{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/i-prologue-pourquoi-vrai-nom.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/i-prologue-pourquoi-vrai-nom.html", "title": "I. Prologue — Pourquoi « vrai nom » ", "date_published": "2025-11-08T08:53:14Z", "date_modified": "2025-11-08T14:12:52Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
On appellera « vrai nom » une forme d\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui produit des effets r\u00e9els : pas un titre, pas une louange, pas un surnom, mais un \u00e9nonc\u00e9 op\u00e9ratoire capable d\u2019ouvrir, de lier ou de d\u00e9lier. La diff\u00e9rence est concr\u00e8te : quand une parole ne fait que raconter, rien ne change ; quand une parole est correctement adress\u00e9e, form\u00e9e et conditionn\u00e9e, le monde bouge — une gu\u00e9rison advient, un contrat tombe, une porte s\u2019ouvre, une machine s\u2019arr\u00eate. Pour s\u2019orienter, trois r\u00e9gimes : le nom habilitant (confi\u00e9 dans une relation, il autorise et engage), le nom d\u2019emprise (obtenu par ruse ou n\u00e9gociation, il donne prise et d\u00e9place la souverainet\u00e9 sans forc\u00e9ment renverser l\u2019ordre), le nom r\u00e9solutoire (\u00e9nonc\u00e9 exact qui r\u00e9voque sans violence ce que d\u2019autres paroles ont li\u00e9). Le point commun n\u2019est pas la solennit\u00e9 mais la justesse de la forme et la bonne adresse : dire juste, au bon destinataire, sous les bonnes conditions, fait effet. Deux pi\u00e8ges \u00e0 \u00e9viter : la m\u00e9taphysique paresseuse du « mot secret qui surplombe tout » — un nom n\u2019est vrai que par usage, s\u2019il agit dans un cadre donn\u00e9 — et la r\u00e9duction au papier administratif ou au handle en ligne — utile mais insuffisant si l\u2019on n\u2019explicite pas quand et comment ces noms produisent des effets. Ici, le vrai nom n\u2019est ni relique ni formulaire : c\u2019est un op\u00e9rateur ench\u00e2ss\u00e9 dans des protocoles (rituels, sociaux, techniques, juridiques) qui cadrent sa puissance. Cela \u00e9claire l\u2019obsession du golem : EMET \u2192 MET, une lettre effac\u00e9e qui change l\u2019\u00e9tat de la cr\u00e9ature. Le d\u00e9tail formel — la lettre, l\u2019ordre des signes, la condition d\u2019\u00e9nonciation — gouverne l\u2019ex\u00e9cution. Mythes (Isis et le nom secret de R\u00ea), contes (Rumpelstiltskin), fictions sp\u00e9culatives (Le Guin, Vinge) et ing\u00e9nierie des identit\u00e9s (triangle de Zooko, DIDs) rejouent la m\u00eame chose : la puissance d\u2019un nom tient moins \u00e0 sa beaut\u00e9 qu\u2019\u00e0 sa capacit\u00e9 \u00e0 faire quelque chose quelque part, pour quelqu\u2019un, contre quelque chose. La publicit\u00e9 d\u2019un nom n\u2019est jamais neutre : un nom habilitant perd sa charge s\u2019il fuit hors de la relation ; un nom d\u2019emprise cesse d\u2019\u00eatre op\u00e9ratoire s\u2019il est anticip\u00e9 et encadr\u00e9 ; un nom r\u00e9solutoire doit \u00eatre prof\u00e9r\u00e9 en face et \u00e0 temps pour produire sa r\u00e9vocation. Le secret n\u2019est pas f\u00e9tichisme, c\u2019est mesure de s\u00e9curit\u00e9 ; inversement, la publicisation cibl\u00e9e est une strat\u00e9gie de d\u00e9sarmement. M\u00e9thode pratique : \u00e0 chaque « vrai nom », poser trois questions — qui nomme, sur quoi agit l\u2019\u00e9nonc\u00e9, comment s\u2019arr\u00eate-t-il — et y r\u00e9pondre sans lyrisme : alli\u00e9 ou adversaire, corps ou contrat ou capacit\u00e9 de syst\u00e8me, r\u00e9tractation ou r\u00e9vocation ou expiration ou contre-\u00e9nonc\u00e9. Cette discipline \u00e9vite de croire que tous les noms se valent ou qu\u2019un nom vrai serait irr\u00e9vocable. Elle redistribue aussi titre et nom : le titre expose, le nom agit. Les \u00e9pith\u00e8tes de R\u00ea ne soignent rien ; l\u2019inventaire des pr\u00e9noms plausibles ne d\u00e9lie rien ; l\u2019Old Speech interdit le mensonge et donne un prix \u00e0 la justesse ; chez Vinge, d\u00e9couvrir le nom civil derri\u00e8re l\u2019avatar reconfigure les risques hors ligne ; dans les r\u00e9seaux, un identifiant robuste peut porter des preuves r\u00e9voquables sans confondre personne v\u00e9cue et personne de papier. Litt\u00e9rature et ing\u00e9nierie s\u2019\u00e9clairent : la premi\u00e8re montre ce qu\u2019est un nom exact, la seconde rappelle qu\u2019un nom op\u00e9ratoire doit pouvoir \u00eatre retir\u00e9 et journalis\u00e9. Ambition modeste mais tenace : pr\u00e9f\u00e9rer le possible bien dessin\u00e9 \u00e0 la grandiloquence, et garder des r\u00e8gles claires sur la fa\u00e7on dont les noms fonctionnent et cessent de fonctionner. En somme, ce mot-cl\u00e9 rassemble les mat\u00e9riaux o\u00f9 le vrai nom lie quand il faut, soigne sans remplacer, d\u00e9lie sans casser — et laisse, apr\u00e8s usage, un monde un peu plus habitable.<\/p>\n
\u2013<\/b><\/span> 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer)<\/a>\n Voir tous les \u00e9pisodes (page du mot-cl\u00e9)<\/a><\/p>\n — l\u2019introduction ci-dessus, puis suivre l\u2019ordre 1\u21925 Chaque article renvoie ici en pied de page (Sommaire).<\/p>",
