auquel je continue \u00e0 vouloir tenir d\u2019\u00eatre en fin de compte le d\u00e9positaire, le gardien de quelque chose qui n\u2019a aucun sens v\u00e9ritable d\u2019\u00eatre gard\u00e9. Cette somme de livres repr\u00e9sente un co\u00fbt sentimental qui n\u2019est absolument pas en ad\u00e9quation avec sa valeur r\u00e9elle sur le march\u00e9 du livre. Plusieurs vies y ont contribu\u00e9 dans ce que je peux imaginer \u00eatre un r\u00eave ou une illusion commune, car j\u2019ai aussi h\u00e9rit\u00e9 des livres de mes a\u00efeux , Des livres \u00e9normes \u00e0 couverture de cuir dont on tourne les pages dans la crainte d\u2019en ab\u00eemer la moindre, dans la peur qu\u2019elles ne tombent en poussi\u00e8re. Parfois j\u2019y pense encore, je sais que je n\u2019aurai probablement ni le temps ni l\u2019envie de lire tous ces livres. Qu\u2019en tant que nomade je ne lis plus que des eBook, des Epub, ce qui me permet de me trimbaler avec mon tr\u00e9sor personnel qui ne p\u00e8se qu\u2019un poids d\u00e9risoire, quelques gigaoctets \u00e0 peine. La semaine pass\u00e9e les petits enfants sont venus passer quelques jours de vacances; J\u2019ai timidement tent\u00e9 de faire lire Jules Verne au plus grand, mais il \u00e9tait bien plus attir\u00e9 par un jeu vid\u00e9o en ligne avec lequel il joue avec ses copains. Je n\u2019ai pas insist\u00e9. Je suis victime de cette aura qui frappa des g\u00e9n\u00e9rations avant moi, l\u2019aura des livres. Je ne me reconnais pas le devoir de la propager plus loin, je crois m\u00eame que j\u2019entretiens avec celle-ci une certaine m\u00e9fiance, quand ce n\u2019est pas une forme de haine. Il me semble que c\u2019est la m\u00eame m\u00e9fiance, la m\u00eame sorte de haine qu\u2019avec ce que le monde est devenu d\u00e9sormais pour moi, cette chose compl\u00e8tement incompr\u00e9hensible, cette chose qui jour apr\u00e8s jour m\u2019\u00e9chappe totalement. Et en m\u00eame temps il y a ce plaisir un peu malsain d\u2019imaginer l\u00e0 haut au dessus de nos t\u00eates, cette masse de papier et d\u2019encore grignot\u00e9e probablement par les souris et les rats du grenier. La nature sauvage et incompr\u00e9hensible elle aussi reprend ses droits. Et \u00e0 la fin ce n\u2019est dans le fond que cela qui reste de toute une vie famille. tout ce qui aura \u00e9t\u00e9 investi d\u2019elle dans ce que rec\u00e8le les pages,de ces milliers de livres, entre ses lignes, reste \u00e0 mon sens compl\u00e8tement inaccessible. cependant qu\u2019elle a particip\u00e9 grandement \u00e0 faire de moi un exil\u00e9, un paria. Je ne voulais pas m\u2019attacher de trop aux jaquettes, aux couvertures, aux titres aguicheurs, \u00e0 ce que l\u2019on consid\u00e8re comme de grands auteurs. A toute cette illusion ou cette r\u00e9alit\u00e9 fabriqu\u00e9e de culture comme de savoir. Tout ce qui m\u2019a motiv\u00e9 dans ce long mouvement d\u2019attachement et de rejet c\u2019\u00e9tait d\u2019en apprendre un peu plus sur les m\u00e9andres de l\u2019\u00e2me humaine, ses recoins les plus sombres, ses myst\u00e8res ses gloires futiles autant qu\u2019anonymes. De quel droit en serais-je d\u00e9\u00e7u ? Id\u00e9es pour d\u2019autres textes. Elle lit Doris Lessing, Elsa Morante ce qui