{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/i-prologue-pourquoi-vrai-nom.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/i-prologue-pourquoi-vrai-nom.html", "title": "I. Prologue — Pourquoi « vrai nom » ", "date_published": "2025-11-08T08:53:14Z", "date_modified": "2025-11-08T14:12:52Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Le vrai nom : ce que les mots font (True Name : What Words Do)<\/h3>\n

On appellera « vrai nom » une forme d\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui produit des effets r\u00e9els : pas un titre, pas une louange, pas un surnom, mais un \u00e9nonc\u00e9 op\u00e9ratoire capable d\u2019ouvrir, de lier ou de d\u00e9lier. La diff\u00e9rence est concr\u00e8te : quand une parole ne fait que raconter, rien ne change ; quand une parole est correctement adress\u00e9e, form\u00e9e et conditionn\u00e9e, le monde bouge — une gu\u00e9rison advient, un contrat tombe, une porte s\u2019ouvre, une machine s\u2019arr\u00eate. Pour s\u2019orienter, trois r\u00e9gimes : le nom habilitant (confi\u00e9 dans une relation, il autorise et engage), le nom d\u2019emprise (obtenu par ruse ou n\u00e9gociation, il donne prise et d\u00e9place la souverainet\u00e9 sans forc\u00e9ment renverser l\u2019ordre), le nom r\u00e9solutoire (\u00e9nonc\u00e9 exact qui r\u00e9voque sans violence ce que d\u2019autres paroles ont li\u00e9). Le point commun n\u2019est pas la solennit\u00e9 mais la justesse de la forme et la bonne adresse : dire juste, au bon destinataire, sous les bonnes conditions, fait effet. Deux pi\u00e8ges \u00e0 \u00e9viter : la m\u00e9taphysique paresseuse du « mot secret qui surplombe tout » — un nom n\u2019est vrai que par usage, s\u2019il agit dans un cadre donn\u00e9 — et la r\u00e9duction au papier administratif ou au handle en ligne — utile mais insuffisant si l\u2019on n\u2019explicite pas quand et comment ces noms produisent des effets. Ici, le vrai nom n\u2019est ni relique ni formulaire : c\u2019est un op\u00e9rateur ench\u00e2ss\u00e9 dans des protocoles (rituels, sociaux, techniques, juridiques) qui cadrent sa puissance. Cela \u00e9claire l\u2019obsession du golem : EMET \u2192 MET, une lettre effac\u00e9e qui change l\u2019\u00e9tat de la cr\u00e9ature. Le d\u00e9tail formel — la lettre, l\u2019ordre des signes, la condition d\u2019\u00e9nonciation — gouverne l\u2019ex\u00e9cution. Mythes (Isis et le nom secret de R\u00ea), contes (Rumpelstiltskin), fictions sp\u00e9culatives (Le Guin, Vinge) et ing\u00e9nierie des identit\u00e9s (triangle de Zooko, DIDs) rejouent la m\u00eame chose : la puissance d\u2019un nom tient moins \u00e0 sa beaut\u00e9 qu\u2019\u00e0 sa capacit\u00e9 \u00e0 faire quelque chose quelque part, pour quelqu\u2019un, contre quelque chose. La publicit\u00e9 d\u2019un nom n\u2019est jamais neutre : un nom habilitant perd sa charge s\u2019il fuit hors de la relation ; un nom d\u2019emprise cesse d\u2019\u00eatre op\u00e9ratoire s\u2019il est anticip\u00e9 et encadr\u00e9 ; un nom r\u00e9solutoire doit \u00eatre prof\u00e9r\u00e9 en face et \u00e0 temps pour produire sa r\u00e9vocation. Le secret n\u2019est pas f\u00e9tichisme, c\u2019est mesure de s\u00e9curit\u00e9 ; inversement, la publicisation cibl\u00e9e est une strat\u00e9gie de d\u00e9sarmement. M\u00e9thode pratique : \u00e0 chaque « vrai nom », poser trois questions — qui nomme, sur quoi agit l\u2019\u00e9nonc\u00e9, comment s\u2019arr\u00eate-t-il — et y r\u00e9pondre sans lyrisme : alli\u00e9 ou adversaire, corps ou contrat ou capacit\u00e9 de syst\u00e8me, r\u00e9tractation ou r\u00e9vocation ou expiration ou contre-\u00e9nonc\u00e9. Cette discipline \u00e9vite de croire que tous les noms se valent ou qu\u2019un nom vrai serait irr\u00e9vocable. Elle redistribue aussi titre et nom : le titre expose, le nom agit. Les \u00e9pith\u00e8tes de R\u00ea ne soignent rien ; l\u2019inventaire des pr\u00e9noms plausibles ne d\u00e9lie rien ; l\u2019Old Speech interdit le mensonge et donne un prix \u00e0 la justesse ; chez Vinge, d\u00e9couvrir le nom civil derri\u00e8re l\u2019avatar reconfigure les risques hors ligne ; dans les r\u00e9seaux, un identifiant robuste peut porter des preuves r\u00e9voquables sans confondre personne v\u00e9cue et personne de papier. Litt\u00e9rature et ing\u00e9nierie s\u2019\u00e9clairent : la premi\u00e8re montre ce qu\u2019est un nom exact, la seconde rappelle qu\u2019un nom op\u00e9ratoire doit pouvoir \u00eatre retir\u00e9 et journalis\u00e9. Ambition modeste mais tenace : pr\u00e9f\u00e9rer le possible bien dessin\u00e9 \u00e0 la grandiloquence, et garder des r\u00e8gles claires sur la fa\u00e7on dont les noms fonctionnent et cessent de fonctionner. En somme, ce mot-cl\u00e9 rassemble les mat\u00e9riaux o\u00f9 le vrai nom lie quand il faut, soigne sans remplacer, d\u00e9lie sans casser — et laisse, apr\u00e8s usage, un monde un peu plus habitable.<\/p>\n