"content_text": "{{{Le vrai nom : ce que les mots font (True Name: What Words Do)}}} On appellera \u00ab vrai nom \u00bb une forme d\u2019\u00e9nonc\u00e9 qui produit des effets r\u00e9els : pas un titre, pas une louange, pas un surnom, mais un \u00e9nonc\u00e9 op\u00e9ratoire capable d\u2019ouvrir, de lier ou de d\u00e9lier. La diff\u00e9rence est concr\u00e8te : quand une parole ne fait que raconter, rien ne change ; quand une parole est correctement adress\u00e9e, form\u00e9e et conditionn\u00e9e, le monde bouge \u2014 une gu\u00e9rison advient, un contrat tombe, une porte s\u2019ouvre, une machine s\u2019arr\u00eate. Pour s\u2019orienter, trois r\u00e9gimes : le nom habilitant (confi\u00e9 dans une relation, il autorise et engage), le nom d\u2019emprise (obtenu par ruse ou n\u00e9gociation, il donne prise et d\u00e9place la souverainet\u00e9 sans forc\u00e9ment renverser l\u2019ordre), le nom r\u00e9solutoire (\u00e9nonc\u00e9 exact qui r\u00e9voque sans violence ce que d\u2019autres paroles ont li\u00e9). Le point commun n\u2019est pas la solennit\u00e9 mais la justesse de la forme et la bonne adresse : dire juste, au bon destinataire, sous les bonnes conditions, fait effet. Deux pi\u00e8ges \u00e0 \u00e9viter : la m\u00e9taphysique paresseuse du \u00ab mot secret qui surplombe tout \u00bb \u2014 un nom n\u2019est vrai que par usage, s\u2019il agit dans un cadre donn\u00e9 \u2014 et la r\u00e9duction au papier administratif ou au handle en ligne \u2014 utile mais insuffisant si l\u2019on n\u2019explicite pas quand et comment ces noms produisent des effets. Ici, le vrai nom n\u2019est ni relique ni formulaire : c\u2019est un op\u00e9rateur ench\u00e2ss\u00e9 dans des protocoles (rituels, sociaux, techniques, juridiques) qui cadrent sa puissance. Cela \u00e9claire l\u2019obsession du golem : EMET \u2192 MET, une lettre effac\u00e9e qui change l\u2019\u00e9tat de la cr\u00e9ature. Le d\u00e9tail formel \u2014 la lettre, l\u2019ordre des signes, la condition d\u2019\u00e9nonciation \u2014 gouverne l\u2019ex\u00e9cution. Mythes (Isis et le nom secret de R\u00ea), contes (Rumpelstiltskin), fictions sp\u00e9culatives (Le Guin, Vinge) et ing\u00e9nierie des identit\u00e9s (triangle de Zooko, DIDs) rejouent la m\u00eame chose : la puissance d\u2019un nom tient moins \u00e0 sa beaut\u00e9 qu\u2019\u00e0 sa capacit\u00e9 \u00e0 faire quelque chose quelque part, pour quelqu\u2019un, contre quelque chose. La publicit\u00e9 d\u2019un nom n\u2019est jamais neutre : un nom habilitant perd sa charge s\u2019il fuit hors de la relation ; un nom d\u2019emprise cesse d\u2019\u00eatre op\u00e9ratoire s\u2019il est anticip\u00e9 et encadr\u00e9 ; un nom r\u00e9solutoire doit \u00eatre prof\u00e9r\u00e9 en face et \u00e0 temps pour produire sa r\u00e9vocation. Le secret n\u2019est pas f\u00e9tichisme, c\u2019est mesure de s\u00e9curit\u00e9 ; inversement, la publicisation cibl\u00e9e est une strat\u00e9gie de d\u00e9sarmement. M\u00e9thode pratique : \u00e0 chaque \u00ab vrai nom \u00bb, poser trois questions \u2014 qui nomme, sur quoi agit l\u2019\u00e9nonc\u00e9, comment s\u2019arr\u00eate-t-il \u2014 et y r\u00e9pondre sans lyrisme : alli\u00e9 ou adversaire, corps ou contrat ou capacit\u00e9 de syst\u00e8me, r\u00e9tractation ou r\u00e9vocation ou expiration ou contre-\u00e9nonc\u00e9. Cette discipline \u00e9vite de croire que tous les noms se valent ou qu\u2019un nom vrai serait irr\u00e9vocable. Elle redistribue aussi titre et nom : le titre expose, le nom agit. Les \u00e9pith\u00e8tes de R\u00ea ne soignent rien ; l\u2019inventaire des pr\u00e9noms plausibles ne d\u00e9lie rien ; l\u2019Old Speech interdit le mensonge et donne un prix \u00e0 la justesse ; chez Vinge, d\u00e9couvrir le nom civil derri\u00e8re l\u2019avatar reconfigure les risques hors ligne ; dans les r\u00e9seaux, un identifiant robuste peut porter des preuves r\u00e9voquables sans confondre personne v\u00e9cue et personne de papier. Litt\u00e9rature et ing\u00e9nierie s\u2019\u00e9clairent : la premi\u00e8re montre ce qu\u2019est un nom exact, la seconde rappelle qu\u2019un nom op\u00e9ratoire doit pouvoir \u00eatre retir\u00e9 et journalis\u00e9. Ambition modeste mais tenace : pr\u00e9f\u00e9rer le possible bien dessin\u00e9 \u00e0 la grandiloquence, et garder des r\u00e8gles claires sur la fa\u00e7on dont les noms fonctionnent et cessent de fonctionner. En somme, ce mot-cl\u00e9 rassemble les mat\u00e9riaux o\u00f9 le vrai nom lie quand il faut, soigne sans remplacer, d\u00e9lie sans casser \u2014 et laisse, apr\u00e8s usage, un monde un peu plus habitable. {{{Sommaire de la s\u00e9rie}}} - [1. Nommer pour habiliter \u2014 Le Guin (Earthsea \u2014 Terremer) -> art3497] - [2. Nommer pour prendre \u2014 Isis & R\u00ea (Papyrus de Turin) -> art3499] - [3. Nommer pour d\u00e9lier \u2014 Rumpelstiltskin (ATU 500) -> art3500] - [4. Noms \u00e0 l\u2019\u00e8re r\u00e9seau \u2014 Vernor Vinge -> art3498] - [5.Argile et algorithmes \u2014 \u00e0 Propos du Golem->art 3496] [Voir tous les \u00e9pisodes (page du mot-cl\u00e9) -> mot622] {{{Navigation}}} \u2014l\u2019introduction ci-dessus, puis suivre l\u2019ordre 1\u21925 Chaque article renvoie ici en pied de page (Sommaire). ",
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"title": "Rumpelstiltskin - Le Nain Tracassin",
"date_published": "2025-11-08T07:00:45Z",