l\u2019installe dans une certaine id\u00e9e d\u2019elle que je nourris justement en ne lisant pas Doris Lessing, Elsa Morante. Je me prive de ces lectures pour ne pas perdre cette id\u00e9e que j\u2019invente d\u2019elle. A la fin la s\u00e9paration advient, mais je ne me suis s\u00e9par\u00e9 que d\u2019une id\u00e9e, est-ce moins douloureux ? quelle id\u00e9e de douleur ai-je encore invent\u00e9e pour ne pas vivre la cours naturel des choses de ce monde ? Il m\u2019arrive souvent de prendre un livre au hasard comme il m\u2019est arriv\u00e9 de vivre avec une fille une femme au hasard. Ne me demandez pas la raison profonde de ce genre de comportement, je reste muet l\u00e0-dessus. Ce n\u2019est pas parce que je ne me suis pas pos\u00e9 la question des milliers de fois. J\u2019ai simplement \u00e9cart\u00e9 toutes les r\u00e9ponses possibles pour me maintenir en train. tout me convient au bout du compte dans ces livres ces aventures. Je crois que je n\u2019y cherche rien \u00e0 l\u2019avance et donc quand il se passe quelque chose j\u2019en suis surpris. Que ce soit une bonne ou une mauvaise surprise n\u2019a pas d\u2019importance. Ce que je cherchais \u00e0 l\u2019avance autrefois \u00e9tait rarement sinon jamais ce que je trouvais \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e. Je me mis donc \u00e0 l\u2019ouvrage de refuser de chercher quoique ce soit \u00e0 l\u2019avance. C\u2019est un vrai travail. tout ce que je trouvai soudain dans le moindre livre correspondait \u00e9trangement \u00e0 mon \u00e9tat d\u2019esprit du moment. Je me souviens encore de mes errances dans les all\u00e9es de la biblioth\u00e8que G. Pompidou. bon sang comme c\u2019\u00e9tait une p\u00e9riode difficile. J\u2019\u00e9tais sans dessus dessous. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 ce moment que j\u2019ai d\u00e9couvert les bouquins de Ren\u00e9 Girard notamment Critique dans un souterrain. J\u2019avais du mal \u00e0 lire Dosto\u00efevski avant ce petit livre. Apr\u00e8s cela j\u2019en raffolais et certainement qu\u2019on devait me prendre pour un cingl\u00e9 tellement je pleurais de rire assis dans un coin sur cette moquette qui puait des pieds. Cette fille compl\u00e8tement bizarre avec des l\u00e8vres bleues. Une fois en longeant le parc de l\u2019Isle Adam je me souviens encore de cette sensation \u00e9lectrique que l\u2019on \u00e9prouve dans l\u2019\u00e9chine quand quelqu\u2019un vous regarde. Je me retourne, c\u2019\u00e9tait elle , le pire est que je savait au moment m\u00eame que c\u2019\u00e9tait elle. Elle avait un tee shirt sur lequel \u00e9tait inscrit le mot N\u00e9cronomicon. Elle explosa de rire en voyant ma t\u00eate. Je ne savais pas \u00e0 l\u2019\u00e9poque que le N\u00e9cronomicon \u00e9tait un ouvrage invent\u00e9 par Lovecraft. Je croyais \u00e9videmment qu\u2019il s\u2019agissait d\u2019un vrai livre, que cette fille \u00e9tait une sorci\u00e8re et qu\u2019elle poss\u00e9dait bien s\u00fbr ce bouquin. Ce livre des ann\u00e9es 70 \u00e9tait culte, il suffisait de lire de titre et on imaginait qu\u2019il \u00e9tait possible de partir sur les routes jusqu\u2019aux indes, que la vie serait \u00e9videmment bien plus cool l\u00e0-bas qu\u2019ici pr\u00e8s de Pontoise