Sommaire de la s\u00e9rie<\/h3>\n

\u2013<\/b><\/span> 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 
2. Nommer pour prendre — Isis & R\u00ea (Papyrus de Turin)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 
3. Nommer pour d\u00e9lier — Rumpelstiltskin (ATU 500)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 
4. Noms \u00e0 l\u2019\u00e8re r\u00e9seau — Vernor Vinge<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 
5.Argile et algorithmes — \u00e0 Propos du Golem<\/a><\/p>\n

Voir tous les \u00e9pisodes (page du mot-cl\u00e9)<\/a><\/p>\n

Navigation<\/h3>\n

— l\u2019introduction ci-dessus, puis suivre l\u2019ordre 1\u21925 Chaque article renvoie ici en pied de page (Sommaire).<\/p>", "content_text": "{{{Le vrai nom : ce que les mots font (True Name: What Words Do)}}} On appellera \u00ab vrai nom \u00bb une forme d\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui produit des effets r\u00e9els : pas un titre, pas une louange, pas un surnom, mais un \u00e9nonc\u00e9 op\u00e9ratoire capable d\u2019ouvrir, de lier ou de d\u00e9lier. La diff\u00e9rence est concr\u00e8te : quand une parole ne fait que raconter, rien ne change ; quand une parole est correctement adress\u00e9e, form\u00e9e et conditionn\u00e9e, le monde bouge \u2014 une gu\u00e9rison advient, un contrat tombe, une porte s\u2019ouvre, une machine s\u2019arr\u00eate. Pour s\u2019orienter, trois r\u00e9gimes : le nom habilitant (confi\u00e9 dans une relation, il autorise et engage), le nom d\u2019emprise (obtenu par ruse ou n\u00e9gociation, il donne prise et d\u00e9place la souverainet\u00e9 sans forc\u00e9ment renverser l\u2019ordre), le nom r\u00e9solutoire (\u00e9nonc\u00e9 exact qui r\u00e9voque sans violence ce que d\u2019autres paroles ont li\u00e9). Le point commun n\u2019est pas la solennit\u00e9 mais la justesse de la forme et la bonne adresse : dire juste, au bon destinataire, sous les bonnes conditions, fait effet. Deux pi\u00e8ges \u00e0 \u00e9viter : la m\u00e9taphysique paresseuse du \u00ab mot secret qui surplombe tout \u00bb \u2014 un nom n\u2019est vrai que par usage, s\u2019il agit dans un cadre donn\u00e9 \u2014 et la r\u00e9duction au papier administratif ou au handle en ligne \u2014 utile mais insuffisant si l\u2019on n\u2019explicite pas quand et comment ces noms produisent des effets. Ici, le vrai nom n\u2019est ni relique ni formulaire : c\u2019est un op\u00e9rateur ench\u00e2ss\u00e9 dans des protocoles (rituels, sociaux, techniques, juridiques) qui cadrent sa puissance. Cela \u00e9claire l\u2019obsession du golem : EMET \u2192 MET, une lettre effac\u00e9e qui change l\u2019\u00e9tat de la cr\u00e9ature. Le d\u00e9tail formel \u2014 la lettre, l\u2019ordre des signes, la condition d\u2019\u00e9nonciation \u2014 gouverne l\u2019ex\u00e9cution. Mythes (Isis et le nom secret de R\u00ea), contes (Rumpelstiltskin), fictions sp\u00e9culatives (Le Guin, Vinge) et ing\u00e9nierie des identit\u00e9s (triangle de Zooko, DIDs) rejouent la m\u00eame chose : la puissance d\u2019un nom tient moins \u00e0 sa beaut\u00e9 qu\u2019\u00e0 sa capacit\u00e9 \u00e0 faire quelque chose quelque part, pour quelqu\u2019un, contre quelque chose. La publicit\u00e9 d\u2019un nom n\u2019est jamais neutre : un nom habilitant perd sa charge s\u2019il fuit hors de la relation ; un nom d\u2019emprise cesse d\u2019\u00eatre op\u00e9ratoire s\u2019il est anticip\u00e9 et encadr\u00e9 ; un nom r\u00e9solutoire doit \u00eatre prof\u00e9r\u00e9 en face et \u00e0 temps pour produire sa r\u00e9vocation. Le secret n\u2019est pas f\u00e9tichisme, c\u2019est mesure de s\u00e9curit\u00e9 ; inversement, la publicisation cibl\u00e9e est une strat\u00e9gie de d\u00e9sarmement. M\u00e9thode pratique : \u00e0 chaque \u00ab vrai nom \u00bb, poser trois questions \u2014 qui nomme, sur quoi agit l\u2019\u00e9nonc\u00e9, comment s\u2019arr\u00eate-t-il \u2014 et y r\u00e9pondre sans lyrisme : alli\u00e9 ou adversaire, corps ou contrat ou capacit\u00e9 de syst\u00e8me, r\u00e9tractation ou r\u00e9vocation ou expiration ou contre-\u00e9nonc\u00e9. Cette discipline \u00e9vite de croire que tous les noms se valent ou qu\u2019un nom vrai serait irr\u00e9vocable. Elle redistribue aussi titre et nom : le titre expose, le nom agit. Les \u00e9pith\u00e8tes de R\u00ea ne soignent rien ; l\u2019inventaire des pr\u00e9noms plausibles ne d\u00e9lie rien ; l\u2019Old Speech interdit le mensonge et donne un prix \u00e0 la justesse ; chez Vinge, d\u00e9couvrir le nom civil derri\u00e8re l\u2019avatar reconfigure les risques hors ligne ; dans les r\u00e9seaux, un identifiant robuste peut porter des preuves r\u00e9voquables sans confondre personne v\u00e9cue et personne de papier. Litt\u00e9rature et ing\u00e9nierie s\u2019\u00e9clairent : la premi\u00e8re montre ce qu\u2019est un nom exact, la seconde rappelle qu\u2019un nom op\u00e9ratoire doit pouvoir \u00eatre retir\u00e9 et journalis\u00e9. Ambition modeste mais tenace : pr\u00e9f\u00e9rer le possible bien dessin\u00e9 \u00e0 la grandiloquence, et garder des r\u00e8gles claires sur la fa\u00e7on dont les noms fonctionnent et cessent de fonctionner. En somme, ce mot-cl\u00e9 rassemble les mat\u00e9riaux o\u00f9 le vrai nom lie quand il faut, soigne sans remplacer, d\u00e9lie sans casser \u2014 et laisse, apr\u00e8s usage, un monde un peu plus habitable. {{{Sommaire de la s\u00e9rie}}} - [1. Nommer pour habiliter \u2014 Le Guin (Earthsea \u2014 Terremer) -> art3497] - [2. Nommer pour prendre \u2014 Isis & R\u00ea (Papyrus de Turin) -> art3499] - [3. Nommer pour d\u00e9lier \u2014 Rumpelstiltskin (ATU 500) -> art3500] - [4. Noms \u00e0 l\u2019\u00e8re r\u00e9seau \u2014 Vernor Vinge -> art3498] - [5.Argile et algorithmes \u2014 \u00e0 Propos du Golem->art 3496] [Voir tous les \u00e9pisodes (page du mot-cl\u00e9) -> mot622] {{{Navigation}}} \u2014l\u2019introduction ci-dessus, puis suivre l\u2019ordre 1\u21925 Chaque article renvoie ici en pied de page (Sommaire). ", "image": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/IMG\/logo\/p16-livre-adele-yon_jeu-2-edited.webp?1762591796", "tags": ["documentation", "imaginaire", "le vrai nom"] } ,{ "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/rumpelstiltskin-le-nain-tracassin.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/rumpelstiltskin-le-nain-tracassin.html", "title": "Rumpelstiltskin - Le Nain Tracassin", "date_published": "2025-11-08T07:00:45Z", "date_modified": "2025-11-08T11:16:07Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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Sous l\u2019entr\u00e9e ATU 500<\/strong> du catalogue Aarne\u2013Thompson\u2013Uther, l\u2019histoire est toujours la m\u00eame : un contrat impossible<\/strong>, un prix exorbitant<\/strong> (l\u2019enfant \u00e0 na\u00eetre), et une clause de sortie<\/strong> qui tient en un mot — le nom<\/strong>. Dans Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em>, dire le nom du personnage brise l\u2019obligation. Ce conte, souvent rang\u00e9 au rayon des « malices pour enfants », propose en r\u00e9alit\u00e9 une th\u00e9orie du contrat<\/strong> par le langage : ce qui lie peut \u00eatre d\u00e9li\u00e9<\/strong> non par violence, mais par connaissance<\/strong> et \u00e9nonciation exacte<\/strong>. Ce texte clarifie, pour notre s\u00e9rie, l\u2019autre face du « vrai nom » : non pas le nom qui donne prise, mais le nom qui retire<\/strong> la prise.<\/p>\n<\/blockquote>\n