"date_modified": "2025-11-08T11:16:07Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Sous l\u2019entr\u00e9e ATU 500<\/strong> du catalogue Aarne\u2013Thompson\u2013Uther, l\u2019histoire est toujours la m\u00eame : un contrat impossible<\/strong>, un prix exorbitant<\/strong> (l\u2019enfant \u00e0 na\u00eetre), et une clause de sortie<\/strong> qui tient en un mot — le nom<\/strong>. Dans Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em>, dire le nom du personnage brise l\u2019obligation. Ce conte, souvent rang\u00e9 au rayon des « malices pour enfants », propose en r\u00e9alit\u00e9 une th\u00e9orie du contrat<\/strong> par le langage : ce qui lie peut \u00eatre d\u00e9li\u00e9<\/strong> non par violence, mais par connaissance<\/strong> et \u00e9nonciation exacte<\/strong>. Ce texte clarifie, pour notre s\u00e9rie, l\u2019autre face du « vrai nom » : non pas le nom qui donne prise, mais le nom qui retire<\/strong> la prise.<\/p>\n<\/blockquote>\n Le ressort narratif para\u00eet simple : un meunier fanfaron promet au roi que sa fille sait changer la paille en or ; mise \u00e0 l\u2019\u00e9preuve, condamn\u00e9 si elle \u00e9choue, la jeune femme voit surgir un petit \u00eatre — Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> — qui accomplit l\u2019impossible en \u00e9change<\/strong>. L\u2019\u00e9change monte en intensit\u00e9 : premi\u00e8res fois contre colliers et bagues, derni\u00e8re fois contre l\u2019enfant<\/strong> qu\u2019elle aura du roi. Accord scell\u00e9. \u00c0 la naissance, d\u00e9sespoir ; l\u2019\u00eatre offre un sursis : si tu d\u00e9couvres mon nom<\/strong> en trois jours, tu gardes l\u2019enfant. Le troisi\u00e8me jour, la reine apprend ce nom, elle le prononce<\/strong> ; l\u2019obligation tombe. Fin.<\/p>\n Tout est l\u00e0, mais le conte nous int\u00e9resse moins par sa morale (prudence face aux promesses) que par sa m\u00e9canique contractuelle<\/strong>. La paille devenue or n\u2019est pas un miracle : c\u2019est un service<\/strong> rendu contre contrepartie<\/strong>. Au dernier tour, la contrepartie est illicite<\/strong> (l\u2019enfant), mais le contrat est valide<\/strong> dans le monde du r\u00e9cit — jusqu\u2019\u00e0 l\u2019introduction d\u2019une clause r\u00e9solutoire<\/strong> : le nom<\/strong>. Dire le nom n\u2019est pas ici un s\u00e9same d\u2019emprise (Isis sur R\u00ea), c\u2019est un geste d\u2019arr\u00eat<\/strong> : l\u2019\u00e9nonciation exacte r\u00e9voque<\/strong> l\u2019accord. D\u2019o\u00f9 l\u2019int\u00e9r\u00eat pour notre fil « \u00e9crire fait » : certaines phrases annulent<\/strong> ce qu\u2019une autre a li\u00e9<\/strong>.<\/p>\n Cette structure contractuelle se double d\u2019un jeu sur le secret<\/strong>. Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> d\u00e9tient une puissance op\u00e9ratoire (filage de l\u2019or) tant que son nom<\/strong> demeure inconnu<\/strong>. Le secret n\u2019est pas d\u00e9coratif ; il est la source<\/strong> de la contrainte. D\u00e8s que la reine obtient l\u2019information — par enqu\u00eate, \u00e9coute, hasard organis\u00e9 selon les versions —, la publicisation<\/strong> (prononcer, \u00e0 haute voix, en face) agit comme r\u00e9vocation<\/strong>. Il ne s\u2019agit pas d\u2019un porno du savoir : on ne veut pas « tout savoir », on cible un identifiant<\/strong> pr\u00e9cis. C\u2019est ici que le conte rejoint notre modernit\u00e9 technique : un identifiant expos\u00e9<\/strong> (vrai nom, credential, cl\u00e9) change<\/strong> les rapports de force sans<\/strong> recourir \u00e0 une force sup\u00e9rieure.<\/p>\n Le conte, d\u2019ailleurs, multiplie les fa\u00e7ons de nommer<\/strong> : la plupart des pr\u00e9noms propos\u00e9s par la reine \u00e9chouent parce qu\u2019ils appartiennent \u00e0 un r\u00e9pertoire public<\/strong> — liste plausible, statistiquement inform\u00e9e, mais non op\u00e9ratoire<\/strong>. Seule la forme exacte<\/strong> convient, celle qui indexe<\/strong> l\u2019\u00eatre, non son apparence. Dans plusieurs variantes, l\u2019origine de l\u2019information m\u00eale hasard<\/strong> et travail<\/strong> : un messager ou la reine elle-m\u00eame surprend<\/strong> le petit \u00eatre qui chante son nom pr\u00e8s d\u2019un feu, la nuit, dans la for\u00eat. La sc\u00e8ne n\u2019est pas innocente : le nom n\u2019est pas arrach\u00e9 par torture ni donn\u00e9 par gr\u00e2ce ; il est entendu<\/strong> dans un contexte o\u00f9 le sujet se d\u00e9voile<\/strong> par jeu, hybris ou n\u00e9gligence. L\u2019\u00e9thique implicite est nette : l\u2019abolition du contrat ne proc\u00e8de pas d\u2019un acte plus violent, mais d\u2019un d\u00e9placement d\u2019information<\/strong>.<\/p>\n Il faut situer Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> parmi ses variantes<\/strong>. En anglais, Tom Tit Tot — Tom Tit Tot<\/em>, Whuppity Stoorie — Whuppity Stoorie<\/em> ; en ga\u00e9lique, Gillidanda — Gillidanda<\/em> ; en nordique, Titteliture — Titteliture<\/em>. Toutes modulent le m\u00eame motif : nom inconnu \u2192 pouvoir ; nom connu \u2192 chute<\/strong>. L\u2019onomastique est ici un r\u00e9gulateur social<\/strong> : ce que le village sait ou ignore fait loi<\/strong>. La menace de l\u2019« enfant pris » n\u2019est pas qu\u2019une terreur archa\u00efque ; c\u2019est la figure limite<\/strong> d\u2019un contrat o\u00f9 la personne devient gage<\/strong>. Le conte n\u2019approuve pas ce contrat ; il montre comment<\/strong> le d\u00e9faire<\/strong>.