o\u00f9 coule l\u2019Oise boueuse et f\u00e9tide. Je l\u2019avais finalement achet\u00e9 pour lire dans le train. Au march\u00e9 des livres d\u2019occasion de L\u2019Isle Adam en 1972. Le trouver m\u2019avait procur\u00e9 la m\u00eame excitation qu\u2019autrefois un Vampirella que je n\u2019avais pas encore lu. J\u2019ai d\u00fb lire une dizaine de fois le premier chap\u00eetre, je m\u2019endormais \u00e0 chaque fois et me mettais \u00e0 r\u00eaver des plages de Goa, de cheveux interminables, de saris color\u00e9s fleurant l\u2019odeur de patchouli. Je ne me souviens plus o\u00f9 je l\u2019ai perdu. Peut-\u00eatre qu\u2019il ne me fut n\u00e9cessaire que pour ces aller retour en train afin de me rendre et revenir de la pension, jusqu\u2019\u00e0 la troisi\u00e8me. Je viens de lire une centaine de pages de Un bon jour pour mourir de Jim Harrison. Puis soudain je suis pris d\u2019un doute. Je cherche le titre sur Google, pour conna\u00eetre l\u2019ann\u00e9e de publication du bouquin et je tombe sur le site lisez.com et une myriade de critiques n\u00e9gatives sur cet ouvrage. Ce qui me vient \u00e0 l\u2019esprit \u00e0 cet instant c\u2019est que j\u2019ai certainement encore pris un coup de vieux. Que la plupart des auteurs que j\u2019aime lire et relire n\u2019int\u00e9resse plus un vaste public. Bref, je suis d\u2019un autre monde que celui-ci. Est-ce que je suis mort et j\u2019erre dans les limbes ? bien possible. Tr\u00e8s loin dans le souvenir, le livre du Sapeur Camember pos\u00e9 sur une \u00e9tag\u00e8re dans la classe de Madame N. Autour de lui flotte la musique de Pierre et le loup de Sergue\u00ef Prokofiev. Par del\u00e0 les vitres les grands platanes de la cour de r\u00e9cr\u00e9ation dont l\u2019\u00e9corce me fascine autant que les images de strates g\u00e9ologiques de mon manuel de g\u00e9ographie. Le titre r\u00e9el est bien \u00ab les fac\u00e9ties du sapeur Camember \u00bb. Et cette histoire de trou qui me hante, Camember creuse un trou pour y placer la terre d\u2019un autre trou qu\u2019il a creus\u00e9, mais que faire de la terre d\u00e9blay\u00e9e depuis ce second trou ? {{{# 05 Relever la charpente}}} J'ai tout repris et tout m\u00e9lang\u00e9 les quatre parties pr\u00e9c\u00e9dentes Dans la pi\u00e8ce exigu\u00eb qui sera ma biblioth\u00e8que, je sais d\u2019avance que chaque livre que je vais extirper des cartons sera un pilier de ma propre histoire, un recueil de moments encapsul\u00e9s. Comme Walter Benjamin qui, dans son exil, d\u00e9ballait ses livres pour en inventorier les souvenirs, je m\u2019appr\u00eate \u00e0 ranger les miens, non pour les classer, mais pour red\u00e9couvrir le voyage de chaque acquisition. Chaque ouvrage est un t\u00e9moin silencieux d\u2019une \u00e9poque, d\u2019un lieu, voire d\u2019un \u00e9tat d\u2019esprit oubli\u00e9. En d\u00e9chirant le ruban adh\u00e9sif des cartons, en \u00e9cartant les pans , j\u2019ai un peu la sensation d\u2019\u00e9carter mon thorax ou ma cervelle : chaque livre \u00e9merge comme une relique de ma propre Grande D\u00e9pression personnelle ou des minces jours de d\u00e9couverte joyeuse. Ce n\u2019est pas simplement ranger, c\u2019est revisiter et parfois r\u00e9\u00e9valuer. Je pense \u00e0 Georges Perec