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Le ressort narratif para\u00eet simple : un meunier fanfaron promet au roi que sa fille sait changer la paille en or ; mise \u00e0 l\u2019\u00e9preuve, condamn\u00e9 si elle \u00e9choue, la jeune femme voit surgir un petit \u00eatre — Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> — qui accomplit l\u2019impossible en \u00e9change<\/strong>. L\u2019\u00e9change monte en intensit\u00e9 : premi\u00e8res fois contre colliers et bagues, derni\u00e8re fois contre l\u2019enfant<\/strong> qu\u2019elle aura du roi. Accord scell\u00e9. \u00c0 la naissance, d\u00e9sespoir ; l\u2019\u00eatre offre un sursis : si tu d\u00e9couvres mon nom<\/strong> en trois jours, tu gardes l\u2019enfant. Le troisi\u00e8me jour, la reine apprend ce nom, elle le prononce<\/strong> ; l\u2019obligation tombe. Fin.<\/p>\n

Tout est l\u00e0, mais le conte nous int\u00e9resse moins par sa morale (prudence face aux promesses) que par sa m\u00e9canique contractuelle<\/strong>. La paille devenue or n\u2019est pas un miracle : c\u2019est un service<\/strong> rendu contre contrepartie<\/strong>. Au dernier tour, la contrepartie est illicite<\/strong> (l\u2019enfant), mais le contrat est valide<\/strong> dans le monde du r\u00e9cit — jusqu\u2019\u00e0 l\u2019introduction d\u2019une clause r\u00e9solutoire<\/strong> : le nom<\/strong>. Dire le nom n\u2019est pas ici un s\u00e9same d\u2019emprise (Isis sur R\u00ea), c\u2019est un geste d\u2019arr\u00eat<\/strong> : l\u2019\u00e9nonciation exacte r\u00e9voque<\/strong> l\u2019accord. D\u2019o\u00f9 l\u2019int\u00e9r\u00eat pour notre fil « \u00e9crire fait » : certaines phrases annulent<\/strong> ce qu\u2019une autre a li\u00e9<\/strong>.<\/p>\n