<\/p>\n Nous touchons l\u00e0 une asym\u00e9trie utile pour la s\u00e9rie. Chez Le Guin (Terremer), le vrai nom<\/strong> se confie sous relation<\/strong> et lie ; chez Isis et R\u00ea, le nom secret<\/strong> s\u2019arrache et donne prise<\/strong> ; chez Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em>, le nom exact<\/strong> fait tomber<\/strong> la prise. Trois r\u00e9gimes, trois fonctions. Notre vocabulaire peut s\u2019ajuster ainsi : nom habilitant<\/strong> (Le Guin), nom d\u2019emprise<\/strong> (Isis\/R\u00ea), nom r\u00e9solutoire<\/strong> (Rumpelstiltskin). Dans tous les cas, un point commun : la forme<\/strong> de l\u2019\u00e9nonc\u00e9, non l\u2019intensit\u00e9 dramatique, d\u00e9cide des effets<\/strong>.<\/p>\n On dira : la reine « triche » en espionnant. Le conte ne blasonne pas la vertu ; il teste<\/strong> des outils. Que peut<\/strong> l\u2019information pr\u00e9cise ? Elle d\u00e9lie<\/strong> les contrats sc\u00e9l\u00e9rats l\u00e0 o\u00f9 ni la force<\/strong> (arm\u00e9e du roi) ni la pi\u00e9t\u00e9<\/strong> (pri\u00e8res) n\u2019y suffisent. C\u2019est une le\u00e7on politique minimale : il existe des situations o\u00f9 la connaissance<\/strong> remplace l\u00e9gitimement la contrainte<\/strong>. Cela n\u2019innocente pas la ruse ; cela la norme<\/strong> : la ruse est ici publique<\/strong>, contradictoire<\/strong>, prononc\u00e9e<\/strong> face \u00e0 l\u2019adversaire — elle expose<\/strong> le nom pour annuler<\/strong> l\u2019emprise, puis cesse<\/strong> de circuler (on ne part pas en croisade pour r\u00e9v\u00e9ler tous les noms). La sc\u00e8ne de la nomination n\u2019est pas une f\u00eate de l\u2019humiliation ; c\u2019est un acte de proc\u00e9dure<\/strong>.<\/p>\n Le d\u00e9tail final varie : parfois le petit \u00eatre s\u2019emporte et se d\u00e9chire<\/strong> en deux ; parfois il fuit<\/strong> ; parfois il tombe<\/strong> dans un trou. Ce d\u00e9bordement grotesque n\u2019est pas le c\u0153ur du dispositif ; c\u2019est sa d\u00e9flation<\/strong> : une fois le nom connu, la figure perd de la substance<\/strong>. L\u2019important est ailleurs : la reine r\u00e9cup\u00e8re l\u2019initiative<\/strong>, l\u2019enfant reste<\/strong>, l\u2019exc\u00e8s s\u2019arr\u00eate<\/strong>. Pour notre s\u00e9rie, l\u2019enseignement tient en trois questions \u00e0 poser \u00e0 tout « nom » en jeu : 1) Quel type de lien<\/strong> instaure-t-il ? 2) Quel degr\u00e9 d\u2019exposition<\/strong> exige-t-il ? 3) Quelle proc\u00e9dure<\/strong> permet de le r\u00e9voquer<\/strong> sans violence ?<\/p>\n Ce triptyque nous ram\u00e8ne \u00e0 l\u2019actualit\u00e9 la plus triviale : plateformes et politiques de « vrais noms<\/strong> » ; doxxing comme arme ; DIDs<\/strong> (identifiants d\u00e9centralis\u00e9s) et possibilit\u00e9s de r\u00e9vocation<\/strong> ; droit \u00e0 l\u2019effacement<\/strong> (RGPD). Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> ne fournit pas un mod\u00e8le juridique, mais une grammaire<\/strong> : parfois, un contrat ne c\u00e8de pas \u00e0 la force, il c\u00e8de \u00e0 l\u2019\u00e9nonciation exacte<\/strong>. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui rend le conte durable : il apprend comment parler<\/strong> pour d\u00e9faire<\/strong>.<\/p>\n Une jeune reine doit livrer son enfant \u00e0 un \u00eatre qui a fil\u00e9 la paille en or pour la sauver. Clause de sortie : d\u00e9couvrir son nom<\/strong>. Trois jours, une enqu\u00eate, un chant surpris dans la for\u00eat — « Rumpelstiltskin » —, l\u2019\u00e9nonciation en face. L\u2019obligation tombe.<\/em><\/p>\n \u2013<\/b><\/span> 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer)<\/a>\n Voir tous les \u00e9pisodes (page du mot-cl\u00e9)<\/a><\/p>",
"content_text": " >Sous l\u2019entr\u00e9e **ATU 500** du catalogue Aarne\u2013Thompson\u2013Uther, l\u2019histoire est toujours la m\u00eame : un **contrat impossible**, un **prix exorbitant** (l\u2019enfant \u00e0 na\u00eetre), et une **clause de sortie** qui tient en un mot \u2014 **le nom**. Dans *Rumpelstiltskin \u2014 Le Nain Tracassin*, dire le nom du personnage brise l\u2019obligation. Ce conte, souvent rang\u00e9 au rayon des \u00ab malices pour enfants \u00bb, propose en r\u00e9alit\u00e9 une **th\u00e9orie du contrat** par le langage : ce qui lie peut \u00eatre **d\u00e9li\u00e9** non par violence, mais par **connaissance** et **\u00e9nonciation exacte**. Ce texte clarifie, pour notre s\u00e9rie, l\u2019autre face du \u00ab vrai nom \u00bb : non pas le nom qui donne prise, mais le nom qui **retire** la prise. --- Le ressort narratif para\u00eet simple : un meunier fanfaron promet au roi que sa fille sait changer la paille en or ; mise \u00e0 l\u2019\u00e9preuve, condamn\u00e9 si elle \u00e9choue, la jeune femme voit surgir un petit \u00eatre \u2014 *Rumpelstiltskin \u2014 Le Nain Tracassin* \u2014 qui accomplit l\u2019impossible **en \u00e9change**. L\u2019\u00e9change monte en intensit\u00e9 : premi\u00e8res fois contre colliers et bagues, derni\u00e8re fois contre **l\u2019enfant** qu\u2019elle aura du roi. Accord