qui d\u00e9finissait une biblioth\u00e8que comme un ensemble de livres pour le plaisir quotidien. Mon approche est semblable mais avec une intention plus introspective. Chaque livre est class\u00e9 non par ordre alphab\u00e9tique ou th\u00e9matique, mais selon l\u2019intensit\u00e9 des souvenirs qu\u2019il \u00e9voque, formant ainsi une cartographie de mon pass\u00e9 litt\u00e9raire. Certains livres restent des piliers in\u00e9branlables, d\u2019autres, jadis ch\u00e9ris, ont perdu de leur \u00e9clat, t\u00e9moignant du changement de mes perspectives et go\u00fbts. Cet exercice de classement devient un dialogue intime avec moi-m\u00eame, chaque livre me questionnant, \u00ab Pourquoi suis-je ici ? Que repr\u00e9sente-je pour toi maintenant ? \u00bb \u00ab As-tu vu ce que tu es devenu ? \u00bb \u00c0 l\u2019image de Benjamin, je ne retrouve pas seulement des livres, mais des fragments de moi-m\u00eame \u00e9parpill\u00e9s \u00e0 travers les pages. Le livre sur Baudelaire achet\u00e9 \u00e0 Paris, un roman de science-fiction \u00e9chang\u00e9 avec un ami maintenant lointain, chaque volume porte en lui une histoire qui d\u00e9passe le texte imprim\u00e9. Cette r\u00e9organisation est moins une t\u00e2che qu\u2019une c\u00e9r\u00e9monie, un acte de red\u00e9couverte o\u00f9 chaque livre est soigneusement d\u00e9poussi\u00e9r\u00e9, feuillet\u00e9, parfois lu sur place, souvent replac\u00e9 avec une nouvelle compr\u00e9hension de son importance. Je m\u2019arr\u00eate, livre en main, souvent perdu dans les m\u00e9andres de la m\u00e9moire. C\u2019est dans ces moments de pause que je ressens le plus profond\u00e9ment le poids de ma biblioth\u00e8que, non en kilogrammes, mais en exp\u00e9riences v\u00e9cues, en \u00e9motions ressenties. Je conclue cette session de rangement par une r\u00e9flexion sur ce que ces livres disent de moi, de mon parcours, de mes ruptures et de mes continuit\u00e9s. Comme les strates g\u00e9ologiques raconte les drames, les trag\u00e9dies des sols , ma biblioth\u00e8que raconte une histoire complexe et multiforme, un r\u00e9cit toujours en cours d\u2019\u00e9criture. Chaque livre rang\u00e9 est-il une promesse de retour, je n\u2019en sais rien \u00e0 vrai dire, non en fait je sais que je ne crois plus au mythe de l\u2019\u00e9ternel retour. Au c\u0153ur de cette qu\u00eate litt\u00e9raire, chaque librairie visit\u00e9e est deviendrait une pierre angulaire de mon territoire de lecteur, un morceau de la carte de mon monde int\u00e9rieur. Ces espaces, sanctuaires fragiles et tremblotant du savoir et de l\u2019imaginaire, ont fa\u00e7onn\u00e9 ma perception des mots et de leur pouvoir. Dans les rues pav\u00e9es d\u2019Angoul\u00eame, je pousse la porte d\u2019une librairie ancienne o\u00f9 l\u2019odeur du papier vieilli se m\u00eale \u00e0 celle du bois cir\u00e9. Les \u00e9tag\u00e8res, hautes et charg\u00e9es, touchent presque le plafond, s\u2019archant sous le poids des classiques et des nouveaut\u00e9s. Ici, j\u2019ai d\u00e9couvert la gravit\u00e9 solennelle des textes de Victor Hugo, dont les mots semblaient r\u00e9sonner dans le silence respectueux de la boutique. Puis, \u00e0 Strasbourg, je me retrouve devant une vitrine moderne, \u00e9clair\u00e9e, qui expose des