Cette structure contractuelle se double d\u2019un jeu sur le secret<\/strong>. Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> d\u00e9tient une puissance op\u00e9ratoire (filage de l\u2019or) tant que son nom<\/strong> demeure inconnu<\/strong>. Le secret n\u2019est pas d\u00e9coratif ; il est la source<\/strong> de la contrainte. D\u00e8s que la reine obtient l\u2019information — par enqu\u00eate, \u00e9coute, hasard organis\u00e9 selon les versions —, la publicisation<\/strong> (prononcer, \u00e0 haute voix, en face) agit comme r\u00e9vocation<\/strong>. Il ne s\u2019agit pas d\u2019un porno du savoir : on ne veut pas « tout savoir », on cible un identifiant<\/strong> pr\u00e9cis. C\u2019est ici que le conte rejoint notre modernit\u00e9 technique : un identifiant expos\u00e9<\/strong> (vrai nom, credential, cl\u00e9) change<\/strong> les rapports de force sans<\/strong> recourir \u00e0 une force sup\u00e9rieure.<\/p>\n

Le conte, d\u2019ailleurs, multiplie les fa\u00e7ons de nommer<\/strong> : la plupart des pr\u00e9noms propos\u00e9s par la reine \u00e9chouent parce qu\u2019ils appartiennent \u00e0 un r\u00e9pertoire public<\/strong> — liste plausible, statistiquement inform\u00e9e, mais non op\u00e9ratoire<\/strong>. Seule la forme exacte<\/strong> convient, celle qui indexe<\/strong> l\u2019\u00eatre, non son apparence. Dans plusieurs variantes, l\u2019origine de l\u2019information m\u00eale hasard<\/strong> et travail<\/strong> : un messager ou la reine elle-m\u00eame surprend<\/strong> le petit \u00eatre qui chante son nom pr\u00e8s d\u2019un feu, la nuit, dans la for\u00eat. La sc\u00e8ne n\u2019est pas innocente : le nom n\u2019est pas arrach\u00e9 par torture ni donn\u00e9 par gr\u00e2ce ; il est entendu<\/strong> dans un contexte o\u00f9 le sujet se d\u00e9voile<\/strong> par jeu, hybris ou n\u00e9gligence. L\u2019\u00e9thique implicite est nette : l\u2019abolition du contrat ne proc\u00e8de pas d\u2019un acte plus violent, mais d\u2019un d\u00e9placement d\u2019information<\/strong>.<\/p>\n

Il faut situer Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> parmi ses variantes<\/strong>. En anglais, Tom Tit Tot — Tom Tit Tot<\/em>, Whuppity Stoorie — Whuppity Stoorie<\/em> ; en ga\u00e9lique, Gillidanda — Gillidanda<\/em> ; en nordique, Titteliture — Titteliture<\/em>. Toutes modulent le m\u00eame motif : nom inconnu \u2192 pouvoir ; nom connu \u2192 chute<\/strong>. L\u2019onomastique est ici un r\u00e9gulateur social<\/strong> : ce que le village sait ou ignore fait loi<\/strong>. La menace de l\u2019« enfant pris » n\u2019est pas qu\u2019une terreur archa\u00efque ; c\u2019est la figure limite<\/strong> d\u2019un contrat o\u00f9 la personne devient gage<\/strong>. Le conte n\u2019approuve pas ce contrat ; il montre comment<\/strong> le d\u00e9faire<\/strong>.<\/p>\n

Nous touchons l\u00e0 une asym\u00e9trie utile pour la s\u00e9rie. Chez Le Guin (Terremer), le vrai nom<\/strong> se confie sous relation<\/strong> et lie ; chez Isis et R\u00ea, le nom secret<\/strong> s\u2019arrache et donne prise<\/strong> ; chez Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em>, le nom exact<\/strong> fait tomber<\/strong> la prise. Trois r\u00e9gimes, trois fonctions. Notre vocabulaire peut s\u2019ajuster ainsi : nom habilitant<\/strong> (Le Guin), nom d\u2019emprise<\/strong> (Isis\/R\u00ea), nom r\u00e9solutoire<\/strong> (Rumpelstiltskin). Dans tous les cas, un point commun : la forme<\/strong> de l\u2019\u00e9nonc\u00e9, non l\u2019intensit\u00e9 dramatique, d\u00e9cide des effets<\/strong>.<\/p>\n