scell\u00e9. \u00c0 la naissance, d\u00e9sespoir ; l\u2019\u00eatre offre un sursis : si tu **d\u00e9couvres mon nom** en trois jours, tu gardes l\u2019enfant. Le troisi\u00e8me jour, la reine apprend ce nom, elle le **prononce** ; l\u2019obligation tombe. Fin. Tout est l\u00e0, mais le conte nous int\u00e9resse moins par sa morale (prudence face aux promesses) que par sa **m\u00e9canique contractuelle**. La paille devenue or n\u2019est pas un miracle : c\u2019est un **service** rendu contre **contrepartie**. Au dernier tour, la contrepartie est **illicite** (l\u2019enfant), mais le contrat est **valide** dans le monde du r\u00e9cit \u2014 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019introduction d\u2019une **clause r\u00e9solutoire** : le **nom**. Dire le nom n\u2019est pas ici un s\u00e9same d\u2019emprise (Isis sur R\u00ea), c\u2019est un **geste d\u2019arr\u00eat** : l\u2019\u00e9nonciation exacte **r\u00e9voque** l\u2019accord. D\u2019o\u00f9 l\u2019int\u00e9r\u00eat pour notre fil \u00ab \u00e9crire fait \u00bb : certaines phrases **annulent** ce qu\u2019une autre a **li\u00e9**. Cette structure contractuelle se double d\u2019un **jeu sur le secret**. *Rumpelstiltskin \u2014 Le Nain Tracassin* d\u00e9tient une puissance op\u00e9ratoire (filage de l\u2019or) tant que son **nom** demeure **inconnu**. Le secret n\u2019est pas d\u00e9coratif ; il est la **source** de la contrainte. D\u00e8s que la reine obtient l\u2019information \u2014 par enqu\u00eate, \u00e9coute, hasard organis\u00e9 selon les versions \u2014, la **publicisation** (prononcer, \u00e0 haute voix, en face) agit comme **r\u00e9vocation**. Il ne s\u2019agit pas d\u2019un porno du savoir : on ne veut pas \u00ab tout savoir \u00bb, on cible un **identifiant** pr\u00e9cis. C\u2019est ici que le conte rejoint notre modernit\u00e9 technique : un identifiant **expos\u00e9** (vrai nom, credential, cl\u00e9) **change** les rapports de force **sans** recourir \u00e0 une force sup\u00e9rieure. Le conte, d\u2019ailleurs, multiplie les fa\u00e7ons de **nommer** : la plupart des pr\u00e9noms propos\u00e9s par la reine \u00e9chouent parce qu\u2019ils appartiennent \u00e0 un **r\u00e9pertoire public** \u2014 liste plausible, statistiquement inform\u00e9e, mais **non op\u00e9ratoire**. Seule la **forme exacte** convient, celle qui **indexe** l\u2019\u00eatre, non son apparence. Dans plusieurs variantes, l\u2019origine de l\u2019information m\u00eale **hasard** et **travail** : un messager ou la reine elle-m\u00eame **surprend** le petit \u00eatre qui chante son nom pr\u00e8s d\u2019un feu, la nuit, dans la for\u00eat. La sc\u00e8ne n\u2019est pas innocente : le nom n\u2019est pas arrach\u00e9 par torture ni donn\u00e9 par gr\u00e2ce ; il est **entendu** dans un contexte o\u00f9 le sujet se **d\u00e9voile** par jeu, hybris ou n\u00e9gligence. L\u2019\u00e9thique implicite est nette : l\u2019abolition du contrat ne proc\u00e8de pas d\u2019un acte plus violent, mais d\u2019un **d\u00e9placement d\u2019information**. Il faut situer *Rumpelstiltskin \u2014 Le Nain Tracassin* parmi ses **variantes**. En anglais, *Tom Tit Tot \u2014 Tom Tit Tot*, *Whuppity Stoorie \u2014 Whuppity Stoorie* ; en ga\u00e9lique, *Gillidanda \u2014 Gillidanda* ; en nordique, *Titteliture \u2014 Titteliture*. Toutes modulent le m\u00eame motif : **nom inconnu \u2192 pouvoir ; nom connu \u2192 chute**. L\u2019onomastique est ici un **r\u00e9gulateur social** : ce que le village sait ou ignore **fait loi**. La menace de l\u2019\u00ab enfant pris \u00bb n\u2019est pas qu\u2019une terreur archa\u00efque ; c\u2019est la **figure limite** d\u2019un contrat o\u00f9 la personne devient **gage**. Le conte n\u2019approuve pas ce contrat ; il montre **comment** le **d\u00e9faire**. Nous touchons l\u00e0 une asym\u00e9trie utile pour la s\u00e9rie. Chez Le Guin (Terremer), le **vrai nom** se confie sous **relation** et lie ; chez Isis et R\u00ea, le **nom secret** s\u2019arrache et **donne prise** ; chez *Rumpelstiltskin \u2014 Le Nain Tracassin*, le **nom exact** fait **tomber** la prise. Trois r\u00e9gimes, trois fonctions. Notre vocabulaire peut s\u2019ajuster ainsi : **nom habilitant** (Le Guin), **nom d\u2019emprise** (Isis\/R\u00ea), **nom r\u00e9solutoire** (Rumpelstiltskin). Dans tous les cas, un point commun : la **forme** de l\u2019\u00e9nonc\u00e9, non l\u2019intensit\u00e9 dramatique, d\u00e9cide des **effets**. On dira : la reine \u00ab triche \u00bb en espionnant. Le conte ne blasonne pas la vertu ; il **teste** des outils. Que **peut** l\u2019information pr\u00e9cise ? Elle **d\u00e9lie** les contrats sc\u00e9l\u00e9rats l\u00e0 o\u00f9 ni la **force** (arm\u00e9e du roi) ni la **pi\u00e9t\u00e9** (pri\u00e8res) n\u2019y suffisent. C\u2019est une le\u00e7on politique minimale : il existe des situations o\u00f9 la **connaissance** remplace l\u00e9gitimement la **contrainte**. Cela n\u2019innocente pas la ruse ; cela la **norme** : la ruse est ici **publique**, **contradictoire**, **prononc\u00e9e** face \u00e0 l\u2019adversaire \u2014 elle **expose** le nom pour **annuler** l\u2019emprise, puis **cesse** de circuler (on ne part pas en croisade pour r\u00e9v\u00e9ler tous les noms). La sc\u00e8ne de la nomination n\u2019est pas une f\u00eate de l\u2019humiliation ; c\u2019est un **acte de proc\u00e9dure**. Le d\u00e9tail final varie : parfois le petit \u00eatre s\u2019emporte et se **d\u00e9chire** en deux ; parfois il **fuit** ; parfois il **tombe** dans un trou. Ce d\u00e9bordement grotesque n\u2019est pas le c\u0153ur du dispositif ; c\u2019est sa **d\u00e9flation** : une fois le nom connu, la figure **perd de la substance**. L\u2019important est ailleurs : la reine **r\u00e9cup\u00e8re l\u2019initiative**, l\u2019enfant **reste**, l\u2019exc\u00e8s **s\u2019arr\u00eate**. Pour notre s\u00e9rie, l\u2019enseignement tient en trois questions \u00e0 poser \u00e0 tout \u00ab nom \u00bb en jeu : 1) **Quel type de lien** instaure-t-il ? 