livres d\u2019art et de photographie. La lumi\u00e8re douce et les couleurs vives des couvertures attirent un public \u00e9clectique, des \u00e9tudiants en art aux touristes curieux. C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai achet\u00e9 mon premier recueil de po\u00e8mes, un acte de r\u00e9bellion adolescente contre la prose du quotidien. Enfin, \u00e0 Saragosse, je fl\u00e2ne dans une librairie sp\u00e9cialis\u00e9e dans la litt\u00e9rature \u00e9trang\u00e8re. Les murs sont tapiss\u00e9s de romans et de biographies en plusieurs langues, un babel de papier qui invite au voyage. C\u2019est ici que j\u2019ai compris la valeur de la diversit\u00e9 narrative, en feuilletant des \u0153uvres traduites du japonais, de l\u2019h\u00e9breu ou du su\u00e9dois. Ces librairies ne sont pas que des lieux de commerce, mais des portails vers des univers insoup\u00e7onn\u00e9s. Chaque visite est une aventure, un pas de plus dans la construction de ma propre histoire litt\u00e9raire. Elles sont des rencontres, des moments de r\u00e9v\u00e9lation qui ont enrichi ma vision du monde et nourri ma passion pour la lecture. Vincent Puente, avec ses librairies fictionnelles, nous rappelle combien ces espaces peuvent \u00eatre des th\u00e9\u00e2tres de la m\u00e9moire et de l\u2019imagination. Inspir\u00e9 par ses r\u00e9cits, je me prends \u00e0 r\u00eaver de mes propres librairies, celles qui ont marqu\u00e9 les chapitres de ma vie. Peut-\u00eatre un jour, \u00e0 l\u2019image de Puente, raconterai-je ces lieux avec une touche de fantastique, o\u00f9 chaque livre achet\u00e9 serait une porte entrouverte sur l\u2019infini. Cette exploration ne se veut pas une fin en soi, mais une accumulation de mat\u00e9riaux pour des constructions futures. Comme dans un premier jet, je laisse les souvenirs et les sensations se superposer, formant une mosa\u00efque de moments qui, une fois assembl\u00e9s, d\u00e9voileront le portrait de l\u2019\u00e9crivain que je suis devenu. Ainsi, je continue ma marche, accumulant les exp\u00e9riences, me pr\u00e9parant \u00e0 les recomposer dans mon \u00e9criture. Chaque librairie visit\u00e9e, chaque livre acquis est un fil rouge dans le tapis complexe de mon histoire qui s\u2019ach\u00e8vera t\u00f4t ou tard. C\u2019est une marche d\u2019approche, certes, mais chaque pas est un pas vers la d\u00e9couverte de moi-m\u00eame en tant que lecteur. Dans la solitude de mon espace de lecture, je me penche sur une liste personnelle de neuf choses perdues, inspir\u00e9e par l\u2019\u0153uvre \u00e9patante de Judith Schalansky. Cet inventaire commence non par une simple \u00e9num\u00e9ration, mais comme une exploration de ce que ces pertes signifient pour moi, chacune ouvrant un chapitre de r\u00e9flexion et de narration. Le premier \u00e9l\u00e9ment de ma liste est une montre de poche appartenant \u00e0 mon grand-p\u00e8re, disparue dans les m\u00e9andres d\u2019un d\u00e9m\u00e9nagement. Ce n\u2019est pas tant l\u2019objet qui me manque, mais les instants qu\u2019il a mesur\u00e9s, les \u00e9chos de conversations longtemps oubli\u00e9es. Je lance ce r\u00e9cit par une description pr\u00e9cise du tic-tac de cette montre, un son presque oubli\u00e9, mais encore vibrant dans ma m\u00e9moire. Le