On dira : la reine « triche » en espionnant. Le conte ne blasonne pas la vertu ; il teste<\/strong> des outils. Que peut<\/strong> l\u2019information pr\u00e9cise ? Elle d\u00e9lie<\/strong> les contrats sc\u00e9l\u00e9rats l\u00e0 o\u00f9 ni la force<\/strong> (arm\u00e9e du roi) ni la pi\u00e9t\u00e9<\/strong> (pri\u00e8res) n\u2019y suffisent. C\u2019est une le\u00e7on politique minimale : il existe des situations o\u00f9 la connaissance<\/strong> remplace l\u00e9gitimement la contrainte<\/strong>. Cela n\u2019innocente pas la ruse ; cela la norme<\/strong> : la ruse est ici publique<\/strong>, contradictoire<\/strong>, prononc\u00e9e<\/strong> face \u00e0 l\u2019adversaire — elle expose<\/strong> le nom pour annuler<\/strong> l\u2019emprise, puis cesse<\/strong> de circuler (on ne part pas en croisade pour r\u00e9v\u00e9ler tous les noms). La sc\u00e8ne de la nomination n\u2019est pas une f\u00eate de l\u2019humiliation ; c\u2019est un acte de proc\u00e9dure<\/strong>.<\/p>\n

Le d\u00e9tail final varie : parfois le petit \u00eatre s\u2019emporte et se d\u00e9chire<\/strong> en deux ; parfois il fuit<\/strong> ; parfois il tombe<\/strong> dans un trou. Ce d\u00e9bordement grotesque n\u2019est pas le c\u0153ur du dispositif ; c\u2019est sa d\u00e9flation<\/strong> : une fois le nom connu, la figure perd de la substance<\/strong>. L\u2019important est ailleurs : la reine r\u00e9cup\u00e8re l\u2019initiative<\/strong>, l\u2019enfant reste<\/strong>, l\u2019exc\u00e8s s\u2019arr\u00eate<\/strong>. Pour notre s\u00e9rie, l\u2019enseignement tient en trois questions \u00e0 poser \u00e0 tout « nom » en jeu : 1) Quel type de lien<\/strong> instaure-t-il ? 2) Quel degr\u00e9 d\u2019exposition<\/strong> exige-t-il ? 3) Quelle proc\u00e9dure<\/strong> permet de le r\u00e9voquer<\/strong> sans violence ?<\/p>\n

Ce triptyque nous ram\u00e8ne \u00e0 l\u2019actualit\u00e9 la plus triviale : plateformes et politiques de « vrais noms<\/strong> » ; doxxing comme arme ; DIDs<\/strong> (identifiants d\u00e9centralis\u00e9s) et possibilit\u00e9s de r\u00e9vocation<\/strong> ; droit \u00e0 l\u2019effacement<\/strong> (RGPD). Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> ne fournit pas un mod\u00e8le juridique, mais une grammaire<\/strong> : parfois, un contrat ne c\u00e8de pas \u00e0 la force, il c\u00e8de \u00e0 l\u2019\u00e9nonciation exacte<\/strong>. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui rend le conte durable : il apprend comment parler<\/strong> pour d\u00e9faire<\/strong>.<\/p>\n


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— Sc\u00e8ne-source (r\u00e9sum\u00e9)<\/h2>\n

Une jeune reine doit livrer son enfant \u00e0 un \u00eatre qui a fil\u00e9 la paille en or pour la sauver. Clause de sortie : d\u00e9couvrir son nom<\/strong>. Trois jours, une enqu\u00eate, un chant surpris dans la for\u00eat — « Rumpelstiltskin » —, l\u2019\u00e9nonciation en face. L\u2019obligation tombe.<\/em><\/p>\n

— Ce que la sc\u00e8ne nous apprend<\/h2>\n