2) **Quel degr\u00e9 d\u2019exposition** exige-t-il ? 3) **Quelle proc\u00e9dure** permet de **le r\u00e9voquer** sans violence ? Ce triptyque nous ram\u00e8ne \u00e0 l\u2019actualit\u00e9 la plus triviale : plateformes et politiques de \u00ab **vrais noms** \u00bb ; doxxing comme arme ; **DIDs** (identifiants d\u00e9centralis\u00e9s) et possibilit\u00e9s de **r\u00e9vocation** ; droit \u00e0 l\u2019**effacement** (RGPD). *Rumpelstiltskin \u2014 Le Nain Tracassin* ne fournit pas un mod\u00e8le juridique, mais une **grammaire** : parfois, un contrat ne c\u00e8de pas \u00e0 la force, il c\u00e8de \u00e0 l\u2019**\u00e9nonciation exacte**. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui rend le conte durable : il apprend comment **parler** pour **d\u00e9faire**. --- ## \u2014 Sc\u00e8ne-source (r\u00e9sum\u00e9) *Une jeune reine doit livrer son enfant \u00e0 un \u00eatre qui a fil\u00e9 la paille en or pour la sauver. Clause de sortie : d\u00e9couvrir son **nom**. Trois jours, une enqu\u00eate, un chant surpris dans la for\u00eat \u2014 \u00ab Rumpelstiltskin \u00bb \u2014, l\u2019\u00e9nonciation en face. L\u2019obligation tombe.* ## \u2014 Ce que la sc\u00e8ne nous apprend * **Nom r\u00e9solutoire** : dire le nom **r\u00e9voque** un contrat. * **Secret op\u00e9ratoire** : la puissance tient tant que le nom **reste inconnu**. * **Publicisation cibl\u00e9e** : la connaissance devient **acte** en \u00e9tant **prononc\u00e9e** \u00e0 la bonne **adresse**. * **\u00c9thique de la ruse** : information **contre** violence ; proc\u00e9dure **contre** d\u00e9mesure. ## Encadr\u00e9 \u2014 Variantes utiles (ATU 500) * **Tom Tit Tot \u2014 Tom Tit Tot** (Angleterre) : m\u00eame clause, chant nocturne. * **Whuppity Stoorie \u2014 Whuppity Stoorie** (\u00c9cosse) : variation dialectale, d\u00e9lai modifi\u00e9. * **Titteliture \u2014 Titteliture** (Scandinavie) : insistance sur la danse autour du feu. *(Toutes : \u00ab nom connu \u2192 emprise r\u00e9voqu\u00e9e \u00bb.)* ## Lexique * **Nom r\u00e9solutoire** : \u00e9nonc\u00e9 qui **annule** une obligation. * **Nom d\u2019emprise** : \u00e9nonc\u00e9 qui **donne prise** (cf. Isis\/R\u00ea). * **Nom habilitant** : \u00e9nonc\u00e9 qui **autorise** l\u2019action dans un **lien** (cf. Terremer). * **Geste d\u2019arr\u00eat** : proc\u00e9dure qui **retire** une capacit\u00e9 ou **r\u00e9voque** un accord. {{{Sommaire de la s\u00e9rie}}} - [1. Nommer pour habiliter \u2014 Le Guin (Earthsea \u2014 Terremer) -> art3497] - [2. Nommer pour prendre \u2014 Isis & R\u00ea (Papyrus de Turin) -> art3499] - [3. Nommer pour d\u00e9lier \u2014 Rumpelstiltskin (ATU 500) -> art3500] - [4. Noms \u00e0 l\u2019\u00e8re r\u00e9seau \u2014 Vernor Vinge -> art3498] - [5.Argile et algorithmes \u2014 \u00e0 Propos du Golem->art 3496] [Voir tous les \u00e9pisodes (page du mot-cl\u00e9) -> mot622]",
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"title": "Le papyrus de Turin et le nom secret de R\u00ea",
"date_published": "2025-11-08T06:44:22Z",
"date_modified": "2025-11-08T14:16:14Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " >Dans l\u2019un des r\u00e9cits \u00e9gyptiens les plus pr\u00e9cis sur la puissance des mots, Isis gu\u00e9rit R\u00ea d\u2019un venin qu\u2019elle a elle-m\u00eame provoqu\u00e9 — \u00e0 la condition qu\u2019il lui confie son **vrai nom**. Le **Papyrus de Turin** (Nouvel Empire) ne raconte ni un coup de force ni un miracle : il d\u00e9taille un **protocole**. Un artefact (le serpent), une n\u00e9gociation (refus des \u00e9pith\u00e8tes), un **secret** (le nom retenu), un **soin** (le rem\u00e8de). \u00c0 travers cette sc\u00e8ne se dessine d\u00e9j\u00e0 notre probl\u00e9matique moderne : entre **nom v\u00e9cu** et **nom op\u00e9ratoire**, ce qui compte n\u2019est pas la pompe des titres mais la **forme d\u2019\u00e9nonc\u00e9** qui fait effet — et le **degr\u00e9 d\u2019exposition** du nom.<\/p>\n — -<\/p>\n > « Dis-moi ton **nom v\u00e9ritable**. » On conna\u00eet la silhouette de R\u00ea, vieil astre souverain, et la r\u00e9putation d\u2019Isis, d\u00e9esse du soin et des ruses l\u00e9gitimes. Ce qu\u2019\u00e9nonce le Papyrus de Turin ne tient pourtant ni du panth\u00e9on fig\u00e9 ni de la morale exemplaire ; il rel\u00e8ve d\u2019une **technologie du langage**. Isis fa\u00e7onne un serpent avec de la terre m\u00eal\u00e9e \u00e0 la salive du dieu. L\u2019artefact n\u2019est pas une m\u00e9taphore : c\u2019est un **dispositif**. Il mord R\u00ea. La douleur est telle que nul pan\u00e9gyrique n\u2019y peut rien. Isis s\u2019avance : elle **peut** gu\u00e9rir, dit-elle, mais **\u00e0 condition** que le dieu lui r\u00e9v\u00e8le son **nom secret**. Commence alors un \u00e9change r\u00e9gl\u00e9 : R\u00ea \u00e9num\u00e8re des titres, des qualit\u00e9s cosmiques, des preuves de majest\u00e9. Isis refuse. Elle veut **l\u2019essence**, pas l\u2019\u00e9clat. Quand R\u00ea consent — et la tradition prend soin de **ne pas livrer** le nom au lecteur —, le rem\u00e8de agit. R\u00ea reste R\u00ea, mais Isis a d\u00e9sormais la **prise**.