deuxi\u00e8me est une lettre jamais envoy\u00e9e \u00e0 un vieil ami, perdue lors d\u2019une crise de col\u00e8re. Cette feuille de papier, satur\u00e9e d\u2019encre et de regrets, devient le c\u0153ur d\u2019un dialogue imaginaire entre moi et cet ami, o\u00f9 je tente de r\u00e9parer les ponts jamais vraiment bris\u00e9s, mais seulement n\u00e9glig\u00e9s. Le troisi\u00e8me \u00e9l\u00e9ment est une photographie de ma premi\u00e8re voiture, une vieille berline avec laquelle j\u2019ai connu des aventures inoubliables. La photo, perdue dans un incendie, repr\u00e9sente plus que du papier br\u00fbl\u00e9; elle symbolise la jeunesse \u00e9vanouie. Je me lance dans une narration en mode road-trip, chaque virage de la route \u00e9voquant un souvenir pr\u00e9cis de libert\u00e9 et de d\u00e9couvertes. Un vieux livre de cuisine de ma m\u00e8re, us\u00e9 et finalement perdu, occupe la quatri\u00e8me place. Il n\u2019est plus tangible mais persiste dans les parfums de mon enfance. Je narre les recettes comme des formules magiques, chacune capable de ressusciter des moments de bonheur familial. Le cinqui\u00e8me est un billet de concert froiss\u00e9, perdu dans la poche d\u2019un manteau vendu. Ce billet revit dans une \u00e9vocation lyrique d\u2019une soir\u00e9e o\u00f9 la musique semblait tout gu\u00e9rir, o\u00f9 chaque note jou\u00e9e r\u00e9sonne encore dans les alc\u00f4ves de mon c\u0153ur. Ces fragments de r\u00e9cits, en d\u00e9taillant les objets perdus et les \u00e9motions qu\u2019ils \u00e9veillent, tissent une tapestry narrative personnelle. Chaque histoire est un fil reconnectant le pr\u00e9sent au pass\u00e9, un pass\u00e9 qui, bien que perdu, demeure vivant dans les mots que je pose sur le papier. Cette d\u00e9marche, inspir\u00e9e par Schalansky, n\u2019est pas simplement un exercice de style; elle est une qu\u00eate de sens, un moyen de comprendre comment ces pertes ont fa\u00e7onn\u00e9 l\u2019individu que je suis devenu. Ce ne sont pas seulement des objets disparus, mais des parties de moi, \u00e9clips\u00e9es par le temps, que je cherche \u00e0 retrouver dans le r\u00e9cit. La libert\u00e9 narrative offerte par ce format permet une profonde immersion dans chacun de ces moments perdus, rendant chaque r\u00e9cit aussi unique que l\u2019objet ou le souvenir qu\u2019il repr\u00e9sente. C\u2019est un dialogue continu entre le pass\u00e9 et le pr\u00e9sent, entre ce qui \u00e9tait et ce qui reste, une exploration de l\u2019absence comme forme pleine et enti\u00e8re de pr\u00e9sence. Dans ce voyage litt\u00e9raire, chaque chapitre clos n\u2019est pas simplement la fin d\u2019une histoire, mais l\u2019invitation \u00e0 en d\u00e9couvrir une nouvelle, \u00e0 ouvrir un autre tiroir de la m\u00e9moire, \u00e0 continuer de tisser le riche tissu de mon propre r\u00e9pertoire de choses perdues. Dans cette exploration, je m\u2019immerge dans la mat\u00e9rialit\u00e9 des livres, laissant de c\u00f4t\u00e9 leur contenu textuel pour me concentrer sur leur existence physique. Chaque livre que je choisis est un artefact, charg\u00e9 de souvenirs et de sensations qui transcendent les mots imprim\u00e9s sur ses pages. Le premier est un vieux roman de poche, sa couverture \u00e9corn\u00e9e