<\/p>\n Cette sc\u00e8ne touche l\u2019os de notre s\u00e9rie : **tous les mots ne font pas**. Le texte ne se contente pas d\u2019opposer vrai et faux ; il distingue **\u00e9pith\u00e8te** et **nom**. Les premi\u00e8res « disent » le pouvoir ; le second **l\u2019ouvre**. Les premi\u00e8res c\u00e9l\u00e8brent ; le second **op\u00e8re**. La rh\u00e9torique ne soigne pas le venin. Le **vrai nom**, oui — \u00e0 la condition d\u2019\u00eatre **\u00e9nonc\u00e9** sous le **bon protocole**, et **retenu** ensuite. L\u2019opposition est nette, mais elle n\u2019aboutit ni \u00e0 l\u2019annulation du dieu ni \u00e0 l\u2019av\u00e8nement d\u2019un nouveau r\u00e8gne. Elle produit un **partage** : la souverainet\u00e9 demeure, la **capacit\u00e9 d\u2019initier** certains actes se d\u00e9place vers Isis. Le pouvoir change de main **sans changer de tr\u00f4ne**.<\/p>\n Ce d\u00e9placement clarifie la diff\u00e9rence entre **domination** et **emprise**. Le nom secret ne transforme pas Isis en tyran ; il lui donne un **levier** situ\u00e9. Elle a construit les conditions d\u2019un **consentement** sous contrainte (le venin), pos\u00e9 une **contrepartie** (le soin), obtenu un **engagement** (le nom). On peut parler d\u2019un « contrat » archa\u00efque : un \u00e9change d\u2019\u00e9nonc\u00e9s efficaces, scell\u00e9 par un r\u00e9sultat v\u00e9rifiable (la gu\u00e9rison). L\u2019important n\u2019est pas d\u2019y voir le mod\u00e8le de toutes n\u00e9gociations ; c\u2019est de rep\u00e9rer que la **charge op\u00e9ratoire** n\u2019est pas dans l\u2019intention (bienveillance, ruse, majest\u00e9), mais dans la **forme**, le **cadre**, la **retenue**. Exactement ce que nous avons nomm\u00e9, avec Le Guin, une **\u00e9thique de la justesse** : dire juste, au bon moment, sous des conditions qui rendent la parole **responsable** de ses effets.<\/p>\n Autre le\u00e7on : le **secret**. Le nom vrai **ne circule pas**. Il ne devient pas un s\u00e9same de march\u00e9. Le r\u00e9cit pr\u00e9vient ainsi une tentation r\u00e9currente : confondre la valeur d\u2019un nom avec son **visibilisme**. Le nom op\u00e8re parce qu\u2019il est **tenu**, parce qu\u2019il est **assign\u00e9** \u00e0 une **relation** (ici, Isis et R\u00ea), non \u00e0 l\u2019espace public. Toute la modernit\u00e9 technique rejoue ce point : entre **nom v\u00e9cu** (celui qu\u2019on confie \u00e0 quelqu\u2019un, qui engage une alliance) et **nom op\u00e9ratoire** (identifiant, cl\u00e9, num\u00e9ro, handle), c\u2019est le **degr\u00e9 d\u2019exposition** qui d\u00e9cide du type de pouvoir. Un identifiant publi\u00e9 hors protocole devient une arme. Un nom confi\u00e9 dans une relation fond\u00e9e devient un soin. Le papyrus n\u2019avance pas une th\u00e9orie ; il **mod\u00e9lise** une pratique.<\/p>\n On a souvent lu ce mythe comme l\u2019illustration d\u2019une « ruse f\u00e9minine » triomphant d\u2019une « force masculine ». Ce code binaire en dit surtout long sur nos habitudes de lecture. La sc\u00e8ne est plus **fine**. Isis ne « trompe » pas R\u00ea ; elle **fabrique** la condition qui rend la parole du dieu **vraie** au sens fort — **efficace**. Et R\u00ea ne « c\u00e8de » pas par faiblesse ; il **consent** \u00e0 l\u2019\u00e9change qui le sauve. Le pouvoir qui na\u00eet de l\u00e0 n\u2019est pas un pouvoir d\u2019arbitraire : c\u2019est une **capacit\u00e9** \u00e0 remettre le monde en \u00e9tat de marche. En d\u2019autres termes : la **gu\u00e9rison** n\u2019est pas l\u2019effet moral d\u2019une vertu, c\u2019est l\u2019**ex\u00e9cution** r\u00e9ussie d\u2019un **protocole**.<\/p>\n La sc\u00e8ne dit encore la diff\u00e9rence **qualitative** entre « raconter » et « faire ». Quand R\u00ea \u00e9gr\u00e8ne ses titres, il **raconte**. Le monde n\u2019en est pas modifi\u00e9. Quand Isis obtient le nom, elle **fait** — elle retire le venin. C\u2019est au c\u0153ur de l\u2019axe « \u00e9crire fait » (litt\u00e9ralit\u00e9 golem, EMET \u2192 MET) : selon la **forme de la phrase**, la r\u00e9alit\u00e9 **s\u2019ex\u00e9cute** ou non. La gouvernance qui en d\u00e9coule n\u2019est pas flamboyante : elle ressemble \u00e0 une **maintenance**. On r\u00e9pare, on ajuste, on rallume. Il n\u2019y a ni h\u00e9catombe ni coup d\u2019\u00c9tat ; il y a une **reconfiguration des prises**.<\/p>\n Deux ponts pour la suite de la s\u00e9rie. Vers les **contes-contrats** (Rumpelstiltskin) : l\u00e0 encore, le nom d\u00e9livre d\u2019une obligation, mais ici, Isis n\u2019\u00f4te pas un fardeau, elle **installe** une **condition d\u2019action** ; le nom ne « lib\u00e8re » pas, il **habilite**. Vers nos **syst\u00e8mes de nommage** (identit\u00e9s num\u00e9riques, cl\u00e9s, DIDs) : la le\u00e7on du papyrus \u00e9claire le pr\u00e9sent si l\u2019on remplace « venin » par **risque**, « rem\u00e8de » par **proc\u00e9dure**, et « nom secret » par **credential** non public. On retrouve la m\u00eame grammaire : **attestation**, **port\u00e9e**, **r\u00e9vocation** — en clair, le **geste d\u2019arr\u00eat** possible si le nom a \u00e9t\u00e9 **d\u00e9clar\u00e9** dans un cadre.