t\u00e9moignant des nombreux voyages dans mon sac \u00e0 dos. Je me souviens de son odeur de papier vieilli, et de la sensation de ses pages fines sous mes doigts, souvent lues sous le doux soleil d\u2019un apr\u00e8s-midi d\u2019\u00e9t\u00e9 au parc. Ce livre n\u2019est pas juste un objet de lecture, mais un compagnon de mes jours de libert\u00e9, son usure parall\u00e8le \u00e0 mes propres exp\u00e9riences. Ensuite, un volume reli\u00e9, lourd et imposant, trouv\u00e9 dans une librairie ancienne. Sa couverture rigide, emboss\u00e9e, \u00e9tait froide au toucher, contrastant avec la chaleur de la pi\u00e8ce lambriss\u00e9e o\u00f9 je l\u2019avais d\u00e9couvert. Lire ce livre \u00e9tait une exp\u00e9rience presque c\u00e9r\u00e9monielle, n\u00e9cessitant une table et une lampe de lecture, chaque page tourn\u00e9e avec un respect presque religieux pour sa majest\u00e9. Je me tourne vers un manuel scolaire de mon enfance, dont les marges sont jonch\u00e9es de graffitis et de notes \u00e9crites \u00e0 la h\u00e2te. Ce livre, plus qu\u2019un simple outil d\u2019apprentissage, \u00e9tait un t\u00e9moin de mon d\u00e9veloppement intellectuel et cr\u00e9atif. Sa mat\u00e9rialit\u00e9 \u00e9voque des souvenirs de salles de classe bruyantes, de r\u00e9cr\u00e9ations joyeuses, et d\u00e9j\u00e0 mon retrait, mes angoisses face \u00e0 cette joie sauvage. Un autre, un recueil de po\u00e9sie, se distingue par son \u00e9l\u00e9gante simplicit\u00e9. Sa couverture souple, d\u2019un bleu profond, invite \u00e0 la contemplation, et je me rappelle l\u2019avoir souvent lu en \u00e9coutant la pluie battre contre les fen\u00eatres de ma chambre. La texture de sa couverture, lisse et fra\u00eeche, contrastait avec la chaleur des mots qu\u2019elle enfermait, chaque po\u00e8me r\u00e9sonnant diff\u00e9remment selon le temps et mon \u00e9tat d\u2019esprit. Enfin, un guide de voyage \u00e9corn\u00e9, t\u00e9moin de mon ann\u00e9e sabbatique. Les pages, gondol\u00e9es par l\u2019humidit\u00e9 des tropiques, portaient des taches de boue et des traces de caf\u00e9, chaque marque une carte du p\u00e9riple que j\u2019avais entrepris. Ce livre \u00e9tait plus qu\u2019un guide; c\u2019\u00e9tait un journal de bord, un compagnon qui avait vu les m\u00eames paysages que moi, subi les m\u00eames intemp\u00e9ries. Ces livres, dans leur forme la plus brute, sont des extensions de mes exp\u00e9riences. Ils ne sont pas simplement des conteneurs de texte, mais des objets imbriqu\u00e9s dans le tissu de ma vie, chacun portant les empreintes des lieux et des moments qu\u2019ils ont partag\u00e9s avec moi. En revisitant ces artefacts, je ne revis pas seulement des textes, mais des fragments de temps, des atmosph\u00e8res, des parfums et des textures, tout ce qui constitue le fond sur lequel les mots prennent sens. Il reste encore un carton, ce sont les livres que l\u2019on m\u2019a offerts, des cadeaux que bien souvent j\u2019ai d\u00e9daign\u00e9s parce que je jugeai alors qu\u2019il \u00e9taient mal adress\u00e9s. Peut-\u00eatre est-il temps de leur trouver une place et d\u2019en ouvrir quelques uns maintenant que le souvenir semble s\u2019en \u00eatre d\u00e9tach\u00e9.", "image": "", "tags": ["Ateliers d'\u00e9criture"] } ] }