<\/p>\n Pourquoi les titres de R\u00ea \u00e9chouent-ils ? Parce qu\u2019ils sont **g\u00e9n\u00e9raux**, **louangeurs**, **non situ\u00e9s**. Ils d\u00e9crivent une **entit\u00e9** ; ils ne commandent pas une **op\u00e9ration**. Le papyrus place ainsi la barre tr\u00e8s haut pour tout discours de pouvoir : ce qui compte n\u2019est pas la majest\u00e9 du sujet parlant, mais l\u2019**ad\u00e9quation** de la parole \u00e0 la **cible** et \u00e0 la **s\u00e9quence** qui suit. Une vieille sagesse, valable pour le mythe comme pour nos formulaires en ligne.<\/p>\n On sort de ce texte avec un kit sobre : distinguer **titre** et **nom** ; **retenir** ce qui doit l\u2019\u00eatre ; **contractualiser** les effets (soin contre nom) ; penser le pouvoir non comme substitution de personne, mais comme **d\u00e9placement de prises**. La figure d\u2019Isis n\u2019y perd rien ; celle de R\u00ea non plus. Ce qui gagne, c\u2019est la clart\u00e9 sur ce que **nommer** peut — et **ne doit pas** — faire.<\/p>\n — -<\/p>\n Sc\u00e8ne-source (r\u00e9sum\u00e9)<\/strong> Ce que la sc\u00e8ne nous apprend<\/strong> Lexique (r\u00e9utilisable)<\/strong> Note d\u2019usage — R\u00ea \/ R\u00e2<\/strong> R\u00e9f\u00e9rences (primaire & acc\u00e8s)<\/strong> Vignette documentaire — suggestion<\/strong> \u2013<\/b><\/span> 1. Nommer pour habiliter — Le Guin (Earthsea — Terremer)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 2. Nommer pour prendre — Isis & R\u00ea (Papyrus de Turin)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 3. Nommer pour d\u00e9lier — Rumpelstiltskin (ATU 500)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 4. Noms \u00e0 l\u2019\u00e8re r\u00e9seau — Vernor Vinge<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 5.Argile et algorithmes — \u00e0 Propos du Golem<\/a><\/p>\nNavigation<\/h3>\n
\n
\n
\n— Sc\u00e8ne-source (r\u00e9sum\u00e9)<\/h2>\n
— Ce que la sc\u00e8ne nous apprend<\/h2>\n
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Encadr\u00e9 — Variantes utiles (ATU 500)<\/h2>\n
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Lexique<\/h2>\n
\n
Sommaire de la s\u00e9rie<\/h3>\n
\u2013<\/b><\/span> 2. Nommer pour prendre — Isis & R\u00ea (Papyrus de Turin)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 3. Nommer pour d\u00e9lier — Rumpelstiltskin (ATU 500)<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 4. Noms \u00e0 l\u2019\u00e8re r\u00e9seau — Vernor Vinge<\/a>\n
\u2013<\/b><\/span> 5.Argile et algorithmes — \u00e0 Propos du Golem<\/a><\/p>\n
\n> *(micro-citation embl\u00e9matique de la sc\u00e8ne : exigence d\u2019Isis, forme op\u00e9ratoire)*<\/p>\n
\nR\u00ea, mordu par un serpent fa\u00e7onn\u00e9 par Isis, br\u00fble d\u2019un venin que nul ne peut apaiser. Isis propose un rem\u00e8de \u00e0 condition que le dieu lui confie son vrai nom<\/em>. R\u00ea tente des \u00e9pith\u00e8tes ; Isis refuse. \u00c0 l\u2019aveu, le rem\u00e8de agit. La souverainet\u00e9 demeure ; la prise<\/em> se d\u00e9place.<\/p>\n<\/div>
\n
— Nom \u2260 titre<\/strong> : seules certaines formes<\/em> d\u2019\u00e9nonc\u00e9 op\u00e8rent<\/em>.
\n
— Soin \u2194 Contrat<\/strong> : gu\u00e9rison contre<\/em> nom \u2192 pouvoir n\u00e9goci\u00e9<\/em>.
\n
— Secret utile<\/strong> : un nom op\u00e8re<\/em> s\u2019il est retenu<\/em> (hors march\u00e9).
\n
— Partage de capacit\u00e9s<\/strong> : l\u2019ordre tient, mais certaines initiatives<\/em> passent d\u00e9sormais par Isis.<\/p>\n<\/div>
\n
— Vrai nom<\/strong> : \u00e9nonc\u00e9 op\u00e9ratoire<\/em> li\u00e9 \u00e0 une relation<\/em> (pas un mot de passe public).
\n
— Nom v\u00e9cu \/ nom op\u00e9ratoire<\/strong> : nom confi\u00e9 sous lien \/ identifiant qui produit des effets<\/em>.
\n
— Geste d\u2019arr\u00eat<\/strong> : proc\u00e9dure qui retire<\/em> une capacit\u00e9 (d\u00e9sactivation, rectification, r\u00e9vocation).<\/p>\n<\/div>
\nLa graphie contemporaine majoritaire est R\u00ea<\/strong>. R\u00e2<\/strong> est une forme plus ancienne. Pour homog\u00e9n\u00e9it\u00e9 \u00e9ditoriale : employer R\u00ea<\/strong> dans la s\u00e9rie.<\/p>\n<\/div>
\n
— Papyrus de Turin, Cat. 1993<\/em> (Nouvel Empire, XIXe<\/sup> dyn.) : \u00e9pisode dit « Isis et le nom secret de R\u00ea ». Source primaire.
\n
— E. A. Wallis Budge, « The Legend of Ra and Isis » : traduction anglaise libre d\u2019acc\u00e8s (ancienne, \u00e0 manier comme acc\u00e8s<\/em>, non comme \u00e9dition critique).
\n
— \u00c9tudes de synth\u00e8se r\u00e9centes : r\u00e9sum\u00e9s et analyses sur le motif du nom secret<\/em> (\u00e0 citer selon ton appareil critique).<\/p>\n<\/div>
\nCartouche muet<\/em> stylis\u00e9 (aucun nom lisible), l\u00e9gend\u00e9 : « Le nom ne circule pas. »
\nCr\u00e9dit conseill\u00e9 : Museo Egizio (Turin)<\/em> \/ photo d\u2019un cartouche anonyme — ou cr\u00e9ation graphique maison pour \u00e9viter tout droit.<\/p>\n<\/div>Sommaire de la s\u00e9rie<\/h3>\n